dimanche 31 janvier 2010

3 fois rien (2009)

Matthew travaille dans un petit aéroport à Boulder City, Nevada, une place tranquille pour ce jeune homme qui vivait auparavant de petites combines souvent foireuses menées avec son pote Seth et sa petite amie Liza. Leur dernier coup a d'ailleurs envoyé Seth en prison pour un an. A son retour, celui-ci compte mettre à profit de nouveaux réseaux découverts derrière les barreaux, et il revient avec un plan en béton proposé par deux flics plus que véreux. L'affaire est simple : il s'agit de mettre la main sur une mallette de diamants convoyée par un avocat aux abois, totalement à la merci des deux flics ripoux, qui le font chanter. Matthew, après quelques réticences, cède finalement à la pression de Liza, qui voit en ce coup le moyen d'enfin se mettre définitivement à l'abri. La sarabande qui va se mettre en branle autour des diamants va bien entendu en laisser plus d'un sur le carreau...

Cette course aux pierres précieuses est assez jubilatoire et Féjard a eu le bon goût d'y injecter tous les ingrédients attendus pour passer un bon moment avec son histoire : brutes épaisses, vrais et faux naïfs, garce patentée, police gangrénée... le tout dans une Amérique dépaysante. Bien sûr on n'est jamais loin de la caricature, mais le tout est si bien rythmé qu'on tourne les pages sans trop se poser de questions, si ce n'est celle-ci : mais comment tout cela va-t-il finir ? Le format « comics » des albums KSTR convient lui aussi tout à fait à ce genre d'histoire, tout comme le style de Jurdic, qui oscille entre réalisme et école franco-belge.

Trois fois rien
Scénario Frédéric Féjard et dessin Benjamin Jurdic
KSTR, 2009. - 148 p. coul. - 16 €

Silien Melville 1 - Opération Arpège (2009)

Pompiste taciturne dans une banlieue proche du périphérique parisien, Silien Melville voit sa vie de paumé quitter ses rails lorsqu'un vieil ami, qu'il ne reconnaît qu'après son départ, lui remet un morceau de papier sans autre explication qu'un « Adieu Silien ! Lis-bien... et... Bonne chance ! ». Dérouté, Silien finit tout de même par retrouver dans sa mémoire l'identité de son étrange client : il s'agit d'un ancien compagnon de légion... Cette soudain apparition pousse Silien à se plier à la lettre aux instructions du mystérieux papier, décision judicieuse, car il se retrouve très vite avec une meute de personnages peu recommandables à ses trousses. Pourquoi ? Le pompiste anonyme Silien Melville préfèrerait ne pas le savoir.

Voici une nouvelle série qui démarre fort bien, installant d'emblée un double suspense : Silien va-t-il échapper à ses poursuivant, et surtout, vers quoi fuit-il, quel est cet objectif qu'il semble déterminé à atteindre ? A côté de cette lente montée du suspense, le récit de Djian s'inscrit dans un contexte social peu mis en valeur dans des albums de ce genre : Melville est un homme à la situation précaire, gagnant mal sa vie, et ayant apparemment fait une croix sur sa vie personnelle. Les hommes politiques du moment sont plus que libéraux, ce qui ne surprend guère, et ne semblent là que pour continuer à enfoncer les plus faibles : c'est ce qui transparaît de deux planches très réussies où un journaliste « interroge » le ministre des Finances pour l'émission « Demain la France ». Scène qui n'est bien entendu pas au coeur de ce premier tome, mais qui place cette série au delà du thriller de base. Le dessin très précis dans les décors, juste dans les expressions des personnages de Cyrille Ternon fait le reste, et vous voilà avec entre les mains une des belles surprises de cette fin d'année.

Silien Melville, tome 1 - Opération Arpège
Scénario Jean-Blaise Djian et dessin Cyrille Ternon
Vents d'Ouest, 2009 – 48 p. coul. - Collection Turbulences - 9,40 €

Le Testament du Docteur M 2 - Les Trois lumières (2009)

La fougueuse inspectrice Lotte S. Habou est sur les dents : de mystérieux meurtres liés à un mythique morceau de pellicule d'un film de Fritz Lang – lien que la flic de choc ignore encore – défraient la chronique. Et alors que François, le collègue de Lotte a disparu, un autre cadavre est découvert, sérieusement arrangé. Un « M » sanglant a été tracé au mur, signature encore obscure pour l'inspectrice, qui nage toujours autant dans son enquête. Une visite à l'hôpital des Bleuets, d'où tout est parti, ne donne rien, si ce n'est qu'Habou manque de s'y faire égorger par un malade... et remarque qu'un des membres du personnel soignant a une araignée tatouée sur l'avant-bras. Ce tatouage qu'elle a déjà rencontré plusieurs fois dans son enquête, un flic corse en retraite va lui en dire plus. Dans le même temps, Thomas M., le tueur qui agit dans un état second, a retrouvé la trace d'un certain Solokine, peut-être possesseur de la fameuse introduction du film de Lang...

Il existerait une l'introduction du « M le Maudit » de Fritz Lang, montré une seule fois au public en 1922 à Berlin, et coupée ensuite par Lang...Détruite ou perdue ensuite cette partie de la pellicule est devenue légendaire. La trilogie de Pécau et Damour prend pour point de départ cet épisode mystérieux de l'histoire du cinéma, et s'étend, dans ce deuxième acte, à la littérature fantastique, du côté de Stevenson, Bram Stocker et Arthur Machen... Pécau ouvre une autre voie et complexifie un scénario pour mieux perdre son lecteur dans les méandres de la machination ourdie par on ne sait pour l'instant qui. Ses personnages sont pris par des forces qui les dépassent, et seule l'inspectrice Habou semble tenir le choc... et encore ! Ce « Testament » est un véritable hommage à un certain art de susciter la terreur dans le 9ème art et la littérature, qui joue sur le Mal en temps qu'être incarné. Il faut noter des dialogues assez drôles en contrepoint du tragique de l'histoire. Percutants, ils sont la plupart du temps dans la bouche de Lotte, véritable reine du punching-ball verbal et de la réplique qui tue, du genre : « Z'avez une idée où se trouve votre cerveau ? Prenez votre temps pour répondre... Vous pouvez faire des signes ou gratter dans la terre mais merde... Faites quelque chose ! ». Décapant.

Le Testament du docteur M, tome 2 - Les Trois lumières
Scénario de Jean-Pierre Pécau et dessin de Damour.
Delcourt, 2009 – 56 p. coul. - Collection « Série B » - 12,90 €

jeudi 28 janvier 2010

Topless (2009)

Pianiste dans un bar à streap-tease, Martin est beaucoup plus fasciné par les volutes musicales et tabagiques qui s'échappent de son piano et de son corps que par le spectacle des filles sublimes qui se déhanchent à en faire tomber leurs derniers atours, là, presque sous son nez. « Je fais pas ça pour reluquer les filles, y'en a qui comprennent pas ça. Je suis pas là pour me rincer l'oeil ». Profession de foi qui l'honore, mais qu'il a du mal à tenir lorsque paraît la divine Jeanne, qui « perturberait même Thélonious Monk ». Alors, quand la Jeanne lui propose de tout lâcher et de fuir à bord de la DS du patron de la boîte, Martin n'hésite pas trop longtemps. Mais ce n'est pas vraiment le romantisme qui attend les tourtereaux à la sortie du virage...

Arnaud Le Gouëfflec est, entre autres, auteur de polars, musicien fondateur d'un Orchestre Préhistorique, et donc, scénariste : à l'instar d'un Olivier Mau, il fait partie de ces écrivains qui se penchent volontiers vers la BD et lui apportent un souffle nouveau. Il n'est guère étonnant de le voir oeuvrer ici avec Olivier Balez, déjà associé à une travailleuse du noir, Pascale Fonteneau (l'excellent Angle mort chez KSTR). Un artiste qui, comme lui, sait varier les plaisirs, et qui comme dessinateur sait retranscrire sur sa planche la musique composée par son scénariste, en y appliquant sa patte. Ce sont, par exemple, tout au long de cet album, ces volutes qui rythment l'action et expriment l'humeur du pianiste. Topless est un une sorte de road-book tout à fait fascinant, où deux auteurs prouvent avec classe qu'il n'est pas toujours besoin de sortir l'artillerie lourde pour composer un récit haletant. L'objet-livre est du reste très élégant, et son format comics des plus agréables pour cette histoire. Ne passez pas à côté de ce petit album, c'est un grand moment de bonheur.

