samedi 14 décembre 2024

[Prix Clouzot 2025] – Ter repetita pour Futuropolis : le Meunier hurlant de Nicolas Dumontheuil récompensé par le festival Regards Noirs de Niort

 

«  Bonjour docteur. C’est pour une consultation. Je suis fou. »

Et le docteur de faire entrer patient dans son cabinet, une pièce grouillant d’animaux empaillés. Des trophées de chasse dont le carabin est assez fier. Mais là n’est pas l’objet de la consultation :

- Alors notre meunier est fou ? C’est pour ça que tu viens ? Je ne crois pas beaucoup me tromper en disant que tu es neurasthénique.

- Il y a des pilules pour ça ? Si ça pouvait calmer les villageois…

- Les villageois n’ont pas besoin de pilules. Pourquoi cries-tu au juste ?

- Je ne sais pas, ça sort tout seul. Automatiquement. »


Voilà donc où en est Agnar Huttunen, quelques temps après avoir repris un moulin abandonné près du petit village de Oulu, en Laponie finlandaise. Une reprise qui surprend les autochtones, d’abord curieux de savoir qui est ce grand échalas un peu bizarre qui a réussi à remettre le moulin en marche. Une curiosité qui va vite céder à la panique, puis à la vindicte quand ils vont découvrir passe son temps à hurler à tout moment et à imiter bon nombre d’animaux sauvages. Seule la douce conseillère horticole Sanelma Kayramo semble faire preuve d’empathie. Mais Agnar se retrouve vite persécuté par les villageois qui n’ont qu’un but : le faire enfermer…

On retrouve avec cette nouvelle adaptation de Paasilinna,  après La Forêt des renards pendus (Futuropolis, 2016), tout le talent de Nicolas Dumontheuil pour mettre en scène les contrées lointaines de la Finlande de l’immédiate après seconde guerre mondiale et surtout, ce don pour mettre en scène toute une galerie de personnages tous aussi pleutres, rapaces, craintifs, jaloux, avides … les uns que les autres. Les silhouettes et trognes de tout ce petit monde sont extraordinaires, et au premier chef le meunier lui-même qui avec ses allures de coq échevelé a tout à fait le physique de sa personnalité excentrique. L’intrigue suit celle du roman, pleine de péripéties étonnantes, et on suit avec une délectation légèrement angoissée – et une certaine tendresse – le destin d’Agnar le pas-comme-les-autres. La couverture de cet album est elle aussi vraiment réussie : elle résume à elle toute seule l’état d’esprit libertaire du « héros ».

Et c’est donc cette excellente adaptation qui a convaincu le jury du Prix Clouzot du festival de polar Regards Noirs de Niort. Après Le Temps des sauvages en 2018 (de Sébastien Goethals d’après Thomas Gunzig) et l’étonnant A Fake Story de Laurent Galandon et Jean-Denis Pendanx) d’après l’oublié Douglas Burroughs, en 2022, les éditions Futuropolis inscrivent une troisième fois leur nom au palmarès de ce prix. Bravo à elles et à Nicolas Dumontheuil et rendez-vous à Niort les 14 et 15 février 2025 pour la remise officielle des prix pendant le festival.


Le Meunier hurlant****

Scénario et dessin Nicolas Dumontheuil, d’après le roman de Arto Paasilinna

 Futuropolis  - 152 pages couleurs – 24 € - Parution le 10 janvier 2024


lundi 2 décembre 2024

[ Polar et doudou] – Jérôme K Jérôme Bloche 29 – Perpétuité par Alain Dodier

 

Comme à chaque fois avec ce bon vieux JKJ Bloche, l’aventure commence dès la couverture, qui distille quelques pistes et installe tout de suite une atmosphère. Voyons voyons : que peut donc bien regarder notre détective de cet air un peu… inquiet ? Quel endroit, éclairé de l’intérieur, observe-t-il derrière ces barreaux ouvragés ? Et ce doudou, que fait-il là ?

Evidemment, je triche un peu : je pose ces questions en connaissant les réponses. Mais comme d’habitude, force est de constater tout le talent de Dodier à mettre en scène les affaires suivies par Bloche, le détective au solex. Plus que jamais au solex, même, car cet engin fétiche va même avoir un lien direct avec l’enquête en cours. Celle-ci commence lorsque Burhan, vieil ami de Jérôme, lance celui-ci sur la trace du doudou de Yasmina, fille de Rachida, une femme de ménage intervenant chez une vieille bourgeoise prof de piano, pas commode du tout. Si peu commode qu’elle nie l’évidence de la perte de ce doudou dans sa maison : Yasmina et sa mère sont pourtant certaines de sa présence dans la vénérable et vaste demeure. Il ne reste donc plus à Jérôme qu’à s’approcher à son tour de la propriété, sans tomber trop vite sur la gardienne des lieux…

Perpétuité, ce vingt-neuvième volume des aventures policières de JKJ Bloche est dans la droite ligne des précédentes : une enquête assez simple à la base, et dont tout l’intérêt réside autant dans la résolution de l’affaire que dans l’époque et les lieux où elle prend corps : ici et maintenant. Une grande ville de la France de 2025, où chacun fait face comme il peut aux petits et grands malheurs de son quotidien. Il sera ainsi question de la place que laisse notre société aux malades et à celles et ceux touchés dans leurs corps. Entre autres. C’est aussi un épisode où on croise avec toujours le même plaisir presque tous les personnages qui sont les proches de Jérôme avec cette fois en première ligne Burhan qui veut jouer aussi les détectives à sa manière, ce qui donne la petite touche humoristique présente à chaque album. Celle qui est moins présente, c’est Babette, car à l’étranger pour quelques jours, mais qui trouve le moyen de s’incruster dans les rêves de Jérôme, et lui faire la morale. Là encore, un peu de lumière dans une histoire au final assez sombre, mais d’où ressort une profonde humanité de chacun des personnages.

