Apparue au début des années quatre-vingt-dix, la collection "Sang froid" des éditions Delcourt. fut certainement, au plus fort de sa production (1995-2005) une des plus intéressantes collections de récits noirs et policiers du paysage éditorial. Etienne Davodeau y fit son entrée en 1998, avec "Le Réflexe de survie", une histoire déjà caractéristique de sa manière de raconter le quotidien ordinaire de gens ordinaires, dont la destinée peut vite basculer vers le drame dès qu'un événement inattendu survient. Les trois albums suivants "La Gloire d'Albert" (1999), "Anticyclone" (2000) et "Ceux qui t'aiment" (2002) allaient encore plus loin dans cette volonté de Davodeau d'ancrer ses intrigues au coeur d'une monde bien réel, et bien entendu, pas si aussi tranquille que l'annonce le titre de la série.
Qu'il s'agisse du portrait d'un fervent partisan de l'autodéfense sensible aux sirènes d'un parti extrémiste, (La Gloire d'Albert) d'une jeune femme de ménage sur le point de perdre son boulot si elle ne rentre pas dans le moule (Anticyclone) ou d'un footballeur victime de la médiatisation à outrance de son sport (Ceux qui t'aiment), force est de constater que Davodeau a toujours su gratter là où la société a de vilains boutons qui la démangent. Et près de quinze ans après, ce triptyque est plus que jamais d'actualité. Une bonne raison de le rééditer, sous une nouvelle maquette ( et exit Sang Froid, qui semble en train de vivre ses derniers jours) Les deux premiers volumes sont sortis début avril et le troisième parait en mai. Une excellente occasion de (re)lire ces albums des débuts de Davodeau et de faire le lien avec ses récits les plus récents, qui relèvent eux directement pour certains du documentaire ou de l'enquête (comme "Les ignorants" chez Futuropolis, "Les Barbouzes de la République", sur le SAC, dans l'excellente Revue Dessinée) . Dans tous les cas, ils sont l'oeuvre d'un auteur devenu au fil du temps un de nos meilleurs observateurs graphiques de la France du XXIème siècle. Celle qui est si tranquille...
Un Monde si tranquille ****
Textes et dessins Etienne Davodeau - Delcourt, 2015
La Gloire d'Albert - 48 pages couleurs - 14,95 €
Anticyclone - 56 pages couleurs - 14,95 €
Ceux qui t'aiment - 56 pages couleurs - 14,95 €
Ce blog est entièrement consacré au polar en cases. Essentiellement constitué de chroniques d'albums, vous y trouverez, de temps à autre, des brèves sur les festivals et des événements liés au genre ou des interviews d'auteurs.
Trois index sont là pour vous aider à retrouver les BD chroniquées dans ce blog : par genres, thèmes et éditeurs.
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Bonne balade dans le noir !
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dimanche 26 avril 2015
mardi 21 avril 2015
[Détective privée newschool] - Maggy Garrisson, de Trondheim et Oiry (Dupuis)
Alors, voici : Maggy Garrisson vit à Londres et vient tout juste de décrocher un poste de secrétaire auprès de Stephen Wright, Private investigator.
Détective privé, quoi. Elle se rend à ce nouveau job, moyennement convaincue d'être la bonne personne à la bonne place. Mais les temps sont durs et quand on a pas bossé depuis près de deux ans, on fait quelques efforts pour ne pas passer dans la catégorie des oubliés définitifs, et on met de côté ses rancoeurs contre la société. On essaye. Et on fait un sourire.
Mais voilà : le sourire se fige quand l'employeur est découvert par la nouvelle secrétaire, affalé sur son bureau, la tête sur le clavier de son ordi. Mort ? Non... Juste un lendemain de cuite difficile. Et au réveil, le patron est clair : "Y'a rien à faire pour l'instant et j'ai pas les moyens de vous payer à glandouiller sur internet avec mon ordinateur". Fais un sourire, Maggy...
Rien à faire, mais en deux temps trois mouvements Maggy résoud une première affaire, celle de la disparition de Rodrigo, le canari de la voisine, bouffé par le chat du troisième. Et le temps de la résoudre, Stephen Wright est tabassé chez lui et emmené à l'hôpital. Et là, une affaire d'un genre plus périlleux attend Maggy Garrisson, qui, au bout de quelques rencontres plus ou moins louches, plus ou moins réconfortantes, va se retrouver, à la fin du tome 1, avec un semblant de petit ami et 30 000 livres à partager avec lui.Et dans le tome 2, toutes les questions restées en suspens vont être réglées ou presque. Avec une autre enquête pour Maggy et Stephen Wright, autour d'un frère et d'une soeur s'accusant mutuellement du vol des bijoux de leur défunte mère. La nouvelle vie de Maggy va-t-elle lui permettre de retrouver le sourire, pour de vrai ?
