dimanche 16 décembre 2012

[Chronique] - Castilla drive (Anthony Pastor)

Robert Salinger est détective privé, à Trituro, Etats-Unis. Ou plutôt était, car il s'est volatilisé dans la nature, laissant du jour au lendemain sa femme Sally se débrouiller avec les gosses.   Sally a donc repris le bureau de son mari, et suit comme elle le peut les affaires qui se présentent... quand affaires il y a. Car c'est plutôt le calme plat de ce côté, et, en cette période de Noël, ce serait bien qu'un gros client franchisse la porte de l'agence, histoire d'aider Sally à régler des dettes qui s'accumulent. Surgit alors Osvaldo Brown, alias « le Survivant », mais on ne peut dire qu'il ait la gueule de l'emploi, question portefeuille. C'est un pauvre bougre qui s'est fait tirer dessus, y a laissé une oreille, et vient voir Sally pour qu'elle retrouve ses agresseurs, car il n'a qu'une crainte : que ceux-ci ne viennent finir le boulot... La jeune femme commence par décliner l'offre, car sa branche à elle, c'est plutôt l'arnaque aux assurances et l'adultère. En plus, en questionnant Ray, flic chargé de l'affaire, elle apprend que celle-ci est compliquée, car sans témoin. Mais Sally finit par accepter d'enquêter pour Osvaldo, dont la personnalité – l'homme se décrit comme poète – le trouble plus qu'elle ne veut bien l'admettre....

 Une femme abandonnée mais volontaire face à l'adversité, une ville balayée par la neige, le froid et une enquête qui délaisse presque la recherche de la vérité sur l'agression dont a été victime le pitoyable Osvaldo, et préfère s'attarder sur les destinées des personnages principaux, en particulier celle de Sally et de ses enfants, de son mari disparu :  c'est ici plus une quête familiale qu'une enquête policière qui nous est donnée à vivre par Anthony Pastor, qui excelle dans la mise en scène et en images de ses personnages. Ceux-ci sont d'une grande justesse psychologique et on partage sans difficulté les sentiments qui les animent au fil des pages. Tout tourne autour du duo Sally / Osvaldo, en une confrontation entre cette femme forte et fragile à la fois, et cet homme un peu étrange, dont on ne sait s'il est réellement paumé ou s'il joue un rôle qu'il a minutieusement préparé. Autour de ce duo gravitent les enfants de Sally, deux ados de leur temps, agaçants et attachants en même temps, Pat, l'amie finaude et compréhensive qui tient la manucure juste sous l'appartement de Sally, Ray, le flic amoureux transi et dépité, et Robert, le mari qui entrera en scène pour un dernier tour de piste. Sous la neige. Une neige omniprésente, dans une cité aux allures de ville fantôme.
Sous couvert de polar - l'appartenance au genre ne fait pas de doute car les ingrédients du genre y sont -  « Castilla drive » n'est pas loin, en fait, d'être un conte de Noël... Un roman graphique – car là aussi, l'estampille peut y être accolée – en forme de conte, légèrement noir, où il est facile de se laisser embarquer, et qui laisse, un peu, pour une fois, la part au rêve.

Cet album figure dans la sélection du Prix SNCF du polar BD 2013, et dans la sélection Polar 2013 du festival BD d'Angoulême.

Castilla drive
Texte et dessin d'Anthony Pastor
Actes Sud / L'an 2, 2012 – 158 p. pages couleur -
19 €

samedi 8 décembre 2012

[Chronique] - La Peau de l'ours (Zidrou et Oriol)

Tous les matins, sous le soleil de plomb de l'île de Lipari, le jeune Amadeo grimpe à vélo la côte raide qui mène à la demeure du vieux Don Palermo. Arrivé là-haut, il lit son horoscope au vieillard, qui l'attend patiemment, attablé en terrasse, lunettes noires face à la mer. L'adolescent ne se laisserait pour rien au monde dérouter de sa mission, et s'il est régulièrement en retard, c'est parce que la délurée Silvana l'arrête tous les matins, avec l'espoir qu'Amadeo regarde d'un peu plus près ce qu'elle a sous sa jupe. Mais rien n'y fait, et Don Palermo a droit à sa lecture quotidienne. C'est que lui aussi, il attend quelque chose, depuis si longtemps  : une phrase que celle qu'il a aimée il y a bien des années doit lui laisser, dans ce journal, pour lui signifier son retour. Et le vieil homme commence un jour à dévoiler à Amadeo tout son passé : ces jours lointains où il était encore Téofilio, jeune montreur d'ours, puis bientôt au service d'un des parrains les plus dangereux de la ville de Stonfield, Don Pomodoro. Un parrain, qui a une petite fille, Mietta, belle comme le jour. Un parrain dont Teofilio a décidé secrètement de se venger, un jour.

Voici un polar qui sort des sentiers balisés du genre. Ou plutôt, qui réinvente un itinéraire avec les étapes auxquelles l'amateur est habitué : l'ascension du jeune protégé, la rencontre avec la femme, fatale,  car elle change la destinée de l'homme, la vengeance dans un coin de la tête, la violence et la cruauté du chef mafieux. Il y a tout cela, dans «  La peau de l'ours  », des ingrédients pour le moins classique  ; mais le scénario de Zidrou, est construit de manière à s'interroger jusqu'au bout, par aller-retours entre les années 40, celles où Don Palermo était encore le naif Téofilio, et maintenant, où il est ce vieillard fatigué s'accrochant à l'espoir de revoir un jour celle qui a marqué sa vie à jamais. Et le lecteur de s'inquiéter au fil des pages, sur ce qui a bien pu se passer dans ces années où Téofilio était au service du terrifiant Don Pomodoro, l'homme qui ne supporte les tâches de sang sur son costume blanc que si il les fait lui-même... De la tension, il y en a dans ce récit, même si  :
« 
Inutile de faire durer le suspense, Don Palermo ! Vous n'êtes pas mort puisque vous êtes là pour me raconter l'histoire  » lâche, à la moitié de l'album, Amadeo au vieil homme  ».
Réponse :  «
  Tu crois ça ? Et si je te disais que je suis mort un 13 décembre 1938   ?  »
Et voilà comme on relance toute la machine en plein milieu de la narration. Et au service de ce scénario subtil et prenant, il y a le superbe dessin d'Oriol, anguleux et chaleureux à la fois, terrifiant et rassurant en même temps. Tout un art de rendre cette histoire sombre particulièrement lumineuse, notamment grâce à l'emploi de couleurs chaudes.
L'album porte un autocollant «  Coup de coeur  » - on ne sait de qui, d'ailleurs – mais, il devrait plutôt faire figurer «  Coup au coeur  » : il y a autant d'amour que de haine dans «  La peau de l'ours  », de tendresse que de violence, de douceur que de dureté. Et des personnages y sont tout autant touchés dans leur âme et leurs sentiments que dans leur chair. Vraiment un des plus beaux albums de cette année.

A noter : "La peau de l'ours"  figure dans la sélection du Prix SNCF du polar BD 2013.

La peau de l'ours
Scénario Zidrou et dessin Oriol
Dargaud, 2012 – 64 pages couleur
- Collection Long courrier - 14,99 €

dimanche 2 décembre 2012

[Réédition] - SPIROU - La Foire aux gangsters (Franquin et Jidéhem)

 Tout débute par la visite surprise chez Spirou d'un mystérieux japonais, Soto Kiki, qui commence par faire goûter à l'intrépide groom les délices du judo... L'irruption soudaine de Fantasio dans la bagarre ne change rien à l'affaire, et les deux héros sont vite au tapis, et ne doivent leur salut qu'à l'intervention musclée du marsupilami. Le visiteur, calmé, explique alors qu'il ne s'agissait que d'une petite démonstration, et qu'en fait, il a besoin d'eux pour défendre les intérêts d'une famille américaine, persécutée par le gangster Lucky Caspiano. Malgré le récit un peu confus de Soto Kiki, les deux amis acceptent de lui venir en aide et vont vite se trouver au cœur d'une sombre affaire de kidnapping, qui verra son épilogue en pleine fête foraine.