Scénario Arnaud Le Gouëfflec et dessin Olivier Balez
Glénat, 2009. - 72 p. couleur - Collection 1000 Feuilles – 13,99 €

mardi 12 janvier 2010

Jazz Maynard 3 - Envers et contre tout (2009)

Ce volume vient clore la formidable trilogie Barcelonaise de Raule et Roger. Dans ce final en apothéose, le personnage principal, homme-clé de l'édifice, est le maire de Barcelone, et la manière dont il a intrigué pour arriver à ses fins. Rien ne manque à la panoplie de ce parfait salaud : asservissement de mineures, pots de vin, assassinat, alliance avec la mafia de Hong-Kong... Mais il a dressé trop de monde les uns contre les autres et tout va finir par lui échapper... On retrouve dans ce tome tout ce qui avait fait la force des deux précédents : un scénario impeccable, des personnages forts et un dessin hyper nerveux et spectaculaire, avec un usage du cadrage de la part Roger souvent audacieux. Rarement on aura eu autant l'impression de se trouver au coeur de l'action à la lecture d'une bande dessinée de ce genre, c'est le tour de force de cette série qui aura tenu toutes ses promesses.

Jazz Maynard, tome 3 - Envers et contre tout
Scénario Raule et dessin Roger
Dargaud, 2009 - 48 p. couleur - 13€50

Le Jardin des glaces (2008)

Francart est un vieux jardinier paisible, amoureux fou de ses plantes, ses fleurs et des habitants de son paradis de verdure. Sa femme le couve d'un oeil attendri et fier : cet homme au crépuscule de sa vie fut un explorateur des pôles émérite et renommé, qu'une dernière expédition tragique a brisé. Son jardin l'aide à oublier ce passé, mais une jeune étudiante va venir le ranimer...

Dans ce jardin sublime, aux saisons magnifiquement rendues – notamment grâce aux couleurs de RaivesServais raconte une histoire douce et tragique à la fois, en opposant une atmosphère tranquille, apaisée, et une tension montante liée à un secret qui finira par être découvert. Il réussit aussi à inscrire son récit dans cette défense de l'environnement, cet amour sincère de la nature qui caractérise son oeuvre, et à rappeler les dangers du réchauffement climatique de la manière la plus naturelle qui soit. Mais pas de méprise : cet album n'est ni un tract des Verts, ni une gentille fable écolo, c'est une vraie BD noire, en marge des canons du genre, et présentée dans un magnifique écrin. S'il en reste chez votre revendeur préféré, demandez-lui l'édition spéciale « 20 ans d'Aire Libre », elle comporte 16 pages de dessins inédits, de véritables croquis du naturaliste éclairé.

Le Jardin des glaces
Scénario et dessin Servais
Dupuis, 2008 - Collection Aire Libre - 64 p. couleur - 18 €


dimanche 10 janvier 2010

Les Héroïnes du peuple sont immortelles - Les Panthères (2008)

L'annonce pleine page parue dans le Journal de Tintin n°12 du 23 mars 1971 n'y va pas par quatre chemins : « Il y avait les trois mousquetaires... il y a désormais les 3 panthères. Pattes de velours ou griffes sorties, elles entament la conquête de la jungle d'asphalte. Dans le prochain numéro, un épisode qui deviendra historique : le pacte ». Bon, l'histoire de la BD n'a pas peut-être pas vraiment retenu la carrière des Panthères, mais cette réédition des trois albums, parus dans Tintin de février 1971 à octobre1973, vient rappeler qu'avant les « Drôles de dames », il y eut un autre trio de choc formé, formé de trois jeunes femmes, belles... et intelligentes. Après s'être rencontrées à Paris de manière fortuite, et avoir subi quelques déboires, elles décident de s'unir face à l'adversité, et vont vivre les aventures les plus échevelées, mêlant suspense et humour. Les deux premiers albums (Le magicien qui n'existait pas et L'homme qui refusait la vie) sont constitués de récits de 8 planches qui sont autant de tranches de vie, au cours desquelles Chouka, Valentine et Françoise vont exercer leurs talents dans la brocante, et dans le cinéma. Le Bolide maudit - à la couverture digne des meilleurs Michel Vaillant – est une longue histoire, la plus « policière » des trois albums, puisqu'un casse est au coeur de l'intrigue. Près de 40 ans après leur parution initiale, ces aventures restent un vrai plaisir de lecture : les scénarios de Greg sont rythmés, subtils et ses dialogues fourmillent de bons mots. Le dessin d'Aidans, dynamique et très réaliste, est d'une grande lisibilité, et est sûrement pour beaucoup dans le succès de cette série à l'époque de sa publication dans le journal de Tintin. Elle s'est hélas interrompue assez vite, suite au départ de Greg pour les Etats-Unis, comme nous l'apprend Jacques Pessis dans le dossier clôturant cette réédition. Les choix éditoriaux du Lombard pour cette collection « Millésimes » sont précieux et permettent vraiment de (re)découvrir de véritables trésors de la bande dessinée franco-belge.

Les Panthères
Scénario Greg et dessin Edouard Aidans
Le Lombard, 2008 – Collection Millésimes – 152 pages couleur – 24 €

Seuls 3 - Le Clan du requin (2008)

Leïla et Dodji ont quitté la ville désertée par les adultes à bord d'un autobus. Pris en chasse par une meute de chiens, il doivent leur salut à une bande d'autres enfants, qui les guident in extremis jusqu'à un parc d'attraction maritime. C'est là qu'ils rencontrent Saul, chef du clan du requin, qui règne sur le parc, et qui organise des mariages entre enfants, par tirage au sort. C'est ainsi que Leïla se retrouve mariée à Anton, jeune précoce vite catalogué « débile » par Saul, et que le sort réserve un autre garçon pour Dodji... Ivan. En colère, Dodji veut quitter le parc, mais il est enfermé. La situation se tend soudain ...

Troisième épisode de la vie des enfants mystérieusement seuls depuis le début de la série. Le mystère sur la disparition des adultes reste entier, et dans ce troisième opus, les enfants reproduisent ce qu'ils connaissent du monde de leurs parents, ou tout du moins ce qu'ils en perçoivent. Et si les notions d'entraide et de solidarité sont toujours là, les moeurs imposées par le chef du clan suscitent le malaise chez certains, tout comme la transposition à leur monde de codes de la vie d' « avant » (les filles à la cuisine et les garçons au bricolage). Il n'est jamais trop tard pour ouvrir les yeux des jeunes lecteurs, ce que fait « Seuls » de manière intelligente. Tout en ménageant un suspense habile, qui devra tout de même veiller à ne pas s'éterniser. Ce n'est heureusement pas encore le cas, et cette série de Vehlmann et Gazzotti reste une des plus originales du moment pour un jeune public à qui on offre rarement des histoires sortant de la norme.

Seuls, tome 3 - Le Clan du requin
Scénario Fabien Vehlmann et dessin Bruno Gazzotti
Dupuis, 2008 - 48 p. couleur - 9,20 €

Pierre qui roule (2008)

A peine sorti de prison, John Dortmunder, plutôt que de se lancer dans la vente d'encyclopédies au porte à porte, préfère suivre son pote Andy Kelp, qui le branche sur un coup à priori sans trop de risque. Il s'agit tout simplement de voler une émeraude, exposée à New York, et appartenant à la tribu africaine Azinki, mais que convoite une autre tribu, les Talabwo. Leur commanditaire, le major Iko, fait partie de cette seconde tribu, et ils se mettent d'accord tous les trois sur les honoraires de la prestation. Dortmunder et Kelp recrutent alors un trio d'élite pour mener à bien leur petite affaire, mais très vite, la précieuse pierre va se révéler récalcitrante et avant les dollars, ce sont les ennuis qui vont s'accumuler.

