lundi 24 octobre 2011

[Chronique] - Rivages/Casterman/ Noir : Adios Muchachos

La technique d'Alicia est bien huilée. Elle roule en pleine ville, et repère dans la circulation celui qui sera son prochain pigeon. Il circule en général à bord d'une grosse bagnole et affiche l'air suffisant du touriste plein aux as. Elle, elle circule à vélo, dans une tenue des plus légères : t-shirt en haut, jupe mini comme pas permis. Et c'est bien là que se trouve le noeud de l'arnaque, dans cet accoutrement destiné à aller à la pêche au gogo : une fois sa future proie choisie, Alicia se porte d'abord à sa hauteur, histoire qu'il la repère bien, puis le dépasse et pédale tranquillement devant lui, histoire qu'il voit bien ce qu'il y a sous la jupe. Et à un moment, crac, c'est la chute ! La jeune femme se retrouve à terre, le conducteur pile juste à temps, il est confus, il sort pour porter secours à la pauvresse, mais il ne sait plus s'il doit regarder la culotte d'Alicia ou jeter un oeil au vélo... Le pédalier semble foutu, et Alicia ne se fait pas prier pour se faire raccompagner chez sa mère, avec qui elle vit encore, et là, après l'avoir attiré dans sa chambre, la jeune femme ferre définitivement le poisson, qui succombe à ses charmes et la voici à l'abri du besoin pour un petit moment. La mère est dans la combine, car il faut bien vivre, à la Havane, en ce début de 21ème siècle. Le petit numéro, bien rôdé, fonctionne à merveille et semble même atteindre la perfection lorsqu'Alicia prend dans ses filets Juanito, un beau gosse au physique d'Alain Delon. Mais le play-boy n'est pas dupe, et il décide de proposer à Alicia de passer à la vitesse supérieure, côté arnaque par la séduction. Reste à savoir si ces deux-là peuvent tous les deux gagner sur tous les tableaux...
C'est Matz lui-même – co-directeur de la collection avec François Guérif – qui s'est chargé de l'adaptation de ce roman de Daniel Chavarria, publié à Cuba en 1995, et Paolo Bacilieri qui oeuvre aux pinceaux. Ce qui frappe dans cette version, c'est sa dimension sensuelle. Dès le début, bien entendu, avec le manège aguicheur de « l'héroïne », puis un peu plus loin, dans les cènes de jeux érotiques entre Alicia et Juanito, mais aussi dans des scènes moins explicites : l'air est sérieusement moite dans ces pages... C'est en fait en raison du trait de Bacilieri, étonnamment proche dans certaines planches, de celui du vénérable Georges Pichard, un des maîtres français de la bande dessinée polissonne (Ah, « Paulette » et « Blanche Epiphanie »... ). On en oublierait presque que cette BD est un polar, mais on aurait tort : le roman de Chavarria ménageait un vrai suspense que Matz réussit à transposer, tout en maintenant une atmosphère lourde, de celle où le lecteur se dit : « ça va mal finir... ». Mais ça, je vous laisse le découvrir.

Adios Muchachos
Scénario Matz et dessin Paolo Bacilieri
d'après le roman de Daniel Chavarria
Casterman, 2011 - 124 pages couleurs.
Collection Rivages/Noir/Casterman - 18 €

mercredi 19 octobre 2011

[Chronique] - La Princesse du Sang, seconde partie

A l'issue de la première partie, nous avions laissé le trio Ivy Pearl, Negra (alias Alba Black) et leur protecteur Maurer en plein coeur de la jungle cubaine, avec à leurs trousses, un commando mené par l'impitoyable Guido, assisté du pisteur Richard Cheyenne. La mission de Guido est simple : il s'agit purement et simplement d'éliminer la jeune Alba, et le commanditaire de cette chasse à mort n'est autre que le propre oncle d'Alba, Aaron Black, trafiquant d'armes international. Mais tous les acteurs ne sont pas encore entrés dans la danse, et surtout, aucun n'a encore joué son vrai rôle...

L'ultime roman de Manchette était resté inachevé et c'est son fils, Doug Headline, qui a entrepris de terminer la palpitante aventure d'Alba Capra, dans cette version graphique dessinée par Max Cabanes. Cette Princesse du sang définitive, en quelque sorte, est plus qu'une simple adaptation, non seulement car on en connaît désormais le dénouement, mais aussi parce que c'est un véritable maelstrom de 160 planches, un cocktail réussit mixant plus d'un genre : action, polar, aventure, géopolitique... Sans oublier une dimension psychologique surprenante, traduite dans ce jeu d'influence que se livrent les différentes factions alors que la traque bat son plein, dans une forêt à la fois hostile et protectrice. C'est tout simplement fascinant, et c'est une des facettes les plus surprenantes de ce diptyque. Pour le reste, les décors de Cabanes sont somptueux et on sent littéralement les odeurs de sa Sierra Maestra, cette jungle pour laquelle il a également réalisé des couleurs superbes. Quant à sa galerie de personnages, inutile de chercher l'erreur de casting, tant il a su camper des hommes et des femmes avec un réalisme tout manchettien et leur prêter des silhouettes et des visages que le romancier n'aurait certainement pas renié. Le travail de Doug Headline sur les notes de son père n'est certainement pas étranger à la réussite totale de cet album, nettement à part dans la longue liste des bandes dessinées inspirées des oeuvres de nos grands écrivains du Noir.

