Bon,
j'y ai mis le temps, mais voici mes 10 albums polar de l'année
2016... choix entièrement subjectif, of course ! Et comme je suis
aussi un peu fainéant, ce que vous allez lire est exactement ce que
j'ai écrit pour le dernier numéro de la revue "813", des
Amis des littératures policières. Avec le lien vers mes
chroniques intégrales en plus... sauf pour les deux premiers albums de cette
liste, pour lesquels je n'avais pas rédigé de billet sur Bédépolar.
Ce qui est un tort, car ils sont excellents. Comme tous les autres de
cette sélection 2016.
Pour
commencer, c'est aux Etats-Unis, fin de 19ème siècle, que nous
transporte le dessinateur hollandais Erik Kriek dans son splendide
Dans les pins (Actes Sud / L'an 22). Sous-titré 5 ballades
meurtrières, il s'agit ni plus ni moins de la mise en image
de... murders ballads, des chansons issues de la tradition
américaine, mettant en scène de pauvre bougres qui finissent le
plus souvent au bout d'une corde, ou avec une balle dans la tête. De
ces chansons, Kriek a tiré des histoires sombres, rurales,
maritimes... peuplées d'amants, de maris jaloux, d'évadés,
d'alcooliques... toute une Amérique sous la coupe de la violence des
armes et des sentiments refoulés. Le talent du dessinateur pour
dépeindre ces vies sinistrées est grand : ses personnages sont des
plus expressifs, quant aux décors dans lesquels ils évoluent, ils
sont saisissants. Qu'il s'agisse d'un voilier pris en pleine tempête
("La belle Polly et le charpentier de marine") des instants
ultimes d'un condamné ("Le grand voile noir"), de la fuite
d'un Noir terrorisé par ses agresseurs ("Taneytown") d'un
viol en pleine forêt ("Caleb Meyer") ou de l'exécution
sommaire d'un fugitif dans une rivière ("Là où poussent les
roses sauvages"), toutes ces scènes sont glaçantes de
réalisme. Et la bichromie, différente à chaque histoire, choisie
pour ces ballades, vient, par ses jeux d'ombres renforcer le côté
noir de "Dans les pins". Une vraie découverte.
De
l'autre côté de l'Atlantique, en France, presque à la même
période, la vie de l'auteur d'un célèbre agitateur du tout début
du 20ème siècle ferait presque figure de divertissement...
N'exagérons pas, mais il est vrai que Alexandre Jacob, journal
d'un anarchiste cambrioleur, signé Vincent et Gaël Henry
(Sarbacane) restitue bien la vie tumultueuse, risquée et
provocatrice, avec une bonne dose d'humour, de celui qui fut - et est
encore ? - considéré comme le "modèle" d'Arsène Lupin.
Une thèse que conteste Jean-Marc Delpech, un des cinq biographes de
Jacob, dans la postface de cet album, tout en expliquant que la vie
d'Alexandre Marius Jacob demeure pleine d'interrogations. Les auteurs
de la bande dessinée, eux, choisissent de débuter son histoire à
la veille du procès de l'anarchiste, en mars 1905, au moment où
parait en une de "Germinal, journal du peuple", une
déclaration de Jacob : "Pourquoi j'ai cambriolé". Et de
terminer par la conclusion du procès et la condamnation de Jacob
pour le bagne. Entre ces deux chapitres, c'est toute sa jeunesse qui
est racontée, de ses jeunes années de mousse sur les paquebots,
jusqu'aux cambriolages audacieux signés "Attila", et bien
sûr, sa conversion aux idées anarchistes, et la formation de sa
bande. Les dialogues de Vincent Henry parviennent parfaitement à
rendre vivante la pensée Jacobienne sur la société, et les
épisodes-clés de son parcours de cambrioleur sont racontés avec
verve. Et Gaël Henry - au style graphique de la famille Blain - Sfar
- dessine avec un dynamisme entraînant toutes ces années où
Alexandre Jacob dérangeait tout le monde avec son "illégalisme
pacifique"...
