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Bonne balade dans le noir !

lundi 8 août 2022

[Un été chez…] Petit à petit , avec Derrick, Maurice, Ahmed et Albert : RIP, quoi ! ****

 Retour spécial sur RIP, de Gaet's et  Julien Monier, une série qui, discrètement mais sûrement, telle une colonie insectivore dévorant tout sur son passage, s’est installée dans le haut du panier des histoires noires de ces dernières années.  Quatre tomes parus (sur six prévus), un par personnage, et le cinquième arrive à la rentrée. Bienvenue dans le petit monde des …

Mais oui, des quoi, au fait ? Liquidateurs de centrale nucléaire ? Chimistes à la Breaking Bad ? A s’arrêter sur la couverture du premier tome, on reste un peu intrigués. Que peut donc bien faire cet homme en combinaison blanche ? Mais à y bien regarder, l’indice de base est déjà là : les mouches, partout. Et puis ce titre : Derrick, je ne survivrai pas à la mort. Et quelques pages plus loin plus de doute, nous voici en présence d’une équipe d’un genre un peu particulier : des videurs de maisons, dont le propriétaire est encore dans les murs dans un état de décomposition plus ou moins avancé. Et que visiblement, personne ne s’en est encore inquiété. En fait, on fait appel à la société où travaillent Eugène, Derrick, Albert, Maurice, Mike et Ahmed, quand un mort n’a pas encore été réclamé par qui que ce soit. Et qu’il reste des choses chez lui à récupérer, et les vendre aux enchères, si elles en valent la peine. Mais pas question pour Derrick et ses collègues de mettre sous la combi un objet pour leur pomme : ils sont archi surveillés et ce serait le renvoi direct. Et même s’il est bien pourri tous semblent tenir à ce boulot, alors l’équipe en tenue blanche se tient à carreau. Mais parfois la tentation est vraiment trop forte et quand l’objet est si petit, mais si précieux, comme ce diamant, au doigt de la vieille peau collée sur son de mort, et bien…. Pourquoi ne pas l’avaler ? 


 

C’est ce que fait Derrick dans le premier tome de cette fascinante saga. Il y voit un moyen d’enfin échapper à cette vie misérable qui est la sienne, et de partir loin de toute cette merde. Mais évidemment, quand on fait passer un bijou par le canal intestinal, c’est le début des emmerdements : où planquer chez soi le trésor quand on a une femme qui va vite piger l’affaire ? Et puis, comment faire pour la fermer quand dès le lendemain le patron ordonne de retrouver la bague disparue, précisant : « Demain soir sur mon bureau. Tant que je ne l’aurai pas aucun d’entre vous ne recevra sa paie pour ce mois ».
Je vous laisse découvrir le destin de cette bague, point central de tome inaugural. Mais au-delà de cet aspect purement matériel, c’est bien la mise en place de toute la série et son architecture que Gaet’s – maître d’oeuvre de la saga – propose : une galerie de personnages, tous liés par ce boulot pas banal, et qui ont tous leurs petits secrets. Et pour les découvrir, le scénariste nous invite à explorer l’intimité et le passé de chacun, tome par tome, personnage par personnage.

Oh, ce n’est certes pas la première fois que des scénaristes procèdent ainsi – le récit par points de vues différents de mêmes événements - mais RIP est un régal d’imagination, de mise en scène, de minutie et de… suspense ! C’est une mécanique remarquable, où chaque tome développe parfaitement la vie et le destin du personnage annoncé en couverture, et en même temps, éclaire  les zones d’ombre de l’histoire, en réussissant à maintenir en haleine le lecteur.

 Ce qui
était à peine effleuré dans quelques cases d’un tome, est développé dans les suivants, et petit à petit, toutes les pièces du puzzle se mettent en place. Et à chaque fois, les personnages centraux ont des histoires fascinantes, solides et...crédibles ! Gaet’s a cet art rare de raconter des vies oubliées, des secrets enfouis, des quotidiens ordinaires, avec cette aisance naturelle qui rend le récit est fluide et convaincant. Sans oublier ce sens des dialogues – et des pensées – propres à chacun des protagonistes et qui donnent le ton à tout l’album : Maurice le taiseux a derrière lui une autre vie qui fut bien meilleure que celle du moment, et il n’a pas le droit d’en parler.  Ahmed, lui, se voit lui en policier d’élite couvert de gloire, et utilise son bagout pour convaincre sa hiérarchie que tous ces morts c’est louche, y’a forcément un lien. Quant à Albert, il est un brin obsédé par une junkie un peu morte, et un peu maniaque. Il faut pas trop toucher à ses affaires, « ça s’fait trop pas »…

 

 

 


 

Et pour cette somptueuse histoire à tiroirs, il fallait bien un dessinateur de la trempe de Julien Monier, capable d’incarner des personnages aussi puissants, et de nous faire plonger dans l’univers grouillant de cadavres en décomposition… sans nous faire arrêter au premier asticot venu. Et c’est parfaitement réussi : ses personnages ont bien la gueule de l’emploi, tout comme ils l’avaient dans son excellent one shot « A l’ancienne », chez Filidalo (en 2019 avec Benoit Vieillard au scénario), et  ses décors sont soignés, précis, rigoureux, et on adore se perdre dans les détails de ses pièces capharnahaumiques et cauchemardesques, de ses scènes de crimes encore inviolées, de ce bar où se retrouve l’équipe, et de ses cadavres – ah ben oui tout de même – sommes toutes assez expressifs.
Ajouter à cela un chapitrage parsemé de citations et bons mots sur la mort qui tombent à pic, et vous tenez, je sais je me répète, une des plus belles séries polar de ces dernières années. Il était temps que je vous en cause !


Et pour finir, vous allez me dire : ça manque pas de femmes tout ça ? Oh non, ça ne manque pas.  Elles seraient même peut-être la clé de l'ensemble…  A vérifier très bientôt :  le prochain tome sera consacrée à Fanette et il sort le 14 septembre : à vos librairies préférées ! 

Mais si vous passez par Le Mans, Gaet’s et Monier seront
samedi 27 et dimanche 28 août à la vénérable librairie Bulle de Samuel et son équipe, toujours sur la brèche ! Avec une édition spéciale de Fanette, 600 exemplaires signés et numérotés pour la librairie. Une bonne habitude ! 



1 – Derrick – Je ne survivrai pas à la mort
Petit à petit, 2018 – 112 pages couleur –16,90 €

2 – Maurice – Les mouches suivent toujours les charognes
Petit à petit, 2019 – 112 pages couleur –16,90 €

3 – Ahmed, au bon endroit au mauvais moment
Petit à petit, 2020 – 112 pages couleur –16,90 €

4  – Albert – Prière de rendre l’âme soeur
Petit à petit, 2021 – 112 pages couleur –16,90 €

5 – Fanette – Mal dans la peau des autres

Petit à petit : à paraître le 14 septembre 2022