Ivan est flic. Un flic en taule, qu'on extirpe de sa cellule pour qu'il mette la main sur Katinka, une tueuse violente et insaisissable qu'il est apparemment le seul à pouvoir appréhender, d'après ses supérieurs... Pourquoi lui ? Peut-être parce qu'Ivan est un flic à l'ancienne, aux méthodes musclés, qui ont fait leurs preuves en leur temps (mais qui lui ont aussi valu son incarcération). Mais ce dinosaure n'est-il pas à côté de la plaque, comme tente de lui faire comprendre « Le chauve », qu'il décide d'interroger ?
Le chauve : « Ach ! Putain, t'étais vraiment obligé de me péter le nez ? »
Ivan : « Le monde est sans pitié, le chauve ! Il faut accepter son lot de souffrance !
Le chauve : « Raaah ! « J'ai pas de temps à perdre », « Le monde est sans pitié ». T'y crois vraiment à ces phrases à la con ? Tu vois pas que c'est plus d'actualité ? C'est fini les surnoms débiles et les flics qui bossent à coups de poing. La criminalité d'aujourd'hui, ça se règle à coups de pourcentages ! Et si t'as pas réseau pour, tu te fais bouffer par les stat'. Faut que t'ouvres tes yeux de bourrin ! Les héros solitaires, c'est dépassé ! Et c'est pas en chopant Katinka que ça va y changer quoi que ce soit !
Ivan : « TA GUEULE ! »
Des dialogues comme celui-ci, qui sonnent juste, Bang Katinka en compte plus d'un. S'appuyant sur un récit très noir et violent, cet album de Deveney et Godart est un écho réaliste de la Russie du XXIème siècle... La Russie de Poutine où des punkettes font office de révolutionnaires susceptibles de faire vaciller le pouvoir. Ici, Katinka, c'est les «Pussy Riot » à elle toute seule, en nettement plus destroy. Le récit est à deux voix : celle de Katinka d'abord, jeune femme rebelle, écorchée vive, dont on apprend tout de l'enfance chaotique. Puis celle d'Ivan, guère plus épargné par la vie. Ces deux-là ont se sont déjà croisés une fois – un épisode très douloureux pour les deux – et parallèlement à la traque de la tueuse par le flic, c'est un portrait de deux êtres à la dérive, chacun suivant une voie destructrice à l'issue plus qu'incertaine, qui est donné à lire. Le trait réaliste de Godart (qui rappelle par certains aspects celui d'Hermann), et des planches à la tonalité sombre renforcent la dureté de cet album. Bang Katinka fait froid dans le dos, mais figurera sans problème dans mes albums préférés de l'année. A vous de voir...
Bang ! Katinka
Texte Jean-Christophe Deveney et dessin de Loïc Godart
Akileos, 2012 – 62 pages couleur -14,25 €
samedi 29 septembre 2012
jeudi 20 septembre 2012
[Festival sudiste] – Toulouse polars du Sud, saison 4 (12 – 14 octobre 2012)
La chose est entendue : tout amateur de
littérature noire et policière doit faire une halte à Toulouse
pour le festival « TPS », qui en est à sa quatrième
édition. C'est Laurent Astier qui en a réalisé l'affiche cette
année, et vous l'aurez remarquer : le Spirit himself veille sur le
festival.
Côtés bandes dessinées, un peu moins
de monde que les années passées, mais outre Laurent Astier,
seront présents Frédéric Bézian
(auteur des excellents « Aller-Retour » et « Lesgarde-fous ») et Annie Goetzinger , qui entraîne, avec Pierre
Christian, au scénario, la détective Edith Hardy dans la France
et l'Europe des années 50. Le trait élégant de cette dessinatrice
est parfait pour cette série.
Pour connaître le détail du
programme, une seule adresse, celle du site entièrement remanié dufestival.
