Le 19ème
prix SNCF du polar a été lancé officiellement, jeudi 18
octobre, à Paris, au bistrot du Cinéma des Cinéastes, et les 3
sélections Romans, Court-métrages et BD ont été dévoilées.
Les personnages de la
sélection BD ont un tous peu une case de vide : Un habitant
d’Austin rêvant qu’il est le tireur embusqué de Dallas (Les
Visés).
Une voleuse de chaises, un pickpocket
amnésique, un ascensoriste obsédé au menu de l’inspecteur de
Diablerouge(Du sang sur les mains).
Un
maître du giallo retiré traqué par deux cinéphiles(Midi Minuit).
Une chorégraphe qui fait corps avec
la terre (Sudestada).
Et des flics
adeptes du radiateur sous le soleil africain(Commissaire
Kouamé).
Comment va le monde ?
Il est en dérangement…
Je
vous avais déjà longuement parlé du superbe album de Matt
Kindt(cliquez donc ici) et je vous donnerai mon avis sur les quatre autres dans les
semaines à venir. Mais vous pouvez aussi donnez le vôtre en votant
pour un de ces cinq titres, jusqu’à fin mai.
Suite
du Summer Express, ou plutôt, début de l’automn express. Bref,
une petite salve d’albums qui m’ont bien plu ces derniers mois,
du côté de chez Delcourt cette fois.
Encore
une fois, j’ouvre par les crime comics, la catégorie que je
préfère depuis plusieurs années. Et par le tandem qui règne sur
le genre depuis bientôt quinze ans : Ed Brubaker et Sean
Phillips. Après le fantastique Fondu au noir, c’estKill or be killed qui est
arrivé en 2018, avec à nouveau cette inventivité scénaristique et
graphique qui caractérise le duo, et l’amène une fois de plus à
croiser et à revisiter les genres, comme dansIncognito
ouFatale. Cette fois, leur « héros », est
un jeune homme, Dylan, à la vie tellement sombre et désespérée
qu’on commence par assister, dans les premières pages, à sa –
nouvelle - tentative de suicide. Tout aussi ratée que les
précédentes : sauter du toit d’un immeuble ne marche pas à
tous les coups… On est bien dans le roman noir… mais qui bascule
vite dans le fantastique : Dylan reçoit la visite nocturne d’un
démon lui expliquant que c’est grâce à lui qu’il est encore là
dans son lit douillet. Et qu’il y a un prix à payer pour ce
miracle : « une vie pour une vie ». Un loyer
mensuel, qui consiste pour Dylan à éliminer un salopard de cette
planète qui n’en manque pas. Comme le jeune homme a finalement
retrouvé goût à son quotidien, le voici piégé par ce pacte
diabolique, et transformé en exécuteur, hésitant et paniqué au
début, puis plus froid et méthodique ensuite. Mais on trouve vite
la police sur son chemin quand on joue au justicier masqué dans la
cité, si grande soit-celle ci.
Deux
tomes sont parus, le troisième est imminent, et Kill or be killed
est une nouvelle pièce de choix à l’impeccable bibliographie
Brubaker / Philips / Breitweiser, cette dernière étant leur
coloriste attitrée.
Il
faut également ajouter à cette biblio les deux mini-récits qui
figurent au sommaire du Criminal 7,
la série (terminée) qui a révélé en France le duo. On y retrouve
deux membres de la famille Lawless, au coeur des années 70. Tegg,
pour un épisode carcéral se déroulant en 1976, puis ce même Tegg
et son fils Tracy, pour un court et sinistre road-trip pendant l’été
1979. Deux récits, deux tranches de vie, où règnent tension et
violence, dans un monde où père et fils sont de véritables parias,
et dont ils s’évadent par la lecture de comics peuplés de héros
sanguinaires et de femmes pulpeuses… On suit ainsi en même temps
que les trajectoires tourmentées de Tegg et Tracy, les aventures du
Sauvage guerrier Zangar et celles de Fang, le loup-garou Kung-fu…
Etonnant et passionnant ! Et de plus, une intéressante mise en
abyme qui incite à plus d’une lecture de ce court et percutant
tome de Criminal. Car c’est bien aussi ce qui caractérise toute
l’oeuvre de Brubaker et Philips : des albums d’une richesse
scénaristique et graphique incroyable qui amènent forcément à s’y
replonger une fois la dernière page tournée…
Dans
un autre genre, j’ai découvert cette année Frédéric Bagères,
scénariste deux albums revigorants :Le
Vendangeur de Panameet Panique
au zoo.
