lundi 30 janvier 2017

[Roooar] - Le Fauve Polar SNCF 2017 à "L'Eté Diabolik" de Smolderen et Clérisse (Dargaud)

C'était samedi soir, à Angoulême, et dimanche sur l'espace polar SNCF : le Fauve polar 2017 a bondi dans les bras du duo Thierry Smolderen (scénariste) / Alexandre Clérisse (dessinateur), pour leur excellent "L'été Diabolik", dont je vous avais déjà dit le plus grand bien (oui, appuyez ICI).
Une récompense méritée, donc, mais qui aurait tout aussi bien pu aller à Maggy Garrisson, qui a certainement souffert d'être le troisième tome d'une série. Peut-être la véritable Maggy va-t-elle s'insurger - ou se réjouir, elle est tellement imprévisible - mais en attendant, félicitations aux heureux lauréats... qui voient leur palmarès pour cet album s'enrichir d'un prix supplémentaire, après le Prix Ouest-France Quai des Bulles à Saint-Malo 2016 et le Prix BD Fnac 2017.
En prime, un mini reportage spécial de notre envoyé spécial sur place, excellent photographe comme on le voit sur ces images.
Le suspect est facile à reconnaître, même dans l'ombre...

Benoit Lanciot, de la SNCF, bête de scène


Les deux auteurs en version originale sur-titrée

Les mêmes, tranquilles, face au public à l'espace polar SNCF

Bon, ben, à l'année prochaine, hein ?


dimanche 15 janvier 2017

[Tétralogie noire] - L'assassin qu'elle mérite, par Lupano et Corboz (Vents d'Ouest)

Le jeune Alec Rindt, et son inséparable ami Klement Musil, écument le Vienne de 1900 avec toute la fougue, l'insouciance de leur âge... et l'arrogance que leurs fortune leur permet. Provocateur et cynique, Alec est le plus virulent des deux envers cette société Viennoise, où l'Art, selon lui, qui y règne, bien trop préoccupé par lui-même, en oublie le peuple...
 Une idée germe alors dans son esprit tortueux et torturé, et il l'expose à son ami Klement un soir d'ivresse : pourquoi ne pas façonner un innocent, une âme pure, et en faire un criminel, l'élever lui-même au rang d'oeuvre d'art, subversive et vivante ? Mais dans quel but, diable ? Pour donner enfin à cette odieuse société "l'assassin qu'elle mérite"... Et Alec de mettre illico son plan en action, en jetant son dévolu sur Victor Wickhoff, un ado des rues dont les parents vivent misérablement. Un Victor qui n'a encore jamais connu autre chose la pauvreté et le mépris de ses contemporains...