Des malfrats doués mais pas vernis, des adversaires retors, des rebondissements farfelus : voici une aventure dortmunderesque type là encore parfaitement adaptée. Auteur du texte, pour lequel il a retenu des dialogues percutants et drôles, et du dessin, où les personnages ont tous la trogne de l'emploi, Lax est tout à fait à l'aise avec l'univers de Donald Westlake, et les péripéties de Pierre qui roule ne sont pas loin de rappeler celles de son Choucas, autre looser magnifique. Bonne pioche que ce duo Lax / Dortmunder, dont on espère sincèrement d'autres cambriolages de haut vol : cette adaptation correspond au premier roman mettant en scène le cambrioleur de Westlake, il n'y pas de raison de s'arrêter en si bon chemin.

Pierre qui roule
Scénario et dessin Lax, adapté du roman de Donald Westlake
Casterman, 2008 - 93 p. couleur - Collection Rivages/Casterman/Noir – 15,95 €

Jazz Maynard 2 - Mélodie d'El Raval

En 1933, Roosevelt fait frapper une pièce de vingt dollars en or, mais aucune des 500 000 fabriquées n'est jamais mise en circulation. Destinée à la destruction, dix d'entre elles sont volées, neuf rapidement récupérées par les services secrets. Et c'est le dernier exemplaire encore sur Terre que Jazz et Téo ont promis de voler pour Judas, leur ami d'enfance qui a pris un autre chemin qu'eux. Le vol s'annonce plus que périlleux mais Judas compte sur les talents hors du commun de Jazz pour la cambriole. Dans le même temps, Lucia, journaliste intègre, poursuit sa lutte contre la corruption municipale à Barcelone, secouée par des événements nocturnes.

Peut-être moins surprenant que le premier volume en terme scénaristique – il s'agit là d'une affaire de vol de haute précision – ce deuxième opus de la trilogie barcelonaise de Raule et Roger tient tout autant en haleine. Conservant le rythme endiablé du premier tome, cet épisode voit une foule de personnages se croiser, et revient aussi sur l'enfance tumultueuse de Jazz et de Téo ; les pages défilent de façon toute aussi plaisante que dans le tome initial. Raule confirme sa maîtrise des scènes d'action, dans lesquelles il excelle réellement. Le duo qu'il forme avec Roger est une vraie découverte.

Jazz Maynard, tome 2 - Mélodie d'El Raval
Scénario Raule et dessin Roger Ibanez
Dargaud, 2008 – 48 p. couleur – 13 €

Sherlock 1- Révélations (2008)

Le jeune Sherlock Matthews, en voyage en Egypte, est occupé à explorer le tombeau de Senned Jem, qu'il vient de localiser. Mais les joies de la découverte sont de courte durée : on apprend à Sherlock le suicide de sa mère. De retour au manoir familial, le jeune homme se fait expliquer les cironstances de la découverte du cadavre, et parvient vite à une évidence : il s'agit d'un meurtre. Avec l'aide de son frère Mycroft, il cherche la vérité et il lui faudra faire vite, car le meurtrier manque de peu de l'assassiner à son tour dans son sommeil...

Après de nombreux autres, Convard et Adam s'emparent du mythe holmesien et livrent un scénario tout à fait original sur Sherlock avant Holmes. Du caractère bien trempé du jeune homme à la manière dont il hérite de son célèbre couvre-chef, tous les indices et ingrédients conduisant au – futur – grand détective sont là. Cette genèse crédible, et tout à fait dans l'esprit insufflé par Conan Doyle à sa série, est dessinée par un amoureux des récits de mystère, Jean-Louis Le Hir, comme un poisson dans l'eau dans cette histoire. Ce Sherlock-là, c'est tout l'art de faire du neuf avec du vieux, ou encore de vérifier l'adage « C'est dans les vieux pots qu'on fabrique les meilleures confitures ». Et celle-ci est délicieuse.

Sherlock, tome 1 - Révélations
Scénario Didier Convard et Eric Adam, dessin Jean-Louis Le Hir
Glénat, 2008 - 48 p. couleur - Collection Grafica – 12,50 €

Après la nuit (2008)

Bartlesville, Oklahoma, 1876. Un cavalier arrive en ville, lesté des cadavres de deux hors-la-loi qu'il dépose sans ménagement aux portes du Sheriff Office. Puis, sans se préoccuper de la récompense, il va prendre une chambre à l'hôtel. Le Shériff Stanton ne goûte guère ce comportement, ni le fait que l'étranger n'ait pas déposé ses armes auprès de lui, comme le veut la coutume locale. Stanton se rend à l'hôtel pour rappeler l'inconnu à l'ordre, et la rencontre est à deux doigts de tourner au duel en plein saloon. Rosie, prostituée défigurée intervient à temps pour rappeler que les duels ont eux aussi leurs règles à Bartlesville. Les deux hommes ont rendez-vous le lendemain matin à 6 heures, et passent chacun une nuit un peu étrange...

Magnifique western ! Après la nuit sort des sentiers battus tout en respectant les codes du genre, et en réussissant le tour de force à détourner le classique duel de son attrait principal : le spectacle. Car pour Jédédiah Cooper, celui par qui le « trouble » arrive, ce duel tient avant tout de la quête intime, presque mystique, et non pas d'une volonté de gloire. La légende, il la laisse à ce shériff aux allures de Wild Bill Hickock, qui lui a tout fait pour que celle-ci perdure après sa mort. Meunier et Guérineau ont écrit une histoire superbe, profonde que le dessinateur met en cases avec grâce. Les silences de cet album sont tangibles, grâce à l'emploi de nombreuses cases et planches muettes. « Après la nuit » prend son temps et emmène ses lecteurs vers un Ouest sauvage comme ils n'ont vraiment pas souvent l'occasion de le découvrir.

Après la nuit
Scénario Henri Meunier et Richard Guérineau, dessin Richard Guérineau
Delcourt, 2008 – 64 p. couleur - 13,95 €

Les Enfants de Salamanca 1 - Sarah (2008)

Sarah et David ont quitté New-York pour venir s'installer non loin de Salamanca, en Pennsylvanie. Sarah fuit autant la ville qu'un terrible passé : violée et séquestrée par un pervers, elle est hantée par les souvenirs de cette enfance brisée. Le couple qu'elle forme avec David en subit les conséquences, et sa solidité est loin d'être à toute épreuve. Leur arrivée dans cette région un peu reculée peut être l'occasion de retrouver un peu de paix intérieure pour la jeune femme, mais l'accueil des autochtones, et une étrange atmosphère régnant aux alentours de leur nouvelle demeure sont loin d'apporter la sérénité à Sarah...

On savait Christophe Bec doué pour les intrigues angoissantes depuis Carthago, il confirme ses aptitudes à couper le souffle à ses lecteurs avec ce thriller impeccable. Dès les premières pages le suspense est installé, et la tension ne fera qu'aller grandissante. Les démons de Sarah font froid dans le dos et sa lutte intérieure pour les affronter occupe une place centrale dans le scénario de Bec. Mais ce côté psychologique est contrebalancé par un aspect nettement plus terrifiant de l'histoire : ce sont les mystérieux enfants de Salamanca du titre. Même s'il ne semble pas trop difficile de deviner qui ils sont dès ce tome, tout l'intérêt est de savoir qui les a amenés à devenir ce qu'ils sont désormais. Et si cet album est une grande réussite, c'est aussi parce que Raffaele, avec ses décors oppressants (mine abandonée, asile en ruines, cave aménagée d'étranges accessoires...) a su parfaitement rendre palpable l'angoisse qui imprègne Salamanca. Une angoisse qui pointe dès sa couverture superbe, où une silhouette féminine perce à peine l'obscurité brumeuse d'une forêt menaçante.

