lundi 19 mars 2012

[Prix 2012] - Intrus à l'étrange, premier "Fauve Polar" d'Angoulême

Bon, il n'est jamais trop tard pour dire tout le bien qu'on pense d'un album, même s'il est un peu « ancien ». Enfin, ancien, façon de parler : Intrus à l'étrange, de Simon Hureau, est paru en juin 2011. Je l'avais repéré, puis oublié, mais son récent prix à Angoulême, le premier Fauve « Polar » du nom, m'a incité à y voir de plus près... Et franchement, voici une bande dessinée remarquable, dont voici le résumé, pour une fois fortement inspiré du site de l'éditeur, la Boîte à Bulles :
L'histoire est celle de Martial qui, suite au décès de son grand-père adoré, découvre sans le vouloir un bien curieux « héritage » : deux mystérieuses valises fermées à clé, destinées à un certain Félix Larose et une boîte remplie de lettres d’amour rédigées par une certaine Georgette Blizard résidant à Magnat l’Etrange. Martial se rend donc dans ce petit village de la Creuse où il espère retrouver non seulement Georgette mais également Félix. Une bourgade rurale comme tant d’autres si ce n’est que sa population semble toute entière hostile à l’un d’entre eux, au point de défendre celui qui l’a sévèrement passé à tabac. En outre, depuis quelque temps, les nuits, en ces abords du Camp militaire de la Courtine, sont anormalement riches en chauve-souris de tous horizons. Ce phénomène étrange attise la paranoïa des autochtones et attire une poignée de journalistes, de scientifiques et… de chasseurs de vampires…

Vous voyez le décor... et l'ambiance ! C'est une quête, plus qu'une enquête, faite de mystère et d'étrangeté, qui attend le jeune Martial, une plongée dans le passé familial également, et on le suit avec une curiosité grandissante. On croise dans cet album une foule de personnages étonnants, attachants ou répugnants, et le héros se balade avec un détachement au milieu de tout ce monde assez surprenant.
Le dessin de Hureau est précis, détaillé, les planches sont parfois denses, mais jamais surchargées. Il y a un moment particulièrement réussi dans l'album, c'est cette nuit où le héros découvre la demeure de Félix, au terme d'un périple hallucinant, dans des décors parfois cauchemardesques, des ruines hostiles, ou une végétation inquiétante, le tout sur une quarantaine de pages, sans qu'une parole ne soit prononcée. C'est splendide. Et puis, on s'attache très vite à Martial, personnage parfois ingénu, et qui fait penser au Charlot des origines, celui qui sans avoir l'air d'y toucher, bouleverse les habitudes et touche le coeur de l'Autre. On ressort d' « Intrus à l'étrange » avec un curieux sentiment de mélancolie, et une furieuse envie de refaire le chemin depuis le début, tant il y a à lire et à réfléchir au fil des pages.Pour ce premier « Fauve Polar », parrainé par la SNCF, le jury d'Angoulême a fait un choix assez audacieux, et c'est tant mieux. Un choix qui a aussi le mérite de mettre sous la lumière la Boîte à Bulles , un « petit » éditeur qui fait un travail d'une grande qualité (rappelez-vous : Braquages et bras cassés, c'était chez eux).

Intrus à l'étrange
Textes et dessins de Simon Hureau
La Boîte à bulles, 2011 – 150 pages noir et blanc
– Collection Contre-jour – 24 €

mercredi 14 mars 2012

[Champagne et paillettes] - Chauzy prix Polar-Encontre 2012 !

Le week-end dernier s'est tenue à Bon Encontre, dans le Lot-et- Garonne, la 7ème édition du très réputé festival Polar'Encontre qui a la particularité d'accueillir autant d'auteurs de BD que de romanciers, à quelque chose près.

Tous les ans, les organisateurs décernent un prix BD, parmi une sélection d'une douzaine de titres – ou parfois plus, quand des séries sont retenues – où l'heureux élu, outre une gloire éternelle, gagne aussi le droit de dessiner l'affiche du festival de l'année suivante. La superbe affiche que vous voyez ici est signée Ralph Meyer, qui avait remporté le prix en 2011 pour son album « Pages noires » (Futuropolis) co-scénarisé par Giroud et Lapière.

Et cette année, c'est la nouvelle version du « Rouge est ma couleur », dont je vous avais dit tout le bien que j'en pensais il n'y a pas si longtemps, ici dans ces pages, qui décroche la timbale.
Bravo à Jean-Christophe Chauzy et Marc Villard, et à Casterman. Une récompense assez méritée pour une collection qui réussit régulièrement à surprendre au fil de ses nouveautés.
Et pour Chauzy, dessinateur discret, qui oeuvre depuis pas mal de temps déjà dans le polar (il est notamment le seul à avoir travaillé avec Thierry Jonquet).

A noter que le prix « Calibre 47 » du roman a été décerné à un auteur qui fut dans une autre vie dessinateur : Romain Slocombe, pour son roman «Monsieur le Commandant » (Nil éditions)

dimanche 11 mars 2012

[Chronique] - Dos à la mer, ouest

Henri Coutôt est soudeur sur les chantiers de l'Atlantique, à Saint-Nazaire. C'est un homme simple, discret, qui n'aime pas faire de vagues, même quand il sait qu'il a raison. Ainsi, quand il fait remarquer à son chef de chantier qu'un alliage est trop pourri pour tenir le choc... et que ledit chef lui conseille de s'occuper de soudure et pas de faire de belles phrases, Henri obéit. Mais lorsque, la même journée, au resto populaire où il a ses habitudes, un homme frappe une femme devant toute la clientèle... et qu'il est à la table voisine, cette fois, il se lève. La tête pleine d'images de son enfance où cette même scène entre son père et sa mère se reproduisait sans cesse... Mais quand on n'est pas habitué à la violence, ceux qui en ont fait une manière de vivre vous ramènent vite à la réalité et Henri se retrouve à terre. Et à peine debout, il reçoit dans l'après-midi un second coup qui le laisse tout aussi groggy : il est mis en congé par sa direction après un accident lié à sa soudure, et qui a envoyé un technicien dans le coma... Alors, sans trop savoir pourquoi, il appelle Natacha, la femme qu'il avait tenté de défendre, avec le téléphone oublié par son agresseur au resto. Sans le savoir, il vient de mettre le doigt dans une autre forme d'ennuis.

