vendredi 24 février 2012

[Intégrale] - Le fameux Lou Cale

Les éditeurs ont dans leur catalogue des séries parfois oubliées ou méconnues, et c'est souvent un bonheur de les (re)découvrir. Lou Cale « the famous » en fait partie, et les Humanos ont eu l'excellente idée de regrouper en une intégrale les cinq enquêtes de ce photographe de presse américain des années 40.

« La Poupée brisée » marque l'entrée en scène du héros, et dès sa première apparition, le décor est planté : Lou cale arrive au pied du pont de Manhattan, à 5 heures du mat, pour immortaliser une scène de mort violente, une jeune femme retrouvée disloquée sur le toit d'une voiture. Serveuse de bar de jour, elle était entraîneuse la nuit, et pour découvrir la vérité à son sujet le journaliste arpente New York et ses bas-fonds, qui demeureront un peu le décor récurrent de la série. C'est aussi dans ce premier album qu'apparaissent Juan Lopez Ruiz, lieutenant de police d'origine cubaine, et sa délicieuse femme Isabelle.
« Le Cadavre scalpé » mène Lou Cale sur la piste des indiens Mohawks, devenus ouvriers sur les chantiers de constructions des buildings de la ville. En s'intéressant de près à leur culture, Cale est amené à croiser la route du peintre Jackson Pollock et à nous faire méditer sur les rapports entre indiens et américains.

Dans « Les Perles de Siam », le reporter retrouve Jean de St Guineuve, un ami français perdu de vue depuis plus de vingt ans. Les retrouvailles sont dans des circonstances un peu spéciales : les entrepôts de cet ami viennent d'être incendiés. Et drame supplémentaire, Jean est assassiné peu de temps après, laissant Woon-Ha, sa jeune veuve Indochinoise, désemparée dans New York. Une histoire de trafic de perles au mécanisme ingénieux.
« L'Etrange fruit » attire Lou Cale jusqu'en Arkansas, pour un reportage sur la vie du Sud profond. Il va découvrir que la discrimination raciale y est toujours aussi vigoureuse, puisqu'un ouvrier fermier Noir vient d'être lynché pour avoir été surpris avec une jeune blanche... Cet épisode, rural, dur, est une véritable étude de mœurs, et Lou Cale apporte presque un regard d'ethnologue sur ses compatriotes. Avec en toile de fond sonore Billie Holiday et son "Strange fruit"...

Enfin, le « Centaure tatoué » le ramène à Coney Island où deux cadavres sans tête ont été retrouvés lestés au fond de la mer. Une signature mafieuse qui marque le début d'une histoire plus classique de règlement de compte, mais où Lou laisse parler ses origines irlandaises en se montrant à la fois provocateur et chaleureux.

Cette série de Warn's et Raives, qui a débuté en 1987 aux éditions du Miroir, a un charme certain, qui tient au caractère de son personnage principal, qui, avec son embonpoint et sa bonne bouille cache bien son jeu, et mène ses investigations jusqu'au bout. Il est, comme beaucoup des autres personnages qu'il croise au fil de sa vie, d'un humanité profonde, et Raives le fait parfaitement sentir, en dessinant en particulier les femmes d'une sa manière très sensuelle. Mais l'autre vraie vedette de Lou Cale c'est bien la ville, New York, ses rues, ses voitures, ses arrière-cours, ses cages d'escalier, ses bars enfumés, que les auteurs magnifient tout au long des pages. Une plongée urbaine, sombre et lumineuse à la fois, dans un pays d'un autre temps, où il était encore possible d'écrire côte à côte les mots rêve et américain.

Et pour vous plonger plus encore dans l'univers du duo Warnauts & Raives, et suivre leur actualité, rien de mieux qu'une visite sur leur blog "Ebauches".
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Lou Cale – Intégrale
Scénario Warn's et dessin Raives
Les Humanoïdes Associés, 2011 - 234 pages couleurs - 38 €

vendredi 17 février 2012

[Chronique] - Les Faux visages ou le retour des Postiches...