Bon voyage !
samedi 8 septembre 2012
[Chronique] - Juarez, de Sergeef et Rouge (Glénat)
Gaël arrive au Mexique, à Ciudad Juarez, avec l'espoir d'y retrouver sa sœur Gabriela, disparue depuis plusieurs mois ; sur place, il se rend chez Emilio, propriétaire d'une blanchisserie, le dernier endroit où travaillait Gabriela. Gaël y fait la connaissance d'Almania, fille d'Emilio, elle aussi morte d'angoisse depuis la disparition de Gabriela, avec qui elle avait sympathisé. Elle se souvient lui avoir dit de ne pas trop traîner avec Esperanza, une femme courageuse et obstinée, à la tête d'une association qui lutte pour faire éclater la vérité et la justice sur les centaines de femmes assassinées à Juarez. Gaël mène une enquête difficile, où ses pas lui font frôler un danger quotidien, en particulier lorsqu'il suit la trace d'Horacio Del Castillo, puissant chef de cartel. Mais c'est auprès de cet homme que la piste est la plus sérieuse pour retrouver la trace de Gabriela...
Sur fond d'une série de faits divers authentiques et d'une noirceur abyssale, Nathalie Sergeef et Corentin Rouge ont construit un polar assez original par son scénario à rebondissement final. La difficulté de leur entreprise était de ne pas simplement se « servir » de la situation dramatique des femmes de Juarez – situation qui perdure depuis presque vingt ans – comme simple décor à une intrigue, aussi judicieuse soit-elle. Il fallait réussir à faire passer autre chose qu'un bon moment au lecteur, lui faire prendre conscience de certaines réalités, sinon... à quoi bon ? Les deux auteurs s'en tirent assez bien, et ils réussissent à assurer une certaine gravité de ton à leur histoire. L'apport du dessinateur est à ce titre essentiel : Rouge, qui dans le dossier de presse confesse « … impossible d'échapper à quelques images un peu difficiles... » , a une justesse de trait dans tous les visages qu'il dessine, et réussit à faire passer toutes les émotions vécues par les personnages. Une réelle tension court par ailleurs tout au long des pages, et elle émane à la fois de la progression de l'enquête de Gaël et de l'environnement de corruption et de suspicion dans lequel il est plongé.
Cet album n'est évidemment pas un documentaire sur ce qui se passe à Ciudad Juarez depuis si longtemps, et n'a pas la force de l'immense roman de Patrick Bard « La Frontière » (exactement sur le même sujet), mais « Juarez » a le grand mérite d'être à la fois une bande dessinée au scénario très prenant et une fenêtre ouverte sur un drame de notre siècle.
Juarez
Scénario Nathalie Sergeef et dessins Corentin Rouge
Glénat, 2012 – 72 pages couleur – Collection Grafica
14,95 €
Sur fond d'une série de faits divers authentiques et d'une noirceur abyssale, Nathalie Sergeef et Corentin Rouge ont construit un polar assez original par son scénario à rebondissement final. La difficulté de leur entreprise était de ne pas simplement se « servir » de la situation dramatique des femmes de Juarez – situation qui perdure depuis presque vingt ans – comme simple décor à une intrigue, aussi judicieuse soit-elle. Il fallait réussir à faire passer autre chose qu'un bon moment au lecteur, lui faire prendre conscience de certaines réalités, sinon... à quoi bon ? Les deux auteurs s'en tirent assez bien, et ils réussissent à assurer une certaine gravité de ton à leur histoire. L'apport du dessinateur est à ce titre essentiel : Rouge, qui dans le dossier de presse confesse « … impossible d'échapper à quelques images un peu difficiles... » , a une justesse de trait dans tous les visages qu'il dessine, et réussit à faire passer toutes les émotions vécues par les personnages. Une réelle tension court par ailleurs tout au long des pages, et elle émane à la fois de la progression de l'enquête de Gaël et de l'environnement de corruption et de suspicion dans lequel il est plongé.
Cet album n'est évidemment pas un documentaire sur ce qui se passe à Ciudad Juarez depuis si longtemps, et n'a pas la force de l'immense roman de Patrick Bard « La Frontière » (exactement sur le même sujet), mais « Juarez » a le grand mérite d'être à la fois une bande dessinée au scénario très prenant et une fenêtre ouverte sur un drame de notre siècle.
Juarez
Scénario Nathalie Sergeef et dessins Corentin Rouge
Glénat, 2012 – 72 pages couleur – Collection Grafica
14,95 €
samedi 1 septembre 2012
[Chronique] - Post mortem, ou quand les morts-vivants pointent à l'usine...