Une nouvel épisode réussi, pour une série qui ne s’essouffle pas, ni dans ses propos et intrigue, ni dans le trait et la science de la planche d’Alain Dodier, définitivement un des maîtres du Neuvième Art, branche classique franco-belge (appellation non contrôlée).

Un statut confirmé par Dupuis qui sort en même temps que ce tome 29 de la série, le volume dix de sa collection « Une vie en dessins », très bel ouvrage sur la carrière d’Alain Dodier, avec une place de choix pour Jérôme K. Jérôme Bloche, qui fait la une et dont le nom figure même aux côtés de son créateur sur la couverture c’est dire…


Jérôme K Jérôme Bloche 29 – Perpétuité ****

Scénario et dessin Alain Dodier

Dupuis – 58 pages couleur – Sortie le 18 octobre 2024 – 13,50 €

Dodier, une vie en dessins****

Dupuis / Champaka - 192 pages - Sortie le 18 octobre 2024 – 69 €

dimanche 24 novembre 2024

[ Prix Goscinny 2025] – Les Navigateurs par Serge Lehman et Stéphane De Caneva (Delcourt)

 Max, Arthur et Sébastien forment un trio dont les liens d’amitiés se sont tissés au cours de leurs années lycéennes, en pleine eighties. Une jeune femme, Neige, gravitait alors aussi autour du trio, qu’elle retrouvait après les cours à Clamart, où ils formaient la bande du Panorama, de jeunes gens attirés par l’art, les voyages aventureux, l’écriture, la photographie. Neige a soudainement quitté le groupe, et la France, suite à un épisode dont seul Max, devenu écrivain, pourrait expliquer les raisons… La surprise est de taille lorsque vingt ans après, Neige fait son retour : ils vont avoir des tas de choses à se raconter. Ce qu’ils font, un peu lors d’une soirée de retrouvailles, mais il reste des choses à dire. Max, que ce retour perturbe un peu plus que les autres décide de retourner voir Neige un soir, seul, mais alors qu’il arrive devant sa villa, un phénomène étrange et terrifiant se produit : des bruits stridents que tout le quartier entend émanent de la maison… situation d’autant plus angoissante que Max croit distinguer les ombres d’une forme arachnéenne géante à une fenêtre de l’étage. Et lorsqu’il pénètre avec Arthur, habitant lui à proximité et venu sur les lieux, les deux amis constatent la disparition de leur amie… qu’ils croient reconnaître sur une fresque murale, au pied d’une gigantesque araignée. La police arrive sur place et tout le monde va se mettre à enquêter, sur une disparition pour le moins irrationnelle. Et dont certaines pistes semblent difficiles à suivre comme le dit Sébastien à Max : « Mets-toi à ma place : tu m’expliques que notre vieille copine de lycée a été aspirée dans une peinture du XIXème siècle »…


Voici donc la base de ces Navigateurs, une intrigue signée Serge Lehman, qui entremêle avec bonheur les genres, les époques, et les faits historiques et artistiques, ce que confirme un des trois amis :  «ça ressemble plus à une histoire de l’art qu’à une enquête policière, votre truc » . En effet, on y croise Odilon Redon, Jean Cocteau, des revues littéraires, mais aussi la figure d’Eugène Belgrand, inventeur de l’hydrologie, et auteur d’une fascinante carte de la Seine aux temps ante-préhistorique, où Montmartre était une île… Doué pour les récits à la croisée des genres (comme Saint-Elme, dont le tome 5 est en compétition aussi pour le Fauve d’Or au FIBD 2025) Lehmann mêle ici comme à son habitude avec subtilité tous ces ingrédients, et construit un polar aux portes du Merveilleux, un fascinant voyage dans le temps et donne une envie de se replonger dans ces univers symbolistes et fantastiques de Redon, et de reluire le Huysmans de Là-bas… Et le dessin de Stéphane de Caneva, dans un noir, gris et blanc , rend particulièrement vivant cet univers tantôt réaliste, tantôt onirique, où tout semble crédible, même le plus improbable. Ses planches finales, là où l’histoire bascule vers son dénouement fantastique participent énormément à la réussite de cet album hors-norme, où chacun va aussi voir sa vie bouleversée. Une très grande bande dessinée, qui vient de recevoir le Prix Goscinny 2025, de l'Institut René Goscinny, qui met en avant le travail spécifique des scénaristes.