Une fois n'est pas coutume, arrêtons nous-un instant sur la couverture, presque en forme de « Une » journalistique, de ce nouvel album. Rarement couverture n'aura été aussi explicite : en deux parties avec, au dessus du titre, 8 visages d'hommes, fermés, pour ne pas dire durs, et au dessous du titre, une scène de rue, prise sur le vif, une fuite juste après un braquage, un instantané dans une journée pas ordinaire.
Tout de suite, on est fixé, mais pour mieux éclairer le chaland, un sous-titre vient préciser : « Une vie imaginaire du Gang des Postiches ».
Pourquoi imaginaire, me direz-vous ? Parce que, si David B. s'inspire de ce vrai gang, qui a braqué 27 banques entre 1981 et 1986, il en a changé tous les noms des personnages pour raconter leur histoire. Il n'empêche que son récit s'appuie bien sur l'incroyable feuilleton qu'a été la vie de cette bande un peu hors du commun, parce qu'éloignée des milieux mafieux ou de ceux du grand banditisme.
David B. retrace cette saga en 9 chapitres, de 1975 à 2004, d'un premier casse, où la bande n'existe pas encore, jusqu' à l'arrestation de son dernier membre.
On suit donc la préparation des casses, leur éxécution, et, bien entendu, les déboires de la police, qui peinera longtemps à mettre fin aux actions du gang des Postiches, dont la méthode est si bien rôdée qu'elle marche à tous les coups, parce qu'elle empêche toute identification des braqueurs. Une méthode simple, qui consistait à entrer dans les banques, affublés de perruques, fausses barbes et moustaches, se mêler aux clients, et attendre le moment propice pour les prendre en otage. Une partie du gang surveillait alors les otages, pendant que l'autre vidait les coffres.
Evidemment, l'obstination d'un flic finira par avoir raison d'eux et tout se terminera par une fusillade à la sortie d'un Crédit Lyonnais, et ce sera le début de la fin.

Cet album, par sa portée documentaire, se détache de la production habituelle. En grand partie aussi parce que Tanquerelle (excellent dessinateur dont le blog est ici), a réussi à restituer l'époque de l'action, fin du giscardisme-début des eighties, et surtout à faire passer le côté humain de cette bande, qui au fil de ses coups, avait entraîné une certaine sympathie de la part du public et de la presse. Et on ressent presque une indulgence pour les auteurs de ces crimes qui semblaient ne pas en être vraiment...Peut-être en 2012, finalement, est-il agréable de lire une histoire où les banques sont les victimes principales ? Pour les couleurs, Tanquerelle a opté pour une bichromie noir et gris/bleu, qui donne un côté « vintage » du meilleur goût. Et les trognes de ses personnages sont remarquables d'expression... avec ou sans postiche. Au passage, on se plaît à croiser le commissaire Broussard, autre grande figure de l'époque, qui fulmine devant l'échec de ses troupes, ridiculisées par le gang. Broussard n'est pas nommé, là non plus, mais on le reconnaît sans peine.Cette première biographie romancée, alerte et fluide, renouvelle un genre le plus souvent réservé aux grandes figures de l'Histoire. Et souvent d'un ennui sans fond. Ici, on tourne les pages avec envie, on attend maintenant avec curiosité les prochains volumes, puisque « Les faux visages » inaugurent une série mise en route par David B. sur le grand banditisme.

Les faux visages, une vie imaginaire du Gang des Postiches
Scénario de David B. et dessin d'Hervé Tanquerelle.
Futuropolis, 2012 – 152 pages en bichromie - (21 €)

mercredi 8 février 2012

[Chronique] - Plein Gaz pour Harry Octane !

Italie, fin des années 60. Harry Octane, est un pilote automobile dont la carrière tourne court : responsable d'un accident faisant pas moins de 27 victimes parmi la foule venue l'admirer lors d'une course; il fuit et s'exile dans son pays, les Etats-Unis. Là un homme un peu douteux, au courant de sa situation délicate lui propose un « contrat ». Octane est chargé de conduire sa fille, toxicomane à l'autre bout du pays, pour la soustraire à une arrestation imminente. Harry accepte, mais le voyage sera évidemment loin d'être un tranquille promenade...

