samedi 29 octobre 2016

[Intégrale] - The last days of american crime, par Rick Remender et Greg Tocchini (Jungle Comics / Steinkis)

Les éditions Steinkis, via leur label Jungle Comics, lancé en début d'année, sortent leur troisième titre... et quel titre ! "The last days of American Crime" est tout simplement un des meilleurs "crime comics" des années 2000. Non je n'exagère pas un brin. Je l'avais déjà chroniqué lors de sa première traduction chez EP. 

Pour vous rafraîchir la mémoire, voici ce que j'en disais :

Sur l'histoire :
Les Etats-Unis ont trouvé la parade pour contrer durablement la délinquance : exit le billet vert. En supprimant définitivement le papier-monnaie, les dirigeants espèrent annihiler aussi toute tentative de vouloir s'en mettre plein les poches de manière illégale. Les billets seront remplacés par des cartes chargées par des machines, propriété du gouvernement... Graham Bricke, pro du crime, s'est fait engager à la sécurité d'une des banques fédérales chargées de la collecte du cash et de leur remplacement par les cartes fiduciaires. Ayant trouvé le moyen de voler une des futures machines gouvernementales grâce à son job, il recrute une équipe de trois personnes pour ce qui sera son ultime casse. Mais il va falloir faire vite, car le gouvernement a sous le coude une autre arme, plus que dissuasive : l'Initiative de Paix Américaine ou IPA. Derrière ces trois lettres se cache une gigantesque opération de lobotomie collective : un signal agissant directement sur le cerveau et annihilant toute volonté d'action illégale va être émis, dans les jours. Le compte à rebours commence alors pour Bricke et ses acolytes...

...et mon avis de 2011...:
Cette trilogie apocalyptique est l'une des meilleures mini-séries parues l'an passée aux Etats-Unis, publiée par un éditeur un peu à l'ombre des mastodontes du comics, Radical Publishing. Son auteur, Rick Remender qualifie cette série de « polar hardcore avec un contenu anarchiste ». Et c'est vrai que son scénario assez barré, construit sur un compte à rebours approchant de la date fatidique de l'envoi du fameux signal, ne pouvait déboucher que sur une histoire violente et spectaculaire. Et il fallait en effet ce dessinateur-encreur-coloriste de grand talent qu'est Greg Tocchini pour mettre en images les scènes-chocs imaginées par Remender. Ses fusillades sont de vrais morceaux d'anthologie, ses femmes sont sublimes – et surtout Shelby, la femme fatale dans toute sa splendeur – et ses couleurs chaudes et poisseuses à la fois rendent l'atmosphère irrespirable. Juste ce qu'il fallait en tous cas pour sortir de la lecture avec la sueur au front... et le plaisir coupable de voir que, finalement, le crime paie. Les trois couvertures, signées AlexMaleev sont splendides, et, cerise sur le gâteau, ces éditions françaises sont agrémentées de cahiers graphiques reprenant crayonnés, études de personnages et couvertures, quelques pages supplémentaires de bonheur... 

... et alors, en 2016 ?
Mon avis reste le même : un must !
Sur cette édition sous le label Jungle, constatons que l'éditeur fait le choix d'une des couvertures "alternatives" de la VO, ou plutôt de celle qui figurait au dos du tome 1 de l'édition américaine, signée Joel Dos Reis Viegas (et pas Vega comme indiqué sur la page de titre) Un choix excellent, mais qui peut paraître curieux tant celles de Maleev sont puissantes... Qu'à cela ne tienne : vous pouvez toutes les retrouver dans la "gallery" qui complète cette intégrale, comme dans la première édition française.
 
Notons aussi que, si le lettrage change - il fait beaucoup plus "comics" que dans la version Proust avec ses surlignages en gras - la traduction, signée Benjamine des Courtils, reste elle, la même. Je la cite ici, car je ne l'ai pas retrouvée dans les mentions figurant dans l'album. 
 
En conclusion : si vous n'avez pas ce comics, n'hésitez pas une seconde, c'est une valeur sûre du genre. Et Shelby n'a pas pris une ride...