Le
premier, dessiné par David François est sous-titré :
une enquête de l’Ecluse et la Bloseille, ce qui donne
immédiatement le ton, surtout avec cette couverture présentant les
deux inspecteurs affublés de leur outil travail principal
respectif : une loupe et un verre de vin… Le premier s’appelle
Pierre Caillaux, fils du célèbre Joseph Caillaux, et doit surtout
son incorporation dans la police plus à son prestigieux patronyme
qu’à ses qualités sportives (excellente première page de
l’album!). Quant à son surnom, contraction de « bleusaille
et oseille » - il le doit lui à l’inspecteur avec qui il va
faire équipe, un vieux flic relégué au fin fond du Quai des
Orfèvres en raison de son penchant pour le raisin fermenté. Tous
deux vont enquêter non pas sur cet assassin qui nargue la police,
avec ses quatre victimes en quelques mois, mais sur « le
décapsulé de Bercy », un caviste retrouvé décapité. Un
rapport entre les deux affaires ? Voire…
Cet
album est plus que réussi : une intrigue double et au final
assez ingénieuse, des personnages bien typés, aux caractères bien
trempés, superbement mis en images par David François toujours
aussi doué pour imaginer des trognes mémorables. Et cerise sur le
gâteau, on se délecte de la langue verte mise dans leurs bouches
par Frédéric Bagères : l’entreprise était délicate, elle
fonctionne parfaitement et participe largement à la lecture
jubilatoire de cette première enquête. Espérons-en d’autres !
En
attendant, on retrouve cette même verve du scénariste dans Panique
au zoo, sous-titré lui « une enquête de Poulpe et
Castor Burma », autre improbable duo de limiers, dessinés
cette fois par Marie Voyelle. Là,
on est franchement dans le délire : dans un zoo auto-géré par
les animaux eux-mêmes, une mystérieuse épidémie fait rage. Les
pensionnaires sont victimes d’hybridation, en clair, ils mutent de
manière inexplicable, et le zoo voit arriver des oursins polaires,
un chat-poney, une huitre-constrictor… Cela ne plaît pas du tout
au directeur du zoo, qui souhaite mettre fin au processus, et arrêter
son responsable. Poulpe et Castor Burma interrogent donc tout le
monde au cours d’une longue et minutieuse enquête, riche en
rebondissements. Voici donc de nouveaux venus dans la grande famille
du polar animalier, mais on est loin de la noirceur de Canardo,
Blacksad ou du récent – et excellent - Mulo. On est plutôt est à
mi-chemin entre le film Créature féroces et les enquêtes de
Chaminou : du suspense, certes, mais sous le signe d’un
humour assez débridé. Et ne vous laissez pas attendrir par le
dessin tout en rondeur et apparente douceur de Marie Voyelle :
Poulpe et Castor Burma, c’est pas pour les enfants. Ou alors les
grands. Comme moi. Comme vous ?
Kill
or be killed 1 et 2 ****
Scénario
Ed Brubaker, dessin Sean Philipps, couleurs Elizabeth Breitweiser
Traduction
de Jacques Collin.