***
Dans la famille enquêteurs, je voudrais la fille : "Vilaine, fauchée et détective privée". Voilà sur quelles bases Lewis Trondheim et Stéphane Oiry ont lancé leur anti-héroïne, Magy Garrisson, qui se pose ici en digne héritière de A.Y. Jalisco, "Pauvre, laide, et détective privée", dans la série "Chicanos" de Trillo et Risso.
En inventant un personnage de ce calibre, le duo va à contre-courant de tous les archétypes du genre. Voici une enquêtrice qui fume, boit, jure, n'a pas franchement la ligne, et semble faire la gueule en permanence. On est loin des filles canons qui mettent le mystère KO entre deux déshabillages et trois coups de lattes en talons aiguilles. Déjà, rien que ça, cela fait énormément de bien au lecteur, et à la lectrice, qui commençaient à se demander, si cela existait encore, du polar de la vraie vie. Bon, d'accord, vous allez me dire, oui, mais le privé fauché, voilà bien un autre cliché du genre.
Et c'est là que Trondheim et Oiry sont encore plus forts : pour donner de l'épaisseur à ce personnage archétypal, et ne pas en rester à la simple esquisse, ils distillent des scènes du quotidien d'une Maggy sans un rond, tout au long de leur intrigue. Exemple, cette scène dans une supérette où Maggy voit un encore plus pauvre qu'elle voler des biscuits... bas de gamme, ce qui lui inspire la pensée suivante : "Tant qu'à se faire gauler, autant plus cher et plus qualitatif. Aucune ambition... Même dans la loose"... Une réflexion qui rappelle celle de Michel Blanc dans Marche à l'ombre et son "Piquer des trucs chers, c'est du vol".
Voilà pour l'atmosphère générale de ces deux enquêtes : un quotidien réaliste, crédible, où une jeune femme presque transparente physiquement - au premier abord, du moins - s'échine à résoudre une enquête qui va l'entraîner sur des pentes de plus en plus glissantes. Et tout cela dans un Londres plus vrai que nature, même si Stéphane Oiry explique que toute la ville est reconstruite et qu'un promeneur Londonien ne retrouverait pas les lieux tels qu'ils les a dessinés (Cf interview dans Spirou 4009).
"L'homme qui est entré dans mon lit" reprend là où le tome 1 s'était arrêté; et tourne à la fois autour de l'homme en question, Alex Barry ( tiens, serait-ce un hommage à Alan Ford ? Ou plutôt à John Barry ?) et d'une autre enquête où Maggy va retrouver son ex-patron, Stephen Wright. Oui, parce qu'évidemment elle s'est faite virée de son nouveau job avant le mot "fin" du tome 1
Et ce deuxième tome est lui aussi un vrai bonheur. Cela tient à la précision du scénario de Trondheim, à son sens du dialogue et à ses fameuses répliques qui tuent, et bien sûr au travail de Stéphane Oiry. Déjà, ce dernier utilise la technique dite "du gaufrier", pour sa mise en page, et franchement, c'est la meilleure pour éviter de tomber dans le spectaculaire et de faire glisser le récit noir au thriller démonstratif sans y prendre garde. Les auteurs expliquent d'ailleurs très bien ce choix : "... le gaufrier résout résout plein de problème de lisibilité et permet de densifier le récit" (Oiry) et "Une page en gaufrier permet de rester concentré sur ce qui se passe et au dessinateur d'éviter à chercher l'esbrouffe graphique" (Trondheim) (tous les deux dans Spirou n°4009)
Ensuite, son Londres - même réinventé - est réellement formidable : les pubs, on a vraiment envie de s'y arrêter pour aller partager une pinte avec ces clients, qui, loin de jouer le rôles des figurants habituels, sont bien des personnes authentiques, même si on ne les croise que quelques cases.
C'est cela en fait, la grande force de Maggy Garrison : on commence à lire, et on est tout de suite fasciné par la personnalité de la jeune femme, et on devient carrément accroc à son petit monde, on s'attache à elle et ses galères, on croise les doigts pour elle, on se dit, "non, elle ne va tout de même pas faire ça"... Et toutes sortes de choses du même acabit.
Maggy Garrisson, c'est exactement comme ces séries TV polar dont on ne peut décrocher. Et c'est bon.
Maggy Garrisson*****
Scénario Lewis Trondheim et dessin Stéphane Oiry - 46 pages couleurs
1 - Fais un sourire, Maggy - Dupuis, 2014
2 - L'Homme qui est entré dans mon lit - Dupuis, 2015
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