samedi 26 octobre 2013

[Quai des Bulles - 33ème] - Saint-Malo : un peu de polar dans vos bulles ?

 Amateurs d'ambiances noires, réjouissez-vous ! Dimanche 27 octobre, au 33ème festival"Quai des bulles" ce sera le moment de passer un "après-midi polar", et de découvrir les deux nouvelles sélections du Prix SNCF du polar : le court-métrage et la bande dessinée. Rendez-vous donc dès 13h30 à l'amphithéâtre Maupertuis, pour la projection des courts en compétition en 2014, puis à 15h15, même endroit pour une discussion avec les auteurs du collectif "Quais divers" co-édité par les vaillantes éditions Sixto, animée par Christian Marmonnier. A noter dans ce collectif, qui contient cinq récits courts, la présence de Briac, dont on attend avec impatience le nouvel album

Je serai également autour de la table pour parler des 5 albums du Prix Polar SNCF BD 2014. A noter que le polar est aussi en bonne place dans la sélection finale du prix Ouest France / Quai des Bulles, avec deux titres sur cinq : "Mon ami Dahmer" de Derf Backderf (ça et là) , étonnante autobio où l'auteur raconte son adolescence aux côtés de celui qui allait devenir un terrible serial-killer, et "Tyler Cross" de Nury et Brüno, excellent album dont je vous ai causé dans mon dernier billet. Et dans cette sélection, il faut aussi noter la présence d'un album superbe, "le loup des mers" de Riff Reb's (chez Soleil, d'après London) 

Voilà, vous savez tout. Chaussez vos bottes, et direction : Quai des bulles !


samedi 19 octobre 2013

[Nouveauté] - Tyler Cross, de Nury et Brüno, ou le retour du "dur-à-cuire"

A celui qui pourrait le prendre pour un autre, Tyler Cross rappelle volontiers son pedigree : "Je suis braqueur, pas trafiquant". Et peu importe qu'en face de lui se tienne le vieux Di Pietro, vieux parrain local de la mafia texane : Tyler Cross est du genre à ne pas se laisser emmener là où il n'a pas décider d'aller. Il accepte pourtant l'étrange contrat que lui propose le mafieux sur le déclin : s'emparer de 20 kilos d'héroïne en possession de Tony Scarfo, fils d'"un ami de Chicago - c'est même le filleul de Di Pietro - en échange de 150 000 dollars. Histoire de rappeler à Scarfo père et fils que le vieux est encore dans le coup. Tyler ne pose pas d'autres questions, organise le coup avec son associée habituelle, CJ, et un troisième larron, Ike, de la famille des gros bras toujours utiles pour impressionner la victime. Et c'est parti. Et c'est vite réglé... si vite que Cross se retrouve seul, à pied, avec 17 kilos d'héroïne dans son sac à dos. En vue : la localité de Black Rock, où le braqueur solitaire va vite faire connaissance avec la famille Pragg, qui tient toute la ville sous sa coupe.


Bon, à dresser l'inventaire - une ville perdue, un dur à cuire, un casse, de la drogue, une famille de cinglés, l'air de la  vengeance qui souffle à chaque coin de rue...  - on se dit : rien de nouveau sous le soleil du polar (si ce n'est qu'il est ici sudiste, et période fifties). On aurait tort. Car les deux artistes à l'oeuvre sur cet album rendent un magnifique hommage au polar façon "hard-boiled", celui où il pleut des coups durs à chaque page, et où la tension règne du début à la fin. Côté scénario, Fabien Nury, l'excellent auteur d"Il était une fois en France" et "Le maître de Benson Gate", suit les figures imposées du genre tout en y inscrivant une patte assez malicieuse : il plonge son (anti) héros Tyler au coeur d'une saga familiale et cruelle à la Dallas (l'ascension de la dynastie Pragg qui fait fortune en écrasant tout le monde sur son passage), et dans le même temps, amène sur le tapis toute une quincaillerie mafieuse. Et puis, toute l'histoire se déroule sur fond d'épousailles, où la robe de mariée ne va pas rester longtemps blanche. Déjà, on jubile à la lecture de ce qui se passe au fil des pages, à un rythme assez explosif, qui plus est. Et cerise sur le gâteau, à la mise en, images,  il y a Brüno dont le dessin semble avoir été inventé pour ce genre... comme il le semblait pour ses précédents albums ! En fait ce garçon est à l'aise dans pas mal de costumes, mais le noir lui va vraiment bien...  et Tyler Cross est  un des meilleurs albums de cette année 2013. Retrouvera-t-on ce personnage dans le futur ? La fin laisse penser que...
Ah non, je ne vous dis rien. Lisez Tyler Cross !

