Bon, d'accord, je plaide coupable pour le titre en forme de jeux de mots laid mais n'emp^che : depuis une petite dizaine d’années, son nom revient régulièrement sur nombre de couvertures d’albums, dont une bonne poignée de polars : Philippe Pelaez fait désormais partie de ces orfèvres du scénario dont la moindre nouveauté mérite qu’on s’y arrête. Retour sur deux sorties récentes : Hiver à l’opéra (Bamboo – Grand Angle) avec Alexis Chabert et Quelque chose de froid (Glénat) avec Hugues Labiano.
Deuxième opus d’un cycle qui embrassera les quatre saisons, Hiver à l’opéra reprend là où Automne en Baie de Somme s’était arrêté : à la fin du XIXème, l’inspecteur Broyan, après une affaire politico-industrielle où il a fait tomber quelques têtes dont certaines haut placées, se retrouve près du licenciement. Et le voici, en cette année 1897, à l’Opéra Garnier, où débute une nouvelle affaire qui va émouvoir les foules, qui plus est en direct : un colonel chargé de la sécurité du Président de la République en personne est spectaculairement jeté en pâture au spectateurs, là pour La Damnation de Faust. C’est une autre damnation, et d’autres ombres de son passé auxquelles va être confronté Broyan, qui se lance dans l’enquête malgré sa radiation : qui peut bien être cette mystérieuse tueuse capée de rouge et masquée de blanc qu’il était à deux doigts d’arrêter ? Le scénario de Pelaez à la lisière du fantastique – hommage direct et assumé à Gaston Leroux – est une nouvelle fois magnifiquement mis en image par Alexis Chabert, qui restitue à merveille un Paris en plein Art Nouveau. Ses couleurs directes, au pastel ou à l’aquarelle, et ses décors fascinants (mention spéciale aux sous-sol labyrinthiques de l’Oéra-Garnier!) participent complètement à l’immersion totale dans l’univers créé par son scénariste. Il reste deux saisons à découvrir, alors vivement le Printemps !
Quelque chose de froid est l’album inaugural d’une trilogie baptisée Trois touches de Noir. Et l’entrée en matière donne tout à fait le ton… Nous sommes cette fois en 1936 dans l’Ohio, à Cleveland pour être précis où un dénommé Hedgeway, malfrat de son état, est de retour, mais… pour quoi faire ? C’est ce que se demande la police locale, qui décide de le tenir à l’oeil, en attendant de réussir à le faire parler sur des affaires passées : Hedgeway était visiblement bien vu par le parrain local avant de le trahir en emportant bijoux et livres de comptes… Et c’est dans un hôtel où les pensionnaires auraient pu figurer au générique du Freaks de Tod Browning qu’atterrit l’homme de main. Ce camp de base et ses inquiétants locataires est parfait pour la vengeance ourdie par Hedgeway : il lui reste à attendre la suite des événements, qui ne tarderont pas à se précipiter…
C’est cette fois avec Hugues Labiano que Philippe Pelaez s’est associé pour ce qui est un véritable hommage au film noir des années 40-50. Et c’est graphiquement aussi réussi que dans le cycle évoqué plus haut… mais avec une ambiance nettement plus sombre ! Composé en bichromie où dominent le bleu-gris,et où les scènes nocturnes sont éclairées à la lune ou au néon, c’est une plongée au coeur d’une Amérique profonde et poisseuse que nous convient les auteurs. Et qui n’hésitent pas à convoquer la figure mythique d’Elliot Ness le temps de quelques scènes, et surtout de situer leur histoire au moment où la ville est en proie à la psychose du « tueur aux torses » (oui le « Torso » du comics de Brian Michael Bendis). Au-delà de cet aspect historique, c’est aussi tout le côté psychologique qui fait mouche dans le récit de Pelaez : son « héros » ne s’approche-t-il pas dangereusement du côté sombre de l’âme humaine au fur et à mesure que sa vengeance s’accomplit ? Une des nombreuses questions posées par cet album splendide, agrémenté d’un passionnant dossier sur le film noir en fin d’album, par Pelaez lui-même.
Là encore, on attendant la deuxième des Trois touches de Noir avec une impatience certaine !
Et pour connaître en savoir un peu plus sur ce scénariste, rendez-vous cet été dans les pages du prochain numéro de la revue 813 (le n°149) pour un entretien avec Philippe Pelaez...
Ou tout de suite sur son site : De Bruit et de fureur.
(PS : pour cellezetceusses qui croient déjà avoir déjà lu cet article, c'est normal : il est passé dans le numéro 228 de la Tête en Noir. Je suis un bloggueur éco-responsable : je recycle)
Hiver
à l’opéra ****
Scénario Philippe Pelaez et dessin et couleurs Alexis Chabert - Bamboo (Grand Angle)
72 pages couleurs -16,90 € - Parution octobre 2023
Trois touches de Noir - Quelque chose de froid ****
Scénario Philippe Pelaez,dessin Hugues Labiano, couleurs Jérôme Maffre – Glénat
64 pages bichromie -15,50 € - Parution 6 mars 2024
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