Ne cherchez pas dans la longue liste des aventures de Spirou et Fantasio, une trace de cette « Foire aux gangsters » : cette histoire n'existe pas... Ou plutôt si, mais elle était bien cachée puisque publiée après l'aventure « Le Nid du Marsupilami », dans l'album du même nom. Et si les nombreux fans du sympathique Marsu se souviennent bien de cette aventure exotique en pleine jungle palombienne, la première mettant en vedette la créature devenue mythique de Franquin, combien ont encore en mémoire ce récit à l'ambiance policière qui clôt ce douzième volume de Spirou et Fantasio ? « La Foire aux gangsters » mérite pourtant vraiment de figurer dans toute bibliothèque de l'honnête amateur de polar, tant elle appartient vraiment au genre, même si elle est plus proche des Tontons Flingueurs que de Raymond Chandler.


Les éditions Dupuis rendent justice à cette pépite oubliée dans une magnifique réédition commentée par deux spécialistes de la BD franco-belge en général et de Franquin en particulier, José-Louis Bocquet et Serge Honorez. Leur minutieuse exégèse de cet album commence par une première page « La tentation du noir », qui replace La Foire aux gangsters dans le contexte littéraire et cinématographique de l'époque, et c'est fort justement que les auteurs écrivent : « En cette fin des années 50, la fiction aime s'habiller de noir ». Leur analyse rappelle, également avec justesse, que ce récit policier est aussi emprunt d'une atmosphère parodique et relève d'un genre dont le précurseur fut Maurice Tillieux, avec Félix, puis Gil Jourdan. Et les auteurs de conclure cette première page en rappelant que Franquin et Tillieux se sont à un moment rapprochés mais, qu'hélas, aucune collaboration entre ces deux géants n'aboutit... Suivent alors vingt-deux autres pages de commentaire de l'oeuvre, absolument passionnantes, avec, en regard, une reproduction des planches originales du récit, annotées des indications de Franquin.

Mais avant cette copieuse postface planche à planche, il y a bien sûr la réédition de « La foire aux gangsters », et là, franchement, rarement réédition n'aura eu autant d'intérêt. Pour trois raisons au moins : la première est d'avoir opté pour le montage initial des pages de l'histoire, tel qu'il était paru dans le journal de Spirou en 1958, et d'avoir écarté celui figurant dans « Le nid du Marsupilami », paru en 1960 ; la deuxième bonne raison est que les couleurs de cette histoire ont entièrement été revues par Frédéric Jannin, et... c'est le jour et la nuit avec la version de 1960 - voyez donc la différence entre les deux ambiances nocturnes de la fête foraine où tout se dénouera ;

la troisième raison est que cette « Foire aux gangsters » est un authentique bijou tant elle est riche en rebondissements et mêle habilement suspense et humour, avec l'inattendue présence de Gaston au milieu des gangsters... et, cerise sur le gâteau, la véritable fin de cette histoire est enfin rendue au lecteur de 2012, telle que le lecteur du Journal de Spirou a pu la lire en avril 1958... Car la fin qui figure dans l'édition en album n'est pas du tout la même. Bocquet et Honorez , là encore, nous éclairent sur cette fin initiale, disparue lors de son passage à l'album...

Curieusement, Franquin ne semblait pas tenir en haute estime cette « Foire aux gangsters », allant même jusqu'à la qualifier de « pathétique », ou de « moche » ce second avis étant directement lié au démontage du découpage initial... Je me permets de me ranger aux côtés de Bocquet et Honorez, qui, dans leur analyse, démontrent, planche après planche, combien cette histoire est une mécanique implacable, et qu'il faut absolument la redécouvrir, dans cette version originale :  « Relire '' La foire aux gangsters'' en fac-similé, c'est donc découvrir la version director's cut » affirment-ils. C'est exactement cela. Voici un chef d'oeuvre du neuvième art entièrement restauré, dans une très belle édition. C'est Noël avant l'heure.

La Foire aux gangsters
Scénario et dessin : Franquin et Jidéhem (décors). Couleurs : Frédéric Jannin.
Commentaires : José-Louis Bocquet et Serge Honorez.
Dupuis, 2012  - 86 pages couleur et noir et blanc – 24 €

mercredi 28 novembre 2012

[Nouveauté] - Dos à la mer, livre II : Sud (Berlion, Varenne et Thomas)

La fuite vers le Sud de la mystérieuse Natacha et du soudeur Henri se poursuit et le couple improbable sait que le bout de la route n'est plus très loin. Pour la jeune femme, le passeport pour une nouvelle vie est bien cette sacoche pleine de dope, subtilisée à ceux pour qui elle devait la livrer. Pour l'ouvrier des chantiers de Saint-Nazaire, qui a tout quitté pour servir de chauffeur à la jeune femme, l'avenir est plus incertain, et « demain sera un autre jour » pourrait bien être la devise qui illustre le mieux son état d'esprit. Natacha guide, Henri pilote. Chacun garde ses pensées secrètes bien au chaud, pendant que dans l'ombre, la meute des poursuivants se tient prête à tomber sur les fugitifs.

Le second volet de ce diptyque mouvementé est cette fois centré sur le personnage féminin de l'histoire de Varenne et Berlion, comme le laisse d'ailleurs fortement penser la couverture. Natacha est l'objet de l'attention des mafieux qui veulent récupérer leur marchandise, mais « Sud » voit aussi l'entrée en scène d'un second groupe d'acteurs dans la sarabande, les militants basques, qui sont eux en chasse de la jeune femme pour d'autres raisons, politiques. Et c'est Christine qu'ils veulent eux retrouver, la compagne de leur leader, qu'elle a dénoncé aux autorités. Une double identité qui la place dans un double faisceau d'ennuis. Le scénario s'étoffe donc avec cette nouvelle dimension politique, sans jamais perdre en efficacité dans sa narration, au contraire : les croisements des  intérêts des différents protagonistes font tout le piment de  « Dos à la mer ». A tout moment on se demande comment ce duo, formé par un couple que tout semble éloigner, va réussir à s'en sortir. Cette seconde partie tient donc toutes ses promesses, et Olivier Thomas réussit tout autant que dans le premier tome à transporter ses lecteurs, avec des décors toujours aussi soignés et des personnages solidement campés. Ce second aspect n'est pas anodin, car pour la meute de mâles dans laquelle Christine/Natacha se retrouve plongée, il fallait un coup de crayon sûr, pour faire passer les caractères de chacun. Sans oublier Henri, qui, lui, représente un point d'ancrage à la fois solide et doux pour l'héroïne. Bref, « Dos à la mer » est une des réussites de cette année 2012, une histoire noire teintée d'espoir, derrière laquelle on sent aussi bien la patte de l'écrivain qu'est Antonin Varenne que celle du créateur de Tony Corso, Olivier Berlion.
Vous pourrez lire bientôt dans ces pages une interview d'Olivier Thomas, sur son travail avec ces deux auteurs.


Dos à la mer, livre 2 – Sud
Scénario Olivier Berlion et Antonin Varenne
Dessins Olivier Thomas
EP, 2012 – 56 pages couleur – (Collection Atmosphères) – 15,50 €

samedi 24 novembre 2012

[Chronique] - Du primus, du brutal et de l'harmonie : l'encyclopédie Audiard

Bon, allez, si je vous dis :
« Parce que j'aime autant vous dire que pour moi, monsieur Éric, avec ses costumes écossais tissés à Roubaix, ses boutons de manchette en simili, et ses pompes italiennes fabriquées à Grenoble, eh ben, c'est rien qu'un demi-sel. Et là, je parle juste question présentation, parce que si je voulais me lancer dans la psychanalyse, j'ajouterais que c'est le roi des cons... »
Vous me dites, vous me dites... Bernard Blier dans « Le Cave se rebiffe » ? Bingo ! Vous connaissez votre Audiard sur le bout des doigts. Mais si vous avez répondu, au pifomètre, allez, Gabin dans « Le Pacha », pas de doute : l'encyclopédie Audiard de Stéphane Germain, chez Hugo & Cie, est pour vous. Dans le premier cas aussi, d'ailleurs...
Ce pavé de près de 300 pages est un pur délice. Après une première partie resituant l'homme dans son époque, Stéphane Germain, l'auteur de cette somme, se met en tête de présenter à son lecteur l'oeuvre intégrale d'Audiard : l'écrivain, le dialoguiste, le scénariste, le réalisateur, l'adaptateur. Et le lecteur est ébahi, car il ne soupçonnait pas une telle richesse, une carrière aussi prolifique : une dizaine de livres (Audiard fut aussi romancier, ce qui est souvent oublié de celles et ceux qui gouttent son verbe), et une centaine de films. Cette encyclopédie nous les présente tous, absolument tous, dans leur ordre de sortie en salle, de « Mission à Tanger » (1949) à « On ne meurt que deux fois » (1985). On y trouve même les « introuvables », ces six films portés disparus des écrans, impossibles à (re)voir, dont le dernier - «Toutes folles de lui » - date seulement de 1967, et au générique duquel figurent, entre autres, Jean-Pierre Marielle, Julien Guiomard,
Amarande...

