lundi 28 août 2023

[Sauvés des eaux] - Ange Leca et Automne en Baie de somme : meurtres à la Belle Epoque chez Bamboo (Grand Angle)

 

Vous connaissez la différence entre une énigme et un mystère ?

- Non…

- Qui a tué cette pauvre femme ? C’est une énigme… Mais pourquoi un corse a-t-il quitté son île pour cette ville sordide ? Ça, c’est un mystère ! »

Cette devinette est posée à Ange Leca, journaliste corse récemment viré de son boulot à la rédaction parisienne du Quotidien, par le détective Goron, alors que tous deux enquêtent sur une énigme aussi mystérieuse que sordide : le corps démembré et décapité d’une jeune femme a été retrouvé dans les eaux de la Seine en crue, en ce mois de janvier 1910 qui restera gravé à jamais dans les mémoires de la capitale.

Leca, impétueux et fougueux, amateur d’absinthe et autres plaisirs, dont ceux de la chair avec la femme de son patron, la sublime Emma, va se plonger dans ce Paris de la Belle Epoque et tenter d’aller au bout d’une affaire qui ressemble tout droit à une impasse. A moins que le flair de son chien Clémenceau, fidèle compagnon, soit plus efficace que le sien et celui de la police ?


Quelques années plus tôt, c’est un autre cadavre découvert à lAutomne en baie de Somme et à bord d’une goélette échouée sur la plage, qui va mobiliser un autre limier parisien, dépêché sur place pour enquêter sur cet assassinat. Il ne faut pas moins qu’un prestigieux inspecteur pour cette affaire, car la victime n’est autre qu’un riche industriel à la tête d’un immense empire… dont hériterait sa veuve ? C’est le coeur de l’affaire qui va conduire les enquêteurs au coeur du Paris de Montmartre et de ses cabarets, un Paris où il y a encore des moulins et des artistes dont la légende est en marche, en particulier Mucha.



Et bien… Je retrouve ce début de chronique au fin fond des entrailles de Bédépolar et je vois que je ne l’avais laissée en sommeil, et pas encore mise en ligne… Alors, je le fais maintenant, car même si ces deux albums Bamboo datent un peu, ils restent à lire pour tout amateur du genre et nous replongent dans le Paris fascinant de la Belle Epoque, chacun à leur manière, mais avec tous deux des femmes, fortes ou fatales, coupables mais le plus souvent victimes, au coeur d’intrigues palpitantes et habilement menées…

Je n’en dis pas plus, si ce n’est qu’on appréciera, dans le premier, le Paris sous les eaux de Graffin, Ropert et Leconte, un événement qui a marqué les esprits , dont Hervé Bourhis avait donné une intéressante interprétation dans Hélas ! (Dupuis) et on admirera dans le second les splendides décors en couleur directe de Chabert, et son extraordinaire sens du détail pour reconstituer ce Paris de 1896. Et comme le scénario de Pelaez est tout aussi prenant… n’hésitez pas à remonter le temps !


Ange Leca ***

Scénario Tom Graffin et Jérôme Ropert, dessins et couleurs Victor Lepointe

Bamboo, 2023 – 72 pages couleurs – Collection Grand Angle

Sortie le 1er mars 2023 – 15,90 €


Automne en baie de somme****

Scénario Philippe Pelaez, dessins et couleurs directes Alexis Chabert

Bamboo, 2022 – 62 pages couleurs – Collection Grand Angle

Sortie le juin 2022 – Sortie le 25 mai 2022 – 15,90 €

 

mercredi 23 août 2023

[A vos missels] - Soda - Le Pasteur sanglant, par Bocquet et Gazotti (Dupuis)

Le sticker rouge – pardon, l’autocollant – apposé sur la couverture de cet album attire immédiatement l’oeil : « Faites vos prières, IL REVIENT ! ». Qui ? Mais ce bon vieux David Hanneth Solomon, alias Soda. Comment ça, vous ne connaissez pas ? C’est le moment ou jamais de faire la connaissance d’un des flics les plus attachants et originaux de la bande dessinée….

Une chambre, la nuit, une veille dame et son chat paisiblement endormis. La porte s’ouvre dans le noir, et laisse apparaître une silhouette inquiétante… Juste le temps à Goliath – ça c’est le chat – de déguerpir, et voilà l’ombre qui fond deux mains et huit doigts en avant sur la vieille dame, et qui commence à l’étrangler. Zoom sur l’agresseur : il est tout de noir vêtu et arbore une croix au revers de sa veste. Fin de la première page…

Voilà donc comment Olivier Bocquet, nouveau scénariste de la série, et Bruno Gazzotti, ramènent Soda sur le devant de la scène, en présentant en une page le duo principal sur lequel repose toute la série : David Solomon et sa vieille mère cardiaque, à qui il cache son véritable métier – flic de terrain à New York – en lui faisant croire qu’il exerce la profession moins dangereuse de pasteur. D’où ce costume noir qu’il enlève chaque matin dans l’ascenseur. Il faut bien préserver la santé fragile de maman…

Bon, là, le fiston rêve carrément qu’il étrangle sa mère, un cauchemar un peu perturbant… Mais Soda va l’être encore plus perturbé, quand il va être reconnu comme le serial-killer qui sévit à New York depuis quelques temps et surnommé «Le pasteur sanglant ». Impossible que ce soit lui ! A moins qu’il ne commence à perdre la boule ? Voici qu’il ne se souvient même plus avoir participé à des séances de thérapie avec le docteur Argiolas, comme l’a fait tout le reste de la Brigade. So what’s happening ???

Olivier Bocquet – à qui on doit par exemple l’excellent triptyque La Colère de Fantômas avec Julie Rocheleau (Dargaud) – a choisi pour ses débuts avec ce personnage complexe de nous en montrer le côté torturé et angoissé, et de faire de cet aspect psychologique l’axe de son histoire (avec la chasse au vrai serial-killer of course). Et ils ont choisi avec Gazotti, dessinateur historique de la série même s’il n’en est pas le créateur, qui est Luc Warnant, de revenir au New York des années 80-90, celui des origines de Soda. Les deux auteurs s’en expliquent aisément « Le New York contemporain n’a plus grand-chose à voir, et c’est beaucoup plus propre et high tech. La ville est devenue trop éloignée de l’esprit de la série. Ce choix permettait également de de débarrasser des téléphones portables et d’internet » (Bocquet) « Ce retour aux sources est bénéfique pour le plaisir de lecture, comme pour le plaisir de dessin. Les calandres des voitures de flics de 1986, telles que Warnant les dessinait dans le premier tome c’était exotique et terriblement accrocheur ; ça te transportait littéralement ailleurs » - (Gazotti)

Et le résultat est là : ce retour est une réussite, scénaristique et graphique. Dans cette Amérique pas encore traumatisée par le onze-septembre, le héros lutte tout autant contre ses traumas à lui que contre les psychopathes du jour. Et c’est spectaculaire dans tous les sens du terme : on sent bien que Gazotti prend un plaisir immense à reprendre en main Soda, 10 ans après Résurrection  de Tome et Dan Verlinden qui reste désormais un album à considérer comme un hors-série puisque ne figurant pas dans la liste des albums parus. Près de vingt ans après le dernier tome dessiné par Gazotti, Code apocalypse , Soda fait son vrai retour. Alléluia !


Soda 13 (ou 13 bis...) – Le Pasteur sanglant ****

Scénario Olivier Bocquet et dessin Bruno Gazzoti

Dupuis, – 56 pages couleurs – 14,50 € - Sortie le 9 juin 2023