Delcourt,
2018 - 128 pages couleurs – 16,50 €
Criminal
7 : au mauvais endroit… ****
Scénario
Ed Brubaker, dessin Sean Philipps, couleurs Elizabeth Breitweiser
Traduction
d’Alex « Nikolavitch » Racunica
Delcourt,
2018 – 112 pages couleurs – 14,95 €
Le
Vendangeur de Paname : une enquête de l’Ecluse et La
Bloseille ****
Scénario
Frédéric Bagères, dessin David François, couleurs David François
et David Péromy
Delcourt,
2018 – 62 pages couleurs – 15,50 €
Panique
au zoo ***
Scénario
Frédéric Bagères, dessin Marie Voyelle, couleurs Jérôme Alvarez
J’ai
lu pas mal d’albums vraiment bons ces derniers mois, sans avoir
hélas eu le temps de vous en parler. Petite séance de rattrapage
en, voyons, quatre (?) parties pour bien finir l’été.
Commençons
par Futuropolis, dont le catalogue propose régulièrement des
pépites et n’hésite jamais à prendre des risques, tout en
suivant ses auteurs et séries phares.
Dept.
H, de Matt Kindt (avec aux couleurs Sharlene Kindt) est
directement à faire entrer dans cette catégorie. Sous-titré
« Meurtre en grand profondeur », voici un récit
captivant, en quatre tomes, dont les deux premiers sont déjà parus.
L’histoire ? Un meurtre a été commis en pleine station
sous-marine scientifique, à 11 kilomètres de la surface. Et la
victime n’est autre que le concepteur de la base, Hari Hardy, un
savant un peu rêveur mais à l’optimisme inébranlable. Et c’est
Mia, sa fille, qui est envoyée pour essayer de comprendre ce qui
s’est passé… Elle va vite se rendre compte que les sept
occupants de la base – parmi lesquels figure le coupable – ne
sont pas vraiment coopératifs et qu’il va lui être très
difficile de faire éclater la vérité, voire tout simplement de
survivre dans des abysses… Matt Kindt (dont on a vu tout le talent
dans le superbe Du sang sur les mains) réussit à
croiser plusieurs genres dans ce foisonnant comics : le récit à
suspense, bien sûr, avec cette enquête en huis-clos avec ses
suspects à la Agatha Christie, aux rebondissements minutés, le
récit psychologique, avec ces tranches du passé de chacun qui
remontent petit à petit à la surface, et le récit d’espionnage
scientifique en toile de fond… Très bien mené du point de vue
narratif, Dept. H est aussi une exploration graphique des haut-fonds
étonnante… et flippante. Le troisième tome sort le 13 septembre,
et on approche donc du dénouement de cette série originale.
C’est
justement le tome final de Car l’Enfer est ici dont le
cinquième et dernier volume – intitulé11
septembre, vient clore un
récit qui aura tenu ses fans en haleine depuis… 2011, date de
parution du premier album de cette suite
du Pouvoir des innocents. Ce
second cycle, écrit par Luc Brunschwig et
dessiné par le tandem Laurent Hirn-David Nouhaud,
met en lumière – si on peut dire – le personnage de Joshua
Logan, soupçonné d’être le principal suspect d’un attentat
ayant entraîné la mort de plus de 500 enfants et Steve Providence,
le boxeur-prophète adulé des foules… Au fil des tomes, rythmé
par chapitres chronologiques du 8 mai 1998 au 11 septembre 2001,
c’est une assez fascinante tranche de vie américaine – et
mondiale – que les auteurs invitent à lire. Un récit choral et
politique, qu’il vaut d’ailleurs mieux lire d’un bloc pour en
saisir toute la saveur, et qui s’achève donc par le procès de
Joshua Logan, à la veille du 11 septembre 2011. Et Brunscwhig boucle
de « belle » manière ce second cyle en appliquant
réellement son crédo : «
...le
genre de BD que j’ai envie de faire, c'est-à-dire une BD
distractive mais avec une totale implication personnelle. Le fond
politique n’est pas juste là pour habiller l’histoire. J’ai
vraiment essayé de capter « la marche du monde» en écrivant cette
histoire, mais pas juste en m’imprégnant des théories des
analystes reconnus. J’ai vraiment voulu identifier de mon point de
vue les problèmes de la relation entre le pouvoir étatique et
l’individu … (propos sur le site de Futuropolis).
