Ce blog est entièrement consacré au polar en cases. Essentiellement constitué de chroniques d'albums, vous y trouverez, de temps à autre, des brèves sur les festivals et des événements liés au genre ou des interviews d'auteurs.
Trois index sont là pour vous aider à retrouver les BD chroniquées dans ce blog : par genres, thèmes et éditeurs.
Vous pouvez aussi utiliser le moteur de recherche interne à ce blog.
Bonne balade dans le noir !

dimanche 24 novembre 2024

[ Prix Goscinny 2025] – Les Navigateurs par Serge Lehman et Stéphane De Caneva (Delcourt)

 Max, Arthur et Sébastien forment un trio dont les liens d’amitiés se sont tissés au cours de leurs années lycéennes, en pleine eighties. Une jeune femme, Neige, gravitait alors aussi autour du trio, qu’elle retrouvait après les cours à Clamart, où ils formaient la bande du Panorama, de jeunes gens attirés par l’art, les voyages aventureux, l’écriture, la photographie. Neige a soudainement quitté le groupe, et la France, suite à un épisode dont seul Max, devenu écrivain, pourrait expliquer les raisons… La surprise est de taille lorsque vingt ans après, Neige fait son retour : ils vont avoir des tas de choses à se raconter. Ce qu’ils font, un peu lors d’une soirée de retrouvailles, mais il reste des choses à dire. Max, que ce retour perturbe un peu plus que les autres décide de retourner voir Neige un soir, seul, mais alors qu’il arrive devant sa villa, un phénomène étrange et terrifiant se produit : des bruits stridents que tout le quartier entend émanent de la maison… situation d’autant plus angoissante que Max croit distinguer les ombres d’une forme arachnéenne géante à une fenêtre de l’étage. Et lorsqu’il pénètre avec Arthur, habitant lui à proximité et venu sur les lieux, les deux amis constatent la disparition de leur amie… qu’ils croient reconnaître sur une fresque murale, au pied d’une gigantesque araignée. La police arrive sur place et tout le monde va se mettre à enquêter, sur une disparition pour le moins irrationnelle. Et dont certaines pistes semblent difficiles à suivre comme le dit Sébastien à Max : « Mets-toi à ma place : tu m’expliques que notre vieille copine de lycée a été aspirée dans une peinture du XIXème siècle »…


Voici donc la base de ces Navigateurs, une intrigue signée Serge Lehman, qui entremêle avec bonheur les genres, les époques, et les faits historiques et artistiques, ce que confirme un des trois amis :  «ça ressemble plus à une histoire de l’art qu’à une enquête policière, votre truc » . En effet, on y croise Odilon Redon, Jean Cocteau, des revues littéraires, mais aussi la figure d’Eugène Belgrand, inventeur de l’hydrologie, et auteur d’une fascinante carte de la Seine aux temps ante-préhistorique, où Montmartre était une île… Doué pour les récits à la croisée des genres (comme Saint-Elme, dont le tome 5 est en compétition aussi pour le Fauve d’Or au FIBD 2025) Lehmann mêle ici comme à son habitude avec subtilité tous ces ingrédients, et construit un polar aux portes du Merveilleux, un fascinant voyage dans le temps et donne une envie de se replonger dans ces univers symbolistes et fantastiques de Redon, et de reluire le Huysmans de Là-bas… Et le dessin de Stéphane de Caneva, dans un noir, gris et blanc , rend particulièrement vivant cet univers tantôt réaliste, tantôt onirique, où tout semble crédible, même le plus improbable. Ses planches finales, là où l’histoire bascule vers son dénouement fantastique participent énormément à la réussite de cet album hors-norme, où chacun va aussi voir sa vie bouleversée. Une très grande bande dessinée, qui vient de recevoir le Prix Goscinny 2025, de l'Institut René Goscinny, qui met en avant le travail spécifique des scénaristes.