Les Navigateurs *****
Scénario Serge Lehman et dessin Stéphane de Caneva
Delcourt – 208 pages noir et blanc – Sortie le 2 octobre 2024 - 26,50 €

jeudi 21 novembre 2024

[Encore mieux que les super-héros] - The good asian – Une enquête d’Edison Hark par Pichetshote et Tefenkgi (Komics Initiative)

 

San Francisco, 1936. Edison Hark, enquêteur de son état, revient de toute urgence à la maison – adoptive – familiale, alerté par son demi-frère Frankie Carroway : Mason, leur père, grande fortune de l’industrie sucrière, est dans le coma. Un état provoqué semble-t-il par la disparition brutale d’Ivy CHen la domestique asiatique – et amante ? – de Mason : une dispute serait à l’origine de la fuite de la jeune femme, qui n’a plus donné signe de vie depuis l’altercation. Et puisque les flics locaux ne remontent aucune piste, qui de mieux placé qu’Eddy, le fils préféré, pour aller voir ce qui se trame du côté de Chinatown ? Hark est membre de la famille certes, mais est surtout américain d’origine chinoise, et les portes devraient s’ouvrir plus facilement. C’est bien le cas, mais très vite l’affaire va dévier sur un tueur quasi-légendaire, Hui Tong, qui semble bien avoir quitté les récits folkloriques pour semer les cadavres dans un jeu de piste, où les protagonistes sont aussi nombreux que leurs motivations à vouloir prendre le contrôle de Chinatown…


Meilleur Récit Complet aux Eisner Awards 2022 et Livre de l’année aux Harvey Awards la même année, The Good Asian est bien ce qu’annonce une des nombreuses couvertures de ce comics : « A Noir mystery featuring the first immigrants officially banned from America… The Chinese ». Pornsak Pichetshote  et Alexandre Tefenkgi réussissent le tour de force d’un récit tout à la fois noir, historique et politique, avec une intrigue bâtie autour d’un des tout premiers détectives sino-américain, qui tente comme il peut de mener une enquête à une époque où le racisme anti-chinois est au plus haut, fruit de lois anti-immigratoires radicales votées depuis les années 1870, visant particulièrement les asiatiques. 

 

 Le personnage d’Edison Hark – qui a forcément un petit côté Charlie Chan le privé créé par Earl Biggers en 1925 - est magnifique : en constante interrogation sur son identité, hésitant sur les choix à opérer, malmené de bout en bout par ses adversaires comme par sa famille, souvent obligé de faire profil bas, de mentir, il est le parfait reflet de qu’on dû être les immigrés asiatiques de ces décennies-là. Pourtant, ne pourrait-il pas être lui, le sino-américain, un espoir pour ces Chinois déracinés, ce « pont » qu’évoque un de ses amis entre les peuples et leurs cultures ? C’est une des nombreuses questions que posent les auteurs de cette brillante série (12 épisodes en vo chez Image Comics en 2021) , avec celle des rapports familiaux, du racisme ambiant du pays… et de sa violence récurrente.

L’intrigue de Pichetshote en elle-même est dense, palpitante, aux ramifications complexes, très bien rythmée par des planches adaptées à chacune des scènes : cadrages hyper-dynamiques pour les scènes d’action, cases déstructurées aux bons moments, et pleines pages judicieusement distillées. Le travail graphique de Tefenkgi est à la hauteur de ce récit ambitieux, qui a reçu un accueil positif unanime lors de sa parution américaine. Komics Iniative en propose une très belle édition, agrémentées de notes historiques passionnantes et autres bonus graphiques roboratifs. Une vraie découverte.

Un album en compétition pour le Fauve polar SNCF Voyageurs 2025 !


The good asian – Une enquête d’Edison Hark ****

Scénario Pornsak Pichetshote ; dessin Alexandre Tefenkgi – Trad. Benjamin Viette

Komics Initiative - 304 pages couleurs – Sortie le 24 octobre 2024

lundi 14 octobre 2024

[Vive les blaireaux!] - Grandville – Force Majeure, de Bryan Talbot (Delirium)

 

Un restaurant de fruits de mer, chic et art déco. Les convives dînent dans une ambiance feutrée, calme et reposée. Soudain c’est le chaos : les grandes baies vitrées explosent en milliers de fragments de verre, les clients sont criblés de balles tirées en rafales. Cela ne dure que quelques secondes et à la fin, les poissons encore vivants restent tétanisés. Pas les poissons des assiettes : les poissons en costumes trois-pièces car nous voici au début du cinquième et dernier tome de Grandville, la série polar phare de Bryan Talbot où les personnages sont tous des animaux anthromorphes. Et quelle série ! Pour mémoire, nous voici à une époque où, 200 ans après la victoire de Napoléon sur l’Angleterre, Paris s’appelle désormais Grandville, et est le coeur du plus grand empire du monde. Mais au moment où s’ouvre Force Majeure, l’Angleterre a retrouvé son indépendance, et la France est gouvernée par un Conseil Révolutionnaire. C’est dans ce contexte que l’inspecteur LeBrock, un blaireau vigoureux et fin limier, va enquêter sur ce massacre du restaurant, en compagnie de son fidèle adjoint Roderick Ratzi, certes plus chétif – il ne faut pas trop en demander à un rat – mais tout aussi efficace dans les affaires qu’il démêle avec son chef. Et celle-ci va vite les conduire à la piste de Tiberius Koenig, lézard rouge tendance tyrannosaure, et qui est à la tête avec ses frères du gang le plus meurtrier et sanguinaire de la ville. Et en passe de réunifier toutes les bandes de malfrats, malfaiteurs et malfaisants de la cité. Mais LeBrock va aussi vite se rendre compte que c’est lui-même la cible, ainsi que tous ses proches, une vieille histoire de vengeance à assouvir pour Koenig…



C’est un bonheur absolu de retrouver l’univers steampunk et spectaculaire de Bryan Talbot, dans une intrigue digne des quatre précédentes (il faut lire tout Grandvlle !), et qui cette fois donne à découvrir le passé de l’indestructible blaireau, et ses débuts dans la police sous la houlette de son mentor, l’inspecteur en chef Stamford Hakwsmoor. Et en parallèle à la narration d’une enquête ancienne et exemplaire, Talbot nous mène par le bout du museau dans l’affaire la plus dangereuse que LeBrock ait eu à résoudre, avec un de ses adversaires les plus coriaces et impitoyables.

