Un restaurant de fruits de mer, chic et art déco. Les convives dînent dans une ambiance feutrée, calme et reposée. Soudain c’est le chaos : les grandes baies vitrées explosent en milliers de fragments de verre, les clients sont criblés de balles tirées en rafales. Cela ne dure que quelques secondes et à la fin, les poissons encore vivants restent tétanisés. Pas les poissons des assiettes : les poissons en costumes trois-pièces car nous voici au début du cinquième et dernier tome de Grandville, la série polar phare de Bryan Talbot où les personnages sont tous des animaux anthromorphes. Et quelle série ! Pour mémoire, nous voici à une époque où, 200 ans après la victoire de Napoléon sur l’Angleterre, Paris s’appelle désormais Grandville, et est le coeur du plus grand empire du monde. Mais au moment où s’ouvre Force Majeure, l’Angleterre a retrouvé son indépendance, et la France est gouvernée par un Conseil Révolutionnaire. C’est dans ce contexte que l’inspecteur LeBrock, un blaireau vigoureux et fin limier, va enquêter sur ce massacre du restaurant, en compagnie de son fidèle adjoint Roderick Ratzi, certes plus chétif – il ne faut pas trop en demander à un rat – mais tout aussi efficace dans les affaires qu’il démêle avec son chef. Et celle-ci va vite les conduire à la piste de Tiberius Koenig, lézard rouge tendance tyrannosaure, et qui est à la tête avec ses frères du gang le plus meurtrier et sanguinaire de la ville. Et en passe de réunifier toutes les bandes de malfrats, malfaiteurs et malfaisants de la cité. Mais LeBrock va aussi vite se rendre compte que c’est lui-même la cible, ainsi que tous ses proches, une vieille histoire de vengeance à assouvir pour Koenig…
C’est un bonheur absolu de retrouver l’univers steampunk et spectaculaire de Bryan Talbot, dans une intrigue digne des quatre précédentes (il faut lire tout Grandvlle !), et qui cette fois donne à découvrir le passé de l’indestructible blaireau, et ses débuts dans la police sous la houlette de son mentor, l’inspecteur en chef Stamford Hakwsmoor. Et en parallèle à la narration d’une enquête ancienne et exemplaire, Talbot nous mène par le bout du museau dans l’affaire la plus dangereuse que LeBrock ait eu à résoudre, avec un de ses adversaires les plus coriaces et impitoyables.
Une construction narrative sans faille au rythme graphique infernal. Avec toujours ces sens du cadrage et de l’action : la scène d’introduction est à couper le souffle, tout comme un peu plus loin une poursuite dans les rues mal famées de Grandville, entre Billie, la fiancée de LeBrock et les sbires de Koenig.
Ajoutez à cela une bonne dose d’humour dans les dialogues aux réparties percutantes (les piques du héros à son supérieur hiérarchique, abruti notoire, sont savoureuses), et vous avez bien entre les mains un must du comics anglais !
Sans oublier ce qui fait également tout le charme de la série depuis le début : ces clins d’oeil et références à l’art, la culture, le cinéma dont Talbot parsème avec délectation ses aventures. C’est un jeu de s’amuser à les retrouver ! Parfois c’est facile : tel cette visite au musée de cire où LeBrock admire un peu amusé les statues de Blacksad et Canardo, dans la partie « Célèbres détectives ».
Et pourquoi tu n’y es pas toi ? demande Billie. Question juste : LeBrock a toute sa place sur le podium. Il est même sur la plus haute marche !
Et si vous ne trouvez pas, plongez-vous dans les commentaires de Bryan Talbot himself, à la fin de l'album, c'est passionnant !
Encore merci à Delirium d’avoir repris cette superbe série, et traduit les trois tomes restés inédits.
Avec « Noël », quatrième paru en début d’année, 2024 est vraiment l’année Grandville !
Une sortie fêtée comme il se doit par une tournée, débutée ici à la librairie Planète Dessin le 7 septembre dernier, par Laurent Lerner, boss de Delirium, et Bryan Talbot (avec sa femme Mary sur la photo),… et deux nouveaux fans – 600ème acheteurs !
Granville – Force Majeure *****
Textes, dessins et couleurs Bryan Talbot – Trad. Philippe Touboul
Delirium – 162 pages couleurs – Sortie le 6 septembre 2024