Les Enfants de Salamanca, tome 1 - Sarah
Scénario Christophe Bec et dessin Stefano Raffaele
Dupuis, 2008 - 64 p. couleur - Collection Repérages - 13 €

Crèvecoeur 2 – La Rose Noire (2008)

Arrêté pour une série de meurtres qui secoue Bruxelles, Vranken, alias Prométhée (cf tome 1), ne fait pas vraiment figure de l'assassin idéal pour le perspicace commissaire Bury. Mais comme la presse et Brulard, le ministre, réclament un coupable au plus vite, Bury a trois jours pour en trouver un plus crédible que Prométhée. Et il va falloir faire vite, car du côté du véritable meurtrier, on s'organise, et les traces permettant de remonter jusqu'aux instigateurs des assassinats sont effacées. Reste une mallette, au contenu précieux, qui ouvre des portes insoupçonnées aux enquêteurs...

Le mystère s'épaissit... et le suspense va crescendo ! Moins spectaculaire que le premier tome, ce volume en conserve le même esprit fantastique : ainsi, les lectures de chevet d'un des personnages sont des classiques mythiques de la littérature occulte lovecraftienne. Crèvecoeur confirme son appartenance à la grande famille des détectives de l'étrange. Le dessin reste emprunt d'une bonne dose d'angoisse, créant une atmosphère lourde, contrebalancée par les dialogues vifs et cinglants, souvent drôles, entre les deux enquêteurs principaux, qui ne s'apprécient guère. On attend la conclusion de cette trilogie originale avec envie.

Crèvecoeur , tome 2 – La Rose Noire
Scénario Martin Duchêne et dessin Nicolas Duchêne
Casterman, 2008 – 48 p. coul. – Collection Ligne Rouge – 9,80 €

Flor de Luna 1 et 2 (2007 et 2008)

Charles Porter est le dernier empereur du cigare, et il a bâti sa fortune et sa réputation sur le fleuron de ses productions le « Flor de Luna ». Une situation qui lui vaut des ennemis puisqu'il est retrouvé assassiné par son secrétaire particulier, Antoine Chatel. Ce dernier ne s'en émeut guère, car il prévoyait lui même de suppprimer son patron. Sur les lieux du crime, il retrouve le journal, dissimulé et visiblement recherché par les assassins de Porter, de Diego Antonio Castellano, aventurier à l'origine de la fortune de Porter. Chatel se lance dans sa lecture, dans un chalet reculé des Alpes suisses où il a pris soin de se terrer, conscient qu'il va vite avoir des ennemis aux trousses. A commencer par la propre fille de Porter, Kathryn, héritière de l'empire aux dents longues...

Voici une grande saga familiale qui n'est pas sans rappeler, par son aspect épopée parsemée d'embûches et d'intrigues, celle des Maîtres de l'orge, grand succès de cette même collection Grafica. Prévue en 7 volumes, les deux premiers tomes de cette saga sont consacrés aux débuts de l'empire, et à l'ascension de Castellano, créateur du « Flor de Luna ». Le récit se situe dans les années 1825-26, à Cuba, à la Havane et dans les exploitations de tabac au coeur des terroirs. On y voit Castellano partir de rien et parvenir à se bâtir une solide réputation de planteur, rude labeur contrarié par un militaire espagnol, immigré comme lui, et qui a juré sa perte. Sur un scénario classique mais solide, Stalner et Lambert dressent des décors magnifiques, et y font évoluer parfaitement leurs personnages (toute la première partie sur le bateau en route vers Cuba, une scène d'attaque nocturne dans le tome 2...), apportant tout le souffle nécessaire à ce genre d'entreprise au long cours. La touche de suspense introduite avec le récit de la traque du secrétaire de Porter, et le mystère qui l'entoure, achève de faire de Flor de Luna une série à la lecture plus que plaisante, et marque des débuts réussis.

Flor de Luna, tome 1 - Santa Maria Cristina
Scénario Pierre Boisserie et Eric Stalner ; dessin Eric Lambert et Eric Stalner
Glénat, 2007 - 48 p. coul. - Collection Grafica – 12,50 €

Flor de Luna, tome 2 - La Finca don Diego
Scénario Pierre Boisserie et Eric Stalner ; dessin Eric Lambert et Eric Stalner
Glénat, 2008 - 48 p. coul. - Collection Grafica – 12,50 €

La Porte au ciel – Première partie (2008)

Sur un énième et douloureux épisode d'une vie qui les malmène durement, trois jeunes filles plaquent famille, lycée et partent à l'aventure. Elles trouvent refuge dans la maison du grand-père de l'une d'entre elles, en pleine campagne. Là, elles s'organisent, en surveillant la venue – évidente – des gendarmes. Une visite qu'elles déjouent facilement, et après laquelle elles peuvent enfin goûter à une liberté qu'elles ne semblent avoir jamais connue. Mais elles ne sont pas seules dans ce qui ressemble pour elles à un petit coin de paradis : Vincent, débile léger, vit non loin avec sa tante acariâtre et dominatrice. Et un autre homme vit en solitaire dans les parages : David, un peintre aux manières discrètes, qui semble attendre éternellement le retour de sa fille disparue 8 ans auparavant...

Dans cette première partie d'une histoire qui prend son temps, Makyo a voulu écrire un récit sur la douleur de l'absence, celle née de la disparition d'êtres les plus proches. Il y a injecté le thème de la fugue, personnalisé par ses trois lycéennes qui quittent brutalement tout pour un ailleurs forcément meilleur. Le résultat est un album emprunt d'une douceur et d'une mélancolie diffuses, sous lesquelles d'autres émotions, beaucoup plus violentes, semblent prêtes à jaillir. Les couleurs directes de Sicomoro rendent tout cela presque palpable, impression renforcée par un dessin très réaliste. Ce premier opus laisse présager une conclusion nettement moins appaisée dans le second volume à venir de ce thriller psychologique.

La Porte au ciel – Première partie
Scénario de Makyo et dessin d'Eugenio Sicomoro
Dupuis, 2008 - 56 p. couleur - Collection Aire Libre - 14 €

Victor Sackville 20 - Le Chiffre romain (2007)

A Rome, Victor Sackville rencontre John West, confrère britannique, roi des décrypteurs, et dont les Français pourraient bien avoir besoin des services : nous sommes en pleine première guerre mondiale et les allemands préparent une offensive majeure sur le front de l'est, comme en témoignent les nombreux messages cryptés intercepté par les services secrets. Mais ceux-ci n'arrivent pas à casser le code et seul West semble en mesure de pouvoir le faire. Hélas, alors que celui-ci s'apprête à les aider, il se retrouve accusé du meurtre d'une belle Comtessa, chez qui il est le dernier à avoir été vu, suite à une séance de spiritisme. Sackville va tout faire pour le sortir des geôles romaines à temps....

Depuis vingt ans, cette série scénarisée par François Rivière et Gabrielle Borile mêle habilement suspense et histoire, avec son héroïque agent secret qui oeuvre contre les forces du mal avec fermeté et élégance. Cette vingtième aventure est plutôt réussie, et continuera à ravir les fans de ce personnage so british. Pour les autres, c'est le moment de découvrir le trait d'un classicisme éprouvé de Borin, dont le sens du détail n'est pas la moindre des qualités. Il y a un réel charme dans ces cases soignées, dans ces scènes de rues étudiées, dans ces salons au mobilier étudié... A vous de voir si vous pouvez y succomber ou pas ! Et si vous avez manqué le début de cette série, penchez-vous du côté de sa réédition en intégrale, dont déjà deux volumes sont parus, reprenant l'ordre de parution initial des albums. Suivre les missions de Victor Sackville, c'est aussi se replonger dans l'histoire secrète de l'Europe du début du Xxème siècle, et appréhender les mécanismes qui ont conduit à la Grande Guerre. Une oeuvre pour notre mémoire collective, en quelque sorte...

Victor Sackville, tome 20 - Le chiffre romain
Scénario Gabrielle Borile et François Rivière, dessin Francis Carin
Le Lombard, 2007 - 48 pages couleur - 9,80 €

Intégrale : 5 volumes parus au 10/01/2010
170 pages environ chaque, trois tomes par volume. 19 €


La Liste 66 tome 3 - Arkansas (2008)

Alex Poliac, toujours accompagné de son fils, poursuit sa fuite éperdue le long de la route 66. A ses trousses, deux ennemis aussi impitoyables l'un que l'autre : John Gardner, agent du FBI qui veut l'arrêter à tout prix, et le Clown, tueur en série à la solde du KGB, qui veut, lui, l'éliminer. L'arrestation de Laura Kensington à Chicago, soupçonner d'être une taupe au sein du FBI, va -t-elle permettre à Poliac de souffler ?