 Une construction narrative sans faille au rythme graphique infernal. Avec toujours ces sens du cadrage et de l’action : la scène d’introduction est à couper le souffle, tout comme un peu plus loin une poursuite dans les rues mal famées de Grandville, entre Billie, la fiancée de LeBrock et les sbires de Koenig. 

Ajoutez à cela une bonne dose d’humour dans les dialogues aux réparties percutantes (les piques du héros à son supérieur hiérarchique, abruti notoire, sont savoureuses), et vous avez bien entre les mains un must du comics anglais !

 Sans oublier ce qui fait également tout le charme de la série depuis le début : ces clins d’oeil et références à l’art, la culture, le cinéma dont Talbot parsème avec délectation ses aventures. C’est un jeu de s’amuser à les retrouver ! Parfois c’est facile : tel cette visite au musée de cire où LeBrock admire un peu amusé les statues de Blacksad et Canardo, dans la partie « Célèbres détectives ». 

Et pourquoi tu n’y es pas toi ? demande Billie. Question juste : LeBrock a toute sa place sur le podium. Il est même sur la plus haute marche !

  Et si vous ne trouvez pas, plongez-vous dans les commentaires de Bryan Talbot himself, à la fin de l'album, c'est passionnant !

 

 

Encore merci à Delirium d’avoir repris cette superbe série, et traduit les trois tomes restés inédits. 

Avec « Noël », quatrième paru en début d’année, 2024 est vraiment l’année Grandville !

 

 

Une sortie fêtée comme il se doit par une tournée, débutée ici à la librairie Planète Dessin le 7 septembre dernier, par Laurent Lerner, boss de Delirium, et Bryan Talbot (avec sa femme Mary sur la photo),… et deux nouveaux fans – 600ème acheteurs ! 

 

Granville – Force Majeure *****

Textes, dessins et couleurs Bryan Talbot – Trad. Philippe Touboul

Delirium – 162 pages couleurs – Sortie le 6 septembre 2024

lundi 7 octobre 2024

[PRIX] - Le Trophée 813 de la Bande Dessinée 2024 à Dabitch et Macola pour « Le Passeur de lagunes » (Futuropolis)

 Un mois déjà que la cérémonie de remise des Trophées de l’Association 813 a eu lieu à la BILIPO à Paris ! Et alors que j’étais sur place, je ne vous ai pas encore parlé ici. C’est pas bien ! Alors avec un léger différé c’est avec joie que je vous annonce que Le Trophée 2024 de la Bande dessinée a été décerné au duo Christophe Dabitch (scénario) et Piero Macola (dessin) (notre photo exclusive :-) ) pour Le Passeur de lagunes (Futuropolis).

 


 J’avais chroniqué cet album à sa sortie : cliquez-donc ici si vous voulez en savoir plus sur ce superbe album.

Mais les Trophées 813 sont aussi décernés pour d’autres catégories

- Le roman francophone : Marin Ledun pour son roman "Free Queens" (Série Noire)

le Trophée Michèle Witta récompense un roman étranger : Denis Lehane pour "Le Silence" (Gallmeister), traduction de François Happe

- Le Prix Maurice Renault pour au livre Derrière les lignes ennemies, recueil d’entretiens donnés par Jean-Patrick Manchette de 1973 à 1993, et édité à la Table Ronde par Nicolas Le Flahec

- Enfin le Trophée de la nouvelle a été attribué au collectif « Stop ! » aux éditions La Manufacture de livres

 

Un petit tour ici sur le blog de 813 vous remettra dans l’ambiance de ce samedi 7 septembre, en images et en photos (merci Boris Lamot!)



dimanche 4 août 2024

[Naissance des True crimes stories] – Truman Capote : retour à Garden City, par Nadar et Xavier Betaucourt (Futuropolis)

 

Dès qu’il s’agit d’aborder la littérature en bande dessinée on peut compter sur Futuropolis. Mais je ne vais pas ici vous chroniquer une des nombreuses adaptations du mois (il y en a pas mal et des pas trop mal), et encore moins vous exposer mon avis tranché sur le roman graphique (c’est de la BD, question suivante) mais bien vous vanter les qualités de ce Truman Capote de Xavier Bétaucourt et Nadar, paru il y a quelques mois.


Sous-titré « Retour à Garden City », cet album dense mais à la lecture hyper fluide narre le retour de Truman à Holcomb, en mars 1967, sur le tournage du film « De sang froid », adaptation par Richard Brooks du roman majeur de Capote, paru un an plus tôt. Roman  ou plutôt récit majeur et précurseur d’un genre appelé à rencontrer un succès durable : le true crime. Le titre complet du livre est  en effet : « De sang froid : récit véridique d’un meurtre multiple et de ses conséquences ».


