Suite
du Summer Express, ou plutôt, début de l’automn express. Bref,
une petite salve d’albums qui m’ont bien plu ces derniers mois,
du côté de chez Delcourt cette fois.
Encore
une fois, j’ouvre par les crime comics, la catégorie que je
préfère depuis plusieurs années. Et par le tandem qui règne sur
le genre depuis bientôt quinze ans : Ed Brubaker et Sean
Phillips. Après le fantastique Fondu au noir, c’est
Kill or be killed qui est
arrivé en 2018, avec à nouveau cette inventivité scénaristique et
graphique qui caractérise le duo, et l’amène une fois de plus à
croiser et à revisiter les genres, comme dans Incognito
ou Fatale. Cette fois, leur « héros », est
un jeune homme, Dylan, à la vie tellement sombre et désespérée
qu’on commence par assister, dans les premières pages, à sa –
nouvelle - tentative de suicide. Tout aussi ratée que les
précédentes : sauter du toit d’un immeuble ne marche pas à
tous les coups… On est bien dans le roman noir… mais qui bascule
vite dans le fantastique : Dylan reçoit la visite nocturne d’un
démon lui expliquant que c’est grâce à lui qu’il est encore là
dans son lit douillet. Et qu’il y a un prix à payer pour ce
miracle : « une vie pour une vie ». Un loyer
mensuel, qui consiste pour Dylan à éliminer un salopard de cette
planète qui n’en manque pas. Comme le jeune homme a finalement
retrouvé goût à son quotidien, le voici piégé par ce pacte
diabolique, et transformé en exécuteur, hésitant et paniqué au
début, puis plus froid et méthodique ensuite. Mais on trouve vite
la police sur son chemin quand on joue au justicier masqué dans la
cité, si grande soit-celle ci.
Deux
tomes sont parus, le troisième est imminent, et Kill or be killed
est une nouvelle pièce de choix à l’impeccable bibliographie
Brubaker / Philips / Breitweiser, cette dernière étant leur
coloriste attitrée.
Il
faut également ajouter à cette biblio les deux mini-récits qui
figurent au sommaire du Criminal 7,
la série (terminée) qui a révélé en France le duo. On y retrouve
deux membres de la famille Lawless, au coeur des années 70. Tegg,
pour un épisode carcéral se déroulant en 1976, puis ce même Tegg
et son fils Tracy, pour un court et sinistre road-trip pendant l’été
1979. Deux récits, deux tranches de vie, où règnent tension et
violence, dans un monde où père et fils sont de véritables parias,
et dont ils s’évadent par la lecture de comics peuplés de héros
sanguinaires et de femmes pulpeuses… On suit ainsi en même temps
que les trajectoires tourmentées de Tegg et Tracy, les aventures du
Sauvage guerrier Zangar et celles de Fang, le loup-garou Kung-fu…
Etonnant et passionnant ! Et de plus, une intéressante mise en
abyme qui incite à plus d’une lecture de ce court et percutant
tome de Criminal. Car c’est bien aussi ce qui caractérise toute
l’oeuvre de Brubaker et Philips : des albums d’une richesse
scénaristique et graphique incroyable qui amènent forcément à s’y
replonger une fois la dernière page tournée…
Dans
un autre genre, j’ai découvert cette année Frédéric Bagères,
scénariste deux albums revigorants : Le
Vendangeur de Paname et Panique
au zoo.
Le
premier, dessiné par David François est sous-titré :
une enquête de l’Ecluse et la Bloseille, ce qui donne
immédiatement le ton, surtout avec cette couverture présentant les
deux inspecteurs affublés de leur outil travail principal
respectif : une loupe et un verre de vin… Le premier s’appelle
Pierre Caillaux, fils du célèbre Joseph Caillaux, et doit surtout
son incorporation dans la police plus à son prestigieux patronyme
qu’à ses qualités sportives (excellente première page de
l’album!). Quant à son surnom, contraction de « bleusaille
et oseille » - il le doit lui à l’inspecteur avec qui il va
faire équipe, un vieux flic relégué au fin fond du Quai des
Orfèvres en raison de son penchant pour le raisin fermenté. Tous
deux vont enquêter non pas sur cet assassin qui nargue la police,
avec ses quatre victimes en quelques mois, mais sur « le
décapsulé de Bercy », un caviste retrouvé décapité. Un
rapport entre les deux affaires ? Voire…
Cet
album est plus que réussi : une intrigue double et au final
assez ingénieuse, des personnages bien typés, aux caractères bien
trempés, superbement mis en images par David François toujours
aussi doué pour imaginer des trognes mémorables. Et cerise sur le
gâteau, on se délecte de la langue verte mise dans leurs bouches
par Frédéric Bagères : l’entreprise était délicate, elle
fonctionne parfaitement et participe largement à la lecture
jubilatoire de cette première enquête. Espérons-en d’autres !
En
attendant, on retrouve cette même verve du scénariste dans Panique
au zoo, sous-titré lui « une enquête de Poulpe et
Castor Burma », autre improbable duo de limiers, dessinés
cette fois par Marie Voyelle. Là,
on est franchement dans le délire : dans un zoo auto-géré par
les animaux eux-mêmes, une mystérieuse épidémie fait rage. Les
pensionnaires sont victimes d’hybridation, en clair, ils mutent de
manière inexplicable, et le zoo voit arriver des oursins polaires,
un chat-poney, une huitre-constrictor… Cela ne plaît pas du tout
au directeur du zoo, qui souhaite mettre fin au processus, et arrêter
son responsable. Poulpe et Castor Burma interrogent donc tout le
monde au cours d’une longue et minutieuse enquête, riche en
rebondissements. Voici donc de nouveaux venus dans la grande famille
du polar animalier, mais on est loin de la noirceur de Canardo,
Blacksad ou du récent – et excellent - Mulo. On est plutôt est à
mi-chemin entre le film Créature féroces et les enquêtes de
Chaminou : du suspense, certes, mais sous le signe d’un
humour assez débridé. Et ne vous laissez pas attendrir par le
dessin tout en rondeur et apparente douceur de Marie Voyelle :
Poulpe et Castor Burma, c’est pas pour les enfants. Ou alors les
grands. Comme moi. Comme vous ?
Kill
or be killed 1 et 2 ****
Scénario
Ed Brubaker, dessin Sean Philipps, couleurs Elizabeth Breitweiser
Traduction
de Jacques Collin.
Delcourt,
2018 - 128 pages couleurs – 16,50 €
Criminal
7 : au mauvais endroit… ****
Scénario
Ed Brubaker, dessin Sean Philipps, couleurs Elizabeth Breitweiser
Traduction
d’Alex « Nikolavitch » Racunica
Delcourt,
2018 – 112 pages couleurs – 14,95 €
Le
Vendangeur de Paname : une enquête de l’Ecluse et La
Bloseille ****
Scénario
Frédéric Bagères, dessin David François, couleurs David François
et David Péromy
Delcourt,
2018 – 62 pages couleurs – 15,50 €
Panique
au zoo ***
Scénario
Frédéric Bagères, dessin Marie Voyelle, couleurs Jérôme Alvarez
Delcourt,
2018 – 192 pages couleurs – 23,95 €