Pour chacun des films, Stéphane Germain rappelle brièvement le synopsis et rédige une (courte) fiche technique. Suit alors son avis, dans une longue notice où l'analyse côtoie l'anecdote, où l'utile se joint à l'agréable... et le tout est couronné de la cerise sur le gâteau : l'indispensable citation audiardienne, évitée uniquement pour les films les plus catastrophiques du maître, car oui, il y en a bien eu, et l'auteur n'hésite pas à les signaler. Mais ils sont en nombre minime dans la longue filmographie d'Audiard et c'est un plaisir de retomber sur les classiques « Barbouzes », « Ne nous fâchons pas », « Un taxi pour Tobrouk », « Mortelle randonnée », … Mais c'est un plaisir encore plus grand de découvrir, des oeuvres complètement oubliées car absentes durablement des programmations télévisuelles.  Ou de redécouvrir la quinzaine de films dont Gabin était la vedette, lui qui fut l'acteur fétiche du scénariste pendant plus d'une décennie.. 


Cette copieuse encyclopédie se conclut d'ailleurs sur une dernière partie intitulée « Les grands diseurs d'Audiard », qui dresse le portrait de 19 acteurs et actrices, les meilleurs interprètes des dialogues de Michel Audiard, selon Stéphane Germain. 19 portraits illustrés par le très doué Géga, déjà à l'oeuvre sur le précédent ouvrage de Germain (« Le dico des Tontons Flingueurs »), et qui croque avec bonheur Blier, Dalban, Belmondo, Girardot, Pousse, Serrault...
Ce livre est, comme il se doit, très richement illustré de photos et d'affiches, parfois de plusieurs pays pour les films ayant eu le plus de succès.
Je vous le disais au début : ce pavé est un pur délice. Que demande le peuple ? Une autre citation, peut-être ? Soyons bon prince,  en voici deux :

« Dans la vie il y a deux expédients à n'utiliser qu'en dernière instance : le cyanure et la loyauté »
(Jean Gabin dans « Le Gentleman d'Epsom »)

« - J'ai peut-être une bonne affaire. Je connais un gars qui cherche un bateau. Tu pourrais lui vendre le tien.
- Mais j'en ai pas !
- C'est pour ça que c'est une bonne affaire... »

(Dialogue entre Robert Dalban et Jean-Paul Belmondo dans « L'incorrigible »)

Un pur délice, vous dis-je. J'insiste. 

L'Encyclopédie Audiard – Du primus, du brutal et  de l'harmonie
Textes Stéphane Germain ; illustrations Géga
Desinge & Hugo & Cie, 2012 - 287 pages couleur
24,95  €

mercredi 21 novembre 2012

[Chronique] – Noir et Pigalle 62.27 : Götting fait coup double !

Un homme est précipité du haut d'une falaise, mains attachées. Pas de miracle, il ne s'en relèvera pas.... La police, dans ses premières constatations, relève qu'il manque un doigt au cadavre. Flashback : on retrouve l'homme assassiné, un émigré Polonais, et on le suit dans son quotidien chaotique. Il est d'abord mécano, puis il est viré par son patron, puis le voilà homme de ménage dans un restaurant chinois, viré à nouveau, avec l'humiliation en prime, et le voici enfin au service d'un notable local, qui fait de lui son tueur à gages... ce qui n'est peut-être pas, finalement, la meilleure des voies pour Franciszek Gruszka...

« Exercice de style récréatif », « Hommage au roman noir et au cinéma américain » : voici comment est présenté par l'éditeur lui-même cette histoire de Götting parue en début d'année. Un hommage, c'est bien ainsi qu'il faut lire cet album découpé en vingt séquences qui sont autant de scènes convoquant tous les personnages et situations-clés du genre : le looser, la garce, le parrain local, le flic malin... et l'humiliation, l'espoir, la peur, la vengeance. Une histoire aussi rapide et expéditive que la trajectoire d'une balle, que Götting met en scène en 150 pages, format manga, au rythme de deux à quatre cases par planche, le tout dans un style charbonneux, crayeux, où même le blanc est foncé. « Noir » ne révolutionnera certes pas le genre, mais a le très grand mérite de marquer le double retour au polar d'un auteur important du 9ème art, un vrai styliste, comme vous pourrez vous en rendre compte ici,  sur son site. Sans oublier l'espace qui lui est consacré sur le site de Galerie Barbier & Mathon, une galerie spécialisée dans les illustrations et planches originales de bande dessinée.

Götting dévoile son autre facette d'auteur de noir dans le très beau Pigalle 62.27, où il a écrit un scénario parfait pour Loustal. Cet album fait partie des 6 titres en compétition pour le prix polar SNCF de la BD, et vous pouvez lire ma chronique ici, sur le site k-libre.fr.



Noir
Texte et dessin Jean-Claude Götting
Barbier et Mathon, 2012 – 152 pages noir et blanc
8  €
Pigalle 62.27
Texte Jean-Claude Götting  et dessin Jacques de Loustal.
Casterman, 2012 – 72 pages couleur
15 €

lundi 19 novembre 2012

[Prix] – La Princesse du Sang 2 (Dupuis) Trophée 813 de la Bande Dessinée 2012

L'association« 813 » des Amis des littératures policières décerne chaque année depuis 1981 ses Trophées, qui récompensent les ouvrages (romans, essais) préférés des adhérents. La proclamation des résultats 2012 a eu lieu hier au cours du festival Sang d'Encre, à Vienne. Après une éclipse de plusieurs années, la bande dessinée figure à nouveau au palmarès, et pour ce grand retour c'est la seconde partie de la « La princesse du sang » qui l'emporte. Retrouvez ici ma chronique de cette très réussie adaptation du dernier roman de Manchette. 

Cet album devance deux autres adaptations : « L'homme squelette » de Hillerman, par Will Argunas (Casterman) et « Parker - L'organisation » de Stark par Darwyn Cooke (Dargaud).

Bravo à Doug Headline et Max Cabanes et aux éditions Dupuis, pour ce prix, le quatrième pour ce dyptique, après le Prix Polar 2010 du Festival de Cognac, le Prix Mor Vran 2010 du festival du Goéland Masqué et le Prix Polar Encontre 2010 du festival dumême nom à Bon-Encontre.

samedi 10 novembre 2012

Prix SNCF du Polar / BD 2013, deuxième !