Tel est donc le point de départ de cette tétralogie, débutée en 2010 et achevée fin 2016, signée Wilfrid Lupano et Yannick Corboz. Dès le premier tome, personnages et décors sont - admirablement - plantés, et les éléments d'une histoire complexe, subtile, et... haletante, se mettent en place. Et très vite, les femmes vont avoir une importance capitale dans cette histoire. C'est ainsi que Victor, harponné par Alec, va connaître les délices de la maison des filles de joie de Lady Mikhaïlovna, et se retrouver sous l'aile bienveillante et protectrice de la sensuelle Mathilde. Déjà sous l'emprise d'Alec, dont il se méfie tout de même encore un peu, il ne va pas tarder à se jeter lui-même au pied de cette femme tombée du ciel. Tout comme il ne résistera pas bien longtemps au pouvoir de l'argent, Alec lui réglant toutes ses ardoises... et l'incitant à se comporter comme n'importe quel riche de la ville. Le caractère de Victor commence à changer, et il devient capricieux, jaloux et ne supporte plus sa famille, pauvre. Et au moment où il s'y attend le moins, son protecteur lui coupe les vivres... provoquant le coup de sang espéré par Alec : Victor est en passe de devenir un loup sanguinaire lâché en pleine ville..
Il nous est ensuite donné à suivre, dans les trois tomes suivants, la destinée manipulée de Victor, qui le reverra passer par la rue et la pauvreté, se laisser gagner petit à petit par la haine des Juifs - une haine toute neuve qui lui coûtera bien plus que c'est qu'elle était sensée lui apporter - et suivre la trace d'Alec jusqu'à Paris, à l'exposition universelle de 1900, où tout se jouera autour d'autres femmes, encore, et des milieux anarchistes. Et c'est bien là tout le talent de Lupano : faire vivre leur petites histoires, magnifiques ou tragiques, romantiques ou sordides, de ses personnages, au coeur de la "grande" Histoire. "L'assassin qu'elle mérite" embrasse plus d'un registre, mais demeure délibérément dans celui du Noir. Historique, évidemment, vu la période choisie, mais social, également, pour cette même raison : l'Europe en ce début de 20ème siècle, est  celle de toutes les nouveautés, techniques, artistiques, scientifiques... et la société est en pleine mutation. Lupano ne manque pas non plus de placer cette superbe série sous le sceau de la littérature, celle-ci en en est même à l'origine, puisque c'est dans le "A rebours" de J-K. Huysmans, qu'on retrouve cette phrase : "Alors mon but sera atteint. J'aurai contribué, dans la mesure de mes ressources, à créer un gredin, un ennemi de plus pour cette odieuse société qui nous rançonne".
Et si cette série fonctionne à merveille, elle le doit aussi, à Yannick Corboz, dont le trait extrêmement souple, dynamique, est parfait pour les nombreuses scènes urbaines, mouvementées et populeuses... et toutes les autres ! Son Vienne et son Paris sont magnifiques, et les expressions corporelles de ses personnages toujours justes. Et impossible de ne pas être fasciné par ses femmes froides ou sensuelles, belles ou laides, bourgeoises ou catins, rebelles ou soumises... vivantes, quoi !
Un cahier graphique vient d'ailleurs agrémenter le dernier volume de la série, "Les amants effroyables", quelques pages illustrant le grand talent de Corboz.
Les séries qui tiennent leurs promesses de bout en bout sont rares : "L'assassin qu'elle mérite" en fait partie, n'hésitez pas, vraiment !

 L'assassin qu'elle mérite *****
Scénario Wilfrid Lupano et dessin Yannick Corboz -
Vents d'Ouest, 2010-2016 - 48 pages couleur chaque - 14,50 €

1 - Art nouveau (2010)
2 - La Fin de l'innocence (2012)
3 - Les Attractions coupables (2014)
4 - Les Amants effroyables (2016)

dimanche 1 janvier 2017

[Sélection Fauve Polar 2017] - Prof. Fall, par Ivan Brun et Tristan Perreton (Tanibis)

Bon, pour une fois, je reprends direct le "résumé" de l'éditeur pour vous mettre dans l'ambiance de cet album extraordinairement dense...

" Michel, jeune fonctionnaire borderline croise à Lyon Domingues, ancien mercenaire au Mozambique reconverti dans le proxénétisme. Quelques heures plus tard, le trafiquant se défenestre d'une tour du quartier de la Part-Dieu, entraînant Michel dans une dérive hypnotique. Shooté en permanence à un cocktail d'antidépresseurs et de côtes-du-rhône, celui-ci se retrouve, comme sous l'effet d'un sortilège, aspiré dans la vie passée de Domingues. Meurtres, trafic d'armes, réseau de prostitution, pillages et guerres civiles se révèlent à sa conscience implosée. "