C'est
à travers toute l'Europe que se déroulent les aventures de Silas
Corey, de Nury et Alary (Glénat). Le tome deux du Testament Zarkoff clôt un diptyque qui
lance le héros sur les
traces de l'héritier unique, et fils naturel, de la comtesse
Zarkoff, une femme à la tête d'une fortune colossale construites
sur les cendres de la première
guerre
mondiale. Les
aventures de Silas
Corey, mi-détective,
mi-espion,
croisent plus d'un genre
: après un point de départ
de facture policière, (le
meurtre d'un détective)
l'intrigue tourne vite à
une course
contre la montre géo-politique, teintée de .... romantisme. En
plaçant leurs personnages au coeur de l'Histoire - l'Europe de
l'immédiat après-14-18 - Fabien Nury et Pierre Alary, donnent à
lire tout à la fois un formidable récit d'aventures, parsemé de
scènes spectaculaires assez époustouflantes (duel sur des toits en
plein incendie,
courses-poursuites dans les rue Munichoises,
embuscade en forêt...) et un récit historique, où les peuples sont
emportés par le tourbillon des événements, et peuvent s'inquiéter
pour leur avenir commun. Et le romantisme dans tout cela ? Il est
personnifié par les relations que Silas entretient avec les deux
personnages féminins,
forts, du diptyque
: Nina, la femme de l'héritier, pour lequel il joue le chevalier
servant et protecteur, et Marthe,
espionne pour le compte du Deuxième Bureau français. Deux
femmes qui le font vaciller, mais pour lesquelles il ne renoncera
pas à sa vie solitaire... Au final,
de cet alchimie des genres est
né un personnage
les plus attachants du
moment, intrépide et
flegmatique à la fois, humaniste
dans l'âme. Un héros
presque "vernien"
comme il ne s'en fait plus beaucoup de nos jours...
Il
est aussi question d'espions, mais dans l'Europe des années 50,
cette fois. Kaplan et Masson forment
eux un duo original, dont l'apparition remonte déjà à 2009 (dans
"La théorie du chaos") et c'est un vrai plaisir de les
retrouver dans cet ahurissant "Il faut sauver Hitler".
Jean-Christophe
Thibert, y
reprend le mythe du
Führer ayant échappé à la mort dans son bunker en avril 1945, et
dont les adorateurs, eux, dans le secret, préparent le retour. Pas
vraiment original, se dit-on, sauf que très vite, on voit l'habileté
de l'auteur : il ne s'agit pas du vrai Hitler mais d'un sosie, un
Français, Jules Lantier, germanophone distingué et acteur... Une
trouvaille des services secrets français, pour enfumer les pays
adverses, où Lantier est le personnage-clé de l'opération "Piège
à cons". Cela marche si bien que le pauvre Hitler de pacotille
(mais au demeurant très crédible) est devenu l'homme à abattre de
tout le monde.... Il faut donc le tirer des griffes d'innombrables
ennemis. Ce que font Kaplan, Masson et le facétieux japonais Watabe,
dans une succession de scènes hyper-spectaculaires où les coups de
poing pleuvent, les mitraillettes arrosent à gogo, les murs de
chambres d'hôtel sont pulvérisés au bazooka, et des véhicules de
toutes sortes finissent en amas de tôles informes. Le tout avec une
précision, une élégance et une efficacité dans le trait qui
forcent le respect. C'est même carrément du grand art ! Il y a
évidemment une dimension parodique à tout cela, et ce second tome
franchi un palier dans ce domaine. Et donne fortement envie de
retrouver plus vite ces grands malades...
Mais
il y a encore plus malade qu'eux, puisque entre en piste l'inénarrable
Scott
Leblanc, qui a
l'immense honneur de croiser sur sa route
Sa
Majesté le Roi des Belges. Notre sympathique reporter,
qui travaille pour le magazine "Bien en vue",
où il tient avec une foi et un enthousiasme chevillés au corps la
rubrique "Des animaux et des stars",
est
tout fier d'avoir obtenu une interview du roi Baudouin, car,
comme il le dit : "
J'ai le sentiment qu'un homme aussi charismatique doit avoir des
choses passionnantes à dire sur le monde animal"...
Sauf qu'il ignore qu'il va servir d'appât à une odieuse
substitution d'altesse...
et qu'il va tout simplement se faire enlever. Et sa brave maman,
folle d'inquiétude va supplier le professeur Moleskine, habituel
compagnon de route (mais qui se passerait bien de ce fardeau) de
Leblanc. Les voici donc tous deux sur les traces du pauvre reporter,
aux mains de méchants qui ont pour simple ambition de rayer de la
carte URSS, Etats-Unis et Europe et d'installer un ordre nouveau...