Et ce qui est donné à lire dans cet album de Bétaucourt et Nadar, ce sont d’autres conséquences : celles de l’écriture de cette œuvre sur son auteur. Car ce retour sur les lieux du crime – le massacre d’une famille de fermiers par deux hommes, Perry Smith et Richard Hickock - se passe en 1967, huit ans après les faits, presqu’autant d’années qu’a mis Capote a aller au bout d’un projet qui l’a littéralement consumé. Et c’est toute cette longue gestation qui est mise en images, par aller-retours entre trois périodes / moments-clés : un, le meurtre des Clutter, l’arrestation, l’interrogatoire et l’execution de Smith et Hickock, deux le travail sur le terrain auprès de la population par Capote et son amie Harper Lee pour le New Yorker – et le début de la relation particulière du romancier avec Perry Smith – et enfin, trois, ce retour à Holcomb sur le tournage du film. Trois périodes habilement distillées et imbriquées les unes dans les autres par les auteurs, et qui permettent peu à peu de cerner la personnalité de Truman Capote et de définir les contours de cette attraction / répulsion qu’il a eu pour ce faits divers et cette Amérique profonde. Un Kansas aux mœurs qui devaient lui paraître bien lointains, à lui le dandy New-Yorkais habitué de la jet-set littéraire et des feux de la notoriété. Si loin, mais peut-être si proche également, au regard de la proximité de plus en plus grande que Capote semble éprouver envers Smith, son presque double maléfique… Qu’est-ce qui fait qu’on bascule du mauvais côté ? Un passage clé de l’album aborde la question. Alors que Capote vient rendre visite au meurtrier – alors que c’est interdit, mais le journaliste-romancier avait quelques arrangements avec le chef de la police locale – et que Smith est en train de – bien – dessiner le dialogue s’installe :


- C’est beau 

- Je te l’ai déjà dit, j’aurais été artiste si la société ne m’avait pas amené ici

- Comment ça ?

- Tout ça c’est la faute à ce que j’ai vécu dans mon enfance…


Une conversation qui ramène instantanément Capote à son enfance à lui, « une des pires enfances au monde », ce qui ne l’a pas empêché de rester « à peu près correct et respectueux des lois ».

Se dresse ainsi au fil des pages une description psychologique d’un auteur certain d’écrire un ouvrage majeur mais de ne pas toujours être sûr de comment finir… tant que les meurtriers sont encore de ce monde. A noter que le côté imbu de lui-même et méprisant de Capote est bien présent et que graphiquement il est très réussi comme tous les autres personnages d’ailleurs. Nadar fait passer aussi pas mal d’émotions par son trait, et c’est une autre des forces de cette BD.

Une autre et non des moindres est de donner l’envie de se replonger dans les autres romans et nouvelles de Capote, qui n’écrira plus rien de marquant après De sang froid.

Et l’envie aussi d’aller voir du côté du plus célèbre roman de son amie Harper Lee, « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur » (To kill a Mocking bird), paru lui en 1960, et figurant dans les 100 meilleurs livres policiers de tous les temps, liste établie par les Mysterious Writers of America en 1995.


Enfin, à noter qu’une autre BD avait pour cadre Capote in Kansas, comics de Ande Parks et Chris Samnee (édition française chez Akileos en 2006), qui suivait les pas de l’auteur au même endroit mais plus longuement au moment de l’écriture de son livre, peu de temps après le massacre de Holcomb. A lire également . Avec In cold blood, of course…


Truman Capote : retour à Garden City ****

Récit Xavier Betaucourt et dessins Nadar - Futuropolis, 2024 – 112 pages couleurs – 21 €

Parution 1er mai 2024


lundi 22 juillet 2024

[Adaptation] – Mysteras et la Cour d’épouvante : Le retour d’Harry Dickson chez Dupuis, par Headline, Vergari et Catacchio

 

Faut-il encore présenter le célèbre détective de l’étrange, Harry Dickson, alias le Sherlock Holmes américain ? Peut-être oui, car s’il a acquis au fil des décennies un statut de personnage classique de la littérature policière, le héros créée par Jean Ray, créée dans les années 20, reste certainement encore dans l’ombre des mastodontes Holmes (donc) et Lupin. Cette nouvelle reprise en cases marque une volonté – dixit les éditions Dupuis - de « lui redonner tout son prestige et ses lettres lettres de noblesses en offrant à ses exploits une adaptation graphique et narrative impeccable et pertinente ». 

 

D’abord – et donc – pour qui ne connaît pas encore Harry Dickson, sachez que c’est un détective suprêmement intelligent, et que ses enquêtes le mènent systématiquement aux frontières du fantastique : une banale affaire a vite fait de basculer dans le monde des fantômes, vampires, savants fous et autres ennemis baignant sans vergogne dans le surnaturel. Assisté du jeune et fidèle Tom Wills, sur qui Dickson compte surtout quand il s’agit de donner du coup de poing ou de revolver, tous deux résolvent des affaires aux rebondissements multiples et spectaculaires, dans des ambiances délicieusement flippantes. Voilà le tableau côté romans, ou plutôt novellas, car les histoires de Jean Ray sont plutôt de longues nouvelles, d’environ 70-80 pages.