Les morts ne sont plus ce qu'ils étaient : le gouvernement a inventé « le Programme », un moyen de les ramener à la vie. Une bonne nouvelle ? Pas pour les revenants – les Post Mortem comme ils sont appelés – qui ne passent plus par la case cimetière, mais vont directement à la case travail, celui des tâches répétitives et ingrates. Une riche idée pour sortir le pays de la crise, mais qui commence à provoquer des rancoeurs chez les vivants : des loques humaines sont en train de les pousser au chômage... Jérémy, jeune membre d'un trio de rock, passe du côté des morts-vivants du jour au lendemain, après s'est fait renverser par une voiture. Sa mère a signé pour qu'il rejoigne le Programme, mais pour Jérémy, c'est le début d'un véritable enfer : il est traité comme un chien par ses nouveaux collègues de l'usine de pneus où il a été affecté. Il préfère en finir en se jetant sous les roues de la première voiture venue, mais il tombe sur une conductrice et son père, qui n'ont pas encore complètement fermé leur coeur à la souffrance des autres...
Difficile en ce moment d'échapper aux zombies et autres « morts-vivants » dans la bande dessinée, qui s'alignent en cohorte derrière la série-phare « Walking dead » (fort réussie d'ailleurs). Pierre Maurel prend une voie complètement originale en inversant les rôles : les zombies ne font plus physiquement peur, ni mal, et sont eux les victimes d'une partie de la population. Vulnérables, les voici exploités jusqu'à la moëlle, et ils constituent un véritable lumpenproletariat du XXIème siècle. Partant de ce postulat, Maurel pose la question de la résistance : existe-t-il encore quelqu'un pour s'opposer à cette situation, qui s'aggrave de jour en jour ? Les vivants ont-ils encore une once d'humanité ? L'auteur répond par une histoire à suspense, un récit en forme de poursuite / fuite, qui feraient presque entrer « Post Mortem » dans la catégorie des thrillers... Mais ce sont bien les rapports humains qui sont au cœur de cet album, une préoccupation déjà présente dans le très bon « Blackbird », où il était question de liberté de publication et de régime autoritaire.
Le dessin de « Post Mortem » est plutôt de la famille « ligne claire », net et précis, et on peut lui rapprocher celui de Frédérik Peeters (« RG », dans la même collection). Un style graphique d'apparence inoffensive, mais qui permet mieux qu'un autre d'emmener le lecteur sur des chemins intérieurs beaucoup plus sombres... quand leurs auteurs ont quelque chose à dire du monde qui nous entoure. Pierre Maurel est de ceux-là, ne manquez pas de suivre son oeuvre en construction.
Difficile en ce moment d'échapper aux zombies et autres « morts-vivants » dans la bande dessinée, qui s'alignent en cohorte derrière la série-phare « Walking dead » (fort réussie d'ailleurs). Pierre Maurel prend une voie complètement originale en inversant les rôles : les zombies ne font plus physiquement peur, ni mal, et sont eux les victimes d'une partie de la population. Vulnérables, les voici exploités jusqu'à la moëlle, et ils constituent un véritable lumpenproletariat du XXIème siècle. Partant de ce postulat, Maurel pose la question de la résistance : existe-t-il encore quelqu'un pour s'opposer à cette situation, qui s'aggrave de jour en jour ? Les vivants ont-ils encore une once d'humanité ? L'auteur répond par une histoire à suspense, un récit en forme de poursuite / fuite, qui feraient presque entrer « Post Mortem » dans la catégorie des thrillers... Mais ce sont bien les rapports humains qui sont au cœur de cet album, une préoccupation déjà présente dans le très bon « Blackbird », où il était question de liberté de publication et de régime autoritaire.
Le dessin de « Post Mortem » est plutôt de la famille « ligne claire », net et précis, et on peut lui rapprocher celui de Frédérik Peeters (« RG », dans la même collection). Un style graphique d'apparence inoffensive, mais qui permet mieux qu'un autre d'emmener le lecteur sur des chemins intérieurs beaucoup plus sombres... quand leurs auteurs ont quelque chose à dire du monde qui nous entoure. Pierre Maurel est de ceux-là, ne manquez pas de suivre son oeuvre en construction.
Post mortem
Texte et dessin de Pierre Maurel
Gallimard, 2012 – 92 pages couleur – Collection Bayou - 16 €