Et n''hésitez pas non plus à lire la chouette interview du duo par Laurence Le Saux, ici, sur le site de Bodoi.

Tyler Cross
Scénario Fabien Nury et dessin Brüno
Dargaud, 2013 - 104 pages couleur - 16,95 €

mercredi 16 octobre 2013

[Réclame express] - Fluide Glacial - Spécial Faits Divers

Bon, dès la riante  couv' de ce numéro 448  du vénérable "magazine d'umour & bandessinées",  vous êtes prévenus : ça va saigner ! Les 84 pages de ce mois d'octobre sont entièrement consacrées aux crimes et délits les plus sordides et les plus sombres de la France profonde... mais évidemment, c'est pour de faux. A moins que ???  Les amateurs de récit (d'humour) noir se délecteront particulièrement des histoires de Chauzy & Lindingre, Bouzard (mais Bouzard est un génie, il n'a pas de mérite) Lefred-Thouron, Jake Raynal ou Hugot
Et en plus y a même de la vraie lecture (des lignes avec des mots) pour les intégristes de la littérature.
On est encore en octobre, il reste encore un infime espoir aux retardataires pour se procurer ce numéro qui remet les pendules à l'heure sur l'état de la délinquance dans notre beau pays. Et ose dire la vérité.  Enfin !
Et si on veut, on peut même perdre son temps sur le blog de Fluide, entre deux coups de fil à la police.

samedi 12 octobre 2013

[Nouveauté] - Ma révérence, par Lupano et Rodguen (Delcourt)



"On fait un braquo social, tu comprends ? Social ! C'est une sorte de performance artistique avec un message politique sous-jacent, quoi !
- Ah... Et c'est quoi, le message ?"

Les deux hommes qui tiennent cette conversation sont Vincent Loiseau, à l'origine d'un plan destiné à le sortir de sa vie médiocre, et Gabriel Roquet, alias Gaby Rocket, celui qu'il a choisi pour mener à bien son plan. A dimension sociale, donc... Idéalement, les deux hommes ont imaginé braquer un transport de fonds, après avoir kidnappé le fils d'un des convoyeurs, histoire de s'assurer sa collaboration. L'argent servirait à Vincent pour un voyage définitif vers le Sénégal, où l'attend - il l'espère - Rana, la femme de sa vie et la mère de son fils, qu'il n'a jamais vu. Pour Gaby, qui incarne à lui tout seul le côté obscur de la génération yéyé, le rêve c'est plutôt Las Vegas, et une villa à piscine avec bimbos à gogo... Mais avant que le duo ne puisse toucher du doigt ses rêves, il va déjà falloir que tout se passe comme sur des roulettes, mais hélas, l'Homme est faillible et parfois fragile...