L'an passé, pour sa première édition, le prix était allé à Bryan Talbot pour son formidable Grandville mon amour, chez Milady.
Cette année, la sélection regroupe 6 titres, chacun dans des styles, des époques et des registres différents. Et vous savez quoi ? Ils sont tous sacrément bons, et le choix va être difficile... Voici la liste :

- CASTILLA DRIVE, d'Anthony Pastor (Actes Sud /An2)
- PIZZA ROADTRIP, de Cha & El Diablo (Ankama)
- UN LÉGER BRUIT DANS LE MOTEUR, de  Gaet’s & Munoz (Physalis)
- LA PEAU DE L’OURS, d'Oriol & Zidrou (Dargaud)
- PIGALLE 62.27, de Loustal & Götting (Casterman)
- LA GRANDE ODALISQUE, de Vivès, Ruppert & Mulot (Dupuis)

En cliquant sur chacun des titres, vous trouverez soit dans ces pages, soit dans celles du site k-libre, de Julien Védrenne, une chronique de ces albums.
Mais le plus amusant est encore de participer en votant pour vos préférés parmi ces six albums. Comment faire ? Contrairement au Prix SNCF du polar, catégorie roman, il n'est pas possible de voter à distance. Première solution : monter à bord d'un des nombreux « trains du polar » organisés un peu partout en France au début de chaque période de départ en vacances... technique aléatoire – mais amusante - puisque ces trains sont « surprises » et que les voyageurs les découvrent au dernier moment. Prochains trains du polar : 22 décembre, pour les vacances de Noël.
Mais si vous voulez lire toutes les BD d'un coup, et c'est la seconde solution, il faut vous rendre sur les espaces Polar SNCF mis en place lors de grands festivals et salons. Le prochain rendez-vous est tout simplement à Angoulême, Place Marengo, du 31 janvier au 3 février 2013. N'hésitez surtout pas à vous y rendre !
Bédépolar vous informera de chaque nouveau rendez-vous, jusqu'à la remise des prix, au printemps.



dimanche 21 octobre 2012

[Comics] - Fatale, coup de maître de Brubaker et Phillips (Delcourt)

Nicolas Lash rencontre Jo pour la première fois à l'enterrement de Dominic Raynes, écrivain dont il se retouve éxécuteur testamentaire, presque par hasard. Jo, femme d'une grande beauté, et qui, en quelques mots, ce jour-là, réussit à le « ramener dans la peau d'un collégien. Cloué sur place ». Le soir même, dans la demeure vide de Raynes, Lash met la main sur un manuscrit inédit, de 1957, qui pourrait  même être  le premier roman de l'auteur, spécialisé dans des best-sellers policier. Au moment où il s'apprête à quitter la maison, des hommes en armes débarquent, et Lash ne doit son salut qu'à l'intervention musclée de Jo, là elle aussi, par un étrange hasard... Après avoir flingué un des deux  inconnus, elle ordonne à Lash de sauter avec elle dans sa voiture, et c'est un avion qui les prend en chasse ! La solution ? Provoquer un accident... Lash  s'en sort mais avec une jambe en moins tout de même, c'est ce qu'il constate en se réveillant 5 jours après cet épisode nocturne rocambolesque. Il ne comprend pas trop ce qui lui arrive, jusqu'à ce qu'il entame la lecture du manuscrit de Raynes, qui le ramène 50 ans plus tôt, et lui ouvre les portes d'une Amérique étrange et terrifiante...

...Et c'est ce que « Fatale » raconte, puisque les trois-quarts de l'album se déroulent en 1957 : en utilisant le procédé de la mise en abyme, Brubaker invite à découvrir en même temps que Lash la terrible destinée de Raynes et a découpé son scénario par aller-retour entre l'après-guerre et ce début de XXIè siècle. De ce choix narratif naît un suspense à double niveau : celui de l'enchaînement des événements de 1957 et celui de la découverte de l'incroyable vérité par le « héros », Lash.
« Fatale » dépasse largement le cadre du Noir chers aux auteurs de « Criminal », et Brubaker et Philipps avaient déjà fait goûter à leurs lecteurs les délices du croisement des genres, dans leur précédente série "Incognito", par exemple. Mais ils étaient resté dans leur propre domaine, celui du comics, puisque l'intrigue du scénariste, certes fortement colorée polar,  mettait en scène des personnages super héros.
Là, Brubaker emprunte des chemins plus fantastiques, et surtout plus littéraires : son histoire aurait très bien pu être écrite par un Lovecraft ou un Lumley et cet hommage à la littérature, on le trouve aussi dans le statut du personnage masculin principal, Hank Raynes, qui est écrivain. Mais il y a bien entendu au centre de tout cet environnement, l'autre personnage-clé, Joséphine, la femme, fatale comme le titre l'indique. La femme fatale, figure mythique du roman noir...
Bande dessinée, fantastique, roman noir : en se plaçant au carrefour de ces trois genres  le duo a mis en route,ce qui semble bien être la plus ambitieuse de leurs séries à ce jour, et qui fait en tous cas d'eux l'un des plus inventifs tandem d'auteurs de la BD américaine. Et si Ed Brubaker continue de surprendre et fasciner à chaque nouvelle oeuvre, c'est aussi grâce au talent immense de Sean Philips, encore une fois ici mis admirablement mis en couleurs par Dave Stewart.

Fatale 1 - La mort aux trousses
Scénario Ed Brubaker et dessin Sean Philipps
Delcourt, 2012 – 136 p. couleurs - Collection Contrebande – 14,95 €

mercredi 17 octobre 2012

[Chronique] - Pizza roadtrip, petit voyage entre amis

Paris, un trio d'amis. Rudy, black à casquette un peu magouilleur sur les bords. Mathilde, sa copine, styliste plutôt débrouillarde. Et Romuald, leur copain à tous les deux. Peut-être un peu moins allumé que ses deux congénères. Les voici tous les trois réunis, par la grâce de la téléphonie sans fil, en pleine nuit, dans l'appart de Rudy et Malthide qui ont besoin de savoir qu'ils peuvent compter sur leur pote Romuald, pour un service d'un genre un peu spécial. Il y a un cadavre dans leur chambre, avec une belle flaque de sang sur la moquette, et il ne saurait être question de garder trop longtemps ce mort à la tête explosée... Un mort plutôt bien connu des services de police. Romuald hallucine devant la situation et la proposition de Mathilde : il n'y a qu'à faire disparaître le cadavre en l'emmenant jusqu'en Bretagne, là où elle a une maison familiale, et un terrain pour enterrer le colis. Il faut juste que Romuald accepte de prêter sa voiture pour l'occasion... Premier réflexe : « Mais oui bien sûr ! Je vais vous prêter ma caisse pour aller voir les vaches avec le cadavre d'Al Capone ! ». Mais finalement, Romuald accepte, mais ne laissera à personne le soin de conduire, et les voici tous les trois à bord d'une Kangoo rouge, pour un raid qui ne s'annonce pas plus compliqué qu'une livraison de pizza. D'après Rudy.

Ah quel album ! « On n'est pas dans un film de Tarentino t'as vu » lâche à un moment Rudy. Et bien si ! C'est même exactement ça, cette histoire d'El Diablo : du Tarantino mâtiné des frères Coen et nous volià entre Pulp Fiction et The Big Lebowsky, embarqués dans une épopée tragi-comique, burlesque et tendue à la fois, qui finira... Bien ? Mal ? Ah ah... pas question de le dire ici, il vous faut lire cet album pour lequel El Diablo a pondu des dialogues aux petits oignons, fourmillant de réparties tordantes. Il a imaginé une trépidante succession d'événements que Cha met en images avec un style cartoonesque qui colle parfaitement au ton déjanté de l'histoire. Et les étonnants personnages de la dessinatrice, aux visages dépourvus de nez, viennent ajouter une touche d'étrangeté poétique à ce Pizza Road Trip, qui se distingue dans la vague des dernières nouveautés. Un album publié dans une collection dont je vous ai déjà dit le plus grand bien (ici et ), et qui continue de surprendre par son éclectisme éclairé : Hostile Holster est bien devenu ce label incontournable pour l'amateur de polar...

