dimanche 22 février 2015

[Vie à la campagne] - Gros Bois, de Jérémy Le Corvaisier (Les Enfants Rouges)

- Moi, je préfèrerais me mettre direct une balle dans la tête. Blam !
- Nan. J'aurais trop peur de me louper. Je me jetterais plutôt sous le train. C'est plus sûr.
- Ouais. Mais il n'y a pas de train dans la région...
- Y'a que dalle dans cette région de toute façon...

A Gros Bois, la jeunesse locale s'emmerde ferme. Et ce n'est pas l'événement annuel, la fête du jambon, qui va faire tourner les têtes. La bourgade, vue de loin, ressemble à n'importe quelle autre, avec son épicier, sa coiffeuse, son maire, ses cultivateurs, ses policiers municipaux... Des gens normaux. Ou presque. L'épicier est un grand sensible, adepte du tour à bois à ses heures perdues. La coiffeuse - et ses employées - se font shampouineuses topless dans un club privé. Le maire aime à déféquer en plein champ. Les cultivateurs sont des skinheads férus de mode, et spécialisés dans le pavot. Quant au chef de la police,il préfère s'occuper de ses petits trafics que d'enquêter sur ces morts suspectes qui viennent lui gâcher la vie. Car il se passe tout de même quelque chose dans la contrée : un jeune homme vient d'être retrouvé au fond d'un ravin de la forêt de Gros Bois. Le troisième depuis le début de l'année. De quoi perturber la faune locale ? Faut voir...

Etrange ambiance que celle qui règne dans cet album de Jérémy Le Corvaisier, et une fois le livre fermé, on se dit presque qu'on vient de suivre un épisode inédit de Twin Peaks. La mise en page, et certains choix de cadrage de l'auteur sont aussi audacieux qu'ont pu l'être ceux de Lynch dans sa série. Mais une autre référence frappe aussi, d'entrée, c'est la couverture, hommage direct aux "crimes comics" de l'âge d'or, où les fictions se voulaient tirées de faits réels, d'histoires vraies. 
Et, à y regarder de près, Gros Bois c'est cela : le récit d'un fait divers. Mais avec une narration complètement originale, puisque ce qui pourrait servir de fil conducteur à une enquête traditionnelle - et donc d'accroche au lecteur - les trois morts du ravin évoqués dès le début, sont rapidement, et presque complètement, évacués. C'est donc autrement que par la résolution d'un mystère que le récit captive : en fait, le récit est mystérieux en lui-même, par ses conversations bizarroïdes (ma préférée allant à cette discussion entre les trois virils cueilleurs de fleurs hallucinogène sur les avantages et inconvénients des vêtements en lin), par ses tranches de vie villageoises aux portes de la folie. Et bien entendu, par le dessin de Jérémy Le Corvaisier, précis, inventif, et suggestif, comme par exemple, cette vue aérienne et schématisée du village : est-ce un plan géographique ou une vue microscopique de cellules et vaisseaux sanguins ? Ajoutez à tout cela une étonnante palette de couleurs (ah, ces chevelures pétaradantes !) qui ne tombe jamais dans le mauvais goût mais s'en approche parfois avec délice. Bref, un album de la même famille que le "Oceania boulevard" de Mario Galli : tout en inquiétude. Mais avec sérénité.


Gros bois ***
Scénario et dessin Jérémy Le Corvaisier
Les Enfants Rouges, 2014 - 100 pages couleur - 20,50 €

dimanche 15 février 2015

[Rétro-futurisme] - Adam Clarks, d'Antonio Lapone (Treize Etrange)

Nous sommes, voyons, dans un futur proche, où l'empire soviétique existe toujours, et la guerre froide n'a jamais été aussi brûlante. Le sémillant Adam Clarks est une des personnalités en vue de cette époque, où il exerce avec brio ses talents de chroniqueur mondain dans les colonnes de "Puppet", le magazine féminin le plus prisé du marché. Mais Clark est aussi un être secret, qui cache d'autres talents, derrière son look de séducteur chevaleresque au costard impeccable et à la mine affable. Le voici justement à une réception donnée dans un hôtel de luxe de Majestic City, où tout le gratin de la ville se presse pour admirer le "Long Star", un des plus gros rubis du monde, dont la vente imminente est destinée à combler le déficit d'un grand musée... Adam Clarks va troquer le costume du journaliste pour celui du monte-en-l'air et tenter de s'emparer du fabuleux bijou. Un jeu d'enfant, à moins que l'ingénue et sexy Irina ne soit pas que la ravissante idiote destinée à lui servir d'alibi...

Surprenante aventure que celle d'Adam Clarks : c'est un peu James Bond meets Arsène Lupin, sur fond d'uchronie. Un cocktail risqué, mais réussi, par les deux auteurs, Régis Hautière, et Antonio Lapone. Le scénario, malin, du premier, mêle deux types de récits bien connus des amateurs du genre : le casse, minutieusement organisé et exécuté, et l'espionnage, avec tous ses codes, personnages attendus et coup-fourrés. Sur cette base, Lapone dessine décors et personnages comme il l'a toujours fait, avec ce trait caractéristique de la ligne claire, et même plus précisément celui du "style atome" (une "école" où on retrouve Swarte, Chaland, Clerc, Ever Meulen, Daniel Torrès...). Une appartenance assumée, puisqu'en clin d'oeil, Lapone glisse une (fausse) pub pour les "Atom style cigarettes "dès le début de l'album. L'élégance dans la torgnole et la classe dans l'adversité : voilà ce qui se dégage de cet "Adam Clarks", aux couleurs et ambiances nocturnes superbes. Le grand format, lui aussi inhabituel de cette bande dessinée achève d'en faire plus qu'une curiosité, mais une vraie et bonne surprise



Adam Clarks ***
Scénario Régis Hautière et dessin Antonio Lapone
Treize Etrange, 2014 - 64 pages couleur - 22 €
 

lundi 2 février 2015

[Bingo !] - Le Fauve Polar SNCF 2015 à "Petites Coupures à Shioguni " de Florent Chavouet (Picquier)

 
 Dans la catégorie, "Je ne m'y attendais pas", Florent Chavouet a décroché le gros lot : le quatrième Fauve Polar SNCF, c'est pour lui... et c'est mérité ! "Petites coupures à Shioguni" son histoire de yakuzas qui viennent réclamer l'argent emprunté par un jeune homme pour monter un restaurant... et qui vont un peu se faire trimballer, comme le lecteur, vaut largement le détour. Par Shioguni, donc, ville fictive japonaise, mais trois étoiles au Michelin, sans problème ! Mais c'est d'emblée par son aspect visuel que cet album attire : une construction narrative par indices, distillés sous différentes formes graphiques (collages, carnet de notes, plan, planches sans les traditionnelles cases et bulles...).
 Une belle récompense qui devrait donner un coup de fouet à la carrière d'un jeune auteur, jusque-là auteur de deux carnets de voyage, toujours chez Picquier. Ma chronique de cet album à venir très vite ! En attendant : Champagne !

Petites coupures à Shioguni
Textes et dessins Florent Chavouet 
Philippe Picquier, 2014 -  184 pages couleurs - 21,50 €