La Princesse du Sang, seconde partie
Scénario Doug Headline d'après Jean-Patrick Manchette
Dessin Max Cabanes - Dupuis, 2011 - 80 pages couleur - Collection Aire Libre - 15,95 €

Le roman de Jean-Patrick Manchette est disponible aux éditions Rivages

samedi 15 octobre 2011

[Chronique délocalisée] - Le Perroquet des Batignolles

Oscar Moulinet, preneur de son à France Inter, est patraque et en ce jour pluvieux, il est encore au lit en fin d'après-midi. Professionnellement consciencieux, il est tout de même branché sur sa station et écoute l'interview de la cantatrice Christina Vogelgesang, qui avoue une curieuse habitude : la grande artiste se sert d'une petite boîte en forme de canard en or pour y ranger les pillules qu'elle prend régulièrement pour ne pas perdre sa voix. Mais ce qui surprend le plus Moulinet c'est que le canard est aussi une boîte à musique, qui joue « L'Entrecôte », chanson immortalisée en son temps par les Frère Jacques...

La suite de ma chronique chez l'ami Julien Védrenne, ici, sur k-libre.

Mais rien que pour vous sur bédépolar, deux cases de Stanislas issues de ce premier tome Le Perroquet des Batignolles 1 - L'Enigmatique monsieur Schmutz
Scénario et dessin Stanislas Barthélémy, d'après Michel Boujut et Jacques Tardi
Dargaud, 2011 - 56 pages couleurs - 13,50 €

dimanche 9 octobre 2011

[Chronique] - Le Commando Torquemada, l'intégrale !

« Veritas, ou je cogne ! ». Voilà ce qu'on peut lire, dans les sous-sols du Vatican, sur la porte du bureau personnel du Cardinal Albuferque. Et c'est depuis ce bureau que ce Cardinal très spécial – affectueusement surnommé Anaconda par ses proches – dirige d'une main de fer la Très Sainte Inquisition, dont fait partie le Commando Torquemada, un trio d'ecclésiastiques de choc chargé des missions les plus délicates... Tout cela sous l'oeil attentif du Pape, bien entendu.
En fait, c'est un peu au Service Secret de Sa Sainteté, mais à y regarder de près, on ne saurait trop qualifier le commando de troupe d'élite : Frère Malachie, est un spécialiste des potions qui rendent très malade, aveugle, quand elles n 'envoient pas directement au ciel. Feargal Mc Gowan, a lui tout du dandy amateur de jeux de mots et a la gâchette un peu trop facile. Enfin, soeur Sarah Terwagne est elle une nonne hyper canon, habitée par des visions provoquées par une pratique assidue de l’auto flagellation... Voyez un peu le genre.
Connaissant bien ses ouailles, Anaconda ne fait appel au Commando Torquemada que pour les cas les plus désespérés, et à ce jour, il leur a assigné trois missions :
La première est racontée dans le tome « Pour la plus grande gloire de Dieu » et a consisté pour le trio à ramener à Rome la lance du centurion Longinus. Oui, celle-là même qui a percé le flanc du Christ sur sa croix, et qui, des siècles plus tard, sert de rayon à la roue du vélo d'un dictateur africain. Difficile mission.
Dans la deuxième, le commando doit s'assurer que Soeur Dominique, numéro 1 de la chanson liturgique, et en tête des ventes de disques, sera bien en état de participer à ce festival rock imaginé par le Saint Père pour relancer la ferveur religieuse auprès des jeunes. Pas gagné car depuis quelques temps la star se shoote avec n'importe quoi, ce qui nuit un peu à sa santé. C'est le tome « Dominique nique nique ».
Enfin, dans la dernière mission en date, le Pape envoie son commando au Caire pour récupérer un ouvrage fort compromettant pour l'Eglise : il y est raconté que, si Jésus a été embrassé sur la bouche par Judas - le fameux baiser de Judas - c'est parce que ces deux là étaient amants, et en passe d'annoncer publiquement leur union... Vous imaginez le coup de tonnerre dans la Chrétienté si cela venait à se savoir ! Titre de cette troisième mission : « Pas sur la bouche ! ».

Bon, inutile d'en rajouter, vous vous doutez bien qu'on est là dans l'hénaurme : les dialogues de Philippe Nihoul fourmillent de bons mots, flirtant parfois avec le mauvais goût, les missions sont parsemées de rebondissements complètement improbables, et quant au dessin, dirons-nous, nerveux, de Xavier Lemmens il participe au délire de la série. Ses personnages principaux sont particulièrement réussis, car très typés (un petit gros, un bellâtre à Ray Ban, une pin up pour le trio) avec une mention spéciale pour le Pape, qui a les traits de Jean-Paul 2, et non de Benoit 16.
Particularité de cet album, c'est du trois en un : c'est une intégrale intitulée « Commando Torquemada , Evangiles I, II et III », qui s'ouvre sur une Genèse de 6 planches, jusque là inédite. Alors si ça vaut vraiment le coup quand on a pas un des deux premiers albums, c'est plus embêtant quand on les a, car on ne peut lire « Pas sur la bouche » que dans cette intégrale...
Une arnaque ? Oui et non, car c'est une très belle édition, cartonnée et tout et tout. Et puis, si vous avez déjà les 2 premiers tomes, il suffit d'aller vous poster à la sortie de la messe pour les revendre aux fidèles, vous verrez : ça partira mieux que des petits pains.
Commando Torquemada : Evangiles I, II et III
Scénario Philippe Nihoul et dessins Xavier Lemmens.
Fluide Glacial, 2011 - 150 pages couleurs – 25 €. (Hosties non fournies.)