samedi 27 septembre 2014

[Hot Rails to Hell] - Le Prix SNCF du Polar BD 2015 est lancé

Et c'est parti pour la quatrième édition du Prix SNCF du Polar BD, lancé en même temps que son illustre aîné - la catégorie Romans - et son frère jumeau - la catégorie court-métrages.
Bon, cette sélection 2015, je ne vous cacherai pas que je la trouve de très bonne tenue, puisque j'y ai participé avec mes cinq acolytes du "comité d'experts BD", comme on nous appelle affectueusement dans les milieux autorisés. Je salue donc ici comme il se doit Laurence Le Saux, Eric Libiot, Christian Marmonnier, Dominique Poncet et Clémentine Thiébault pour leurs lectures avisées qui ont abouti à cette liste de cinq titres qui ont tous de quoi séduire l'amateur du genre. Et même le surprendre, car cette année encore, il y a une vraie diversité, dans les choix graphiques comme dans les histoires racontées. Par ordre d'entrée - alphabétique - en scène, place donc à :

  Une affaire de caractères, de François Ayrolles (Delcourt) : Quand Queneau rencontre Simenon ! Un exercice de style que n'aurait pas renié l'Oulipo, drôle, inventif et jubilatoire. Une enquête loufoque et ludique, entre pastiche de polar traditionnel et hommage à la langue et la littérature française.

L'Astragale d'Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg, d'après Albertine Sarrazin (Sarbacane) : Une très belle adaptation du célèbre roman d'Albertine Sarrazin. Un récit au souffle intense, sous un trait noir et blanc renversant. Un album au long cours, dense, sensible et sensuel, pour une histoire tragique et touchante.

Docteur Radar, de Noël Simsolo et Frédéric Bézian (Glénat) : Dans un style proche de l'expressionnisme, inquiétant et dynamique à la fois, une plongée au coeur du mal. Un véritable hommage au roman feuilleton des années 20, avec un "méchant" insaisissable et impitoyable : l'angoisse et le frisson planent sur cet album !

Quatre couleurs, de Blaise Guinin (Vraoum) : Quatre jeunes femmes, quatre couleurs et un crayon bille pour raconter leur histoire : une approche graphique vraiment originale. Et un jeune homme cynique et odieux dans le rôle du narrateur, qui finit par faire froid dans le dos.

et Rouge Karma de Eddy Simon et Pierre-Henry Gomont : Une quête haletante et dépaysante, dans des décors nimbés d'une brume mystérieuse et chaleureuse à la fois. Une invitation à un voyage plein de péripéties, en compagnie d'un duo de personnages à l'humanité à fleur de peau.

Si vous voulez en savoir plus sur chacun de ces albums, un petit clic sur les titres et hop ! vous tombez sur ma chronique (ou très bientôt pour Docteur Radar et l'Astragale)
Et pour tout savoir sur le prix SNCF du polar, les événements qui y sont liés, les modalités de vote, etc... un seul endroit à visiter : le site consacré au prix.
Et en prime je ne résiste pas à vous mettre ici le lien vers la bande annonce pour la catégorie BD.

Rendez-vous en mai 2015 pour le verdict !


dimanche 21 septembre 2014

[Planque à Luna-Park] - Fun island (Parker 4) par Cooke d'après Stark (Dargaud)

Parker et ses deux complices, Grofield et Laufman, braquent un fourgon, dans le quartier enneigé de Buffalo, à New York. Le coup est parfait mais ils sont repérés dans leur fuite et Laufman, au volant, perd le contrôle de la voiture, qui finit sur le toit, juste en face d'un immense parc d'attraction, Fun Island. Fermé. Parker s'extirpe de l'épave, avec un sac plein de fric, et laisse ses deux acolytes inconscients. Il n'a d'autre solution que de passer par dessus la grille du parc et de courir se planquer à l'intérieur. Il sait qu'il a été repéré et qu'il va devoir faire face à ses poursuivants, tôt ou tard. Mais s'il reste bien une patrouille de deux flics sur les lieux, celle-ci est du genre pourrie, et plutôt de mèche avec Benito Lozini, mafieux local, qui connaît le parc comme sa poche et a commencé à rameuter une dizaine d'hommes pour traquer Parker. Celui-ci a tout juste le temps d'explorer les lieux pour tenter de piéger ses chasseurs...