Le chouette de blog de Cha : Ma vie est une bande dessinée

Pizza Road Trip
Scénario El Diablo et dessin Cha
Ankama, 2012 – 80 p noir et couleur – Collection Hostile hoster – 14,90  €

samedi 29 septembre 2012

[Chronique] - Bang ! Katinka, ou la Russie noire de Deveney et Godart


Ivan est flic. Un flic en taule, qu'on extirpe de sa cellule pour qu'il mette la main sur Katinka, une tueuse violente et insaisissable qu'il est apparemment le seul à pouvoir appréhender, d'après ses supérieurs... Pourquoi lui ? Peut-être parce qu'Ivan est un flic à l'ancienne, aux méthodes musclés, qui ont fait leurs preuves en leur temps (mais qui lui ont aussi valu son incarcération). Mais ce dinosaure n'est-il pas à côté de la plaque, comme tente de lui faire comprendre « Le chauve », qu'il décide d'interroger ?
Le chauve  : « Ach ! Putain, t'étais vraiment obligé de me péter le nez ? »
Ivan : « Le monde est sans pitié, le chauve ! Il faut accepter son lot de souffrance !
Le chauve : « Raaah ! « J'ai pas de temps à perdre », « Le monde est sans pitié ». T'y crois vraiment à ces phrases à la con ? Tu vois pas que c'est plus d'actualité ? C'est fini les surnoms débiles et les flics qui bossent à coups de poing. La criminalité d'aujourd'hui, ça se règle à coups de pourcentages ! Et si t'as pas réseau pour, tu te fais bouffer par les stat'.  Faut que t'ouvres tes yeux de bourrin ! Les héros solitaires, c'est dépassé ! Et c'est pas en chopant Katinka que ça va y changer quoi que ce soit !
Ivan : « TA GUEULE ! »

Des dialogues comme celui-ci, qui sonnent juste, Bang Katinka en compte plus d'un. S'appuyant sur un récit très noir et violent, cet album de Deveney et Godart est un écho réaliste de la Russie du XXIème siècle... La Russie de Poutine où des punkettes font office de révolutionnaires susceptibles de faire vaciller le pouvoir. Ici, Katinka, c'est les «Pussy Riot » à elle toute seule, en nettement plus destroy. Le récit est à deux voix : celle de Katinka d'abord, jeune femme rebelle, écorchée vive, dont on apprend tout de l'enfance chaotique. Puis celle d'Ivan, guère plus épargné par la vie.  Ces deux-là ont se sont déjà croisés une fois – un épisode très douloureux pour les deux – et parallèlement à la traque de la tueuse par le flic, c'est un portrait de deux êtres à la dérive, chacun suivant une voie destructrice à l'issue plus qu'incertaine, qui est donné à lire. Le trait réaliste de Godart (qui rappelle par certains aspects celui d'Hermann), et des planches à la tonalité sombre renforcent la dureté de cet album. Bang Katinka  fait froid dans le dos, mais figurera sans problème dans mes albums préférés de l'année. A vous de voir...

Bang ! Katinka
Texte Jean-Christophe Deveney et  dessin de Loïc Godart
Akileos, 2012 – 62  pages couleur -14,25 €

jeudi 20 septembre 2012

[Festival sudiste] – Toulouse polars du Sud, saison 4 (12 – 14 octobre 2012)

La chose est entendue : tout amateur de littérature noire et policière doit faire une halte à Toulouse pour le festival « TPS », qui en est à sa quatrième édition. C'est Laurent Astier qui en a réalisé l'affiche cette année, et vous l'aurez remarquer : le Spirit himself veille sur le festival.
Côtés bandes dessinées, un peu moins de monde que les années passées, mais outre Laurent Astier,
seront présents Frédéric Bézian (auteur des excellents « Aller-Retour » et « Lesgarde-fous ») et Annie Goetzinger , qui entraîne, avec Pierre Christian, au scénario, la détective Edith Hardy dans la France et l'Europe des années 50. Le trait élégant de cette dessinatrice est parfait pour cette série.
Pour connaître le détail du programme, une seule adresse, celle du site entièrement remanié dufestival.

Bon voyage !

samedi 8 septembre 2012

[Chronique] - Juarez, de Sergeef et Rouge (Glénat)

Gaël arrive au Mexique, à Ciudad Juarez, avec l'espoir d'y retrouver sa sœur Gabriela, disparue depuis plusieurs mois ; sur place, il se rend chez Emilio, propriétaire d'une blanchisserie, le dernier endroit où travaillait Gabriela. Gaël y fait la connaissance d'Almania, fille d'Emilio, elle aussi morte d'angoisse depuis la disparition de Gabriela, avec qui elle avait sympathisé. Elle se souvient lui avoir dit de ne pas trop traîner avec Esperanza, une femme courageuse et obstinée, à la tête d'une association qui lutte pour faire éclater la vérité et la justice sur les centaines de femmes assassinées à Juarez. Gaël mène une enquête difficile, où ses pas lui font frôler un danger quotidien, en particulier lorsqu'il suit la trace d'Horacio Del Castillo, puissant chef de cartel. Mais c'est auprès de cet homme que la piste est la plus sérieuse pour retrouver la trace de Gabriela...

Sur fond d'une série de faits divers authentiques et d'une noirceur abyssale, Nathalie Sergeef et Corentin Rouge ont construit un polar assez original par son scénario à rebondissement final. La difficulté de leur entreprise était de ne pas simplement se « servir » de la situation dramatique des femmes de Juarez – situation qui perdure depuis presque vingt ans – comme simple décor à une intrigue, aussi judicieuse soit-elle. Il fallait réussir à faire passer autre chose qu'un bon moment au lecteur, lui faire prendre conscience de certaines réalités, sinon... à quoi bon ? Les deux auteurs s'en tirent assez bien, et ils réussissent à assurer une certaine gravité de ton à leur histoire. L'apport du dessinateur est à ce titre essentiel : Rouge, qui dans le dossier de presse confesse « … impossible d'échapper à quelques images un peu difficiles... » , a une justesse de trait dans tous les visages qu'il dessine, et réussit à faire passer toutes les émotions vécues par les personnages. Une réelle tension court par ailleurs tout au long des pages, et elle émane à la fois de la progression de l'enquête de Gaël et de l'environnement de corruption et de suspicion dans lequel il est plongé.
Cet album n'est évidemment pas un documentaire sur ce qui se passe à Ciudad Juarez depuis si longtemps, et n'a pas la force de l'immense roman de Patrick Bard « La Frontière » (exactement sur le même sujet), mais « Juarez » a le grand mérite d'être à la fois une bande dessinée au  scénario  très prenant et une fenêtre ouverte sur un drame de notre siècle.

Juarez
Scénario  Nathalie Sergeef et dessins Corentin Rouge
Glénat, 2012 – 72 pages couleur – Collection Grafica
14,95 €

samedi 1 septembre 2012

[Chronique] - Post mortem, ou quand les morts-vivants pointent à l'usine...

Les morts ne sont plus ce qu'ils étaient : le gouvernement a inventé « le Programme », un moyen de les ramener à la vie. Une bonne nouvelle ? Pas pour les revenants – les Post Mortem comme ils sont appelés – qui ne passent plus par la case cimetière, mais vont  directement à la case travail, celui des tâches répétitives et ingrates. Une riche idée pour sortir le pays de la crise, mais qui commence à provoquer des rancoeurs chez les vivants : des loques humaines sont en train de les pousser au chômage... Jérémy, jeune membre d'un trio de rock, passe du côté des morts-vivants du jour au lendemain, après s'est fait renverser par une voiture. Sa mère a signé pour qu'il rejoigne le Programme, mais pour Jérémy, c'est le début d'un véritable enfer : il est traité comme un chien par ses nouveaux collègues de l'usine de pneus où il a été affecté. Il préfère en finir en se jetant sous les roues de la première voiture venue, mais il tombe sur une conductrice et son père, qui n'ont pas encore complètement fermé leur coeur à la souffrance des autres...

Difficile en ce moment d'échapper aux  zombies et autres « morts-vivants » dans la bande dessinée, qui s'alignent en cohorte derrière la série-phare « Walking dead » (fort réussie d'ailleurs). Pierre Maurel prend une voie complètement originale en inversant les rôles : les zombies ne font plus physiquement peur, ni mal, et sont eux les victimes d'une partie de la population. Vulnérables, les voici exploités jusqu'à la moëlle, et ils constituent un véritable lumpenproletariat du XXIème siècle. Partant de ce postulat, Maurel pose la question de la résistance : existe-t-il encore quelqu'un pour s'opposer à cette situation, qui s'aggrave de jour en jour ? Les vivants ont-ils encore une once d'humanité ? L'auteur  répond par une histoire à suspense, un récit en forme de poursuite / fuite, qui feraient presque entrer « Post Mortem » dans la catégorie des thrillers... Mais ce sont bien les rapports humains qui sont au cœur de cet album, une préoccupation déjà présente dans le très bon « Blackbird », où il était question de liberté de publication et de régime autoritaire.
Le dessin de « Post Mortem » est plutôt de la famille « ligne claire », net et précis, et on peut lui rapprocher celui de Frédérik Peeters (« RG », dans la même collection). Un style graphique d'apparence inoffensive, mais qui permet mieux qu'un autre d'emmener le lecteur sur des chemins intérieurs beaucoup plus sombres... quand leurs auteurs ont quelque chose à dire du monde qui nous entoure. Pierre Maurel est de ceux-là, ne manquez pas de suivre son oeuvre en construction.






