mercredi 10 septembre 2014

[Bis repetita !] - Fatale, ou Manchette par Cabanes et Headline (Dupuis)

Scène d'ouverture à la campagne. Des chasseurs sont en quête d'une proie, mais ils ne trouvent rien. Ou plutôt si. Une femme. Une belle brune à cheveux long. Mélanie Horst. Ou plutôt : c'est elle qui les trouve. Et les liquide, à coups de fusil. Quelques jours plus tard, elle débarque sur les quais de la gare de Bléville. Elle est blonde à cheveux bouclés et s'installe sous le nom d'Aimée Joubert, à la résidence des Goélands, un hôtel sans charme où il est conseillé à la clientèle de ne pas faire de bruit après 22 heures. Cela tombe bien, Aimée est là pour s'imprégner de la petite cité, et dès ces premiers instants, elle lit "Bléville et sa région". Puis dès le lendemain, elle parcourt les artères de la vieille ville, mémorise la topographie des lieux. Elle achète les journaux locaux, fait l'acquisition d'un vélo, et se rend chez le notaire, à qui elle confie ses projets d'achat de maison. Veuve, elle veut en finir avec sa période de deuil, et aspire à renouer avec ses semblables. Le notaire comprend tout à fait, d'autant qu'il semble persuadé qu'une femme aussi charmante ne tardera pas à se faire des amis. Et, très vite, grâce à lui, à l'inauguration de la nouvelle halle aux poissons, elle fait connaissance avec tous les notables de Bléville. Des hommes bien sous tous rapports. Et leurs femmes, charmantes, sont ravies de trouver une nouvelle partenaire pour leur bridge. Aimée Joubert est vite adoptée par le petit groupe. Mais Aimée Joubert n'a pas vraiment envie de refaire sa vie dans ce trou. Elle a d'autres projets pour Bléville et son élite. Des desseins plus meurtriers...

Après avoir adapté "La Princesse du sang", toujours d'après Manchette, et toujours avec Doug Headline au scénario, Max Cabanes s'est cette fois attaqué à Fatale, ce roman mettant en scène une tueuse autant implacable que mystérieuse... Cette femme fatale, personne ne sait, ni d'où elle vient, ni où elle va, mais tout le monde comprend qu'elle en veut à la société toute entière, tout du moins à la micro-société bourgeoise et possédante de Bléville. Qu'elle va faire payer, au sens propre comme au figuré, mais qui va finalement aussi beaucoup lui coûter. Je n'ai pas lu (hé non) le roman de Manchette dont est tiré cette adaptation, mais j'en ai lu d'autres (hé oui), et ce qui frappe immédiatement, c'est que le ton, le style du romancier, en un mot, sa voix est constamment présente tout au long des cent-trente-deux pages de cet album. Par exemple, cette manière quasi clinique de décrire les objets en citant la moindre marque de cigarette, de téléviseur, d'arme, on la retrouve telle quelle, et elle est accentuée par ce choix d'une typographie style "machine à écrire" pour toute les parties narratives du texte. A la manière d'un reportage, froid et distancié, on suit la machination, car c'en est une, d'Aimée Joubert, en se demandant jusqu'à quel point elle va fonctionner. L'époque - les années 70 - est celle du roman initial (bien sûr ! et il faut ici saluer le choix de la grande fidélité à Manchette) et magnifiquement rendue par Cabanes, tout comme il réussit à merveille à mettre en images certaines phrases du romancier. Ainsi, celle-ci, proche de l'oxymore, page 57. Pour illustrer : "Elle n'était pas certaine que la partie aurait lieu, étant donné la mort du bébé et les autres drames. Elle aimait les crises", Cabanes prend le parti de dessiner une femme radieuse qui passe en vélo devant une brasserie nommée "Le Tout va bien"...
Mais un bon dessin valant mieux qu'une explication embrouillée, voici : 
Des instants de ce genre, il y en a d'autres dans ce "Fatale". Tout comme un nombre de scènes fortes, fascinantes, en particulier le final nocturne sur le port, qui est d'une beauté à couper le souffle. Tout comme la couverture, véritable défi au futur lecteur, invitation inquiétante à entrer dans un album, rouge à plus d'un titre...  Une très très grande réussite !

Fatale****
D'après le roman de Jean-Patrick Manchette
Adaptation de Max Cabanes et Doug Headline
Dupuis, 2014 - 132 pages couleur - Collection Aire Libre - 22 €


1 commentaire:

  1. une très très belle adaptation. Les couleurs sont sublimes. Les cadrages "cinématographiques" impressionnants. Le style de Manchette est respecté et transparait à chaque page. J'ai adoré !

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