C'est un formidable huis-clos sous tension que Darwin Cooke a choisi de mettre en scène pour sa quatrième adaptation des romans du dur-à-cuire de Richard Stark. C'est du reste la quatorzième dans la chronologie des aventures du cambrioleur ("Slayground", parue en 1971), mais ce bond dans le temps n'empêche pas du tout de savourer la virtuosité du dessinateur, qui illustre les scènes-clés du roman avec le talent déjà à l'oeuvre dans les trois précédentes histoires. Cette fois, le décor, un parc d'attraction, est un terrain de jeux idéal pour Cooke, qui découpe son récit en quatre partie : le braquage, la prise en main du parc par Parker, l'assaut par ses ennemis, et la fuite. Pour chacune de celles-ci, Fun island, est un personnage à part entière, et dès le début, la virtuosité du dessinateur est en marche : la première partie se conclue avec un Parker disparaissant au loin... derrière les barreaux qui pourraient bien être les siens s'il est rattrapé. Voyez plutôt :


La suite va crescendo et c'est sur un rythme soutenu que l'affaire va se régler. Cet album est plus court que les trois précédents, et l'action est circoncise au parc avec un seul problème à résoudre pour Parker, vital : se tirer de ce guêpier. Je vous laisse découvrir comment...
 

"Fun island" est complété d'un récit court (11 pages), intitulé "le 7ème", en bichromie orange, et qui figurait dans l'édition regroupée américaine des tomes 1 et 2. Bonne idée de la part de Dargaud de nous le proposer ici, même si on l'aurait préféré un peu plus long... Mais "Parker reviendra prochainement" est-il promis à la dernière page. Tant mieux !


Parker 4 - Fun island ****

Scénario et dessin : Darwin Cooke d'après Donald Westlake

Traduction Nicolas Richard

Dargaud, 2014 - 96 pages en bichromie – 16,45 €

mercredi 17 septembre 2014

[Splatch !] - Oceania boulevard, par Marco Galli (Ici Même)

Cela commence très fort : dans une métropole pas très riante, Pol Riviera, présentateur vedette de la télé, se jette du haut d'un immeuble, appartenant à la Zuppa SA, et s'écrase, 35 étages plus bas, sur le béton, certes, mais aussi sur Tong-Tong, musicien de rue en train de jouer de la guitare devant les badauds. Eclaboussures écarlates pour tout le monde... et entrée en scène de l'inspecteur Mortenson, un flic dépressif et taciturne. Et ce qui commence comme un polar des plus traditionnels, va petit à petit se transformer en un voyage bizarroïde, dans une ville d'un glauque achevé, et friser avec un fantastique à la David Lynch, période Twin Peaks. Pas moins !
 
Ce scénario, déjà prenant, l'est encore plus grâce à la technique employé par Marco Galli, un dessinateur italien dont c'est ici la première traduction en France. Pour raconter son histoire il a pris le parti de planches toutes construites sur le même modèle : deux grandes cases par page (l'album est au format roman), avec le texte au dessus, ou en dessous, mais quasiment jamais dans les traditionnelles bulles (ou phylactères pour les puristes), y compris pour les dialogues. Et tout cela sur fond noir, ce qui donne aussi une impression de récit filmé. "Oceania boulevard" fourmille de trouvailles graphiques et narratives de ce genre, et c'est une vraie découverte, chez un éditeur qui ne manque pas d'audace. Je vais vous faire une confidence : c'est une des rares fois où l'expression "roman graphique" ne me semble pas de l'usurpation. En tous cas, si vous êtes revenu de tout, et que plus rien ne vous surprend, arpentez-donc cet Oceania Boulevard, vous n'allez pas être déçu du voyage... et gare au freak au coin de la rue !
 
Oceania Boulevard
Texte et dessin de Marco Galli
Ici Même, 2014 - 52 pages couleurs - 24 €

lundi 15 septembre 2014

[Série Noire...] - Parabellum perd Schultz

Quand on aime la bande dessinée noire, comme moi, et vous (ah non ?), on aime Mezzo et Pirus. 

Quand on aime Mezzo et Pirus, on aime Pirus.

 Quand on aime Pirus, on se rappelle qu'il a dessiné la superbe pochette du premier album de Parabellum, fièrement estampillé d'une balle frappée d'un "100 % nul".

 

 On se rappelle qu'on a détaillé plus d'une fois cette pochette, avec sa scène d'évasion, son évadé central à la gueule de Rapetou méchant, ses matons aux allures de kapos... 


On se souvient aussi qu'on faisait tout ça en écoutant huit putain de morceaux bien énervés, bien électriques, aux textes bien sombres.

 

 On se souvient qu'elles étaient signées Géant Vert, ces paroles, et que c'est un certain Schultz qui les crachait, de sa voix gouailleuse et révoltée.

