lundi 24 septembre 2018

Summer Express, part tou – Des albums à ne pas manquer (Delcourt) : Kill or be killed / Criminal 7 / Le Vendangeur de Paname / Panique au zoo

Suite du Summer Express, ou plutôt, début de l’automn express. Bref, une petite salve d’albums qui m’ont bien plu ces derniers mois, du côté de chez Delcourt cette fois.

Encore une fois, j’ouvre par les crime comics, la catégorie que je préfère depuis plusieurs années. Et par le tandem qui règne sur le genre depuis bientôt quinze ans : Ed Brubaker et Sean Phillips. Après le fantastique Fondu au noir, c’est Kill or be killed qui est arrivé en 2018, avec à nouveau cette inventivité scénaristique et graphique qui caractérise le duo, et l’amène une fois de plus à croiser et à revisiter les genres, comme dans Incognito ou Fatale. Cette fois, leur « héros », est un jeune homme, Dylan, à la vie tellement sombre et désespérée qu’on commence par assister, dans les premières pages, à sa – nouvelle - tentative de suicide. Tout aussi ratée que les précédentes : sauter du toit d’un immeuble ne marche pas à tous les coups… On est bien dans le roman noir… mais qui bascule vite dans le fantastique : Dylan reçoit la visite nocturne d’un démon lui expliquant que c’est grâce à lui qu’il est encore là dans son lit douillet. Et qu’il y a un prix à payer pour ce miracle : « une vie pour une vie ». Un loyer mensuel, qui consiste pour Dylan à éliminer un salopard de cette planète qui n’en manque pas. Comme le jeune homme a finalement retrouvé goût à son quotidien, le voici piégé par ce pacte diabolique, et transformé en exécuteur, hésitant et paniqué au début, puis plus froid et méthodique ensuite. Mais on trouve vite la police sur son chemin quand on joue au justicier masqué dans la cité, si grande soit-celle ci.
Deux tomes sont parus, le troisième est imminent, et Kill or be killed est une nouvelle pièce de choix à l’impeccable bibliographie Brubaker / Philips / Breitweiser, cette dernière étant leur coloriste attitrée. 
 
Il faut également ajouter à cette biblio les deux mini-récits qui figurent au sommaire du Criminal 7, la série (terminée) qui a révélé en France le duo. On y retrouve deux membres de la famille Lawless, au coeur des années 70. Tegg, pour un épisode carcéral se déroulant en 1976, puis ce même Tegg et son fils Tracy, pour un court et sinistre road-trip pendant l’été 1979. Deux récits, deux tranches de vie, où règnent tension et violence, dans un monde où père et fils sont de véritables parias, et dont ils s’évadent par la lecture de comics peuplés de héros sanguinaires et de femmes pulpeuses… On suit ainsi en même temps que les trajectoires tourmentées de Tegg et Tracy, les aventures du Sauvage guerrier Zangar et celles de Fang, le loup-garou Kung-fu… Etonnant et passionnant ! Et de plus, une intéressante mise en abyme qui incite à plus d’une lecture de ce court et percutant tome de Criminal. Car c’est bien aussi ce qui caractérise toute l’oeuvre de Brubaker et Philips : des albums d’une richesse scénaristique et graphique incroyable qui amènent forcément à s’y replonger une fois la dernière page tournée…

Dans un autre genre, j’ai découvert cette année Frédéric Bagères, scénariste deux albums revigorants : Le Vendangeur de Paname et Panique au zoo.
Le premier, dessiné par David François est sous-titré : une enquête de l’Ecluse et la Bloseille, ce qui donne immédiatement le ton, surtout avec cette couverture présentant les deux inspecteurs affublés de leur outil travail principal respectif : une loupe et un verre de vin… Le premier s’appelle Pierre Caillaux, fils du célèbre Joseph Caillaux, et doit surtout son incorporation dans la police plus à son prestigieux patronyme qu’à ses qualités sportives (excellente première page de l’album!). Quant à son surnom, contraction de « bleusaille et oseille » - il le doit lui à l’inspecteur avec qui il va faire équipe, un vieux flic relégué au fin fond du Quai des Orfèvres en raison de son penchant pour le raisin fermenté. Tous deux vont enquêter non pas sur cet assassin qui nargue la police, avec ses quatre victimes en quelques mois, mais sur « le décapsulé de Bercy », un caviste retrouvé décapité. Un rapport entre les deux affaires ? Voire…
Cet album est plus que réussi : une intrigue double et au final assez ingénieuse, des personnages bien typés, aux caractères bien trempés, superbement mis en images par David François toujours aussi doué pour imaginer des trognes mémorables. Et cerise sur le gâteau, on se délecte de la langue verte mise dans leurs bouches par Frédéric Bagères : l’entreprise était délicate, elle fonctionne parfaitement et participe largement à la lecture jubilatoire de cette première enquête. Espérons-en d’autres !

En attendant, on retrouve cette même verve du scénariste dans Panique au zoo, sous-titré lui « une enquête de Poulpe et Castor Burma », autre improbable duo de limiers, dessinés cette fois par Marie Voyelle. Là, on est franchement dans le délire : dans un zoo auto-géré par les animaux eux-mêmes, une mystérieuse épidémie fait rage. Les pensionnaires sont victimes d’hybridation, en clair, ils mutent de manière inexplicable, et le zoo voit arriver des oursins polaires, un chat-poney, une huitre-constrictor… Cela ne plaît pas du tout au directeur du zoo, qui souhaite mettre fin au processus, et arrêter son responsable. Poulpe et Castor Burma interrogent donc tout le monde au cours d’une longue et minutieuse enquête, riche en rebondissements. Voici donc de nouveaux venus dans la grande famille du polar animalier, mais on est loin de la noirceur de Canardo, Blacksad ou du récent – et excellent - Mulo. On est plutôt est à mi-chemin entre le film Créature féroces et les enquêtes de Chaminou : du suspense, certes, mais sous le signe d’un humour assez débridé. Et ne vous laissez pas attendrir par le dessin tout en rondeur et apparente douceur de Marie Voyelle : Poulpe et Castor Burma, c’est pas pour les enfants. Ou alors les grands. Comme moi. Comme vous ? 


Kill or be killed 1 et 2 ****
Scénario Ed Brubaker, dessin Sean Philipps, couleurs Elizabeth Breitweiser
Traduction de Jacques Collin.
Delcourt, 2018 - 128 pages couleurs – 16,50 €

Criminal 7 : au mauvais endroit… ****
Scénario Ed Brubaker, dessin Sean Philipps, couleurs Elizabeth Breitweiser
Traduction d’Alex « Nikolavitch » Racunica
Delcourt, 2018 – 112 pages couleurs – 14,95 €

Le Vendangeur de Paname : une enquête de l’Ecluse et La Bloseille ****
Scénario Frédéric Bagères, dessin David François, couleurs David François et David Péromy
Delcourt, 2018 – 62 pages couleurs – 15,50 €

Panique au zoo ***
Scénario Frédéric Bagères, dessin Marie Voyelle, couleurs Jérôme Alvarez
Delcourt, 2018 – 192 pages couleurs – 23,95 €


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