Cet
ultime tome est dessiné entièrement par Laurent Hirn, sur des
décors de Annelise Sauvêtre.
Et
pour finir ce petit tour du côté de chez Futuro, une vraie curiosité : Avec
Edouard Luntz, le cinéaste des âmes inquiètes. de Nadar
et Julien Frey. Le bandeau promo joue bien son rôle, et intrigue avec
cette accroche : « Pour Michel Bouquet, c’est un des
plus grands cinéastes français. Pourtant, personne ne le connaît ».
Le cinéaste en question c’est donc Edouard Luntz, et Julien Frey
lui rend un bel hommage en tentant de le faire sortir de l’oubli.
Lui-même avait presque oublié qu’il avait rencontré le
réalisateur, et il faut qu’il retombe sur un 45t de Gainsbourg, Les coeurs verts, musique d’un film de Luntz, pour
que tout lui revienne en mémoire. A l’époque de leur rencontre,
Luntz avait affirmé au jeune homme, alors étudiant en cinéma, que
sa carrière avait été brisée par Daryl Zanuck, qui avait fait
disparaître son film, Le Grabuge. Et bien des années
après cette rencontre, Julien Frey constate qu’aucun des films de
Luntz n’est visible. Il part donc à leur recherche...
On
le comprendra : cet album n’est pas à ranger dans la case
polars, car il s’agit plus d’une quête personnelle que d’une
enquête à proprement parler. Mais elle est tout autant prenante,
car elle est semée d’embûches – quel périple, par exemple,
pour réussir à voir Le Grabuge ! - et elle
plonge son lecteur au coeur de l’histoire du cinéma en général
et de celle d’un auteur singulier en particulier. Une fois la
dernière page tournée, l’envie est grande d’essayer de voir à
son tour Le Dernier saut, les Coeurs verts, ou encore L’humeur
vagabonde, ce film où Michel Bouquet interprète une vingtaine
de rôles !
L’hommage
est donc réussi, et Nadar, dessinateur espagnol (auteur des très
bons Papiers froissés et Salud !, chez Futuro aussi) apporte
grandement sa pierre à l’édifice avec son dessin souple et
précis, dans un élégant noir et blanc.
Next stop : Delcourt (James Bond, Kill or be Killed, Le vendangeur de Paname)
Dept.
H, tomes 1 et 2 ****
Scénario
et dessin Matt Kindt, couleurs Sharlene Kindt
Traduction
de Sidonie Van Den Dries.
Futuropolis,
2018 - 160 pages couleurs – 22 €
Car
l’enfer est ici – Tome 5 – 11 septembre ***
Scénario
Luc Brunschwig et dessin Laurent Hirn
Futuropolis ,
2018 – 80 pages couleur – 17 €
Avec
Edouard Luntz, le cinéaste des âmes inquiètes ****
Des
oiseaux qui se regroupent par milliers pour se laisser mourir dans un
parc algérien, des petites frappes qui rackettent des bars où ils
ont laissés de faux jeux d’arcades se transformant en vrais
machines à sous, un caïd de retour au pays qui échappe de peu à
la police, des insectes aux étranges mutations dues à la
radio-activité : le futur imaginé par les auteurs du « Dernier
Atlas » fait flipper.
D’autant
qu’on ne sait rien encore de ce robot géant et menaçant qui ouvre
les deux premiers épisodes de cette nouvelle série co-scénarisée par Vehlmann et de Bonneval, dessinée par Tanquerelle, avec un design de Blanchard... et qui s’annonce palpitante.