 

 Et quand on apprend que Schultz est parti voir ce qu'il y là-haut (rien, on le sait) , on espère qu'il nous enverra une carte postale, parce que là, il nous laisse tous un peu pâles.

mercredi 10 septembre 2014

[Bis repetita !] - Fatale, ou Manchette par Cabanes et Headline (Dupuis)

Scène d'ouverture à la campagne. Des chasseurs sont en quête d'une proie, mais ils ne trouvent rien. Ou plutôt si. Une femme. Une belle brune à cheveux long. Mélanie Horst. Ou plutôt : c'est elle qui les trouve. Et les liquide, à coups de fusil. Quelques jours plus tard, elle débarque sur les quais de la gare de Bléville. Elle est blonde à cheveux bouclés et s'installe sous le nom d'Aimée Joubert, à la résidence des Goélands, un hôtel sans charme où il est conseillé à la clientèle de ne pas faire de bruit après 22 heures. Cela tombe bien, Aimée est là pour s'imprégner de la petite cité, et dès ces premiers instants, elle lit "Bléville et sa région". Puis dès le lendemain, elle parcourt les artères de la vieille ville, mémorise la topographie des lieux. Elle achète les journaux locaux, fait l'acquisition d'un vélo, et se rend chez le notaire, à qui elle confie ses projets d'achat de maison. Veuve, elle veut en finir avec sa période de deuil, et aspire à renouer avec ses semblables. Le notaire comprend tout à fait, d'autant qu'il semble persuadé qu'une femme aussi charmante ne tardera pas à se faire des amis. Et, très vite, grâce à lui, à l'inauguration de la nouvelle halle aux poissons, elle fait connaissance avec tous les notables de Bléville. Des hommes bien sous tous rapports. Et leurs femmes, charmantes, sont ravies de trouver une nouvelle partenaire pour leur bridge. Aimée Joubert est vite adoptée par le petit groupe. Mais Aimée Joubert n'a pas vraiment envie de refaire sa vie dans ce trou. Elle a d'autres projets pour Bléville et son élite. Des desseins plus meurtriers...

Après avoir adapté "La Princesse du sang", toujours d'après Manchette, et toujours avec Doug Headline au scénario, Max Cabanes s'est cette fois attaqué à Fatale, ce roman mettant en scène une tueuse autant implacable que mystérieuse... Cette femme fatale, personne ne sait, ni d'où elle vient, ni où elle va, mais tout le monde comprend qu'elle en veut à la société toute entière, tout du moins à la micro-société bourgeoise et possédante de Bléville. Qu'elle va faire payer, au sens propre comme au figuré, mais qui va finalement aussi beaucoup lui coûter. Je n'ai pas lu (hé non) le roman de Manchette dont est tiré cette adaptation, mais j'en ai lu d'autres (hé oui), et ce qui frappe immédiatement, c'est que le ton, le style du romancier, en un mot, sa voix est constamment présente tout au long des cent-trente-deux pages de cet album. Par exemple, cette manière quasi clinique de décrire les objets en citant la moindre marque de cigarette, de téléviseur, d'arme, on la retrouve telle quelle, et elle est accentuée par ce choix d'une typographie style "machine à écrire" pour toute les parties narratives du texte. A la manière d'un reportage, froid et distancié, on suit la machination, car c'en est une, d'Aimée Joubert, en se demandant jusqu'à quel point elle va fonctionner. L'époque - les années 70 - est celle du roman initial (bien sûr ! et il faut ici saluer le choix de la grande fidélité à Manchette) et magnifiquement rendue par Cabanes, tout comme il réussit à merveille à mettre en images certaines phrases du romancier. Ainsi, celle-ci, proche de l'oxymore, page 57. Pour illustrer : "Elle n'était pas certaine que la partie aurait lieu, étant donné la mort du bébé et les autres drames. Elle aimait les crises", Cabanes prend le parti de dessiner une femme radieuse qui passe en vélo devant une brasserie nommée "Le Tout va bien"...
Mais un bon dessin valant mieux qu'une explication embrouillée, voici : 
Des instants de ce genre, il y en a d'autres dans ce "Fatale". Tout comme un nombre de scènes fortes, fascinantes, en particulier le final nocturne sur le port, qui est d'une beauté à couper le souffle. Tout comme la couverture, véritable défi au futur lecteur, invitation inquiétante à entrer dans un album, rouge à plus d'un titre...  Une très très grande réussite !

Fatale****
D'après le roman de Jean-Patrick Manchette
Adaptation de Max Cabanes et Doug Headline
Dupuis, 2014 - 132 pages couleur - Collection Aire Libre - 22 €