Et pour inaugurer ce nouveau cycle d’adaptations, le trio Doug Headline- Luana Vergari (scénario) et Onofrio Catacchio (dessin) a choisi de se replonger dans l’imposant corpus de ces trépidantes aventures existantes (plus de cent) et a porté son choix sur ?? Mystéras ?? et la Cour d’épouvante pour ses deux premiers tomes. Choix judicieux car il permet d’entrain de plain-pied dans l’univers dicksonnien : un condamné électrocuté sur la chaise électrique réussit son évasion, pendant qu’une romancière prisonnière de sa propre tour ultra-moderne est enlevée - alors que c’est impossible - (Mysteras) et un homme – millionnaire - en proie à un cauchemar récurrent (il passe en jugement devant un terrifiant tribunal qui finit par le condamner à mort) en appelle à Dickson pour le sortir de ces songes de plus en plus réels (La Cour d’épouvante). Rien que ça !

Et dans les deux cas – les albums constituent une sorte de diptyque même s’ils peuvent se lire de manière indépendante – un génie du mal et de la manipulation est à l’oeuvre, un ennemi qui tient autant de Moriarty que de Fantômas…


Disons-le franchement : c’est avec un grand plaisir que le fan de Dickson (dont je suis) retrouve l’atmosphère si particulière qui règne dans les histoires de Jean Ray. Tout y est, des landes embrumées aux manoirs austères et menaçants, en passant par les déguisements audacieux, les créatures nocturnes inquiétantes, les courses-poursuites échevelées et les coups-fourrés de dernière minute. Un vrai feu d’artifice, réussi grâce au trait « ligne claire » adopté par Catacchio, et qui convient tout à fait à aux scénarios du duo Headline-Vergari. Il y a certes aussi un côté vintage dans ces planches, mais qui colle finalement bien à l'époque des intrigues de Jean Ray.

D’autres auteurs s’étaient déjà emparés de Harry Dickson, notamment par Vanderhaege, Zanon et Renaud (13 albums entre 1986 et 2018) ou par Nolane et Roman (13 histoires, cette fois, originales de 1992 à 2009) mais c’est certainement ce retour chez Dupuis, qui prévoit 1 tome par an, qui est le plus proche de l’esprit de la série. Si vous ne connaissiez pas encore le « Sherlock Holmes américain », c’est le moment ou jamais de le rencontrer. Lui et ses « ennemis vomis par l’enfer » (tels qu’ils sont qualifiés dans l’excellente postface du tome 2) dont le prochain sera « Le Vampire aux yeux rouges »… 


Harry Dickson *** , d’après Jean Ray

Scénario Doug Headline et Luana Vergari – Dessin Onofrio Catacchio – Dupuis, 64 pages couleur

1 – Mysteras (5 mai 2023)

2 – La cour d’épouvante (17 mai 2024)

lundi 17 juin 2024

[un scénariste à suivre] - Un hiver à l'opéra ? Quelque chose de froid ! Deux albums de Philippe Pelaez chez Bamboo et Glénat

 Bon, d'accord, je plaide coupable pour le titre en forme de jeux de mots laid mais n'emp^che : depuis une petite dizaine d’années, son nom revient régulièrement sur nombre de couvertures d’albums, dont une bonne poignée de polars : Philippe Pelaez fait désormais partie de ces orfèvres du scénario dont la moindre nouveauté mérite qu’on s’y arrête. Retour sur deux sorties récentes : Hiver à l’opéra (Bamboo – Grand Angle) avec Alexis Chabert  et Quelque chose de froid (Glénat) avec Hugues Labiano. 

 

Deuxième opus d’un cycle qui embrassera les quatre saisons, Hiver à l’opéra reprend là où Automne en Baie de Somme s’était arrêté : à la fin du XIXème, l’inspecteur Broyan, après une affaire politico-industrielle où il a fait tomber quelques têtes dont certaines haut placées, se retrouve près du licenciement. Et le voici, en cette année 1897, à l’Opéra Garnier, où débute une nouvelle affaire qui va émouvoir les foules, qui plus est en direct : un colonel chargé de la sécurité du Président de la République en personne est spectaculairement jeté en pâture au spectateurs, là pour La Damnation de Faust. C’est une autre damnation, et d’autres ombres de son passé auxquelles va être confronté Broyan, qui se lance dans l’enquête malgré sa radiation : qui peut bien être cette mystérieuse tueuse capée de rouge et masquée de blanc qu’il était à deux doigts d’arrêter ? Le scénario de Pelaez à la lisière du fantastique – hommage direct et assumé à Gaston Leroux – est une nouvelle fois magnifiquement mis en image par Alexis Chabert, qui restitue à merveille un Paris en plein Art Nouveau. Ses couleurs directes, au pastel ou à l’aquarelle, et ses décors fascinants (mention spéciale aux sous-sol labyrinthiques de l’Oéra-Garnier!) participent complètement à l’immersion totale dans l’univers créé par son scénariste. Il reste deux saisons à découvrir, alors vivement le Printemps !