"Echec
au roi des Belges",
est déjà la quatrième aventure de Scott Leblanc et il faut dire
sans détour : c'est toujours aussi débile... mais qu'est ce que
c'est roboratif ! Voilà un pur pastiche de Tintin : c'est évident
graphiquement, Devig dessinant
dans un style tout hergéen ces aventures débridées, et cela se
confirme au niveau des textes, écrits par
Geluck.
On ne compte plus les "diaboliques machinations", "sinistre
forfait" et autre expressions surannées qui parsèment les
conversations et récitatifs. La cerise sur le gâteau étant bien
entendu la naïveté simplette du héros, toujours là pour poser les
questions les plus stupides aux moments les plus délicats. Et en
plus, sa mère est cette fois de la partie...
Au secours !
Toujours
les années 60, mais retour aux Etats-Unis pour le
Watertown de Jean-Claude
Götting -
(Casterman). Philip
Whiting travaille pour le cabinet d'assurances Barney & Putnam,
dans la petite ville de Watertown. Dans sa vie terne et bien réglée,
il y a ce passage quotidien et matinal par la pâtisserie Clarke, où
il achète un muffin, servi par Maggie Laegger, l'employée que
Whiting a toujours vue ici. Et voici qu'un jour, en réponse à son
"à demain" habituel, Maggie répond "Non. Demain je
ne serai plus là". Et le lendemain, en effet, la jeune femme
n'est plus là. Mais son patron, n'y sera plus non plus,
définitivement : il est mort, écrasé par une lourde étagère de
sa cuisine... et personne ne revoit plus Maggie à Wattertown.
Whiting se met en chasse... mais comment s'y prendre quand on est un
simple agent d'assurance ?
Watertown,
vaut
tout autant par cette obsédante quête de la vérité menée par
Whiting, qu'il mène avec difficultés car... détective, ce n'est
pas son métier : "J'étais
sûr qu'un auteur de roman policiers saurait trouver ici vingt
scénarios possibles. Mais pour l'instant, je séchais",
que pour les raisons intimes qui le poussent dans cette quête : "
De modeste employé subalterne, je m'étais promu détective, tentant
de confondre une meurtrière à laquelle personne ne semblait
s'intéresser. J'avais peut-être une chance de devenir une
personnalité considérée de Watertown Une célébrité locale dont
on parlerait dans la gazette, et pourquoi pas jusqu'à Boston..."
Un
double intérêt dans la lecture, servi par le style Götting, celui
de ses débuts, qui s'accompagne pour la première de la couleur.
Résultat : une Amérique des années 60, un brin vintage, et une
véritable atmosphère, digne des romans et films noirs de l'époque.
Avec une chute qui est loin d'être celle attendue au bout du chemin
de Philip Whiting...
L'Eté Diabolik, de
Smolderen et Clérisse (Dargaud),
est lui encore plus étrange...
et difficile à raconter. L'éditeur fait dans la sobriété : "Un
agent secret sorti de nulle part, un accident dramatique, une fille
troublante et la disparition de son père, le tout en deux jours...
Pour Antoine, 15 ans, l'été 1967 sera celui de toutes les
découvertes. " Cette
tentative de mise en appétit rend difficilement justice à
l'extraordinaire jubilation qui s'empare du lecteur de l'Eté
Diabolik : voici une bande dessinée d'une immense richesse. Déjà,
dans sa construction - les 100 premières pages sont un flash back
sur le fameux été - cet album ménage admirablement le suspense sur
ce qui s'est réellement déroulé au cours de cet été 67. Tous les
éléments sont bien là, mais,
à l'instar du
narrateur, il nous manque les clés pour saisir quelles forces sont à
l'oeuvre sous nos yeux. Clés qui nous sont données dans la seconde
partie, plus de vingt ans plus tard, alors qu'Antoine est devenu
écrivain, et qu'il a fait de cet épisode fondateur de sa vie un
livre libérateur. Autre richesse du scénario de Thierry Smolderen,
et non la moindre, cette magnifique idée d'introduire le célèbre
personnage de Diabolik en toile de fond, et de réussir le tour de
force d'en faire un personnage à part entière de l'histoire... sans
être là "en chair et en os". Car c'est bien l'esprit de
Diabolik qui plane sur toute ces pages, symbole parfait de la menace
qui rôde, de l'homme insaisissable... Et si cet Eté Diabolik
transporte autant ses
lecteurs, c'est aussi
grâce au dessin
époustouflant d'Alexandre Clérisse.