Les Navigateurs *****
Scénario Serge Lehman et dessin Stéphane de Caneva
Delcourt – 208 pages noir et blanc – Sortie le 2 octobre 2024 - 26,50 €

jeudi 21 novembre 2024

[Encore mieux que les super-héros] - The good asian – Une enquête d’Edison Hark par Pichetshote et Tefenkgi (Komics Initiative)

 

San Francisco, 1936. Edison Hark, enquêteur de son état, revient de toute urgence à la maison – adoptive – familiale, alerté par son demi-frère Frankie Carroway : Mason, leur père, grande fortune de l’industrie sucrière, est dans le coma. Un état provoqué semble-t-il par la disparition brutale d’Ivy CHen la domestique asiatique – et amante ? – de Mason : une dispute serait à l’origine de la fuite de la jeune femme, qui n’a plus donné signe de vie depuis l’altercation. Et puisque les flics locaux ne remontent aucune piste, qui de mieux placé qu’Eddy, le fils préféré, pour aller voir ce qui se trame du côté de Chinatown ? Hark est membre de la famille certes, mais est surtout américain d’origine chinoise, et les portes devraient s’ouvrir plus facilement. C’est bien le cas, mais très vite l’affaire va dévier sur un tueur quasi-légendaire, Hui Tong, qui semble bien avoir quitté les récits folkloriques pour semer les cadavres dans un jeu de piste, où les protagonistes sont aussi nombreux que leurs motivations à vouloir prendre le contrôle de Chinatown…


Meilleur Récit Complet aux Eisner Awards 2022 et Livre de l’année aux Harvey Awards la même année, The Good Asian est bien ce qu’annonce une des nombreuses couvertures de ce comics : « A Noir mystery featuring the first immigrants officially banned from America… The Chinese ». Pornsak Pichetshote  et Alexandre Tefenkgi réussissent le tour de force d’un récit tout à la fois noir, historique et politique, avec une intrigue bâtie autour d’un des tout premiers détectives sino-américain, qui tente comme il peut de mener une enquête à une époque où le racisme anti-chinois est au plus haut, fruit de lois anti-immigratoires radicales votées depuis les années 1870, visant particulièrement les asiatiques. 

 

 Le personnage d’Edison Hark – qui a forcément un petit côté Charlie Chan le privé créé par Earl Biggers en 1925 - est magnifique : en constante interrogation sur son identité, hésitant sur les choix à opérer, malmené de bout en bout par ses adversaires comme par sa famille, souvent obligé de faire profil bas, de mentir, il est le parfait reflet de qu’on dû être les immigrés asiatiques de ces décennies-là. Pourtant, ne pourrait-il pas être lui, le sino-américain, un espoir pour ces Chinois déracinés, ce « pont » qu’évoque un de ses amis entre les peuples et leurs cultures ? C’est une des nombreuses questions que posent les auteurs de cette brillante série (12 épisodes en vo chez Image Comics en 2021) , avec celle des rapports familiaux, du racisme ambiant du pays… et de sa violence récurrente.

L’intrigue de Pichetshote en elle-même est dense, palpitante, aux ramifications complexes, très bien rythmée par des planches adaptées à chacune des scènes : cadrages hyper-dynamiques pour les scènes d’action, cases déstructurées aux bons moments, et pleines pages judicieusement distillées. Le travail graphique de Tefenkgi est à la hauteur de ce récit ambitieux, qui a reçu un accueil positif unanime lors de sa parution américaine. Komics Iniative en propose une très belle édition, agrémentées de notes historiques passionnantes et autres bonus graphiques roboratifs. Une vraie découverte.

Un album en compétition pour le Fauve polar SNCF Voyageurs 2025 !


The good asian – Une enquête d’Edison Hark ****

Scénario Pornsak Pichetshote ; dessin Alexandre Tefenkgi – Trad. Benjamin Viette

Komics Initiative - 304 pages couleurs – Sortie le 24 octobre 2024