Pré-publiée
sous forme de fascicules de 28 pages en noir et blanc, les deux
premiers épisodes sont peut-être encore disponibles chez votre
libraire BD préféré : foncez-y ! Le troisième sortira
le 20 août, et il vous sera offert, comme les deux premiers.
Et pour
recevoir les 10 chapitres, il suffit de vous inscrire ici :
ledernieratlas.com. Mais ne traînez pas en route : seuls
les 1000 premiers inscrits pourront découvrir la suite de cette
série, qui sortira ensuite dans une version album, en couleurs, en mars 2019.
En attendant de vous reparler polar en cases incessamment sous peu, je vous transmets ici le programme du festival BD6Né, qui se déroule à la capitale dans le 13ème et le 20ème.
N'hésitez pas à aller y faire un tour, le programme est prometteur. Le voici, tel qu'annoncé par les organisateurs :
Entièrement dédié aux liens entre Bande Dessinée et Cinéma, le Festival BD6Né vous invite à célébrer sa 6e édition
! Au programme des rencontres, expositions, projections et animations
autour d’une idée simple et originale : explorer les liens entreBande Dessinée et Cinéma. Pour découvrir les nombreux talents que partagent ces deux univers, rendez-vous les 2 et 3 juin 2018 à la Médiathèque Marguerite Duras (Paris 20e) et le 3 juin à Petit Bain (Paris 13e) !
Cette 6e édition débutera, le samedi, par des rencontres et dédicaces avec les auteurs de bandes dessinées Philippe Pochep, Hugues Micol et Sylvie Fontaine. Une séance documentaire
vous plongera dans l'univers créatif d'Emmanuel Guibert (La Mémoire
d'Alan) et Jack Kirby (La Guerre de Kirby), tous les deux marqués par la
Seconde Guerre Mondiale. Véritable Maître du 9e art, nous consacrerons
uneséance spéciale à François Boucq(présence
sous réserve), avec la projection du documentaire d'Avril Tembouret, La
Journée durant laquelle Boucq réalise une planche entière d'un album du
Bouncer, une performance artistique fascinante qu'il est l'un des rares dessinateurs à pouvoir pratiquer. Elle sera suivie par une compétition de courts métrages pour
découvrir les nouveaux talents du cinéma, en présence des membres du
Jury: Liam Engle, Sylvie Fontaine, Hugues Micol, Pochep, Jessica Rispal
et Céline Wagner. Le public sera aussi invité à voter pour son court
métrage préféré !
Le dimanche, une sélection de courts métrages jeune public réunira toute la famille, avant la toute première représentation parisienne duGrand Méchant Renard, exceptionnel solo de théâtre et marionnettes de la Compagnie Jeux de Vilains, inspiré de la bande dessinée de Benjamin Renner.
Pour sa clôture, le Festival vous invite à embarquer sur la péniche Petit Bain (Paris 13e), sur les quais de Seine, où un Village BD regroupera de nombreux auteurs et maisons d'éditions indépendants et où vous pourrez profiter d’un concert dessiné inéditde F/LOR et Céline Wagner. Enfin les concerts de WE INSIST ! et An Albatross accompagneront les dernières festivités sous un déluge de décibels !
▬ SAMEDI 2 JUIN ▬
Médiathèque Marguerite Duras
14h – Rencontre avec Pochep
14h – Séance Documentaires (La Mémoire d'Alan, La Guerre de Kirby)
15h – Rencontre avec Hugues Micol
16h – Séance spéciale François Boucq
16h – Rencontre avec Sylvie Fontaine
18h – Compétition de courts métrages
▬ DIMANCHE 3 JUIN ▬
Médiathèque Marguerite Duras
14h – Projection de courts métrages Jeune Public
15h – Solo de Théâtre et marionnettes Le Grand Méchant Renard - Inspiré de la BD
Le
festival de littérature populaire du Goéland Masquéa son
prix BD depuis 2008, présidé par François Bourgeon et Alain Goutal, et c’est Jaime Martin qui avait inauguré le
palmarès avec l’excellent Ce que le vent apporte (Dupuis). Pour la dixième édition, de ce Prix Mor Vran, c’est un
autre dessinateur espagnol qui est couronné par le jury : Miguelanxo Prado.