Cette histoire en deux volumes, co-scénarisée par Antonin Varenne et Olivier Berlion, démarre fort. Axée sur le personnage d'Henri, elle raconte une double fuite. Celle du soudeur qui pressent que sa vie est en train de prendre une mauvaise tournure, mais aussi celle de Natacha, plongée elle au cœur d'une opération de livraison de dope. S'appuyant sur la trame éprouvé des récits d'action mettant en scène les acteurs du trafic de drogue (le commanditaire, le chauffeur, les hommes de mains...), les deux scénaristes vont un peu plus loin que le simple divertissement vitaminé, avec coups de force et poursuites en voiture. Leur personnage de soudeur est un homme qui a des comptes à régler avec son passé, ce qui donne une autre dimension, plus psychologique, à cette première partie, dont la dimension sociale est également omniprésente, avec les conditions de travail sur le chantier, et la vie des hommes et femmes qui y sont liés. Olivier Thomas, déjà auteur de la passionnante trilogie « Sans pitié » chez le même éditeur, rend bien compte de ce quotidien grâce à un dessin minutieux dans ses décors. Ses scènes sur les friches industrielles sont particulièrement réussies, tout comme l'est sa couverture. Il y aurait bien d'autres richesses à évoquer pour ce tome « Ouest », notamment le mystère entourant « Natacha », la femme qui va faire basculer la vie simple de l'ouvrier anonyme vers... vers quoi ? Nous le saurons dans quelques mois, et dans la seconde partie "Sud".Dos à la mer, livre 1 – Ouest
Scénario Olivier Berlion et Antonin Varenne ; dessins Olivier Thomas
EP, 2012 – 56 pages couleur – (Collection Atmosphères) – 15,50 €

dimanche 4 mars 2012

[Chronique] - Ghost, une cartouche de plus pour Hostile Holster

John Ghostman était un des meilleurs agents du FBI, profileur hors-pair, lorsque l'arrestation d'un tueur en série a mal tourné : Ghostman n'a pu empêcher le criminel de se tuer, en même temps que le jeune garçon qu'il détenait en otage. Miné par cet échec, et hanté par des cauchemars, Ghostman a quitté le Bureau pour devenir détective privé. Mais, cinq ans après ce départ, il n'a pas tout a fait renoncé à suivre les activités criminelles d'un serial killer qui massacre des femmes en laissant à chaque fois un mot sur les lieux du crime, en lettres de sang. Ghostman va même se retrouver à nouveau au cœur de l'enquête lorsque ses anciens collègues viennent lui révéler que les messages des quatre premiers meurtres forment une phrase qui lui semble directement adressée : « Where are you, Ghost ? ». L'agent Cormak, son ancien équipier, vient demander à John Ghostman d'aider le FBI à mettre fin aux agissements de ce nouveau tueur en série. Mais l'ex-agent a-t-il vraiment envie de replonger au cœur des ténèbres ?

Andrea Mutti, dans une intéressante postface à cet album, exprime ses regrets de voir, dans les fictions policières actuelles, le triomphe du raisonnement et de la science dans la résolution des enquêtes, au détriment du « flair du détective », et que « Ghost » devait se ranger plutôt du côté d'Edgar Alan Poe que d'Arthur Conan Doyle. Intention qui se traduit par une histoire aux portes du fantastique, et qui sort, en effet, un peu des sentiers battus dans son approche de la psychologie de l'enquêteur principal. Bien entendu, des personnages de flics tourmentés, ressassant des scènes chocs marquant leur carrière, on en trouve pas mal dans les romans, films et série TV de cette dernière décennie. Ce n'est pas si courant en bande dessinée, et surtout, il fallait réussir à traduire en image ces instants hallucinés où Ghostman perd le contact avec la réalité, et où il ne sait plus où se trouve la frontière entre ses cauchemars et une affaire qui l'implique directement. Et c'est là où le talent de Mutti fait mouche, et ses planches atteignent par moments des sommets de noirceur. Tout l'album est du reste une longue traversée de la nuit... qui ne débouche même pas sur un nouveau jour pour John Ghostman. L'enfer, il y habite définitivement. Mutti place aussi ce « Ghost » sous les auspices de Mignola et Miller, remerciés en début d'album. On fait pire comme références avouées, et surtout, elles sont assumées. Ah oui, dernier détail : Cajelli et Mutti racontent une histoire, et installe une vraie incertitude quant à l'identité du tueur et à ses motivations. Alors, que rajouter ? Une intrigue qui tient la route, dessinée par un artiste au meilleur de sa forme, et vous tenez là un des très bons albums de ce début d'année, dans une collection, Hostile Holster, qui va vite devenir incontournable tant son parcours est jusqu'à présent impeccable.
Ghost
Scénario Andrea Mutti et Diego Cajelli ; dessin Andrea Mutti
Ankama, 2012 – 80 pages couleur – Collection Hostile hoster - 14,90 €