 

Quelque chose de froid est l’album inaugural d’une trilogie baptisée Trois touches de Noir. Et l’entrée en matière donne tout à fait le ton… Nous sommes cette fois en 1936 dans l’Ohio, à Cleveland pour être précis où un dénommé Hedgeway, malfrat de son état, est de retour, mais… pour quoi faire ? C’est ce que se demande la police locale, qui décide de le tenir à l’oeil, en attendant de réussir à le faire parler sur des affaires passées : Hedgeway était visiblement bien vu par le parrain local avant de le trahir en emportant bijoux et livres de comptes… Et c’est dans un hôtel où les pensionnaires auraient pu figurer au générique du Freaks de Tod Browning qu’atterrit l’homme de main. Ce camp de base et ses inquiétants locataires est parfait pour la vengeance ourdie par Hedgeway : il lui reste à attendre la suite des événements, qui ne tarderont pas à se précipiter… 

 

C’est cette fois avec Hugues Labiano que Philippe Pelaez s’est associé pour ce qui est un véritable hommage au film noir des années 40-50. Et c’est graphiquement aussi réussi que dans le cycle évoqué plus haut… mais avec une ambiance nettement plus sombre ! Composé en bichromie où dominent le bleu-gris,et où les scènes nocturnes sont éclairées à la lune ou au néon, c’est une plongée au coeur d’une Amérique profonde et poisseuse que nous convient les auteurs. Et qui n’hésitent pas à convoquer la figure mythique d’Elliot Ness le temps de quelques scènes, et surtout de situer leur histoire au moment où la ville est en proie à la psychose du « tueur aux torses » (oui le « Torso » du comics de Brian Michael Bendis). Au-delà de cet aspect historique, c’est aussi tout le côté psychologique qui fait mouche dans le récit de Pelaez : son « héros » ne s’approche-t-il pas dangereusement du côté sombre de l’âme humaine au fur et à mesure que sa vengeance s’accomplit ? Une des nombreuses questions posées par cet album splendide, agrémenté d’un passionnant dossier sur le film noir en fin d’album, par Pelaez lui-même.

Là encore, on attendant la deuxième des Trois touches de Noir avec une impatience  certaine ! 

Et pour connaître en savoir un peu plus sur ce scénariste, rendez-vous cet été dans les pages du prochain numéro de la revue 813 (le n°149) pour un entretien avec Philippe Pelaez...

Ou tout de suite sur son site : De Bruit et de fureur.

(PS : pour cellezetceusses qui croient déjà avoir déjà lu cet article, c'est normal : il est passé dans le numéro 228 de la Tête en Noir. Je suis un bloggueur éco-responsable : je recycle)

 

Hiver à l’opéra ****

Scénario Philippe Pelaez et dessin et couleurs Alexis Chabert - Bamboo (Grand Angle)

72 pages couleurs -16,90 € - Parution octobre 2023

 

Trois touches de Noir - Quelque chose de froid ****

Scénario Philippe Pelaez,dessin Hugues Labiano, couleurs Jérôme Maffre – Glénat

64 pages bichromie -15,50 € - Parution 6 mars 2024

dimanche 26 mai 2024

[Western crépusculaire] –Pastorius Grant, par Marion Mousse (Dargaud)


 Voilà longtemps que je ne vous avais pas causé Western dans ces pages alors c’est le moment vous présenter le cow-boy solitaire créé par Marion Mousse : Pastorius Grant, chasseur de primes en bout de course, qui recrache plus vite ses poumons qu’il ne dégaine son colt 45 Buntline Special.

Mais ce cow-boy n’est pas si solitaire que ça, et gravitent autour de lui ceux et surtout celle qui vont être au centre de cette histoire crépusculaire. Par ordre d’apparition voici donc Porti et Tavez, le gros et le maigre, traqueurs mexicains de la même proie que Grant. Ils n’ont pas l’air bien finauds, mais semblent pugnaces, même si Tavez ne sent pas trop le coin où ils viennent d’arriver : n’y a t-il pas encore des Comanches dans cette réserve soit-disant désertée par les Indiens ? Faut voir…

Big Hand est lui le prisonnier de Grant, qui le ramène en ville, à Christfield, pour toucher les 5000 dollars de prime. Entravé, le hors-la-loi doute fortement de la capacité du chasseur de primes souffreteux d’arriver à bon port et n’a qu’une crainte finir aux mains des sauvages.

Et enfin, arrive sans crier gare au beau milieu de ce quatuor, Annabelle Hope, petite fille d’une douzaine d’années. Elle veut embaucher Pastorius pour qu’il retrouve celui qui a tué son père, qui lui a dit « S’il m’arrive malheur, va voir Pastorius Grant ». La mort étant une forme de malheur, Annabelle a donc suivi le conseil paternel. Mais pas facile de trouver son chemin dans la forêt sauvage quand on est aveugle : heureusement, la gamine voyage avec son cochon, qui la guide grâce à son flair redoutable…

Tout ce petit monde chemine à travers une nature rude et grandiose, et va finir par se retrouver. Les comptes vont pouvoir être réglés, mais qui au final l’emportera au Paradis ?

Ce western est une merveille ! Déjà, dès les premières pages, on ne peut être qu’emporté par ces décors et ces scènes réalisés en couleurs directes : la palette choisie par Marion Mousse fait de Pastorius Grant un album invitant à un voyage autant onirique que philosophique… Rien que ça, oui ! Cette forêt nocturne nimbée de rose, mauve et bleu, et ces collines luxuriantes, ces pistes rocailleuses encaissées dans des canyons orangés, cet énorme rocher suspendu présent dès la couverture ; tout concourt à faire de cette traque une véritable réflexion sur le sens de la vie, et c’est à un vrai examen de conscience que va se livrer Pastorius Grant, dès que la jeune Annabelle va faire irruption dans sa vie. Ou plutôt dans ce qu’il lui reste de vie.