Pas vraiment ! Le rythme de la chasse à l'homme s'accélère dans ce troisième volume que Stalner a choisi de faire se dérouler dans un Kansas inondé. Cela donne de belles scènes de traque dans des décors sauvages et désolés, où les carcasses de voitures côtoient les arbres déracinés. Parallèlement à ce côté visuel spectaculaire – réussi – le scénario monte lui d'un cran dans le suspense. Petit à petit l'intrigue prend corps, et si la route 66 s'annonce longue, la balade continue à valoir le détour.

La Liste 66, tome 3 -Kansas
Scénario et dessin Eric Stalner
Dargaud, 2008 – 48 p. couleur – 13 €

[Chronique parue dans l'Ours Polar n°47/48, Février 2009]

samedi 9 janvier 2010

IRS 10 - La Loge des assassins (2008)

La Banque Notario a versé pendant des années une rente à l'ancien officer SS Reittmann, avec la complicité de la banque du Vatican. L'IRS ayant découvert ses agissements, ainsi que le passé nazi de Reitmann, elle envoie à Naples son agent de choc Larry Max à la rencontre de Paliacci, directeur de la Notario. Mais celui-ci est éliminé avant d'avoir pu révéler quoi que ce soit à Max. Mais l'agent est pugnace et, de Rome à Nairobi, il va dérouler l'écheveau des secrets du Vatican, ou plutôt ceux de la loge qui tire les ficelles en coulisses.

Qui a dit que le métier de contrôleur des impôts était peinard ? Cette cinquième enquête (les histoires sont à chaque fois sous forme de dyptique) de l'agent spécial de l'Internal Revenue Service vient une fois de plus apporter la preuve du contraire. La balade italienne de Larry est loin d'être une promenade romantique, et ses ennemis sont plutôt du genre coriace ; il faut dire qu'ils ont le Seigneur à leurs côtés. Construit par flashbacks pour l'histoire de Reittmann, le récit de Desberg et Vrancken est vif et rythmé pour la partie enquête, et pimenté par les appels à distance de Gloria, la star de cinéma qui ne peut oublier Larry... et qui sera vraisemblablement au coeur de la prochaine affaire de Max. Petit à petit, I.R.S s'impose comme une série importante, et parvient à dépasser son statut initial de thriller économique, une voie pas mal encombrée ces dernières années.

IRS, tome 10 - La Loge des assassins
Scénario Stephen Desberg et dessin Bernard Vrancken
Le Lombard, 2008 - Collection Troisième Vague - 48 pages couleur - 9,80 €

[Chronique parue dans l'Ours Polar n°47/48, Février 2009]

Double assassinat dans la rue Morgue (2008)

Paris, fin XIXème. Deux femmes, mère et fille, sont retrouvées sauvagement assassinées chez elles. La mère est retrouvée égorgée dans l'arrière cour de leur immeuble, et la fille, étranglée, le corps entièrement enfoncé, tête la première, dans l'étroit conduit de cheminée de sa chambre... La police est désemparée devant ce cas insoluble : la pièce où a été retrouvée la fille était fermée de l'intérieur, les fenêtres closes. De plus les premiers témoins n'ont trouvé personne lorsqu'ils ont forcé la porte après avoir entendu des cris. Comment, du reste, le coupable aurait pu fuir l'endroit, situé au quatrième étage ? C'est là qu'intervient Auguste Dupin et la puissance de ses déductions...

Matrice des mystères en chambre close, cette nouvelle de Poe est un classique fondateur de la littérature policière. Morvan en tire une adaptation très fidèle, depuis la rencontre du narrateur et de Dupin dans une librairie, suivie de leur amitié grandissante, de la démonstration étonnante de ses capacités de déduction faite au cours d'une promenade, jusqu' la résolution du double meurtre. Petite entorse à la chronologie du récit initial, l'ouverture de l'album sur la scène du crime, avec les deux cadavres : en trois planches « muettes », Druet, avec un talent certain, installe d'emblée le climat « extraordinaire » propre aux célèbres histoires de Poe. Il maintient le cap jusqu'au bout, faisant de cette adaptation, elle aussi, une réussite.

Double assassinat dans la rue Morgue d'Edgar Allan Poe
Scénario Jean-David Morvan et dessin Fabrice Druet
Delcourt, 2008. 48 p. coul. - Collection Ex-Libris - 14,95 €

vendredi 8 janvier 2010

La Rage au poing (2007)

Quelque part au Brésil, Paulinho survit dans ce qu'il appelle le trou du cul du monde, au sein d'une bande dirigée par Andreas, brute nazillonne. Alors que le gang pensait avoir touché le jackpot grâce à un paquet d'héroïne arrivé miraculeusement entre ses mains, cette aubaine est en fait le début de la débandade et pour Paulinho, le commencement d'une longue errance. Elle le conduit tout droit aux combats clandestins, et, malgré un bras amputé d'une main, il devient le prince du Vale-Tudo, art martial particulièrement sauvage et meurtrier. Et c'est sous le nom du Manchot qu'il est désormais célèbre...

Dans cette vie en forme de lutte continuelle pour se sortir d'une mouise quasi-totale et quotidienne, à aucun moment on n'entrevoit un avenir radieux pour le personnage central inventé par Crippa. Et c'est bien une vie de violence et de coups qui est celle du Manchot. La « rage au poing » qui l'anime ne le quittera jamais, et c'est un récit des plus sombres qui nous donné à lire. Ponticelli maîtrise ses scènes de combats, d'un réalisme frappant, et maintient un cadrage dynamique tout au long de cet album au format « comics », une des caractéristiques des albums KSTR. Il faut suivre de près les productions de ce label Casterman, qui continue, après des débuts brillants, à surprendre.

La Rage au poing
Scénario Alessandro Crippa et dessin Alberto Ponticelli
KSTR, 2007 – 133 p. coul. – 12,90 €

[Chronique parue dans l'Ours Polar n°47/48, Février 2009]

Pauvres zhéros (2008)

Sylvette Duty travaille à l'orphelinat de la région. Un après-midi où elle promène un groupe d'enfants en campagne, elle s'autorise une petite pause avec José, son amant (lui même ex-pensionnaire de l'institut). Au moment de rentrer, elle s'aperçoit avec angoisse qu'il manque un gosse, un petit mongolien. Paniquée, elle se confie à José, qui conseille de ne rien cacher, et la battue à la recherche du gamin s'organise. Une piste semble s'ouvrir quand Anastase, chômeur du cru, hérite de la casquette du disparu, récupérée par Albert, une pauvre cloche angoissée par les extra-terrestres...

Dans la France profonde de Pierre Pelot, les hommes et les femmes sont écrasés par la misère, l'alcool, l'inculture et la méchanceté. Et celles et ceux qui réussissent à sortir la tête de l'eau replongent vite. Qui d'autre mieux que Baru pouvait transposer en cases cet Hexagone-là ? Le roman de Pelot était terrible, Baru s'en est emparé avec tout son talent. Ce dessinateur est un des meilleurs portraitistes des petites gens de la bande dessinée, il réussit à chaque fois à faire ressortir leur humanité, même dans les pires moments de leur existence. Son adaptation de ce roman sorti en 1982, et qui a gardé toute sa force en 2008, est tout simplement magnifique, peut-être la meilleure des quatre titres inauguraux de la nouvelle collection Rivages/Casterman/Noir.

Pauvres zhéros
Scénario et dessin Baru, adapté du roman de Pierre Pelot
Casterman, 2008 - 88 p. coul. - Collection Rivages/Casterman/Noir – 15,95 €

[Chronique parue dans l'Ours Polar n°47/48, Février 2009]

Garrigue (2008)

Dans le Sud de la France, quatre amis, Martial, Rémi, Frantz et Martial ont trouvé le moyen d'améliorer leur quotidien, en piègeant des gogos qu'ils plongent au coeur d'une combine à toute épreuve, et qu'ils font ensuite chanter. L'uniforme de gendarme de Martial est un des rouages essentiels de la machinerie infernale mise sur pied par le groupe pour attraper ses pigeons. Mais lorsqu'un grain de sable vient menacer de ruiner leur belle mécanique, chacun va devoir assumer son rôle, et c'est là que les véritables caractères se révèlent...

