samedi 17 septembre 2016

[Série] - L'Art du crime, une entreprise audacieuse de Marc Omeyer et Olivier Berlion (Glénat)

La "série-concept" (appellation non contrôlée), vous connaissez certainement : il y en a des rayons entiers chez votre libraire ou dans votre médiathèque. Elle fonctionne le plus souvent sur le même modèle : une idée de base est imaginée par un scénariste, développée, puis déclinée en une série d'albums, au nombre pré-déterminé, chacun des tomes étant réalisé par un dessinateur différent. L'intérêt de ces séries dépend souvent de cette fameuse idée de base, et dans le cas de "L'Art du crime", elle est assez séduisante. Elle est l'oeuvre du duo Olivier Berlion - Marc Omeyer, et est très clairement exposée par l'éditeur :

"Neuf arts. Neuf crimes. Une vie.
Rikers Island. Etats-Unis. 1973. Du fond de sa cellule, un serial killer condamné à perpétuité va aller au bout d'un projet narratif unique et insensé : 9 arts, 9 crimes, 9 histoires.
À travers une série de 9 albums qui explorent la fièvre créatrice quand elle devient vertige et engendre la folie meurtrière, L'Art du Crime va devenir le projet fou de cet homme, Rudi Boyd Fletcher. Chaque album nous décrit une intrigue criminelle liée à l’un des 9 arts majeurs : peinture,  littérature, sculpture, cinéma, musique, architecture, théâtre, audiovisuel et, bien entendu, bande dessinée...."

Deux tomes sont sortis en mai, et les deux suivants paraissent dans quelques jours. Voyons tout cela de plus près.

"Planches de sang", réalisé par les initiateurs du projet, commence par le "dernier" des arts, la bande dessinée, et introduit le personnage de Rudi Fletcher, clé de voûte de l'ensemble de la série. L'intrigue se déroule en 1972 et est centrée sur un "comics" qui suscite depuis plus de 40 ans la fièvre de tous les collectionneurs du pays. Pourquoi ? Parce ce que ce western "La piste du Mesaverde", personne n'a jamais pu en lire la fin, ni retrouver la trace du dessinateur... Rudi n'est pas un collectionneur, mais était enfant quand son père l'a empêché de lire sa BD fétiche, et depuis, c'est devenu une obsession : il lui faut connaître l'issue de cette histoire. Et à force de perservérance, il touchera enfin au but... mais en paiera le prix fort.

"Le Paradis de la terreur", dessiné par Eric Stalner, plonge lui ses lecteurs dans le Paris de 1860, des galerie d'art et des bas-fonds de la capitale. Elle met en scène Hyppolyte Beauchamp, un jeune peintre monté à la capitale, animé par les espoirs les plus fous, et aidé par un ami fortuné qui croit en son talent. L'ami est hélas assassiné rapidement, mais en le vengeant, et tuant à son tour un des agresseurs, Beauchamp ouvre des portes insoupçonnées à son art... Mais le meurtre comme moteur de la créativité, cela peut-il durer bien longtemps, quand les limiers de la police parisienne resserrent l'étau ?

"Libertalia, la cité oubliée", dessiné par Pedro Mauro. Il s'agit cette fois des destins croisés de Bart Kingsley, pirate insaisissable et Aldaïr Mac Allister, jeune architecte idéaliste. Nous sommes en 1640, et Kingsley écume les côtes de l'Atlantique, mettant à mal le commerce des Espagnols, Portugais et Hollandais. Ces derniers montent une expédition pour le capturer, une gigantesque chasse à l'homme maritime. A leur tête, De Vries, un capitaine impitoyable et violent, qui a une revanche à prendre sur le pirate. Mais celui-ci a senti le vent tourner et décide de fuir le plus loin possible... et la rencontre avec Mac Allister va même tout changer : les fuyards vont s'installer au coeur de la jungle de Bornéo, et y construire leur propre cité, Libertalia, où chacun est l'égal de l'autre, homme comme femme. Mais De Vries n'est pas homme à lâcher une proie qu'il a à portée de canon...