Post mortem
Texte et dessin de Pierre Maurel
Gallimard, 2012 – 92 pages couleur – Collection Bayou - 16 €

samedi 25 août 2012

[Chronique] - Black out (Sarbacane)

Norma Rouge travaille comme serveuse pour l'agence d'événementiels « The Cherry's Events ». Les soirées arrosées et empoudrées, elle connaît. Ce soir-là, elle n'est pas de service, et c'est avec le costume de l'invitée qu'elle se présente chez Franck de Maistre, un fils à papa friqué et abonné aux rails de coke. Norma se retrouve vite à l'écart du petit monde qui gravite autour de Francky et elle sirote ses coupes de champagne sans grande conviction. Jusqu'à ce qu'un couple lui aussi un peu dans son coin, l'aborde et lui propose d'aller faire la fête ailleurs. Comme Claire et Angelo ont l'air sympa malgré un air un peu bizarre, Norma accepte, et c'est à bord de sa voiture qu'ils se rendent tous les trois vers leur nouvelle destination nocturne. Enfin ça, c'est ce que Norma pense, jusqu'à ce qu'elle se réveille le lendemain matin dans un terrain vague, encore dans les vaps, seule au volant de sa bagnole. A ses côtés, un sac à main qui ne lui appartient pas, avec à l'intérieur, un Polaroïd où elle tire à bout portant, sur une inconnue. Et celle-ci n'est pas bien loin : dans le coffre grand ouvert, sous forme de cadavre...
Le thème de l'amnésie – ici sous la forme du trou noir où le personnage principal a tout oublié de ce qui s'est passé la nuit précédente – revient régulièrement dans la fiction policière, au cinéma comme en littérature, et a permis la production de quelques chefs d'oeuvre. « Memento » de Christopher Nolan côté 7ème art, et « Bone » de George Chesbro pour les romans, par exemple, sont de ceux-là. Il serait prématuré de ranger ce premier album de Jérôme Lerpinière dans la même catégorie, mais force est de constater que « Black Out » est une réussite de premier ordre. L'histoire de Norma, jeune femme manipulée par un couple lui-même jouet de forces extérieures, tient en haleine de bout en bout, et à partir du moment où la jeune femme est prise dans l'engrenage, il est impossible de lâcher l'album. C'est aussi grâce au style graphique de l'auteur : des planches en noir et blanc, où règnent les ombres, où les décors flirtent parfois avec l'expressionnisme du cinéma allemand et où les personnages sont tout en rondeurs et aux têtes disproportionnées. Il se dégage de tout cela une atmosphère d'étrangeté assez fascinante, assez bien symbolisée par la couverture de l'album d'ailleurs... « Black out » est une bande dessinée originale qui sort vraiment des sentiers battus. .

Black Out
Texte et dessin de Jérôme Lerpinière
Sarbacane, 2012 – 128 pages noir et blanc – 17,90 €

vendredi 3 août 2012

[Chronique] – Lignes Noires (Polystyrène)

L'objet est superbement réussi, d'une grande élégance. Dès le premier contact, voici une bande dessinée qui intrigue, et attire immédiatement par sa forme : elle se déplie à la manière d'un tryptique, et une fois ouverte, on déroule ses pages du bas vers le haut, pour une histoire en trois temps. On a tout de suite envie de s'y plonger... et on n'est pas déçu du voyage !
Les trois parties - « La Fuite », « En avant » et « Des Hommes ordinaires » - forment un récit à l'intrigue simple : un homme, Marc, porteur d'une sacoche à laquelle il tient comme à la prunelle de ses yeux, se retrouve coincé par une grève ferroviaire qui l'empêche de rejoindre Le Havre. Il appelle un ami, Antoine, pour qu'il l'héberge momentanément, mais il est évident que Marc n'a pas l'esprit tranquille et ne restera pas longtemps sur place. Ce qui est le cas, puisqu'un couple débarque très vite dans l'immeuble où il a trouvé refuge, provoquant une course-poursuite pleine de danger et à l'issue incertaine...
« La Fuite », c'est cette tranche de vie, du point de vue de Marc, « En avant », celle de ses poursuivants, et « Des hommes ordinaires », celle d'une autre personne... que je vous laisse découvrir pour ne pas casser le suspense qu'ont réussi à installer les auteurs, Adrien Thiot-Rader et Ludovic Rio. Car, au-delà de la réussite formelle, « Lignes Noires » tient en haleine de bout en bout et est mené à un rythme soutenu. Les personnages croisés ont par ailleurs le mérite d'évoluer dans une France d'aujourd'hui, dont, en quelques cases on perçoit la réalité : on croit d'autant plus à cette histoire, qui se lit comme une nouvelle de Marc Villard. Graphiquement splendide, avec un noir – blanc -gris tout en ombres et lumières, « Lignes Noires » a également pour lui son aspect oulipien – ou Oubapien dirait l'Association – et il est extrêmement tentant d'en faire une lecture simultanée, et horizontale, des trois épisodes. Et cela fonctionne pas mal du tout...
N'hésitez donc pas à vous procurer cet album, publié par une petite maison associative, les éditions Polystyrène, qui ont choisi de publier des livres « à manipuler ».

Lignes noires
Adrien Thiot-Rader et Ludovic Rio
Polystyrène, 2012 – 3 x 24 pages noir et blanc – 16 €

mercredi 25 juillet 2012

[Chronique délocalisée] - Clown, de Louis Le Hir (Mosquito)

Clown est un solitaire. Il va sur les chemins avec sa roulotte et s'arrête quand il le faut pour ses spectacles de... clown. Sa vie va être bouleversée lorsqu'il va trouver Zoé, un bébé abandonné dans une décharge. Il la garde avec lui et l'élève dans cet univers de saltimbanque, où la vie est encore plus difficile qu'ailleurs. Mais Clown est protecteur, Zoé réussit à apprendre à lire, à écrire, et à grandir aux côtés de ce père adoptif bourru mais attentionné. Les années passent et Zoé devient une jeune fille. Un jour, la roulotte croise la route du cirque de monsieur Willy, qui engage Clown pour son numéro. Avec Zoé, ils sont désormais un peu plus à l'abri des temps difficiles. Mais la jeune femme, attirant bien des regards dans le troupeau mâle du cirque, va découvrir au fil des jours que l'espèce humaine a des côtés obscurs que Clown avait oublié de lui enseigner...

Voilà pour l'histoire... Retrouvez la suite de ma chronique de ce superbe album de Louis Le Hirici, chez les amis de k-libre.fr

Les éditions Mosquito font un travail remarquable depuis des années - pas souvent dans le genre polar,  mais peu importe - notamment autour des oeuvres de Toppi et Battaglia. A soutenir sans réserve !

Vous pouvez aussi rendre une petite visite au blog des Le Hir, où on dessine de père en fils.


mercredi 18 juillet 2012

Urban Comics reprend la fine fleur du crime comics : 100 bullets et Scalped

Le début de cette année 2012 a été marqué par les premiers albums publiés par Urban Comics, qui n'est autre que le nouveau label pour l'édition française des albums édités outre Atlantique par DC Comics. Et en quoi cela doit-il réjouir l'amateur de polar en cases ? Tout simplement parce que c'est ici qu'il pourra retrouver deux séries incontournable du label Vertigo : 100 bullets et Scalped. Mais ces séries n'ont-elles pas déjà été publiées en France ? Oh que si, et plus d'une fois en ce qui concerne 100 bullets, la dernière en date étant chez Panini.
Pour ces rééditions, Urban Comics repart de zéro, tout en poursuivant la traduction en cours. Et pour bien faire les choses, les premiers albums de chaque série seront réédités au format cartonné, et les autres en souple (ça c'est un peu dommage, mais bon, ne faisons pas la fine bouche). Le grand intérêt de cette nouvelle édition chez Urban Comics est d'avoir retraduit les séries, et de les avoir remaquettées. Et l'autre grand intérêt réside bien sûr dans une certaine visibilité retrouvée pour des comics qui sont devenus de vrais classiques du noir, que vous aurez nettement plus de chance désormais de voir chez vos libraires, Urban Comics étant une « branche » de l'arbre Dargaud. Bon, tout cela c'est bien joli, mais il est possible que vous n'ayez pas encore eu entre les mains 100 bullets ou Scalped... Alors une petite mise en appétit me semble la bienvenue.