Ce “polar en deux actes” comme le précise la quatrième de couverture, est une réussite. Il fait la part belle à la psychologie des personnages, en explorant autant les pistes du crimes que les sentiers de l'amitié. Ou de ses limites... Corbeyran a opté pour une narration par flashbacks qui lui permet de distiller les indices au fur et à mesure, et surtout, de découvrir progressivement la personnalité de chacun des membres du quatuor. La tension monte ainsi naturellement, jusqu'à un dénouement final qui a le grand mérite de ne pas être vraiment attendu. Berlion exploite parfaitement les richesses du scénario et restitue à merveille les états d'âme de Martial, personnage central du dyptique, un homme silencieux mal à l'aise face à ses émotions les plus profondes. Quant aux femmes, autres personnages fondamentaux de l'histoire, elles sont, comme très souvent chez Berlion, magnifiquement campées, leurs regards et leurs attitudes toujours justes. Garrigue est une oeuvre importante dans le parcours commun du duo, et assurément un des albums de l'année.

Garrigue, tomes 1 et 2
Scénario Corbeyran et dessin Olivier Berlion
Dargaud, 2008. – 48 p. coul. – 13 € chaque volume

[Chronique parue dans l'Ours Polar n°47/48, Février 2009]

Criminal 2 - Impitoyable (2008)

A son retour de l'armée, et un passage sur les fronts irakiens et afghans, Tracy Lawless apprend la mort de son jeune frère Ricky, devenu gangster de petite envergure en son absence. Tracy décide de le venger en infiltrant la bande avec qui Ricky traînait. Sous l'identité de Sam West, il persuade le gang de l'enrôler comme chauffeur pour un casse imminent, emploi qu'il décroche en faisant une démonstration de ses talents et de son sang froid, à Mallory, la fille du groupe. Embauché, il est alors mis au parfum : le coup doit se faire en deux temps. La première phase du plan consistant à libérer le cerveau du gang, puis de faire main basse sur la recette du gala de charité de la Cathédrale Saint-Dominique. Tout est parfaitement huilé, mais Tracey n'est pas sur la même longueur d'ondes...

Encore une histoire de casse pour ce deuxième opus de Criminal, mais cette fois Brubaker n'en fait pas le centre de son scénario : c'est la quête de la vérité – et au bout l'idée de vengeance – qui sont vraiment au coeur d' Impitoyable. Mais comme dans Lâche, c'est bien la complexité des rapports humains qui entre en scène assez rapidement et l'album dépasse le simple récit du casse qui tourne mal. Sean Phillips continue à rendre idéalement les tourments de ses personnages, en optant notamment par des visages quasi-sytématiquement ombrés, qui leur donnent des aspects tantôt inquiétants, tantôt angoissés. Et si seule Mallory échappe à ce traitement, c'est bien parce qu'elle est l'autre figure-clé de cet album : le choix de Delcourt de reproduire la couverture du deuxième épisode de l'édition originale (en ôtant l'arrière-plan de rue), où Mallory est représentée, est à ce titre significatif. Vainqueur de deux « Eisner award » en 2007 (meilleure nouvelle série, meilleur scénariste), Criminal - dont les tomes se lisent indépendamment – se pose comme une des « crime comics » les plus excitants du moment et Brubaker un des meilleurs spécialistes du genre.

Criminal 2 - Impitoyable
Scénario Ed Brubaker et dessin Sean Phillips
Delcourt, 2008 - 140 p. coul. - 14,95 €

[Chronique parue dans l'Ours Polar n°47/48, Février 2009]

Crémèr et le maillon faible de Sumatra (2008)

A bord du paquebot Le Beagle, le commissaire (à Seraing) Crémèr fait la connaissance du naturaliste Schrewbury, qui l'invite à sa table. C'est là que se tiennent des échanges âpres entre le naturaliste, le prêtre Brullère, et l'anthropologue Sprengler, qui n'hésite pas à déclarer à Schrewbury que «le paradigme du processus évolutif qu'il s'obstine à défendre offre malheureusement une image de la nature absolument incorrecte». Un peu largués, Crémèr, et son pathétique adjoint Lucas, le sont encore plus quand une avarie les contraint à débarquer sur un archipel sauvage à Sumatra. Là, en pleine forêt, un drame survient : Schrewbury est écrasé par un gigantesque tronc... Crémèr arrête illico un coupable qui rôdait non loin des lieux, la hachette ayant servi à l'abattage de l'arbre encore à la main. Mais bientôt le doute s'installe : le sagace commissaire Belge n'aurait-il pas arrêté un singe ?

Jack Palmer n'à qu'à bien se tenir : voici un concurrent dans la bêtise policière qui n'est pas loin de l'égaler. Cette enquête métaphysique se veut d'après les auteurs comme une naïve et burlesque variation des animaux dénaturés de Vercors . C'est tout à fait cela : c'est drôle et tragique tout à la fois, et la création de ce personnage une trouvaille originale. Les deux auteurs, Casanave et Vandermeulen viennent plutôt de la BD underground, avec en particulier un passage pour tous les deux chez 6 Pieds sous Terre, rien d'étonnant à ce qu'ils posent leurs bagages pour cette nouvelle série chez une des collections qui s'est imposée au fil du temps comme une des plus plus inventives du moment.

Crémèr et le maillon faible de Sumatra
Scénario David Vandermeulen et dessin Daniel Casanave
Dargaud, 2008. - 56 p. couleur - Collection Poisson Pilote (10,40 €)

[Chronique parue dans l'Ours Polar n°45/46, juin 2008]

Tiffany 2 - Célestine (2008)

Le notaire de feu le général Sylvestre Icare de Sassy est bien embêté : un héritier invité à la dernière minute sur le testament de l'illustre militaire va toucher le pactole... à moins qu'il ne soit un imposteur. C'est ce que cherche à savoir le notaire, et il confie à Tiffany le soin de retrouver cet homme dont personne ne soupçonnait l'existence. L'enquête de la jeune femme et de son duo de collaborateurs commence fort : l'héritier est déjà froid quand ils arrivent à son domicile. Un message sur son répondeur les lance sur une piste possible mais curieuse, celle d'un expert en météorites du muséum d'histoire naturelle.

Avec cette deuxième enquête de leur élégante descendante de Jeanne la Pucelle et de ses deux assistants de choc, les auteurs font une mouche une nouvelle fois : voici une série originale, une comédie policière où Yann retrouve toute la verve de ses meilleures créations. Ses personnages secondaires sont haut en couleurs, et le trait fin et les couleurs presque douces de Herval apportent à Tiffany un charme évident. L'intrigue de ce deuxième opus est certes classiques, mais avec une héroïne capable de capter certaines pensées fugaces, cela change un peu la donne et Tiffany progresse plus vite que d'autres dans son enquête. Cet aspect fantastique est très léger, comme le ton de cette série vraiment très plaisante à lire.