Son
album Proies faciles , publié aux éditionsRue de Sèvres, est un polar social qui plonge un duo d’enquêteurs au
coeur d’une série de meurtres dans le milieu bancaire. Une
histoire assez glaçante dans une société impitoyable pour les plus
faible et les plus naïfs… (une critique détaillée de l’album
ici, sur le site actuaBD).
Alain Goutal, au presque centre, et quelques heureux membres
Prado,
dont l’immense talent avait été récompensé dès 1991 par un
Alph Art à Angoulême (pour Manuel Montano), sera présent les 19 et
20 mai prochain à Penmac’h pour la 18ème édition du Goéland
Masqué. Il y retrouvera les lauréats des deux années passées :
Lax (Un certain Cervantès) et Götting(Watertown). Je
reviendrai dans un prochain billet sur les auteurs BD présents au
festival.
Scène de chasse au coeur de
la forêt profonde. Deux hommes sont aux aguets, prêts à occire
l’innocent cervidé qui fait une pause au bord du fleuve . Mais
l’un des deux chasseurs n’est pas tout à fait à son affaire :
il a des flashbacks, des réminiscences d’une autre type de traque,
ce « jeu », auquel on l’a contraint à participer, et
où les cibles ne sont ni plus ni moins que des hommes comme lui.
Tous impliqués dans le Jeu, comme lui. Des exécutants qui obéissent
à leurs commanditaires, « Les Voix ».
Mais Harry Exton a toujours
refusé le Jeu, et il croyait bien en être débarrassé, en se
faisant oublier au fin fond du Montana, où il est désormais Raymond
Perkins, et où il partage les immensités de la nature avec pour ami
le seul Wiley. Un ami qui a de légers doutes sur l’identité de
cet homme, aux réflexes bien affûtés pour un simple chasseur
d’épaves… Et puis Harry reçoit aussi dans son modeste chalet
Grace Watt, la charmante femme du dentiste local, et dont les visites
semblent avoir dépassé le stade de la franche courtoisie.
Tout ce fragile équilibre va
se trouver ébranlé quand les Voix vont se réveiller et décider
l’élimination définitive de ce bon vieil Harry. Et elles vont
lancer à ses trousses pas moins de treize exécutants et employer
tout ce que la technologie de l’époque peut offrir pour mettre un
terme à la déjà trop longue carrière de soliste de ce joueur
récalcitrant qu’est Harry Exton.
Les
Proies viennent mettre un terme à la formidable trilogie qu’est
l’Exécuteur – Button Man, rappelons-le, en VO – et ce final
est dans la lignée des deux précédents volumes : nerveux,
violent, spectaculaire, inventif et complètement immoral. Après Le Jeu mortel, et la Confession, il fallait àJohn
Wagner et Arthur Ranson maintenir le haut niveau de
tension de leur récit de la vie mouvementée d’Harry Exton. Ils y
parviennent, en choisissant de faire jouer leur « héros »
à « seul contre le monde entier », et en imaginant des
scènes tout aussi saisissantes que dans les deux premiers volumes.
Ranson excelle toujours autant dans les scènes nocturnes, qu’elles
soient urbaines – formidable passage à Chicago ! - ou en
pleine nature forestière et enneigée. Son final, où Harry piège
les bois, rappelle « First Blood », et Exton pourrait
s’appeler John Rambo qu’on ne trouverait pas grand-chose à y
redire. Mais L’Exécuteur est bien un personnage de polar, à l’âme
bien sombre, et qui demeurera impitoyable jusqu’à la dernière
case. La fin de l’album est sèche comme un coup de trique :
une conclusion parfaite pour ce qui devrait devenir un classique du
genre. Et qui devrait l’être depuis longtemps, damned !
