lundi 25 septembre 2023

[Justice pour tous] - La truie, le juge et l’avocat de Laurent Galandon et Damien Vidal (Delcourt)

Mouches, sauterelles, rats ou hannetons excommuniés par la l’Église, cochons et vaches condamnés à griller sur le bûcher : on n’y allait pas par quatre chemins au Moyen-Age quand il s’agissait de rendre une justice équitable… Accusées de crimes et délits dont on se demande bien comment elles en avaient conscience, les pauvres bêtes n’avaient guère de chance d’en réchapper, faute d’avocat pour les défendre. Galandon et Vidal viennent un peu à leur rescousse dans un album drôle et émouvant.


La couverture donne tout de suite le ton et elle ne fait pas qu’illustrer par l’image le titre intriguant de cet album hors du commun. Non, elle donne immédiatement des indications sur les trois personnalités qui vont se retrouver au coeur de cette histoire : un juge hargneux, un avocat vaillant et déterminé… et un cochon se demandant un peu ce qu’il fout là. Si en cette gracieuse année 2023, l’idée de voir un animal comparaître à la barre pour répondre de ses crimes nous paraît bien étrange, voire saugrenue, il n’en était rien au temps des Mousquetaires, et c’est ainsi qu’on peut lire, dans le Traité des peines et amendes sous la plume de Jean Duret, avocat du roi,  : « Si les bestes ne blessent pas seulement, mais tuent ou mangent, la mort y eschet, et les condamne-t-on, à estre pendues et estranglées pour faire perdre mémoire de l'énormité du faict »

Diantre ! Et quel fait énorme a donc commis la truie de Galandon et Vidal ? Ecoutons le juge à l’aube du procès qui attend la bête :

« La Truie est accusée de trouble à l’ordre public… et de meurtre ! En effet, à ce jour , la Truie a menacé un cavalier et sa monture. Par son attitude agressive, elle a provoqué un accident, ayant entraîné la mort dudit cavalier…. Monsieur le Procureur représentera les intérêts de la communauté, de la Justice, et donc de la famille du défunt. Monsieur le Plaideur assurera la défense de la Truie ».

Un plaideur qui avoue sans détour au malheureux – et pauvre – propriétaire de l’animal, qu’il va surtout tenter de lui éviter le bûcher (et qui se réserve le jarret de la viande ainsi sauvée des flammes….).

L’affaire est donc mal engagée pour l’accusée, mais c’est sans compter sans l’intervention inattendue d’un avocat surgi de nulle part et qui va déployer son immense talent pour innocenter sa cliente. Et tout le talent de Laurent Galandon est ici dans ce scénario : avoir inventé ce personnage d’avocat doué d’une compréhension du langage animalier – voici pour le coté surnaturel de l’histoire – et fait des corbeaux, rats et autres animaux méprisés ses précieux alliés. Au fil des pages, et de ses interventions au tribunal, le brillant causeur fait perdre leur certitude aux différents témoins de la scène fatale au cavalier et retourne la foule qui assiste au procès.

Evidemment, il a dû faire preuve de ruse et employer des méthodes peu orthodoxes pour mettre le Plaideur prévu initialement pour la « défense » hors course, et on ne sait pas trop d’où vient ce titre qu’il produit le jour où il surgit de manière inattendue devant le tribunal, à la grande surprise du juge :

« Nous parlons de défendre une bête. Vous n’avez visiblement pas peur du ridicule,

- Le ridicule est une notion subjective, monsieur le Juge... »

Au suspense sur l’issue finale d’un procès à rebondissements (car il y en a !) s’ajoute également celui du passé de l’avocat qui risque à tout moment d’être découvert…

Cet album est un régal d’esprit et de finesse, cette dernière se retrouvant aussi dans le trait et les couleurs, souvent douces, de Vidal. On doit au duo deux autres albums parus chez Dargaud Lip, des héros ordinaires (2014) et le Contrepied de Foé (2016) sur d’autres sujets, à d’autres époques, mais qui traduisent tout autant cette volonté des auteurs de prendre fait et cause pour celles et ceux que la vie malmène. La Truie, le Juge et l’Avocat est une pierre de plus à cet édifice.


La truie, le juge et l’avocat ****

Scénario Laurent Galandon et dessin et couleurs Damien Vidal

Delcourt – 112 pages couleurs – 14,50 € - Sortie le 19 avril 2023

[Chronique parue dans la Tête en Noir n°224 - Août 2023]

 

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