Raconté à la première personne par la voix du cerveau du casse, cette histoire de braquage emprunte des chemins de traverse, en oubliant volontiers le côté spectaculaire inhérent à ce genre de récit  (Vincent : "Vous excitez pas non plus, je suis pas en train de préparer un de ces coups où ça crépite de partout. ça va pas être une boucherie à la sauce lance-roquettes et pains de plastic"). Non, en fait, Wilfrid Lupano préfère se fixer sur les motivations et les vies des protagonistes de l'affaire. Par touches successives, par flashbacks, il dévoile progressivement les personnalités de chacun des personnages principaux, dans un récit qui prend son temps, et qui, au fil des pages, gagne en force et en crédibilité. Chacun a, dans "Ma révérence", des rêves qu'il croit accessibles, à son niveau, et le  niveau de chacun, ce serait, par exemple, celui de la France qui se voudrait se lever tôt et qui n'y arrive pas vraiment, pour prendre le cas de Gaby, tricard partout "même à l'ANPE". Et si c'est un véritable portait d'une société malade, anxieuse, que nous dresse Lupano, il réussit le tour de force de le faire en laissant toujours une place à une certaine légèreté : le ton de Vincent Loiseau reste malgré tout optimiste et les réparties de Gaby face à l'adversité - qui prend mille et un visages - sont hilarantes. Et si le récit prend tout de même quelques allures de tragédie dans sa dernière partie, à aucun moment cela ne tombe comme un cheveu sur la soupe. Certainement parce que Wilfrid Lupano, qui fut videur et barman dans une autre vie, sait de quoi il parle, et comment en parler. Sa réussite est bien d'avoir, comme il le souhaitait, "fait une oeuvre originale avec des morceaux de vraies histoires hétéroclites"? A ses côtés, son dessinateur, Rodguen, (ici son site) qui travaille habituellement pour Dreamworks (et a mis de ce fait 3 ans à réaliser l'album), impose un dynamisme puissant à l'ensemble de ce roman graphique vraiment hors du commun, et transpose parfaitement l'infinie humanité qui caractérise les personnages de "Ma révérence". Un très bel album.

Ma révérence
Scénario Wilfrid Lupano et dessin Rodguen.
Delcourt, 2013 - 128 pages couleur - (Collection Machination)
17,95 €

vendredi 4 octobre 2013

[Retour fracassant] - Fenêtres sur rue, de Pascal Rabaté (Soleil)

Pour son retour aux pinceaux, Pascal Rabaté, qui n'avait plus dessiné depuis son magnifique  "Ibicus", a choisi de dérouter son lecteur, en publiant dans la collection de Soleil "Noctambule", un album qui commence par intriguer par son aspect. "Fenêtres sur rue" est en effet un "livre accordéon", comprenez dont les pages ne se tournent pas vraiment, mais se déplient, et dévoilent l'image d'une façade d'immeuble sur chaque double page. Et ces pages se aussi lisent recto verso : une fois arrivés au bout de la partie "Matinées", on recommence à zéro, et on est invité à entrer dans l'immeuble pour les "Soirées". Voilà pour la première originalité formelle, et, à celle-ci vient s'en ajouter une seconde : l'album ne comporte aucun texte, si ce n'est une courte introduction, invitation à entrer, qui fait office de mise en bouche et d'avertissement à la fois devrait-on même dire, répétée au début de chaque période (jour - nuit). Voici ce qu'elle dit :

"Si une fenêtre est une ouverture qui permet d'assurer l'aération et la lumière... elle permet aussi d'assurer la vue... vue sur d'autres fenêtres derrière lesquelles se déroulent des histoires de couples, des histoires d'amour, de séparation, de tromperie, et pourquoi pas, des histoires de meurtre.
C'est un travail à plein temps de regarder à la fenêtre, de surveiller, de guetter... d'ailleurs retournons-y,... Il ne faudrait pas rater quelque chose".
Et une fois passées ces quelques lignes, c'est rideau pour les mots... et place aux dites fenêtres annoncées et  voilà le lecteur-spectateur prêt à assister à ce qui est annoncé un peu mystérieusement dès la couverture  :
"Une pièce sans paroles en dix tableaux et un décor"
Le décor, immuable (ou presque), c'est donc ce bout de quartier,  vu de face, où on dénombre un lavomatic, un bar ("Le Pénalty") et huit appartements. En tout, treize fenêtres, deux vitrines, et une porte d'entrée. Et derrière, ou devant, ces ouvertures vont se dénouer les petites histoires de quotidien du quartier, des instants de vie d'une vingtaine de personnages... et de deux chiens.
A la première lecture, on fait comme d'habitude : on embrasse d'un coup d'oeil la scène, puis on s'arrête sur un détail qui amuse ou intrigue, puis  on passe à la scène suivante, on retrouve les mêmes personnages, qui ont bougé, disparu, réapparu, car le temps a passé d'une double page à l'autre, la journée a avancé, et les gens ne sont pas restés figés. On lit comme cela tout l'album, on le retourne, on passe à la partie soirée, et là, il fait nuit, et on voit parfois mieux ce qui se passe dans les appartements car les lumières sont allumées, et les rideaux pas toujours tirés. Et à d'autres moments on devine seulement ce qui se passe, car les  lumière sont cette fois tamisées, et seules des ombres se meuvent dans l'obscurité. Mais à chaque fois on retrouve nos personnages, et quand on a passé toute cette journée à les observer on n'a qu'une envie, c'est de les retrouver. Même si on se sent un peu atteint de voyeurisme léger...
Et c'est là qu'intervient toute la force de "Fenêtre sur rue" : la multiplicité des pistes de lectures. Car passé le premier parcours, qui s'apparente à un repérage, la tentation est grande de s'attacher à l'histoire de chacun des habitants des lieux, et là, on peut reprendre tout depuis le début et aller d'une double-page à l'autre en ne regardant qu'une fenêtre à la fois, et s'offrir une plongée encore plus grande dans l'intimité de tous ces anonymes, en passe de devenir des intimes...