Tiffany, tome 2 - Célestine T 1867
Scénario Yann et dessins Herval
Delcourt, 2008 – 48 p. couleur - 12,90 €
[Chronique parue dans l'Ours Polar n°45/46, juin 2008]

Les Héros du peuple sont immortels - Rock Derby (2008)

En mars 1960, un nouveau personnage fait une entrée pleine de punch dans le journal Tintin : Rock Derby. Très vite adopté par les lecteurs, Greg, qui dessine aussi vite – et bien – que son ombre aligne alors les aventures de cet ancien boxeur reconverti en garagiste... qui ne tarde pas à quitter son atelier pour vivre une vie un peu plus trépidante. Ces aventures débutent par la rencontre de Rock avec Jim Toronto, rédacteur en chef un peu casse-cou du Clairon, dans Le gang des requins, où le duo, aidé par le jeune Skip, met fin aux magouilles de Joe Puma, organisateur de combats de boxe truqués. Le trio est ensuite au coeur d'une affaire de vols de poupées incas, qui les conduira à découvrir l'existence du bracelet en pierres précieuses du chef Costar Impec (Les Voleurs de poupées). Enfin, c'est à Hawaï, que Rock et Jim Toronto se trouveront pris entre deux feux, ceux de la rivalité opposant Tony Aloha et Johnny Congo, tous deux propriétaires concurrents d'hôtels de luxe, dont un part très vite en fumée...(Panique au Paradis).
Près de cinquante ans après leur publication, force est de constater que ces histoires, à l'ancienne bien entendu, ont assez bien vieilli : les méchants y sont certes des plus classiques (mafieux en costumes rayés et panama, hommes de main un peu obtus...) et les intrigues itou, mais grâce au dynamisme des planches (cadrages variés, textes pas trop bavards... à une remarquable exception près), Rock Derby conserve toute sa fraîcheur et son efficacité. Comme pour les autres volumes de cette collection du Lombard, une postface bienvenue, de Jacques Pessis, resitue cette série dans son époque, et rappelle toute son importance dans Tintin, où elle figurera sans discontinuer de 1960 à 1963. Une réédition bienvenue, donc.

Rock Derby
Scénario et dessin Greg
Le Lombard, 2008 – Collection du Lombard – 104 pages couleur – 24 €

[Chronique parue dans l'Ours Polar n°45/46, juin 2008]

Chéri Bibi 3 – Cécily (2008)

Chéri-Bibi a enfin ce qu'il désire depuis si longtemps : être auprès de celle qu'il aime sécrètement, l'inaccessible Cécily. Mais maintenant qu'il a le visage de son ennemi, le marquis du Touchais, il se rend compte avec désespoir que Cécily déteste son mari, et qu'elle lui manifeste une grande froideur, l'interdissant même de l'approcher de trop près... Il faut donc à Chéri-Bibi reconquérir ce coeur, tâche ardue, compliquée par la présence du commissaire Costaud.. et par le retour du Kanak, l'homme qui a transfiguré le célèbre bagnard.

Point final de l'adaptation de l'oeuvre de Gaston Leroux, ce troisième tome est dans la continuité des deux premiers et conclut avec brio la trilogie. Peut-être moins – visuellement – spectaculaire que les précédents, en raison de scènes d'actions moindres, il n'en demeure pas moins d'une grande efficacité scénaristique et la tension est maintenue jusqu'au bout. Et le dessin de Boidin fait toujours merveille. Ce Chéri-Bibi n'est pas loin de figurer comme l'archétype de l'adaptation réussie, de celle qui donne vraiment l'envie de retourner se plonger dans le roman original. Cette trilogie est bien entendu également une oeuvre à part entière, et sans aucun doute possible, un des meilleurs titres du catalogue Delcourt, tous genres confondus.

Chéri Bibi, tome 3 – Cécily
Scénario Pascal Bertho et dessin Marc-Antoine Boidin
Delcourt, 2008 – 56 p. coul. – 12,90 €

[Chronique parue dans l'Ours Polar n°45/46, juin 2008]

Léa Graslin 1 - Réveil sanglant (2008)

Léa Graslin est une ex-flic de choc reconvertie en détective privée, dans la ville de Bentown. Entre son assistant puceau et les affaires d'adultères, sa nouvelle vie n'est pas des plu trépidantes. Jusqu'à ce que la femme de son amant vienne à son cabinet, car elle a des soupçons sur la fidélité de son mari (vous suivez ?) : voilà une enquête un peu plus pimentée pour Léa, que la situation amuse. Tout va se corser un peu plus quand la jolie détective va être lancée malgré elle sur la piste d'un serial killer spécialisé dans le meurtre des lapins...

La petite famille des détectives anthropomorphiques s'agrandit : après Canardo et Blacksad, pour ne citer que les plus célèbres, voici donc Léa Graslin, dans un style graphique plus proche du second. Née de l'imagination d'un auteur Français, Julien Moca, et dessinée collectivement par le studio Ji'An, cette collaboration franco-chinoise est une première, pour un éditeur Xiao Pan, qui oeuvre d'arrache-pied pour la découverte de la bande dessinée chinoise. Ce premier volume est assez rondement mené, et si ce démarrage demeure assez classique dans son intrigue, il est un indéniable que le personnage central de Léa a encore bien des atouts à dévoiler et que les « satellites » qui gravitent autour d'elles peuvent devenir autre chose que des faire-valoirs. Il reste à tous à gagner un peu en épaisseur, mais ce premier essai est une réussite.

Léa Graslin, tome 1 - Réveil sanglant
Scénario Julien Moca et dessin Studio Ji'An
Xiao Pan, 2008. - 48 p. coul. - 12 €

[Chronique parue dans l'Ours Polar n°45/46, juin 2008]

District 77, tome 2 - Furiani vendetta (2008)

Après l'agent Lili Lafayette, limogée au bout de trois jours de service au district 77, c'est au tour d'un autre acteur de faire son entrée en scène : Tony Furiani, petite frappe se donnant des airs de caïd, dont l'ambition du moment se borne à récupérer le contrôle du « Bunnies Bar », boîte à streap-teases... Une question d'honneur, pour Furiani. Mais qui va tout de même vite l'amener à se retrouver face au Big Boss, cet homme puissant et mystérieux – et pour l'instant dans le coma – à l'origine du limogeage de Lili. La confrontation entre les gangs mafieux – flics pourris au milieu – va laisser pas mal de monde sur le carreau...

Centré sur le personnage de Furiani, cet épisode laisse un peu en retrait celui de Lili, pour s'attarder sur la vendetta annoncée en titre. On en apprend un plus aussi sur la personnalité du Big Boss, et la dimension fantastique de la série s'en trouve accentuée. Mais on reste dans le ton du premier opus, et cette deuxième tranche de vie du district 77 est spectaculaire et rythmée. Lili Lafayette, perdue dans ses états d'âme, refait surface petit à petit, et apporte la touche d'humanité à cette sombre histoire. Dugand et Denys continuent à apporter le vent d'un certain renouveau, et leur série a toutes les chances de séduire un public dépassant celui du cercle des amateurs de polar pur et dur.

District 77, tome 2 – Furiani vendetta
Scénario Jean-Philippe Dugand et dessin Denys
Le Lombard, 2008 – Collection Troisième Vague - 48 pages coul.– 10,40 €

[Chronique parue dans l'Ours Polar n°45/46, juin 2008]

L'Oeil était dans la tombe (2008)

Patrick Vaille est une jeune homme riche et impétueux, à qui la vie semble sourire. Une ombre se profile pourtant lorsque sa femme lui apprend qu'elle est victime d'un chantage : un vieil homme menace de révéler le passé pédophile du père de Patrick. Le couple choisit la solution la plus radicale pour résoudre le problème et décide de supprimer le maître-chanteur. Vaille piège l'homme à son domicile et le torture à mort mais à aucun moment le vieillard n'avouera comprendre quoi que ce soit à cette histoire de chantage. Loin d'apaiser Vaille, ce passage à l'acte va réveiller en lui des démons intérieurs qui ne demandait qu'à sortir...

Avec ce nouvel album, Christian de Metter poursuit son exploration de l'âme humaine et des pulsions qui animent les êtres traumatisés. Il fait de son personnage principal, Patrick Vaille, un homme antipathique au possible, ne laissant prise à aucune commisération de la part du lecteur. Les hommes et femmes qui gravitent autour de lui ne le comprennent pas et il faudra attendre les dernières pages de l'album pour lever le voile sur la part obscure qui l'empêche de vivre. Christian de Metter dessine cette histoire avec la technique qui est la sienne depuis les origines : des planches à la gouache, en couleurs directes, qui donnent à ses planches une force implacable, notamment dans ces visages à l'hyper-réalisme saisissant. Cette « griffe » est la marque d'un auteur hors-norme, et cet « oeil dans la tombe » une pierre précieuse supplémentaire à l'édification d'une oeuvre remarquable.