Dans
la grande famille du polar en cases, je confesse un goût de plus en
plus prononcé pour les crime comics, qu’ils
nous viennent de l’Oncle Sam, ou de Sa Majesté la Reine.
Redynamisés et réinventés par Moore et Miller à l’aube des
années 90, ces comics n’ont cessé de gagner en qualité graphique
et audace scénaristique, et depuis quelques années, un
nouveau rameau est apparu : un croisement
des genres où le Noir se teinte de
fantastique, SF, gore… pour des résultats souvent
intéressants, parfois superbes, mais rarement quelconques. Et
c’est un bonheur de voir que les éditeurs français
suivent, et n’hésitent pas à traduire ces séries qui
sortent du polar le plus pur tout en gardant les codes. Parmi
celles-ci, trois sont parues récemment chez Glénat Comics. Trois
premiers tomes.
Paru
en septembre dernier, Never Go Home, de
Rosenberg, Kindlon et Hood, revisite tout à la fois le récit de
cavale et le récit initiatique, avec en toile de fond la question
existentielle : avoir des super-pouvoirs, c’est une aubaine ou
une malédiction ? C’est à quoi tentent de répondre comme
ils le peuvent les deux jeunes « héros » de La
cavale de Duncan et Maddie, obligés de tout laisser
derrière eux et de s’embarquer dans une errance sur les routes de
l’Amérique de 1989. Douée d’une force surnaturelle quand elle
est en état de stress intense, assortie d’une capacité à
détourner les balles, Maddie se laisse guider par Duncan, le pauvre
type du lycée, lui aussi « différent », dans une cavale
où deux chasseurs les pistent : les forces de l’ordre et
celles d’un mystérieux Monsieur Caroll, qui semblent en savoir pas
mal sur leur compte. Ce premier tome trépidant a même sa bande son,
omniprésente : les titres des chapitres sont des morceaux
fétiches de Duncan, tous issus de groupes de la scène hardcore-punk
underground de ces années-là et c’est avec joie qu’on retrouve
les Bad Brains, Replacements, Germs et autre Hüsker Dü.
Tenez,
je ne résiste pas à vous mettre un extrait de la mixtape de Duncan
à Maddie…
En
matière de croisement de genres, Black Magickde
Rucka et Scott lorgne lui carrément du côté des sciences
occultes puisque le personnage principal de la série, Rowan Black
est certes flic à Portsmouth, elle n’en est pas moins sorcière en
dehors des heures de service. « Tout est une histoire de
vocation » annonce ironiquement la quatrième de couv’,
mais on ne rigole pas trop à Porstmouth : un preneur d’otages
illuminé s’immole après avoir demandé à parler exclusivement à
Black, et le cadavre d’un tueur impuni est repêché du fleuve,
sérieusement abîmé et avec une main en moins… La brigade
criminelle de la ville s’y perd un peu, mais Rowan Black se garde
bien de dévoiler ce qu’elle pense être la vérité : on a
découvert son identité de sorcière et on veut la détruire, elle,
et ses semblables. Car des sorcières, il y en a d’autres, dans
cette Amérique profonde… Faire revivre au XXIème siècle les
croyances ancestrales sur des pouvoirs surnaturels détenus par des
Elu-e-s, le pari était osé, et il tient assez bien la route, car ce
premier opus – intituléLe Réveil – reste
assez sobre en matière d’effets visuels, réservant la couleur aux
passages les plus éminemment fantastiques ; tout le reste de
l’album est dans une bichromie dominée par le gris. Le scénario
de Greg Rucka est lui aussi suffisamment charpenté pour qu’un vrai
suspense soit installé autour d’un double défi pour son héroïne :
découvrir qui sont ses véritables ennemis et… réussir à
dissimuler sa double vie. La suite au prochain numéro.
