dimanche 12 février 2017

[Disparition] - Jirô Taniguchi : Trouble is my business, Tokyo Killers, le Sauveteur. Ou quand le Maître broyait du Noir...

 Vous l'aurez remarqué, le manga se fait rare dans les pages de Bédépolar. Mais il n'était pas possible de passer ce dimanche sans vous parler un peu de Jiro Taniguchi, mort hier à l'âge de 69 ans, et qui était certainement, en France, le mangaka le plus connu des amateurs de bandes dessinées "littéraires", à défaut d'être le plus connu, tout court. Angoulême lui avait rendu un hommage appuyé en 2015 en lui consacrant une grande rétrospective. Taniguchi était sans conteste un maître du manga d'introspection, intimiste, psychologique... tout ce qu'on voudra, et assez éloigné des représentations que l'on se fait de la bande dessinée japonaise. Oui, sauf qu'on l'oublie peut-être, mais Taniguchi a débuté par le polar, dans la plus pure tradition "hard-boiled". D'abord, à l'aube des années 80, par une série "Trouble is my business", scénarisée par Natsuo Sekikawa (6 tomes parus chez Kana en 2013-14), mettant en scène un privé, Jôtarô Fukamachi, plongé au coeur d'affaires alambiquées, et dénoués non sans un humour... un peu particulier, et puis, il y eut ces autres récits parus dans le milieu des années 1980, et que Kana, l'an passé, a aussi eu la bonne idée de publier dans le recueil "Tokyo Killers".

Marc Fernandez, dans sa post-face, resitue clairement les choses, et prévient tout de suite : " (...) Quant aux fans de polars et de romans noirs, cette lecture les ravira tant Jirô Taniguchi et son complice scénariste des débuts, Natsuo Sekikawa, ont emprunté aux codes du genre, tout en réussissant le tour de force de le renouveler (...) ". Un recueil étonnant, qui s'ouvre sur "Good luck city", récit inachevé, découpé en scène comme au cinéma, et mis en pages en longues cases verticales, sans texte, si ce n'est celui de la narration, en bas, un peu à la manière de "Chandler, La Marée Rouge" de Jim Steranko. Puis trois autres récits constituent le coeur de "Tokyo Hôtel" où un tueur et une tueuse à gage sont les personnages centraux d'histoires bien noires, dures, violentes, et enfin, "Meurtre tokyoïte" vient conclure le livre. Un autre récit étonnant où un Français, parti travailler au Japon, en découvre les mystères, y compris les plus sombres puisqu'il demande à comprendre le fonctionnement des yakuzas. Cette histoire est l'adaptation d'une nouvelle d'Alain Saumon, et elle avait été publiée en 1985 dans Metal Hurlant...
Good luck city... Vraiment ?


Casterman, qui avait été le premier éditeur à éditer Taniguchi, avait publié un autre polar, en 2007, un récit dense, Le Sauveteur. Un retour aux sources , un peu pour l'auteur, mais pas de yakuza, ni de serial killer à la mode nippone dans cette longue histoire, plutôt une plongée au coeur des sentiments, derrière une enquête solitaire : Shiga, gardien d'un refuge dans les Alpes japonaises, est contacté par Yoriko, une vieille amie, morte d'inquiétude pour sa fille Megumi, 15 ans, qui a passé la nuit hors de chez elle et ne donne plus signe de vie. Tenant sa promesse de veiller sur celle qui est la fille de son meilleur ami mort en montagne, Shinga part à l'assaut de la capitale, et entreprend de mener une enquête en marge de celle de la police. Ses premiers pas le conduisent auprès d'une amie de Megumi qui lui affirme que la jeune disparue n'était pas la fille modèle que sa mère croyait... D'emblée captivante, l'intrigue de Taniguchi réussit à mêler introspection et action, et insiste sur les rapports d'amitié liant les différents personnages. Elle est aussi l'occasion d'une découverte de l'envers du décor d'un Japon méconnu (les « souteneurs » et leur relation avec les jeunes filles). C'est en tous cas une histoire forte qui est contée, et on ne lâche pas l'album avant la toute dernière page.

Voilà. Je ne suis pas assez connaisseur de l'oeuvre immense de Taniguchi pour savoir si elle recèle d'autres pépites noires, mais vous pouvez déjà aller jeter un oeil du côté de ces trois titres, tous excellents.

Le Sauveteur - Casterman2007, collection Sakka - 340 pages
Trouble is my business; Kana 2013-2014 - 6 volumes Entre 215 et 300 pages -
Tokyo Killers - Kana, 2016 - 200 pages en noir et blanc et en couleurs



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