lundi 29 novembre 2010

Snuff 1 - La Mélodie du bonheur (2010)

Ethan Fargo vit à Brooklyn, et il essaie d'oublier que sa vie est ratée en envoyant des balles de golf à la mer. On passe son désespoir comme on peut... Il fréquente aussi un vidéo club tenu par deux abrutis de première et c'est là, dans cet endroit sans âme, que sa vie va prendre une tournure inattendue et bizarroïde... Alors qu'il s'apprêtait à emprunter un film dégoûtant aux yeux des tenanciers (un mélo, "la mélodie du bonheur"), deux braqueurs font irruption dans la boutique, et Ethan se retrouve pris entre deux feux. Sa situation est critique, mais l'arrivée d'un cinquième larron, qui vient porter secours au duo de braqueurs guère plus finaud que les loueurs de films, le sauve d'une balle perdue... ou d'autre chose. Inexplicablement son sauveur le laisse en vie en lui confiant un DVD sans jacquette, que Fargo regarde chez lui, espérant trouver une explication à cet épisode rocambolesque. Le choc des images est violent : c'est un snuff-movie qui se défile sous ses yeux, et le film va vite précipiter Ethan dans une cascade d'événements plus ou moins plaisants pour lui...

Nihoul et Lemmens, les créateurs de l'immortel « Commando Torquemada », (deux albums chez Fluide Glacial) sont de retour, et c'est une joie immense de constater qu'ils n'ont rien perdu de leur esprit frondeur et iconoclaste pour cette nouvelle série chez Delcourt. Leur « Snuff » est bourré de références à un certain cinéma un poil décalé que les auteurs vénèrent ostensiblement : la boutique de vidéo s'appelle « Clerks », titre d'un film-culte assez méconnu de mon entourage (mais mon entourage a tort, sur ce coup-là) et le nom du héros est hommage direct aux frères Cohen. Ce premier tome repose sur une intrigue assez surprenante : un ex-dictateur sud-américain envoie un pauvre type à la recherche des responsables de la mort, atroce, de sa fille. Avec en arrière-plan, l'univers des snuff-movies... Avouez qu'il y avait là de quoi se ramasser dans les grandes largeurs avec une histoire pareille. Mais le duo en optant pour un traitement à la Tarantino, avec dialogues ciselés et scènes chocs, évite le piège de l'album glauque sur sujet glissant (une catégorie que je viens de créer à l'instant). Dès la première phrase, le lecteur – éventuellement - égaré est prévenu :

« On ne peut avoir une idée du néant, du vide absolu, si l'on n'a jamais plongé son regard dans celui d'une autruche »...

Un peu plus loin, cette conversation :

"- C'est fait. Le doigt de Dieu vient de majestueusement désigner notre ami.
- Vous pourriez arrêter de parler comme un livre de messe et être clair, pour une fois ?"

Et tout l'album est sur ce ton, légèrement décalé, mais extrêmement jubilatoire.
Côté dessin, les trognes et les physiques volontairement caricaturaux des personnages de Lemmens, font mouche et le dessinateur démontre un réel talent pour les scènes d'action, dans cet album qui est loin d'être une promenade de santé pour le « héros ».
Bref, si vous ne lisez que dix BD par an (ou moins, mais alors, là, vous avez dû arriver sur ce blog par hasard) vous aurez compris que celle-ci doit en faire partie. Amen.


Snuff 1 – La Mélodie du bonheur
Scénario Philippe Nihoul et dessin Xavier Lemmens
Delcourt, 2010 – 48 p. coul. - Collection Machination – 12,90 €

jeudi 18 novembre 2010

Le recul du fusil 1 - Les Chambres (2010)

Fin août 1936. Fernand Tormes quitte sa campagne provençale et ses chèvres pour aller étudier la médecine à Paris. Sa mère l'envoie auprès d'amis parisiens, les Lazary, et il est accueilli à la gare par leur fils André, son copain d'enfance. Mais en cette période troublée en Europe, Fernand retrouve un André acquis à la cause communiste et à l'Espagne républicaine... et brouillé avec son père, à la tête d'une entreprise familiale. Fernand s'installe néanmoins dans la chambre des Lazary, dans un immeuble où il fait vite la connaissance de Solange, jeune et belle femme, mariée à un égyptologue.
Fernand s'en éprend et réussit à approcher d'un peu plus près cette petite bourgeoisie parisienne. Il est pour eux une sorte de curiosité amusante... Pendant ce temps-là, le monde tourne et André se frotte aux fascistes parisiens. Les événements vont s'accélérer pour Fernand, à la croisée de plusieurs chemins...

Ce premier tome d'un trilogie annoncée est une formidable plongée dans le Paris de 1936, et Bordas signe là une histoire qui s'annonce passionnante. Son personnage de Fernand, débrouillard mais un peu dilettante, est emprunt d'une certaine naïveté romantique qui mène sa vie un peu malgré lui. Tombant amoureux de presque chaque femme qu'il rencontre, il ne semble pas avoir d'autre but dans la vie que de ne pas dormir tout seul et il n'a pas l'engagement politique d'André et de ses amis révolutionnaires. Mais le vent de l'Histoire, et une situation personnelle soudainement devenue critique, vont le pousser vers d'autres horizons et c'est bien ce qui fait tout l'intérêt du scénario : Bordas réussi à imbriquer le destin d'un anonyme dans la grande spirale des événements majeurs des années trente. Son Paris est d'ailleurs truffé de détails (enseignes des boutiques, affiches et banderoles politiques, véhicules...) apportant l'authenticité nécessaire à son scénario et renforce sa crédibilité. Graphiquement, Bordas appartient à cette branche « Sfaro-Blainiste » de la bande dessinée actuelle, qui semble faire de plus en plus école, et dont le style s'accorde parfaitement avec l'époque choisie.
« Le recul du fusil » est paru à la fin de l'été, mais n'hésitez pas à le demander à votre revendeur préféré : c'est franchement une des très bonnes surprises de cette année.

Le Recul du fusil
1 – Les Chambres
Scénario et dessin Jean-Sébastien Bordas
Soleil, 2010. 56 pages couleurs – Collection Quadrants / Boussole
11,50 €