La
plus originale des trois séries de cette chronique demeure
certainement The Beauty, dont le tome 1
Contaminationest vraiment prometteur. Dès la
première page, le décor est posé :
Le
problème de cette sympathique maladie qui embellit votre corps, c’est qu’un effet assez radical va bientôt faire son
apparition : au bout d’une longue période, le malade meurt.
Par combustion interne. C’est assez spectaculaire… Alors, quand
les flics enquêtent sur les premières morts liées à la maladie,
ils ne comprennent pas trop à quoi ils ont affaire. Et puis, très
vite, les scientifiques pointent le bout de leurs masques et gants de
protections, et le duo d’enquêteurs du FBI affecté à l’affaire
va comprendre que d’autres intérêts que la recherche de la vérité
sont en jeu. Et que la santé de l’espèce humaine ne vaut pas cher
face à la puissance de l’industrie pharmaceutique. Derrière
l’enquête, ce sont bien des questions éthiques que posent les
scénaristes Jason A. Hurley et Jeremy Haun . Sans oublier de raconter
une histoire prenante dès le départ, magnifiée par les
images-chocs de Haun, aussi dessinateur de la série. Une fois les
premières pages lues, impossible de lâcher The Beauty ...
Never
go home ***
1
- La Cavale de Duncan et Maddie
Scénario
Matthew Rosenberg et Patrick Kindlon ; dessin Josh Hood
Philippe Valette et son animal préféré (photo : Agence Anne & Arnaud)
Bon, la nouvelle n’est pas toute fraîche, mais pas question de la taire davantage dans ces pages : le Fauve Polar SNCF a été décerné cette année 2018 à un album qui annonce sobrement en quatrième de couv : « une aventure en open space ». Ajoutez à cette formule mystérieuse, mais prometteuse, une couverture, voyons, spectaculaire et vous avez entre les mains un des albums les plus originaux de l’an passé. Et assurément celui qui dénotait – ou détonnait, comme vous voulez – le plus dans la sélection du Fauve Polar 2018. De quoi s’agit-il ? Comme le titre l’indique, tout tourne autour d’une disquette molle, cette chose que les moins de vingt ans n’ont vu que dans leurs pires cauchemars digitalisés, et que le héros va lui retrouver dans le faux plafond de son entreprise. Une entreprise spécialisée dans le commerce méconnu des broyeuses à papier. A cause de cette disquette, Jean Doux va aller de découvertes en surprises et le lecteur, intrigué au début, va le suivre, happé et conquis, dans une quête de plus en plus haletante.
Philippe Valette réussit le tour de force de créer un suspense à partir d’objets les plus rébarbatifs et anodins, dans un environnement les plus inattendus : le bureau, époque nineties. Ajoutez-y on a une galerie de personnages assez gratinés, Jean Doux en tête (un héros entre Indiana Jones et Jean-Claude Dusse, dixit l’auteur), affublé de deux collègues pas piqués des vers non plus et vous obtenez une des bandes dessinées les plus drôles de ces dernières années.
Sur son site, Philippe Valette explique : «… A l'origine "Jean Doux et le mystère de la disquette molle" était un projet de film live, que j'avais commencé à développer en 2008. A l'époque il s'appelait CTRL-Z (bravo), et l'idée était née du mariage entre ma passion pour les récits d'aventures, à la Indiana Jones, et l'humour minitel de "Message à caractère informatif" que je possédais sur support video laser disk... »
L’étonnant style graphique de l’auteur est assorti de dialogues qui feront date. Un exemple ?
- Vous pensez que dans 20 ans les gens se moqueront des années 90 ? - Je vois pas ce qu’il pourrait trouver de drôle , on a atteint le sommet de la chaîne vestimentaire. - Ouais, c’est vrai. Indispensable ! En prime, cette chouette interview sur le site 9eme Art :
Jean Doux et le mystère de la disquette molle **** Texte et dessin Philippe Valette Delcourt, 2017 - 304 pages couleur d'époque - 190,23 FF