dimanche 1 janvier 2017

[Sélection Fauve Polar 2017] - Prof. Fall, par Ivan Brun et Tristan Perreton (Tanibis)

Bon, pour une fois, je reprends direct le "résumé" de l'éditeur pour vous mettre dans l'ambiance de cet album extraordinairement dense...

" Michel, jeune fonctionnaire borderline croise à Lyon Domingues, ancien mercenaire au Mozambique reconverti dans le proxénétisme. Quelques heures plus tard, le trafiquant se défenestre d'une tour du quartier de la Part-Dieu, entraînant Michel dans une dérive hypnotique. Shooté en permanence à un cocktail d'antidépresseurs et de côtes-du-rhône, celui-ci se retrouve, comme sous l'effet d'un sortilège, aspiré dans la vie passée de Domingues. Meurtres, trafic d'armes, réseau de prostitution, pillages et guerres civiles se révèlent à sa conscience implosée. "

Prof. Fall s'ouvre sur un premier chapitre - 16 viendront rythmer le récit - intitulé "512 fenêtres" et qui, d'emblée, introduit le personnage de Michel Morel, archiviste à la CPAM, à Lyon. Celui-ci, pour se rendre à son travail, emprunte un chemin qui exerce sur lui une fascination quasi-morbide. Un entrelacs de blocs de béton, de formes parallélépipédiques menaçantes, et deux immenses barre d'immeubles, d'où son esprit perturbé voit un corps chuter, tel les désespéré-e-s du 11 septembre 2001. Michel Morel vit dans l'angoisse obsessionnelle qu'une femme va lui tomber dessus. Au propre. Pas au figuré. Enfin, au propre, façon de parler, parce que la vision du cadavre écrabouillé, il l'a bien en tête... C'est donc lui, ce fonctionnaire borderline dont nous suivons l'histoire torturée, qui prend un tour hallucinant, et hallucinogène, dès l'instant où il croise le regard du proxénète Domingues. Et surtout, dès qu'il apprend la mort par défenestration de cet homme aux yeux de bête traquée : Morel se persuade qu'il est responsable de sa mort, mais semble complètement paumé. Et oppressé par son environnement, mais vers qui se tourner, car comme il le pense : "Je m'imagine mal raconter à un collègue mes cauchemars éveillés, parsemant le récit de détails morbides et de questionnements philosophiques traitant de l'incidence de l'architecture rationaliste sur l'âme humaine". En effet... Alors, il reste la médecine du travail, et l'espoir d'un arrêt, pour pouvoir éclaircir le mystère de cette chute... Un arrêt de travail, mais sans aller jusqu'à être envoyé chez les fous. Ses voeux sont exaucés, mais la folie le guette au moindre pas...

Prof. Fall est le récit d'une véritable errance, mentale et physique. La première, liée aux médocs et à la manière de les prendre, entraîne Morel - et son lecteur - vers une Afrique peuplée d'hommes, Blancs et Noirs, se livrant à des actes atroces sur leurs semblables, leurs propres familles, s'adonnant à un trafic de diamants, et plongeant les femmes dans la prostitution... Entre autres. La seconde errance est urbaine : les pas de Morel lui (nous) font découvrir un Lyon à l'architecture parfois hideuse, dictatoriale presque, une "jungle des lignes droites" selon les termes de l'architecte-artiste Hundertwasser, adepte lui de la spirale, source de vie... Ces pas de Morel nous entraînent aussi dans une nature encore indomptée, celle des lônes, ces bras du Rhône isolant des bandes de terre, là où on pourrait enterrer un cadavre. Entre autres...

Le récit, une adaptation par Ivan Brun et Tristan Perreton (de son propre roman, paru en 2005 chez HAK Lofi record), de cette dérive d'un homme en perdition, est riche et complexe. Il est tout à la fois l'histoire intime et personnelle d'un individu pris dans la nasse d'une vie monotone et déprimante, et un coup de projecteur quasi-documentaire sur un pays au destin guère plus reluisant, l'Angola. Le lien entre ces deux branches du récit étant des diamants cachés, volés, recherchés... Une quête qui apporte un aspect "polar" à ce Prof. Fall, mais qui n'est pas l'essentiel de l'album. Non, par le trait réaliste d'Ivan Brun, le choix d'une bichromie accentuant les états d'âmes sombres des personnages, Prof. Fall appartient résolument à la catégorie de la littérature noire en cases. Il mérite plus d'une lecture pour en saisir toute la subtilité et la puissance : prenez donc votre temps pour lire, et relire, en ce début d'année. 



Prenez aussi celui d'aller visiter les sites des deux auteurs, artistes aux multiples talents tous les deux.
Ivan Brun c'est ici :Ivan Brun 
et Tristan Perroton là : der Kommissar

Ah oui ! Il faut souligner la grande qualité de la maquette, du façonnage de cet album, bref, du soin apporté par les éditions Tanibis à ce très beau livre. Et là aussi, allez faire un tour sur leur site, extrêmement agréable à explorer : editions TANIBIS.

Et, j'allais oublier : bonne année à toutes et tous...

Prof. Fall ***
Scénario Tristan Perreton et dessin Ivan Brun
Tanibis, 2016 - 176 pages bichromie - 24 €
ISBN 978-2-84841-038-8

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