Si la fin des années 80 a vu un vent nouveau souffler sur le polar, la fin des années 90, 1999, pour être précis, est l'année de sortie de LA série des années 2000 : 100 bullets, de Brian Azzerello et Eduardo Risso. Le scénario d'Azzarello repose sur une idée exposée dès le premier des 100 chapitres/épisodes de la série : un homme mystérieux, l'agent Graves, aborde un inconnu, et lui tend une mallette. A l'intérieur : un flingue, 100 balles « intraçables », et toutes les preuves qu'une personne a causé d'immenses souffrances à l'inconnu. Et maintenant : que va faire le destinataire de la mallette ? Se venger ? Chercher à en savoir plus ? Ne rien faire ? Cet épisode initial de la mallette revient de manière récurrente dans la série, et très vite, l'intérêt se porte sur l'agent Graves, dont on apprend assez vite qu'il est au coeur d'un groupe d'hommes de mains, les minutemen, protégeant de puissants hommes d'affaires qui dirigent le pays. Mais que tout cela est bien entendu soigneusement occulté. Et que Graves devenu incontrôlable, est comme le ver dans le fruit ... 100 bullets est une série d'une richesse totale : narrative d'abord, car Azzarello a construit un édifice extrêmement élaboré, un jeu de piste ébouriffant et subtil, dont la solution se dévoile par petites touches. Et richesse graphique, ensuite, car Risso compose des planches d'un dynamisme absolu, et campe une multitude de personnages avec une justesse constante, et une maîtrise des ombres inégalée. Les expressions des visages de ses personnages sont particulièrement réussies.Quant aux couvertures, toutes signés Dave Johnson, elles ne sont pas loin, pour certaines, du chef d'oeuvre. Dernier signe extérieur de richesse : chaque volume – ou presque – est introduit par des scénaristes ou romanciers de renom qui ne cachent pas leur admiration pour 100 bullets...


En ce qui concerne Scalped, je le découvre à l'occasion de cette arrivée chez Urban Comics. Quel choc ! L'histoire est celle de Dashiell « Bad Horse », un indien Lakota, qui revient sur ses terres ancestrales quinze ans après en avoir été chassé par sa propre mère, qui voulait à tout prix lui éviter la misère et le désespoir. Mais Dashiell ne revient pas comme le fils perdu que sa famille attend.
Non, son retour à Prairie Rose, il le fait comme agent du FBI, chargé d'infiltrer la police tribale du chef Red Crow... Et si « Bad Horse » est choisi par ses supérieurs pour cette mission, c'est par ce que  «  C'est un sociopathe borderline guidé par une colère profonde et un désir de mort inconscient. C'est un volcan de violence pouvant à tout moment entrer en éruption. Un danger pour quiconque l'entoure. En d'autres termes... il est parfait ».
L'activité de Red Crow, dépasse celle du simple maintien de l'ordre sur la réserve. Ce puissant et respecté chef indien règne en effet en maître sur la drogue et l'alcool qui circulent sur son territoire, et il est au cœur d'un projet de casino, dont il sera bien entendu, le propriétaire. Comment va se comporter Dashiell face à cet homme, et surtout, face à son passé, qui lui revient à la figure ? Comment va-t-il parler avec cette mère, qui fut une militante ardente de la cause indienne ? De quel côté va-t-il faire pencher la balance ? Bien ou Mal ? Blanc ou Indien ? Ce ne sont que quelques-unes des questions que se pose ce personnage franchement hors norme créée par Jason Aaron. L'Amérique qu'il dépeint n'est pas celle dont on entend parler le plus souvent, et le plus fort de ce récit est certainement justement d'avoir réussi à mettre en place un récit très noir sur des codes que tout le monde par contre connaît, ceux du western. Le dessinateur, R.M. Guéra, qui vit en Espagne, restitue parfaitement cette ambiance sombre, avec un talent encore plus grand dans les scènes nocturnes. On sort de la lecture de Scalped comme envoûté, pris par les esprits, peut-être...
Ne ratez vraiment pas cette nouvelle édition, pour laquelle Guéra a dessinée deux couvertures inédites.

100 bullets
Tome 1 – Première salve – 176 pages – 17,50 €
Tome 2 – Le Marchand de glaces – 176 pages – 17,50 €
(tome 15 – Le Sens de la chute – 192 pages – 17 €
et tome  16 - Le Grand nettoyage - 128 pages - 14 €)


Scalped
Tome 1 – Pays Indien – 128 pages – 14 €
Tome 2 – Casino Boogie – 128 pages – 13 €
(et tome 5 – La Vallée de la solitude – 13 €)

lundi 9 juillet 2012

[Chronique] - Seuls 7 : Les Terres Basses

Toujours prisonniers de Fortville, Dodji, Leila et leur petite troupe cherche à fuir le centre de la dangereuse «zone rouge », mais aussi à échapper à la bande de Saul, qui continue à les harceler. Dans leur fuite, leur bus tombe sur une muraille infranchissable, barrant définitivement la route. Une barrière terrestre qui n'était pas là quelques heures auparavant... Tous comprennent alors que la zone rouge est en train de s'enfoncer et qu'il va leur falloir escalader très vite ce mur impressionnant, pour ne pas tomber dans les mains de la foule d'enfants inexplicablement zombifiés de la zone... Evidemment Saul et ses fidèles sont eux aussi prisonniers et il va falloir que tous s'unissent pour s'extirper des Terres Basses, qui continuent de s'enfoncer...

Bon. Vous ne saisissez pas tout malgré cette limpide mise en bouche ? C'est que vous n'avez pas lu les épisodes précédents, en particulier « La Quatrième dimension et demie » dont ce 7ème tome de « Seuls » est la suite directe. Je vous invite donc à tout reprendre depuis le début, car cette série extrêmement originale réussit à maintenir un suspense de haut niveau. Si vous avez lu les 6 tomes précédents, sachez que celui-ci franchit un pas supplémentaire dans le genre fantastique et vire presque au récit de terreur. On peut même s'amuser au petit jeu des références cinématographiques, la couverture elle-même ayant un petit côté « La Nuit des morts vivants » avec ses mains cherchant à attirer à elles le héros terrorisé. Et au fil des pages, le « Fog » de John Carpenter n'est pas très loin.
Tout cela s'inscrit en fait dans la ligne de la série de Fabien Vehlmann et Bruno Gazotti, qui d'une intrigue « policière » au départ - pourquoi les enfants sont-ils seuls ? Quelle est la raison de la désertion de la ville par les adultes ? – ont dirigé leur oeuvre vers d'autres rives au regard des révélations de la fin du premier cycle. « Seuls » ne perd par ailleurs pas ce qui fait aussi sa grande qualité : les relations entre enfants, leurs réactions fasse aux dangers, à l'inconnu, la solidarité et l'imagination dont ils doivent faire preuve dans un monde sans adulte.
Bref, un excellent thriller fantastique dont vous pouvez voir la bande annonce sur le site de la série. Et pendant que j'y suis, pour le blog de Vehlmann, c'est par là.