Ce qui frappe immédiatement, c'est évidemment les couleurs choisies
par le dessinateur pour cet album, qui, tout en semblant provenir
d'époques aussi
variées que celle des Spoutniks, de Warhol ou encore de Pellaert,
aboutissent finalement à une impression de lecture éminemment
contemporaine.. et audacieuse. Une audace récompensée déjà par quelques prix, dont Le Fauve Polar SNCF 2016.
C'est
dans une Angleterre des années quatre-vingt dix que se déroule
L'Exécuteur de
Wagner et Ranson (Délirium). Harry Exton, ancien mercenaire
rangé des missions, est tiré de sa retraite par un vieil ami, Carl,
qui lui parle d'un moyen assez spécial de se faire un maximum de
fric. Un jeu, pas vraiment légal, mais vraiment dangereux : les
participants doivent éliminer une cible, dont ils ne savent rien, si
ce n'est qu'elle leur a été désignée par une mystérieuse "voix".
Chaque victoire rapporte un beau pactole à l'exécuteur... tout
comme à sa Voix. Harry refuse dans un premier temps, mais quand il
est lui même pris pour cible, et qu'il parvient à éliminer son
tueur, le voici d'office dans la ronde infernale du jeu. Il devient à
son tour un des exécuteurs en compétition, jusqu'à ce qu'il décide
de sortir du jeu. Mais on ne quitte pas le jeu de son propre chef. Et
si on le quitte, c'est les pieds devant. Harry n'est pas tout à fait
d'accord...
Excellente
chose que cette nouvelle édition par Delirium du "Button
man" (le titre en vo) de John Wagner et Arthur Ranson.
Quelle histoire prenante, et quel dessin ! Le scénariste John Wagner
plonge son personnage dans une chasse à l'homme froide, où la
violence n'a rien de fascinant. Et où, comme il l'écrit dans la
préface "... il n'y a pas de gentil. Des tueurs sans pitié,
oui, ça plein.... Et Harry lui-même est un être humain glacial et
implacable comme on en voit peu". Certes, c'est un peu
l'archétype de la figure du tueur à gages, sauf que là, il y a ce
jeu, où les puissants de ce monde jouent avec la vie de autres, avec
toute l'arrogance qui peut caractériser certains riches. Et,
surtout, tout cela est sublimement découpé, et mis en images, par
Arthur Ranson, dont le trait ultra-réaliste subjugue dès la
première planche. Et ses décors, que ce soit sa campagne, qui
suinte littéralement d'angoisse, ou sa ville, nappée d'un
brouillard mortel pour qui s'y perd, le tout dans une ambiance
nocturne, tout est réuni pour un thriller, un vrai, qui fait
flipper.
L'Homme qui ne disait jamais non, par
Tronchet et Balez (Futuropolis)
ne suscite,lui,
guère l'angoisse... bien au contraire ! Voici l'histoire d'Etienne
Rambert, amnésique dès sa
descente
de l'avion à Lyon, après un long voyage en provenance de l'Amérique
du Sud. Violette, une hôtesse de l'air qui avait déjà repéré
l'énergumène dans l'avion, lui vient en aide, ravie de rencontrer
son premier amnésique, un sujet parfait dans le cadre de ses études
de psychologie. Sur le chemin qui les mène vers le domicile supposé
d'Etienne, elle lui demande même si elle peut prendre des notes pour
sa thèse, sur cet état qui la fascine. Le jeune homme, encore
déboussolé par son état, accepte et voici l'improbable couple aux
portes de la luxueuse maison moderne du dénommé Etienne Rambert.
Violette décide d'arrêter là son rôle de chaperonne, persuadée
que son passager va retrouver les siens, et forcément, les souvenirs
qui vont avec, mais personne ne vient ouvrir au coup de sonnette
d'Etienne. Violette décide de rester avec lui et tous deux entrent
dans la maison. C'est le début d'une drôle d'aventure pour tous les
deux...
