Les
héros du peuple sont immortels... mais leurs ennemis intimes aussi !
De ceux qu'on croit mort à la fin mais qui toujours se relèvent,
avec des plans encore plus diaboliques...
Sherlock
a Moriarty. Blake et Mortimer ont le Colonel Olrik. Bob Morane a
l'Ombre Jaune.
Et
Tif et Tondu ont Monsieur Choc. Un ennemi à la peau dure, inventé
par Maurice Rosy et Will, en 1954, et qui a vécu une dizaine
d'aventures, avant de disparaître une bonne fois pour toute en 1986,
dans l'album de Desberg et Will, "Dans les griffes de la Main
Blanche"...
Et
voilà qu'en novembre 2013, les lecteurs du journal de Spirou
découvrent à la une cette silhouette inquiétante, mais familière,
accompagnée d'un avertissement : "Préparez-vous à un... Choc
!". On ne saurait mieux annoncer, car ce troisième retour est
particulier à plus d'un titre : d'abord, il est scénarisé par
Stéphane Colman, et dessiné par Eric Maltaite, le fils de Will,
lui-même. Ensuite, il met en scène Choc seul, sans Tif et Tondu, et
enfin, il est d'un tout autre registre que la série qui l'a vu
naître et lorgne franchement vers le Noir.
Mais
pourquoi ce come-back, 18 ans plus tard ? José-Louis Bocquet,
directeur éditorial chez Dupuis l'explique ainsi : "Choc,
c'est le fruit de deux rencontres professionnelles. La première avec
Maurice Rosy, avec qui on était en train de préparer une
autobiographie", sous forme d'entretiens,
illustrés par lui-même, et la seconde,
avec Claude Maltaite, la veuve de Will. Chez Dupuis, on était en
train d'honorer Will, avec l'intégrale des récits de Tif et Tondu
publiés dans Spirou, et Claude me dit, "Ah tu sais, mon
gars, Eric, avec son copain Steph, ils pensent à faire un Monsieur
Choc... tu peux même aller voir sur Internet". Je connais
très bien Eric Maltaite et Stéphane Colman, puisqu'il s'agit d'eux,
depuis le début des années 80, on est de la même génération. Je
vais voir les dessins publiés sur Internet, pas inintéressants du
tout, et je prends donc contact avec eux. Je vois alors les planches,
je rencontre alors Stéphane et Eric. Je trouve vraiment intéressant
le scénario de Stéphane, qui raconte les origines de Monsieur Choc,
et surtout, raconte comment on devient un vrai criminel. C'est un
vrai roman noir des années 50 avec la dureté et la violence
d'aujourd'hui, mais qui se passe dans les années 20 à 50. L'idée
étant que l'histoire s'arrête juste avant la case où M. Choc
rencontre Tif et Tondu. Tel était leur concept.
Entre-temps, Stéphane envoie son scénario à Maurice Rosy, qui dit
: "Formidable ! Maintenant Monsieur Choc est à vous".
Et cela, Maurice me le dit. A partir de là, le projet est lancé,
pour deux gros albums de quatre-vingt planches, dont le premier sort
en avril de cette année". (Interview à Angoulême, 2 février
2014)
"Les
Fantômes de Knightgrave" se déroule dans l'Angleterre de
1955, et Choc y prépare un double vol des plus audacieux. Dans le
même temps, Colman a fait le choix de raconter l'enfance et la
jeunesse de Choc, en le faisant revenir sur les lieux de son passé,
et en premier lieu, à ce manoir de Knightgrave où sa mère fut
engagée comme cuisinière en 1926. L'album oscille ainsi constamment
entre des flashbacks, encore plus lointains, puisque le premier
remonte à 1917, et la progression des actes criminels de Choc, en ce
février glacial de 1955. Le ton est à mille lieux d'une certaine
légèreté qui prévalait du temps de Rosy. Ce qui ne lui a pas
déplu, comme l'affirme Colman : "Il était transporté de
joie ! Il m'a avoué que, s'il n'avait pas été tributaire des
contraintes que subissait la bande dessinée pour la jeunesse dans
les années 1950, il aurait donné lui-même à Choc cet aspect
sombre qui est au coeur de mon projet" (Interview dans Spirou
n°3945).
Ce
premier tome que Colman qualifie volontiers de "polar
atypique", déroutera, peut-être, par la liberté prise par
les auteurs (on y découvre par exemple que Choc est Anglais par son
père... et qu'il s'appelle Eden) mais marquera, plus sûrement, les
fans de Tif et Tondu, car il donne une autre dimension au personnage
emblématique de la série. Et il pourra séduire tous ceux qui n'ont
jamais lu les aventures du duo animé pendant Will pendant 50 ans,
tant il est moderne, lorsqu'il propose de se pencher sur les
mécanismes psychologiques qui amènent un être humain à se
transformer en monstre de froideur. Colman et Maltaite ont réellement
réalisé bien autre chose qu'un de ces nombreux "prequels"
à la mode, car ils sont allés au bout de leurs intentions initiales
:
Colman
: "Pour moi, Choc symbolise le mystère mieux que quiconque
et je voulais créeer une atmosphère lourde et pesante, à la
hauteur de ce mystère. Je préférais que le climat prime sur
l'action et que Choc fasse son entrée de manière presque
silencieuse, théâtrale. Pour lui, cette visite constitue un
pèlerinage douloureux dans ses souvenirs, d'où l'intervention dans
de divers flash-backs. (Spirou n°3946)
Maltaite
: "J'ai eu envie de rendre hommage au travail de mon père
[...]. C'est d'ailleurs lui-même qui m'avait soufflé l'idée il y a
quelques années. Il m'avait dit : "Choc est un personnage
formidable, si tu as envie d'en faire quelque chose, n'hésite pas
!". Et l'idée a fini par mûrir, lentement mais sûrement,
grâce à Colman. [...] Le style semi-réaliste de cet album a été
induit par le scénario : on est clairement dans un univers plus
"sérieux" que dans un album de Tif et Tondu. (Spirou
n°3947-3948).
Maurice
Rosy, disparu le 23 février 2013, n'aura pas eu la joie d'avoir
entre les mains ce premier tome, "Les Fantômes de Knightgrave", dont la sortie est annoncée pour le 25 avril, en même temps que son autobiographie "Rosy, c'est la vie".
Mais il aurait certainement dit : "Choc est de retour,
réjouissons-nous !" .
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Choc
1 - Les Fantômes de Knightgrave ****
Scénario
Stéphane Colman et dessin Eric Maltaite
Dupuis,
2014 - 88 pages couleur - 16,50 €