Seuls, tome 7 – Les Terres Basses
Scénario Fabien Velhmann et dessin Bruno Gazzotti.
Dupuis, 2012 – 56 pages couleurs – 10,60 €

dimanche 17 juin 2012

[Chronique] - 7 détectives : sept enquêteurs défiés par un mystérieux assassin

Ils ne se sont jamais rencontrés, mais ils ont une raison de vivre commune : celle de résoudre les affaires criminelles les plus mystérieuses. Et les voici tous réunis, à Londres, dans le salon de l'un d'entre eux, Ernest Patisson, détective Suisse installé là depuis peu. Autour de lui, Adélaïde Crumble, institutrice retraitée ; Frédérick Abstraight, ex-inspecteur du Yard, qui a traqué en vain « l'égorgeur de Greenhill » ; Martin Bec, de la PJ française ; Richard Monroe, détective privé de Los Angeles ; le docteur Eaton « aide de camp » du plus grand détective du monde, Nathan Else, qui est bien évidemment présent à cette réunion hors du commun. Aucun des ces fins limiers ne se doute de la raison de leur convocation chez Patisson, qui l'ignore lui-même... L'inspecteur MacGill, une fois les présentations faites, les met vite au parfum : un tueur en série a laissé auprès de trois scènes de crimes la liste de leur nom à tous, accompagnée d'un chiffre 7... C'est clairement un défi lancé aux détectives par un assassin pour l'instant insaisissable....

Et bien voilà un volume des plus ludiques et des plus plaisants de la série 7 ! Les auteurs ont visiblement pris un malin plaisir à fabriquer une histoire qui rend hommage aux enquêtes de l'âge d'or du roman policier, à commencer par celles du grand Conan Doyle. Il y a une ambiance follement holmesienne – si je puis me permettre – dans cet album. Déjà, les personnages de Nathan Else et du docteur Eaton sont d'évidentes démarques de Holmes et Watson.  Ensuite, l'intrigue se déroule à Londres, et on y croise le chemin d'un étrangleur. Et surtout, elle est construite avec moult rebondissements spectaculaires, fausses pistes, chausse-trappes et autres pièges à rois et reine de la déduction. Graphiquement, c'est une grande réussite, et les 7 premières planches sont un régal : chacun des 7 se présente lui-même à l'assemblée, et Éric Canete  (ici son blog) dessine les enquêteurs sur une pleine page, en une seule case, où ils sont représentés de plein-pied. Impressionnant et superbe ! Immédiatement, la forte -personnalité de chacun est posée et l'envie prend aussitôt le lecteur de les suivre dans le défi qui leur est très vite proposé. Et le lecteur ne sera pas déçu, car le scénario d'Herik Hanna garde des surprises jusqu'au bout, et réussit à injecter une touche d'humour, assez british, qui cadre bien avec l'ambiance qui règne dans les pages.
Franchement, ce « 7 détectives » est un vrai régal pour l'esprit et pour les yeux.


7 Détectives
Scénario Herik Hanna et dessin Éric Canete
Delcourt, 2012 – 64 pages couleur
 - Collection Conquistador – 14,95 €

vendredi 15 juin 2012

[Chronique] - Tramp 10 - Le Cargo maudit


Yann Calec a suffisamment bourlingué, et avec l'or récolté lors de son dernier périple maritime au Tonkin, il peut s'offrir son cargo. Voici donc notre homme sur les quais de Rouen, prêt à repartir à bord du Pierrick, son liberty-ship autrefois baptisé Marlen Tramp. Mais il faut tout de même redonner un petit coup de neuf au navire, car l'incendie dont il a été victime a laissé des traces, et pas mal de réparations à faire. Et voici que lors de la première visite à bord avec son nouvel équipage – recruté avec un peu de difficulté – Calec découvre le cadavre d'un gardien du port, à moitié dévoré par les rats. Une enquête de police est ouverte, et elle n'arrange évidemment pas le capitaine du Pierrick. Et une fois que tout est réglé, les dockers se mettent en grève et emppêhcent l'accès au cargo, juste au moment de partir. Yann Calec se persuade assez vite que des ennemis agissent dans l'ombre...

Les aventures narrées par Kraehn et Jusseaume fonctionnent par cycles (trois jusqu'à cette aventure) et ce dixième tome en forme un à lui tout seul. Si vous n'avez jamais ouvert un album de cette série, voici un bon moyen de faire connaissance de Yann Calec, marin décidé et courageux, un brin ironique, et de son univers. « Le cargo maudit » ne vous emmènera pas sur les mers lointaines, puisque l'intrigue se passe presque exclusivement dans le port de Rouen. Mais il vogue en eaux troubles et il règne dans ce tome une atmosphère où la couleur noire est plus franche que dans les autres cycles, peut-être. Le scénario de Kraehn tient du reste en haleine assez longtemps sur l'identité et les motivations de la personne qui en veut au héros, ce qui fait que tout cela – ambiance et intrigue à suspense - donne un excellent polar maritime, comme il y en a assez peu, en fait... Et Jusseaume brosse une galerie de personnages toujours aussi authentiques, comme à son habitude. Alors, pas d'hésitation, tous à bord ! Même si ça tangue.


Tramp, tome 10 – Le Cargo maudit
Scénario Jean-Charles Kraehn et dessin Patrick Jusseaume
Dargaud, 2012 – 56 p. couleurs – 13,99 €


mercredi 30 mai 2012

[Hurrah !] - "Grandville mon amour" premier prix SNCF Polar BD !

Bryan Talbot avec Claire Deslandes, des éditions Milady

 And the winner is... Bryan Talbot ! Yes !

C'est donc de l'autre côté de la Manche que va partir le trophée récompensant le premier prix SNCF polar BD. Rappelons que pour cette arrivée de la BD dans le célèbre Prix Polar SNCF, cinq albums étaient en compétition et que le public a choisi la BD la plus spectaculaire de la sélection, la plus divertissante certainement également, mais peut-être pas celle qu'on attendait. A moins que Grandville mon amour n'ait bénéficié d'un certain « effet Blacksad » ? 
Pour les étourdis, je rappelle que cet album fait partie de la grande famille des BD animalières, mais qu'elle recouvre plus d'un genre, comme j'avais pu vous le dire dans mes précédentes chroniques. C'est une formidable série – ce tome est le deuxième, mais peut se lire indépendamment du premier – dans un univers uchronique et steampunk, au sein duquel Bryan Talbot fait mener à des inspecteurs de choc des enquêtes de facture classique mais au dynamisme explosif. Car si on vante, à raison, la qualité du dessin de Guarnido dans Blacksad, il est peut-être temps de se rendre compte de l'immense  talent de Talbot dans cette catégorie si particulière qu'est la BD anthropomorphique. Ceux qui connaissaient son oeuvre antérieure ne seront pas surpris par ces propos. Mais ceux qui ont découvert cet auteur avec cette série, comme c'est le cas je pense pour une grande majorité des lecteurs-votants de ce prix, le choc visuel, et narratif, a dû être grand ! 

Bryan Talbot était présent hier à Paris et il était très sincèrement ému et heureux de recevoir ce prix. En discutant un peu avec lui, j'ai appris qu'il venait de juste de terminer le troisième Grandville, qui s'appellera « Bête Noire », et sera vraisemblablement traduit pour Milady. Espérons-le, car c'était tout de même un pari pour ce label – qui n'est autre que la branche graphique des éditions Bragelonne – et souhaitons aussi que ce prix soit bénéfique au premier volume, tout aussi bon que ce tome (je l'avais d'ailleurs placé en tête de mes chouchous de l'année 2010). Saluons aussi en passant le traducteur, Philippe Touboul, qui n'est autre que l'un des deux larrons responsables de la librairie Arkham, à Paris, spécialisée dans les comics. (Si vous ne connaissez pas les lascars, je vous conseille leurs présentations vidéo des dernières nouveautés reçues en magasin, du sérieux dans la déconnade. Et allez donc faire un tour, rue Broca, c'est vraiment une chouette boutique. Fin de la  parenthèse promo.)

Enfin, comme c'était un prix de lecteurs, sachez que l'édition 2013 est d'ores et déjà en route, et que, bientôt, vous pourrez vous aussi participer au vote. Je vous en donnerai toutes les modalités dès qu'elles seront connues. En attendant, bienvenue dans l'univers fantasque, déjanté, extraordinaire, drôle, intelligent de Bryan Talbot. Bienvenue à Grandville !