Dans une nouvelle collection (Plein Gaz) avant tout destinée aux amateurs de voitures rutilantes et puissantes, cette première aventure d'Harry Octane n'en reste pas moins construite sur le mode du suspense, et les personnages principaux sont suffisamment typés pour être marquants. le pilote déchu est une espèce de dandy un peu vieux jeu, la jeune fille qui l'accompagne est elle plutôt délurée et c'est une adepte de l'alimentation sans rien de vivant à l'intérieur... Et elle envoie des répliques souvent drôles à la tête du pauvre Harry. On est plus proche , graphiquement et dans l'esprit, de Mauro Caldi que de Michel Vaillant, pour faire une comparaison avec d'autres aventuriers de la route. Un nouveau venu créé par Christian Papazoglakis dont la première mission – terminée à la fin de l'album – en appelle d'autres. La maquette de la collection est élégante et les fans de bitume adoreront, car les scènes de poursuite ou de courses sont très réussies. Un autre titre réussi de « Plein gaz » est « Ring », une aventure humaine autour du circuit du Nürburgring.
La bande annonce de la collection : cliquez sans déraper ici !

Harry Octane 1Transam
Scénario et dessin Christian Papazoglakis
Glénat, 2012 – 48 pages couleurs – Collection Plein Gaz – 13,90 €

mercredi 1 février 2012

[Chronique] - Jérémiah dans un panier de crabes

Serait-ce un rêve ? Jeremiah et Kurdy sirotent des cocktails au bord d'une piscine, invités dans la superbe villa de Gérardo de la Vega, riche antiquaire. La raison de cette invitation est simple : les deux amis ont raccompagné au bercail Vérona, la fille du propriétaire, après avoir dépanné sa voiture sur le bord d'une route mal famée... Pour les deux vagabonds, l'endroit est paradisiaque, mais l'atmosphère n'est pas aussi détendue que veut le faire croire le marchant d'art. Dans les couloirs, les jalousies familiales s'expriment de plus en plus ouvertement. Et Fernando met en garde son frère Gérardo contre un mystérieux et puissant Roskov, qui pourrait bien faire s'écrouler le petit monde de l'antiquaire. Quand ? Au moment de cette performance tant attendue de l'artiste Stucco ? Entre escapades érotiques avec Vérona et balades nocturnes, Jeremiah et Kurdy jouent les observateurs attentifs, prêts à quitter leur posture désinvolte pour se lancer dans la bagarre...


Le duo de héros de Hermann semble increvable et leur périple à travers les Etats-Unis dévastés les amène une fois de plus à faire des rencontres gratinées. Le panier de crabes promis par le titre de cette 31ème aventure en est bien un : voici Jérémiah et Kurdy confrontés à une famille en proie aux querelles, et prête à l'implosion. Hermann en profite pour régler son compte à certaines valeurs familiales et s'amuse aussi à nous livrer sa vision personnelle d'un certain art, disons, conceptuel, en la personne de ce Stucco, spécialiste des oeuvres réalisées par « dripping ». Je vous laisse découvrir en quoi consiste cette technique originale, qui est aussi éruptive qu'olfactive. Ces épisodes sont au service d'un récit comme d'habitude bien huilé – même s'il laisse parfois le lecteur faire son chemin dans le conflit entre De la Vega et Roskov. Un récit qui fait peut-être alterner plus que d'habitude scènes diurnes et nocturnes : comme Hermann est un véritable esthète de la nuit, on prend un plaisir encore plus grand à lire cet album. Ce nouveau Jérémiah est une pierre de plus à cette série vraiment hors norme, que vous pouvez découvrir ici, sur le site de l'auteur.

Jérémiah 31 – Le panier de crabes
Scénario et dessin : Hermann
Dupuis, 2012 - 48 pages couleur - 11,95€