 

Bon évidemment, tout cela on le découvre au fur et à mesure de ce qui demeure un récit à suspense – oui, tout de même – au rythme parfait, avec ce qu’il faut d’ingrédients pour qu’on ne décroche à aucun moment. Et il faut le répéter : chaque page est un régal, tout fait sens, et sensation même. On peut même y voir un hommage à Lucky Luke : ce Grant solitaire n’a-t-il pas la même tenue que le célèbre homme qui tire plus vite que son ombre ? Ici, la silhouette courbée sur son fidèle cheval Général s’apprête à rejoindre les ombres. Partira-t-il en paix ? A vous de juger… Cet album est certainement un des meilleurs de Marion Mousse (auteur rappelez vous de GhoSt 111, fauve Polar SCNF 2021), auteur également récemment d’un Bela Lugosi du meilleur goût (scénario de Philippe Thirault, dans la collection 9 ½ consacrée au cinéma chez Glénat).

Enfin, si vous êtes à Paris le jeudi 13 juin, passez donc à la Librairie Super Héros, Marions Mousse y dédicacera cet album


Pastorius Grant ****

Textes et dessin Marion Mousse – Dargaud, 2024 – 116 pages couleur – 21 €

Parution 24 mai 2024


mercredi 1 mai 2024

[Adaptation] – Vénus privée : la première enquête de Duca Lamberti / Paolo Bacilieri d’après Giorgio Scerbanenco (Ici Même)

 

Regardez bien cette couverture. Au premier coup d’oeil, de loin, voici une belle femme, sensuelle, accablée par la chaleur, des perles de sueur dégoulinant sur son corps. Maintenant, penchez l’album de 90° sur la gauche, mettez le sur le dos et approchez vous  : ce ne sont pas des gouttes mais des fourmis. Voici un beau cadavre, n’est-ce pas ?

Les pages suivantes le confirment : voici la dépouille d’Alberta, découverte dans un terrain vague dans la périphérie milanaise. Un suicide, comme le conclut vite l’enquête, au regard des poignets profondément tailladés de la victime. C’est à peu près à cette même période que Duca Lamberti sort de prison : ce médecin désormais radié de la profession a passé trois ans derrière les barreaux pour avoir pratiqué l’euthanasie sur une vieille femme cancéreuse en phase terminale. Et pour son retour à l’air libre, Lamberti se voit confier par le fortuné industriel Auseri une tâche un peu particulière, celle de faire cesser l’alcoolisme de son fils Davide.

Apparemment étrangers l’un à l’autre, ces deux événements vont tout de même étrangement se percuter lorsque, en visite au cimetière de la ville, Davide demande à voir une tombe particulière en soufflant à Lamberti : « Elle s’appelle Alberta Radelli… c’est la femme que j’ai tuée l’an dernier ». Et Davide raconte alors sa rencontre avec Alberta…

Et je m’arrêterai là pour cette mise en bouche, pas question d’en dévoiler plus sur cette première enquête de Duca Lamberti, le médecin radié, et un brin tourmenté, créée par Giorgio Scerbanenco dans les années 60. Les quatre romans de la série plongeaient les lecteurs dans un Milan des plus sombres, qui ont valu - avec ses autres livres – à l’auteur le statut de maître du roman Noir italien ( il existe du reste depuis 1993 un Prix Scerbanenco récompensant le meilleur polar italien de l’année). L’adaptation de Paolo Bacilieri (à qui on doit aussi Adios Muchachos, d’après le roman de Daniel Chavarria, pour feue la collection Rivages/Casterman/noir) restitue bien l’atmosphère du roman, et on suit les pas de Lamberti dans un Milan garanti d’époque. Ses scènes de rues fourmillent de détails, et ses bâtiments dessinés sous toutes leurs coutures : il n’y a pas à dire, on est à Milan en 1966. 

 

 Mais ce qui frappe surtout, c’est cet art de la planche, où cases, angles et points de vues, ombres et lumières, plans subtilement variés, forment un tout qui fonctionne à merveille. Et côté personnage le trait du dessinateur est ici parfois proche de celui de Pichard ou de Crépax. On peut se demander aussi si Paolo Bacilieri n’a pas vu l’adaptation cinéma d’Yves Boisset (1970 sous le titre Cran d’arrêt), car son Lamberti a un petit quelque chose, de manière fugace, de Bruno Cremer qui jouait le rôle du médecin dans ce film. Film par ailleurs aux dialogues d’Antoine Blondin et à la musique de Michel Magne : à (re)découvrir assurément !

  Quant au roman matrice, il est initialement paru en 1966 en Italie, puis fut publié en France d’abord dans la collection Grands Détectives, avant d’être repris au catalogue Rivages/Noir. Venus privée a désormais trouvé refuge chez Gallmeister, dans leur élégante collection Totem, avec une nouvelle traduction de l‘italien par Laura Brignon. Le deuxième volume Tous des traîtres a également été réédité, et les deux autres de la série le seront certainement. 

 

Mais en attendant, il faut vous plonger dans cette Vénus privée-là, dans ces 160 pages dessinées avec brio. Et espérer que les trois autres romans de la série seront aussi adaptés et publiés par Ici Même, qui avait déjà à son catalogue les étonnants Fun et More Fun du même Bacilieri.


Vénus privée : la première enquête de Duca Lamberti ****

Textes et dessin Paolo Bacilieri d’après Giorgio Scerbanenco ; traduit de l’italien par Laurent Lombard – Ici Même, 2024 – 160 pages noir et blanc – 22 €

Parution 3 mai 2024