The last days of american crime - Intégrale ****
Scénario Rick Remender et dessin Greg Tocchini
Couverture de Joel Dos Reis Viegas
Jungle comics – 192 pages couleurs - 25 €



lundi 17 octobre 2016

[Braquage et Vache folle] - Mort aux vaches, par Ducoudray et Ravard (Futuropolis)

Un quatuor de braqueurs vient de réussir son coup : un beau magot prélevé sans heurts à l'agence BK, de Clermont l'Abbaye. Mais pas question de claquer tout le fric sans précaution. Non : rien ne vaut une bonne mise au vert, à la campagne, donc, histoire de se faire oublier un peu de la flicaille et d'attendre tranquillement que les choses se tassent. C'est en tous cas l'avis - et les ordres - du chef de la bande, Ferrand. C'est le cerveau du casse, et il est de tendance un peu anar. Ses trois acolytes sont eux aussi un peu typés : José, est le compagnon de route, et de plumard, du chef. Un Espagnol aux allures de vieux beau. Romuald, alias Romu, est le préposé aux biceps. C'est l'armoire à glace du groupe, mais sans la glace, car le garçon a tendance à oublier de réfléchir. Quant à l'élément féminin du gang, c'est Cassidy, grande gueule et délurée, qui n'hésite pas à jouer de la langue, ou autres attributs qui font tourner certaines têtes, quand les situations deviennent délicates...
Tout ce petit monde se replie donc dans la ferme d'un oncle de Ferrand, et de son fils, le cousin Jacky, et espère qu'un mois suffira à faire tomber le braquage dans l'oubli. Mais nous sommes en 1996, et se planquer dans une ferme en plein crise de la vache folle, c'était peut-être pas la meilleure des idées...

Ah, voici un album des plus roboratifs ! Déjà associés sur l'excellent "La Faute aux Chinois", où ils donnaient leur vision, teintée d'humour noir, du capitalisme mondialisé, François Ravard et Aurélien Ducoudray nous amènent cette fois sur un terrain plus rural, mais non moins drôle, avec cet album digne des meilleurs polars français des seventies... Ce qui frappe très vite, ce sont ces dialogues gouailleurs et percutants, réussis de bout en bout, et qui constituent un véritable hommage à Audiard. Cela donne des répliques du genre :
" Va lui dire de se couvrir les curiosités, je vais nous chercher du propane...
- Tu parles de curiosités !"
Ou plus loin
" Purée, quatre mots de vocabulaire en français et déjà l'art de poser les questions embarrassantes..."
On croise une foule de personnages légèrement abrutis tout au long des pages, de l'oncle taiseux et du cousin sanguin, à une filière de Roumaines à marier, en passant - évidemment - par des gendarmes gentils mais un peu concons... Tout ce monde tourne autour du quatuor, qui lui non plus ne brille pas toujours par sa sagacité, et on tourne les pages en se demandant avec délectation comment tout cela va finir. Côté dessin, c'est également un plaisir de retrouver le trait de François Ravard, qui est tout aussi à l'aise dans ce registre, plutôt léger, que dans son travail, plus sombre, sur "Les mystères de la Cinquième République". Il y a parfois des airs de faux-frères entre Ferrand, et Paul Verne, le commissaire de sa série chez Glénat. Bon, Ferrand est tout de même plus un cousin de Lino Ventura... y compris dans le caractère. 

 
Vous l'aurez compris : voici un polar qui sort des sentiers battus, intelligent, bien construit, où l'humour règne avec une légèreté inversement proportionnelle au poids d'Attila, le taureau de compétition omniprésent dans " Mort aux vaches ". Donc pas d'hésitation : foncez à la campagne !


Mort aux vaches ****
Scénario Aurélien Ducoudray et dessin François Ravard
Futuropolis, 2016 – 112 pages en bichromie - 19 €

dimanche 16 octobre 2016

[Prix SNCF du Polar 2017] : C'est parti pour un nouveau tour !


Le 17ème prix SNCF du polar a été lancé officiellement ce mercredi 12 octobre, à Paris, au Patio Opéra, et les trois sélections romans, bandes dessinées et court-métrages ont été dévoilées.


Et une fois de plus, ami-e-s du Noir et des bulles, les albums en compétition pour cette sixième sélection (oui, les prix BD et court-métrages ont 6 ans d'âge, et le prix romans a plus de bouteille, avec ses 17 années...) , ont cette année encore, une sacrée gueule.

On y retrouve cinq histoires fortes, graphiquement ou narrativement, ou les deux mongénéral, et dont je vous ai déjà parlé dans Bédépolar (sauf une... mais pas pour longtemps). Les cinq heureux élus sont donc :

- Apache, d'Alex W. Inker (Sarbacane).
Paris,1934 : un magot inattendu tend les bras à un patron de bar mélancolique et revanchard. Mais il va falloir partager avec une fille facile et un mauvais garçon...
Ma chronique de cet album ICI

- Chaos debout à Kinshasa, de Barutti et Bellefroid (Glénat)
Kinshasa, 1974 : les embrouilles diplomatiques s'invitent sur le ring du combat du siècle.
Ma chronique de cet album ICI

- L'Eté Diabolik, de Smolderen et Clérisse (Dargaud)
Sud de la France, été 1967 : les vacances romantiques d'un jeune ado tournent au récit d'espionnage, dans une ambiance pyschédélique.
Ma chronique de cet album ICI

- Homicide, une année dans les rues de Baltimore, de Philippe Squarzoni d'après le livre de David Simon (Delcourt)
Baltimore, 1988 : Janvier n'a même pas vingt jours, mais c'est déjà le treizième cadavre pour la brigade des homicides de la cité. Et les flics qui font face à cette violence quotidienne sont loin de leurs homologues hollywoodiens...
Ma chronique de cet album .... bientôt !