L'Oeil était dans la tombe
Scénario et dessin Christian de Metter
Casterman, 2008 - 72 p. couleur - 14,95 €

[Chronique parue dans l'Ours Polar n°45/46, juin 2008]

Damoclès 1 - Protection rapprochée (2008)

L'agence Damoclès met ses unités d'hommes et femmes d'action au service des riches de ce monde... Un quatuor de choc est ainsi appelé auprès du milliardaire Hassan El-Ahmad, industriel militaire, menacé par l'Armée de Sherwood : ce mystérieux groupe n'hésitera pas à s'en prendre au fils El-Ahmad, jeune homme fêtard et désinvolte, si le père n'accède pas aux revendications du groupuscule. Le problème est que celles-ci sont plus d'ordre politique que bassement matérielles et que les membres de Sherwood semblent prêts à tout pour parvenir à leur fin, comme vont vite l'apprendre les agents de Damoclès.

Protéger la veuve et l'orphelin, ce n'est pas vraiment le crédo de cette curieuse agence : ses clients ne sont pas des plus sympathiques, et à l'orée de cette nouvelle série, un des intérêts de celle-ci est : les héros de Damoclès sont-ils du côté du « Bien » ? A côté de cette interrogation quasi-philosphique, l'histoire de Joël Callède amène en effet à se poser des questions qui vont au-delà des simple et réducteur : « Mais comment nos braves héros vont-ils s'en sortir? ». Une manière de faire déjà mise à l'oeuvre avec talent dans les deux volumes de sa précédente série « Haute sécurité », dans la même collection. « Damoclès » répond par ailleurs aux attentes du genre : scénario efficace, personnages assez fouillés, dessin nerveux d'Alain Henriet et entrée en matière réussie avec chute finale prometteuse. Simplement, elle a ce petit plus qui laisse entrevoir autre chose qu'une nouvelle BD dans la pile des albums vite oubliés aussitôt lus. A voir dès le prochain tome...

Damoclès, tome 1 - Protection rapprochée
Scénario Joël Callède et dessin Alain Henriet
Dupuis, 2008 – 48 pages couleur – Collection Repérages – 10,40 €

[Chronique parue dans l'Ours Polar n°45/46, juin 2008]

mardi 5 janvier 2010

Le Protocole du tueur 1- Le Tueur à la ficelle (2007)

Jean Lestrade, maire d'une grande ville de province, reçoit un DVD lors d'une réception à la mairie : un film sur lequel sa jeune maîtresse est assassinée, selon le modus operandi d'un « tueur à la ficelle » qui sévit dans la ville depuis quelques temps. Piégé par le scandale potentiel, Lestrade ne prévient pas officiellement la police, mais se confie à son ami flic, Kelian Zelmann, qui retourne sur les lieux du crime pour y récupérer l'ordinateur de la victime, contenant des échanges de mails compromettants pour le maire. Puis Zelman propose à un collègue retraité de mener une enquête parallèle sur cette affaire. Le lendemain, son supérieur lui apprend que le tueur à la ficelle a encore frappé et que l'enquête s'annonce difficile...

Minutieusement construit, le scénario de Convard mêle chantage, jeux d'influences politiques et pulsions meurtrières. Les personnages qu'il crée sont consistants, crédibles dans leurs relations, et suffisamment complexes pour que le lecteur s'interroge. On ne sait d'ailleurs pas grand-chose des motivation du tueur, ni de son identité, et Convard ouvre de nombreuses pistes, faisant de ce tome initial, un bon lancement pour cette nouvelle série de la collection « Investigations ». Au dessin, Didier Falque installe une atmosphère assez angoissante.

Le Protocole du tueur
Scénario Didier Convard et dessin Didier Falque
Glénat, 2007 - Collection Investigations - 56 p. coul. - 9,40 €
[Chronique parue dans l'Ours Polar n°45/46, juin 2008]

Une nuit chez Kipling (2007)

Voici bien le type d'album pour lequel se lancer dans une présentation rapide tient de l'exercice de haute voltige, tant l'histoire emprunte de chemins de traverses, fait se rencontrer tant de personnages, et n'hésite jamais à faire des allers et retours dans le temps et dans l'espace. Pour vous donner une petite idée de cette Nuit chez Kipling, sachez qu'elle commence un soir de 1897, à l'issue de la représentation théâtrale du Dracula de Stocker, et que le détective de Scotland Yard Jonas Demm, invité chez l'auteur du Livre de la jungle à finir la soirée autour d'un whisky, lui fait le récit d'une très étrange enquête menée sept ans plus tôt. A cette époque, Demm venait d'entrer à la « strange and violent crimes analysis unit », une nouvelle unité du Yard testant d'autres méthodes d'identifcation des criminels, et ne dédaignant pas l'apport des aliénistes en médecine psychologique... Il n'en fallait pas moins à Demm pour tenter de résoudre cette affaire de meurtres particulièrement horribles, où il croisera nombre de figures effrayantes, y compris dans ceux qui l'épaulent, comme le Dr Pickers, légiste au visage repoussant. Son enquête lui révélera des liens entre les victimes et les membres d'une expédition scientifique revenue d'Irak quelques temps auparavant, mais il devra affronter jusqu'à ses propres démons pour s'en sortir.
Avec cet album, Le Hir achève en fait une histoire dont la première partie était déjà parue en 2005 chez Glénat sous le titre La voix des Ténèbres - Le Cylindre, dans une version couleur. Le noir et blanc semble mieux adapté à cette enquête aux forts accents fantastiques et truffée de clins d'oeil à la littérature et à la bande dessinée. La lecture de l'index final est fortement conseillée avant l'entame d'un album à la difficulté avérée. Mais quel plaisir quand au bout d'un moment l'atmosphère vous saisit ! C'est un véritable tourbillon pour les sens comme en apportent certains albums et, toutes proportions gardées, Une Nuit chez Kipling n'est pas loin de vous mettre dans le même état que le From Hell de Moore et Campbell.

Une Nuit chez Kipling
Scénario et dessin Jean-Louis Le Hir
Vents d'Ouest, 2007 – 96 pages noir et blanc – 17,99 €

[Chronique parue dans l'Ours Polar n°45/46, juin 2008]

Le Janitor 2 - Week-end à Davos (2007)

Trias, dernier arrivé des douze Janitores, ces agents super secrets au service du Vatican (cf tome 1), atterrit à Zurich pour servir de garde du corps à deux ecclésiastiques haut placés au Saint Siège. Direction Davos, où sa vraie mission est d'avoir un oeil sur les tractations secrètes qui peuvent se dérouler dans le dos de Rome, en marge du désormais célèbre forum économique. A peine le sommet est-il commencé que l'armée suisse interrompt le premier séminaire boursier et apporte de terribles nouvelles : des missiles nucléaires tombent aux quatre coins de la planète et la troisième guerre mondiale est en marche. Obéissant à son gouvernement, l'armée a coupé toutes les communications entre l'hôtel où sont réunis les éminences grises des marchés financiers pour mieux les protéger. Le nouveau Janitor ne compte pas attendre tranquillement que la situation s'apaise et trouve le moyen d'échapper à la vigilance des militaires.

Après un premier tome étonnant, la conclusion de ce scénario atypique n'en est pas moins originale et cette histoire de services secrets à la solde du Vatican tient la route jusqu'au bout. Le personnage de Vince – alias Trias, le Janitor – a une force intérieure qui lui permet de renverser les montagnes et Boucq en a fait un agent très spécial, compromis entre l'homme d'action à la forme olympique et l'homme d'introspection aux silences éloquents. Homme très attachant, il reste à espérer que le Janitor vive d'autres missions ici-bas, ne serait-ce que pour éclairer les quelques zones d'ombre du passé de Trias. Et côté scénario, Sente est visiblement très à l'aise avec la géo-politique, ce qui se ressent dans le dessin de Boucq qui réussit à recréer des ambiances digne de l'excellent « Bouche du diable ».

Le Janitor, tome 2 - Week end à Davos
Scénario Yves Sente et dessin François Boucq
Dargaud, 2007 – 48 pages couleur - 13 €

[Chronique parue dans l'Ours Polar n°45/46, juin 2008]