 Il y a un côté oulipien évident dans cet album,  car il fait penser à une version graphique de " La vie mode d'emploi" de Georges Pérec, et, de manière plus transparente encore, "Fenêtre sur rue " est un hommage au cinéma d'Hitchcok (cf le  titre même de l'album) et de Tati, les deux cinéastes déambulant eux-mêmes  au fil des pages. Leurs films les plus emblématiques sont du reste l'objet d'adoration d'une des habitantes que l'on retrouve à chaque nouvelle page, vissée devant sa télé, devant "Jour de fête", "Psychose" ou encore "Les oiseaux". Cette façon de faire de Rabaté - amuser le lecteur en le forçant à retrouver des clins d'oeil à d'autres oeuvres - rappelle aussi celle qui préside aux albums pour enfants du japonais Mitsumasa Anno ("Ce jour-là" et 'Le Jour suivant") , muets également, dans lesquels il faut chercher des références à des contes, ou à des oeuvres artistiques tout en suivant un personnage de page en page.
Bref on l'aura compris, "Fenêtre sur rue", est d'une richesse incroyable et fait partie de ces livres inclassables car à la croisée des genres et des styles, et ici, des formes. Et il est éminemment ludique.

La question que vous vous posez (peut-être) est : est-ce vraiment une bande dessinée polar ? Ou même : est-ce vraiment une bande dessinée  ? Une bande dessinée, certainement, pas au sens le plus commun du terme, mais une bande dessinée malgré tout, si l'on veut admettre que le tryptique case / planche / récit, trouve ici son équivalent en Fenêtres / Quartier / histoires... et que chaque scène peut être perçue comme une case agrandie fourmillant de détails. Et que l'ensemble forme un tout cohérent.

Quant à l'aspect polar, il est ténu, certes, mais présent puisqu'il se commet bien un meurtre sous nos yeux impuissants, et qu'un inspecteur passe d'un logement à l'autre, en quête d'un suspect. Mais comme je le disais, ceci est plutôt un album inclassable, embrassant plusieurs genres, et c'est surtout, un vrai bonheur de lecture.
Un mot tout de même sur l'aspect graphique : l'impression de voir des tableaux est très nette. Rabaté a réalisé cet album à l'acrylique, et les coups de pinceaux sont visibles, même dans une édition comme celle-ci, industrielle, et non artisanale. Et en l'absence de mots, il y a tout un travail sur les ombres, le temps qui passe et qu'il fait, et qui joue sur les postures des personnages. C'est une des autres réussites de cet album que d'avoir su retranscrire au mieux les états d'âmes des personnages sans passer une seule fois par le texte.
A la fin de la partie "Soirée", les 23 personnages sont alignés, sous la lumière, prêt à saluer le lecteur. Il ne lui reste plus qu'à applaudir l'auteur, car  Rabaté,  mérite pas moins d'un Molière de la Bande dessinée  - ou un Buster Keaton - En attendant un Fauve à Angoulême ?
Fenêtres sur rue
Texte et (mais surtout) dessin de Pascal Rabaté - Soleil, 2013 - Collection Noctambule
18,95 €