Watertown, par Götting - (Casterman)
Massachusetts, années 60 : un agent d'asurance ) la vie terne et réglée comme du papier à musique, se prend pour un détective et traque une vendeuse de muffins au comportement étrange.
Ma chronique de cet album ICI

Comme d'habitude, pour tout savoir sur cette 17 ème édition, rendez-vous ici, surle site du prix polar SNCF, vous saurez tout, y compris comment voter.

Bonnes bulles ferroviaires !




dimanche 9 octobre 2016

[Noir en couleur] – Watertown, par Götting - (Casterman)

Philip Whiting travaille pour le cabinet d'assurances Barney & Putnam, dans la petite ville de Watertown. Dans sa vie terne et bien réglée, il y a ce passage quotidien et matinal par la pâtisserie Clarke, où il achète un muffin, servi par Maggie Laegger, l'employée que Whiting a toujours vu ici. Et voici qu'un jour, en réponse à son "à demain" habituel, Maggie répond "Non. Demain je ne serai plus là". Et le lendemain, en effet, la jeune femme n'est plus là. Mais son patron, n'y sera plus non plus, définitivement : il est mort, écrasé par une lourde étagère de sa cuisine... et personne ne revoit plus Maggie à Wattertown. Aussi, quand par hasard, deux ans plus tard, Whiting, en visite chez son frère à Stockbridge, une petite ville à l'autre bout du même état du Massachusetts, tombe nez à nez avec une antiquaire disant s'appeler Marie Hotkins, mais que lui identifie immédiatement comme Maggie Laeger, le trouble s'installe dans son esprit. Surtout quand la femme lui dit ne jamais être allée à Watertown... Dès lors, Whiting, n'a qu'une obsession : découvrir la vérité sur cette étrange affaire... Mais comment s'y prendre quand on est un simple agent d'assurance ?

Jean-Claude Götting fait partie de ces auteurs discrets, mais brillants, qui entretiennent avec le genre noir une relation régulière et passionnante. Depuis "Crève coeur", en 1986, dans la célèbre collection "X" de Futuropolis, jusqu'à "Black Dog", avec Loustal au dessin, en 2016, en passant par les "Noir" ou "Pigalle 62,.27", il a oeuvré comme dessinateur ou scénariste. Comme il le dit lui-même, sur ce genre : "Je préfère toutefois le terme roman noir à polar. Ce qui m'intéresse, c'est le côté tragique, plus que l'aspect criminel avec flics et voyous. J'emprunte surtout au polar le côté enquête, qui est une forme de narration intéressante. Mais, dans ce livre, elle est au moins le moyen d'élucider un mystère qu'une manière de raconter la psychologie de celui qui la mène".


En effet, Watertown, vaut tout autant par cette obsédante quête de la vérité menée par Whiting, qu'il mène avec difficultés car... détective, ce n'est pas son métier : "J'étais sûr qu'un auteur de roman policiers saurait trouver ici vingt scénarios possibles. Mais pour l'instant, je séchais", que pour les raisons intimes qui le poussent dans cette quête : " De modeste employé subalterne, je m'étais promu détective, tentant de confondre une meurtrière à laquelle personne ne semblait s'intéresser. J'avais peut-être une chance de devenir une personnalité considérée de Watertown Une célébrité locale dont on parlerait dans la gazette, et pourquoi pas jusqu'à Boston..."

Un double intérêt dans la lecture, servi par le style Götting, celui de ses débuts : " ... un trait noir au pinceau et un travail de grisés réalisés avec un petit rouleau à gouache, modulés à la gouache blanche pour les lumières", une technique qui s'accompagne pour la première de la couleur. Cela donne une Amérique des années 60, emprunte d'un côté vintage, et installe une véritable atmosphère, digne des romans et films noirs de l'époque. Avec une chute qui est loin d'être celle attendue au bout du chemin de Philip Whiting, et qui participe grandement à faire de Watertown un des albums de cette année 2016.


Watertown ****
Texte et dessin Jean-Claude Götting
Casterman, 2016 – 96 pages couleur - 18 €