Après
bien d'autres, Didier Tronchet et Olivier Balez s'emparent du thème
de l'amnésie et nous embarquent dans une histoire mouvementée, de
Lyon à Quito. L'habileté du scénariste est double : réussir à ne
pas lâcher son lecteur avant le dénouement tout en éliminant ce
qui a déjà été fait sur le thème de
celui-ou-celle-qui-a-perdu-la-mémoire-et-qui-se-demande-quand-tout-cela-va-s'arrêter
(non ce n'est pas un titre de Hillerman). Et c'est grâce au
formidable personnage de Violette, hôtesse de l'air "mais pas
que" que le pari est réussi. Car c'est elle qui, au fil des
pages, énumère les cas déjà rencontrés dans les polars, et leur
règle leur compte définitivement : "Ne me faites pas le
coup du jumeau, qui est l'autre grosse ficelle des intrigues
policières". Par exemple. Il est d'ailleurs clair que cet
album a comme fil rouge un hommage au récit policier, qu'il soit
littéraire, ou cinématographique, et que certaines scènes ont un
petit accent hitchcokien très agréable.
Et
pour finir, Mort aux vaches, de
Ducoudray et Ravard (Futuropolis).
Un quatuor de braqueurs vient de réussir
son coup : un beau magot prélevé sans heurts à l'agence BK, de
Clermont l'Abbaye. Mais pas question de claquer tout le fric sans
précaution. Non : rien ne vaut une bonne mise au vert, à la
campagne, donc, histoire de se faire oublier un peu de la flicaille
et d'attendre tranquillement que les choses se tassent. C'est en tous
cas l'avis - et les ordres - du chef de la bande, Ferrand. C'est le
cerveau du casse, et il est de tendance un peu anar. Ses trois
acolytes sont eux aussi un peu typés : José, est le compagnon de
route, et de plumard, du chef. Un Espagnol aux allures de vieux beau.
Romuald, alias Romu, est le préposé aux biceps. C'est l'armoire à
glace du groupe, mais sans la glace, car le garçon a tendance à
oublier de réfléchir. Quant à l'élément féminin du gang, c'est
Cassidy, grande gueule et délurée, qui n'hésite pas à jouer de la
langue, ou autres attributs qui font tourner certaines têtes, quand
les situations deviennent délicates...
Tout
ce petit monde se replie donc dans la ferme d'un oncle de Ferrand, et
de son fils, le cousin Jacky, et espère qu'un mois suffira à faire
tomber le braquage dans l'oubli. Mais nous sommes en 1996, et se
planquer dans une ferme en plein crise de la vache folle, c'était
peut-être pas la meilleure des idées...
Déjà
associés sur l'excellent "La Faute aux Chinois", où ils
donnaient leur vision, teintée d'humour noir, du capitalisme
mondialisé, François Ravard et Aurélien Ducoudray nous amènent
cette fois sur un terrain plus rural, mais non moins drôle, avec cet
album digne des meilleurs polars français des seventies... Ce qui
frappe très vite, ce sont ces dialogues gouailleurs et percutants,
réussis de bout en bout, et qui constituent un véritable hommage à
Audiard. On croise une foule de personnages, légèrement abrutis,
tout au long des pages, de l'oncle taiseux et du cousin sanguin, à
une filière de Roumaines à marier, en passant - évidemment - par
des gendarmes gentils mais un peu concons... Tout ce monde tourne
autour du quatuor, qui lui non plus ne brille pas toujours par sa
sagacité, et on tourne les pages en se demandant avec délectation
comment tout cela va finir. Côté dessin, c'est également un
plaisir de retrouver le trait de François Ravard, qui est tout aussi
à l'aise dans ce registre, plutôt léger, que dans son travail,
plus sombre, sur "Les mystères de la Cinquième République".
Il y a parfois des airs de faux-frères entre Ferrand, et Paul Verne,
le commissaire de sa série chez Glénat. Bon, Ferrand est tout de
même plus un cousin de Lino Ventura... y compris dans le caractère.
Vous l'aurez compris : voici un polar qui sort des sentiers battus,
intelligent, bien construit, où l'humour règne avec une légèreté
inversement proportionnelle au poids d'Attila, le taureau de
compétition omniprésent dans " Mort aux vaches ". Donc
pas d'hésitation : foncez à la campagne !