"Electra", dessiné par Eric Liberge, prend place en pleine conquête romaine, en 146 avant Jésus-Christ. Les troupes du sanguinaire Néréus atteignent Corinthe, qu'elles mettent à sac. Parmi leurs victimes, le tout jeune Zacharias, que la sculptrice Electra venait tout juste de prendre son son aile, ayant découvert le talent prêt à éclore de l'enfant. Néréus n'a eu aucune pitié pour ce gosse tentant de protéger sa première sculpture, représentant justement Electra. Emmenée à Rome comme esclave, elle fera tout pour venger Zacharias. Mais sur place, Octavius, le père de Néréus a de grands projets pour son fils, qu'il veut placer à la tête de la sécurité de la capitale, à la place de Marcus Flavius, tribun aimé du peuple et choisi par les sénateurs. Electra, Néréus, Flavius : les destins de ces trois êtres vont bientôt s'entremêler, dans les larmes et la violence...

Alors ?
Alors... "L'art du crime" vaut le détour, et il faudra voir s'il tient ses promesses jusqu'au bout. Car, comme cela a été promis au lancement de la série : " Au fur et à mesure des albums va se dessiner une arche narrative d'ensemble – du jamais vu en bande dessinée –, qui se révèlera pleinement au tome 9 et offrira à Rudi la liberté et la rédemption, dans une ultime révélation... "
Pari audacieux qui donne du piment à l'ensemble : on lit des histoires bien distinctes, à chaque fois, mais dès le tome initial, et la fin de chacun des autres, on sent une plus vaste entreprise...

En attendant d'en savoir plus sur ce final (dans 5 tomes, tout de même !), il faut apprécier ces débuts : chacun des arts annoncés y est bien présent, de manière plus ou moins importante. Pour l'architecture, il est intéressant de voir ressurgir Vitruve et son "De Architectura", et encore plus la notion de cité idéale, chère à Thomas More et son Utopie. La "Libertalia" dont il est question dans le tome 3 est même une référence directe à la colonie libertaire - mythe ou réalité - qui aurait existé à Madagascar à cette époque. Pour la sculpture, cet art reste plus en filigrane, et prétexte à la vengeance d'Electra. Bande dessinée et peinture sont par contre bien au coeur des deux premiers tomes. 
 
"Du sang sur les planches" et "Le Paradis de la terreur" sont d'ailleurs les deux récits les plus polar de la série : meurtres, enquêtes, mystères... les ingrédients y sont bien. Pour "Libertalia", le genre est plus celui du récit d'aventures, quant à "Electra", la dimension historique est la dominante. Même si la vengeance et la destinée brisée d'Electra relèvent tout de même bien du Noir...

Graphiquement, il y a une unité certaine entre les styles de Berlion, Mauro et Liberge. Stalner, avec un style plus "ligne claire", est délibérément à part, mais au regard de l'histoire racontée, de l'art mis en scène, la peinture, et de l'époque choisie, le 19e siècle, cela colle parfaitement. 
 
Enfin, il y a un autre trait d'union à tous ces albums : c'est la présence de personnages féminins forts et importants. Que ce soit Nora, la jeune indienne de "Planches de sang", Emilie, la muse d'Hyppolite Beauchamp, Mary et Carmen, les impétueuses pirates ou évidemment, Electra, l'artiste devenue esclave, toutes donnent encore plus corps à la solidité des récits.

Prochains tomes : Cinéma et Littérature. Vivement la suite !



Et si vous êtes dans la région de Villeneuve-lez-Avignon le premier week-end d'octobre, rendez-vous au Festival de Polar : Omeyer et Berlion seront là pour une présentation de leur série, le vendredi 30 septembre à 18 h. 



L'Art du Crime, scénario de Marc Omeyer et Olivier Berlion
Glénat, 2016 -Tous les tomes : 48 pages couleurs - 13,90 €

1 - Planches de sang ***
Dessins d'Olivier Berlion
2 - Le Paradis de la Terreur **
Dessins d'Eric Stalner
3 - Libertalia, la cité oubliée ***
Dessins de Pedro Mauro
4 - Electra**
Dessins d'Eric Liberge

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