Ce blog est entièrement consacré au polar en cases. Essentiellement constitué de chroniques d'albums, vous y trouverez, de temps à autre, des brèves sur les festivals et des événements liés au genre ou des interviews d'auteurs.
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Bonne balade dans le noir !

samedi 14 décembre 2024

[Prix Clouzot 2025] – Ter repetita pour Futuropolis : le Meunier hurlant de Nicolas Dumontheuil récompensé par le festival Regards Noirs de Niort

 

«  Bonjour docteur. C’est pour une consultation. Je suis fou. »

Et le docteur de faire entrer patient dans son cabinet, une pièce grouillant d’animaux empaillés. Des trophées de chasse dont le carabin est assez fier. Mais là n’est pas l’objet de la consultation :

- Alors notre meunier est fou ? C’est pour ça que tu viens ? Je ne crois pas beaucoup me tromper en disant que tu es neurasthénique.

- Il y a des pilules pour ça ? Si ça pouvait calmer les villageois…

- Les villageois n’ont pas besoin de pilules. Pourquoi cries-tu au juste ?

- Je ne sais pas, ça sort tout seul. Automatiquement. »


Voilà donc où en est Agnar Huttunen, quelques temps après avoir repris un moulin abandonné près du petit village de Oulu, en Laponie finlandaise. Une reprise qui surprend les autochtones, d’abord curieux de savoir qui est ce grand échalas un peu bizarre qui a réussi à remettre le moulin en marche. Une curiosité qui va vite céder à la panique, puis à la vindicte quand ils vont découvrir passe son temps à hurler à tout moment et à imiter bon nombre d’animaux sauvages. Seule la douce conseillère horticole Sanelma Kayramo semble faire preuve d’empathie. Mais Agnar se retrouve vite persécuté par les villageois qui n’ont qu’un but : le faire enfermer…

On retrouve avec cette nouvelle adaptation de Paasilinna,  après La Forêt des renards pendus (Futuropolis, 2016), tout le talent de Nicolas Dumontheuil pour mettre en scène les contrées lointaines de la Finlande de l’immédiate après seconde guerre mondiale et surtout, ce don pour mettre en scène toute une galerie de personnages tous aussi pleutres, rapaces, craintifs, jaloux, avides … les uns que les autres. Les silhouettes et trognes de tout ce petit monde sont extraordinaires, et au premier chef le meunier lui-même qui avec ses allures de coq échevelé a tout à fait le physique de sa personnalité excentrique. L’intrigue suit celle du roman, pleine de péripéties étonnantes, et on suit avec une délectation légèrement angoissée – et une certaine tendresse – le destin d’Agnar le pas-comme-les-autres. La couverture de cet album est elle aussi vraiment réussie : elle résume à elle toute seule l’état d’esprit libertaire du « héros ».

Et c’est donc cette excellente adaptation qui a convaincu le jury du Prix Clouzot du festival de polar Regards Noirs de Niort. Après Le Temps des sauvages en 2018 (de Sébastien Goethals d’après Thomas Gunzig) et l’étonnant A Fake Story de Laurent Galandon et Jean-Denis Pendanx) d’après l’oublié Douglas Burroughs, en 2022, les éditions Futuropolis inscrivent une troisième fois leur nom au palmarès de ce prix. Bravo à elles et à Nicolas Dumontheuil et rendez-vous à Niort les 14 et 15 février 2025 pour la remise officielle des prix pendant le festival.


Le Meunier hurlant****

Scénario et dessin Nicolas Dumontheuil, d’après le roman de Arto Paasilinna

 Futuropolis  - 152 pages couleurs – 24 € - Parution le 10 janvier 2024


lundi 2 décembre 2024

[ Polar et doudou] – Jérôme K Jérôme Bloche 29 – Perpétuité par Alain Dodier

 

Comme à chaque fois avec ce bon vieux JKJ Bloche, l’aventure commence dès la couverture, qui distille quelques pistes et installe tout de suite une atmosphère. Voyons voyons : que peut donc bien regarder notre détective de cet air un peu… inquiet ? Quel endroit, éclairé de l’intérieur, observe-t-il derrière ces barreaux ouvragés ? Et ce doudou, que fait-il là ?

Evidemment, je triche un peu : je pose ces questions en connaissant les réponses. Mais comme d’habitude, force est de constater tout le talent de Dodier à mettre en scène les affaires suivies par Bloche, le détective au solex. Plus que jamais au solex, même, car cet engin fétiche va même avoir un lien direct avec l’enquête en cours. Celle-ci commence lorsque Burhan, vieil ami de Jérôme, lance celui-ci sur la trace du doudou de Yasmina, fille de Rachida, une femme de ménage intervenant chez une vieille bourgeoise prof de piano, pas commode du tout. Si peu commode qu’elle nie l’évidence de la perte de ce doudou dans sa maison : Yasmina et sa mère sont pourtant certaines de sa présence dans la vénérable et vaste demeure. Il ne reste donc plus à Jérôme qu’à s’approcher à son tour de la propriété, sans tomber trop vite sur la gardienne des lieux…

Perpétuité, ce vingt-neuvième volume des aventures policières de JKJ Bloche est dans la droite ligne des précédentes : une enquête assez simple à la base, et dont tout l’intérêt réside autant dans la résolution de l’affaire que dans l’époque et les lieux où elle prend corps : ici et maintenant. Une grande ville de la France de 2025, où chacun fait face comme il peut aux petits et grands malheurs de son quotidien. Il sera ainsi question de la place que laisse notre société aux malades et à celles et ceux touchés dans leurs corps. Entre autres. C’est aussi un épisode où on croise avec toujours le même plaisir presque tous les personnages qui sont les proches de Jérôme avec cette fois en première ligne Burhan qui veut jouer aussi les détectives à sa manière, ce qui donne la petite touche humoristique présente à chaque album. Celle qui est moins présente, c’est Babette, car à l’étranger pour quelques jours, mais qui trouve le moyen de s’incruster dans les rêves de Jérôme, et lui faire la morale. Là encore, un peu de lumière dans une histoire au final assez sombre, mais d’où ressort une profonde humanité de chacun des personnages.

Une nouvel épisode réussi, pour une série qui ne s’essouffle pas, ni dans ses propos et intrigue, ni dans le trait et la science de la planche d’Alain Dodier, définitivement un des maîtres du Neuvième Art, branche classique franco-belge (appellation non contrôlée).

Un statut confirmé par Dupuis qui sort en même temps que ce tome 29 de la série, le volume dix de sa collection « Une vie en dessins », très bel ouvrage sur la carrière d’Alain Dodier, avec une place de choix pour Jérôme K. Jérôme Bloche, qui fait la une et dont le nom figure même aux côtés de son créateur sur la couverture c’est dire…


Jérôme K Jérôme Bloche 29 – Perpétuité ****

Scénario et dessin Alain Dodier

Dupuis – 58 pages couleur – Sortie le 18 octobre 2024 – 13,50 €

Dodier, une vie en dessins****

Dupuis / Champaka - 192 pages - Sortie le 18 octobre 2024 – 69 €