Prof. Fall s'ouvre sur un premier chapitre - 16 viendront rythmer le récit - intitulé "512 fenêtres" et qui, d'emblée, introduit le personnage de Michel Morel, archiviste à la CPAM, à Lyon. Celui-ci, pour se rendre à son travail, emprunte un chemin qui exerce sur lui une fascination quasi-morbide. Un entrelacs de blocs de béton, de formes parallélépipédiques menaçantes, et deux immenses barre d'immeubles, d'où son esprit perturbé voit un corps chuter, tel les désespéré-e-s du 11 septembre 2001. Michel Morel vit dans l'angoisse obsessionnelle qu'une femme va lui tomber dessus. Au propre. Pas au figuré. Enfin, au propre, façon de parler, parce que la vision du cadavre écrabouillé, il l'a bien en tête... C'est donc lui, ce fonctionnaire borderline dont nous suivons l'histoire torturée, qui prend un tour hallucinant, et hallucinogène, dès l'instant où il croise le regard du proxénète Domingues. Et surtout, dès qu'il apprend la mort par défenestration de cet homme aux yeux de bête traquée : Morel se persuade qu'il est responsable de sa mort, mais semble complètement paumé. Et oppressé par son environnement, mais vers qui se tourner, car comme il le pense : "Je m'imagine mal raconter à un collègue mes cauchemars éveillés, parsemant le récit de détails morbides et de questionnements philosophiques traitant de l'incidence de l'architecture rationaliste sur l'âme humaine". En effet... Alors, il reste la médecine du travail, et l'espoir d'un arrêt, pour pouvoir éclaircir le mystère de cette chute... Un arrêt de travail, mais sans aller jusqu'à être envoyé chez les fous. Ses voeux sont exaucés, mais la folie le guette au moindre pas...

Prof. Fall est le récit d'une véritable errance, mentale et physique. La première, liée aux médocs et à la manière de les prendre, entraîne Morel - et son lecteur - vers une Afrique peuplée d'hommes, Blancs et Noirs, se livrant à des actes atroces sur leurs semblables, leurs propres familles, s'adonnant à un trafic de diamants, et plongeant les femmes dans la prostitution... Entre autres. La seconde errance est urbaine : les pas de Morel lui (nous) font découvrir un Lyon à l'architecture parfois hideuse, dictatoriale presque, une "jungle des lignes droites" selon les termes de l'architecte-artiste Hundertwasser, adepte lui de la spirale, source de vie... Ces pas de Morel nous entraînent aussi dans une nature encore indomptée, celle des lônes, ces bras du Rhône isolant des bandes de terre, là où on pourrait enterrer un cadavre. Entre autres...

Le récit, une adaptation par Ivan Brun et Tristan Perreton (de son propre roman, paru en 2005 chez HAK Lofi record), de cette dérive d'un homme en perdition, est riche et complexe. Il est tout à la fois l'histoire intime et personnelle d'un individu pris dans la nasse d'une vie monotone et déprimante, et un coup de projecteur quasi-documentaire sur un pays au destin guère plus reluisant, l'Angola. Le lien entre ces deux branches du récit étant des diamants cachés, volés, recherchés... Une quête qui apporte un aspect "polar" à ce Prof. Fall, mais qui n'est pas l'essentiel de l'album. Non, par le trait réaliste d'Ivan Brun, le choix d'une bichromie accentuant les états d'âmes sombres des personnages, Prof. Fall appartient résolument à la catégorie de la littérature noire en cases. Il mérite plus d'une lecture pour en saisir toute la subtilité et la puissance : prenez donc votre temps pour lire, et relire, en ce début d'année. 



Prenez aussi celui d'aller visiter les sites des deux auteurs, artistes aux multiples talents tous les deux.
Ivan Brun c'est ici :Ivan Brun 
et Tristan Perroton là : der Kommissar

Ah oui ! Il faut souligner la grande qualité de la maquette, du façonnage de cet album, bref, du soin apporté par les éditions Tanibis à ce très beau livre. Et là aussi, allez faire un tour sur leur site, extrêmement agréable à explorer : editions TANIBIS.

Et, j'allais oublier : bonne année à toutes et tous...

Prof. Fall ***
Scénario Tristan Perreton et dessin Ivan Brun
Tanibis, 2016 - 176 pages bichromie - 24 €
ISBN 978-2-84841-038-8