Ce blog est entièrement consacré au polar en cases. Essentiellement constitué de chroniques d'albums, vous y trouverez, de temps à autre, des brèves sur les festivals et des événements liés au genre ou des interviews d'auteurs.
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Bonne balade dans le noir !

lundi 28 août 2017

[Animal, on est mal] – Mulo : Crachin breton, par Pog et Le Bihan (Dargaud) ***

Mulo fait du stop, un panneau "Navibus" entre les mains. Sous une pluie battante : normal, on est en Bretagne. Il trouve une bonne âme pour le déposer à destination, quelques bornes plus loin. Il ne pleut déjà plus : normal, on est en Bretagne. Mais le jeune homme n’est pas là pour résoudre les mystères météorologiques locaux... Il a surtout quitté son Occitanie pour cet Ouest lointain à cause de cette lettre, énigmatique et anonyme, lui promettant des révélations sur son passé. Qui a bien pu lui écrire ? Que va-t-il trouver sur place ? Il va vite découvrir une première réponse dans une conserverie à l’abandon. Mais il n’est pas tout seul sur la petite île où se trouve cette ancienne fabrique et il va lui falloir vite trouver des amis, car remuer le passé lui apporte instantanément des ennemis qui ne s’embarrassent pas de sentiments....

Voici donc un nouveau venu dans la petite famille du polar animalier, et il disons-le tout de suite : les débuts de Mulo le placent déjà aux côtés des plus grandes réussites du genre (Chaminou, Canardo, Le Polar de Renard, Blacksad, Grandville). Ce premier tome, cadencé en courts chapitres introduits par des proverbes bretons, met donc en scène le "bâtard" Mulo – fils d’un âne et d’une jument qu’il n’a jamais connus – à la recherche de ses origines. Une quête intime, vitale, qui se lit comme une enquête dès les premières pages, et dont le suspense va vite monter du fait de l’intrusion inopinée de Mulo dans les petite affaires secrètes de certains autochtones. 



Tous les ingrédients du genre sont bien là pour maintenir ce suspense, et le scénario de POG utilise habilement les ficelles du polar pour mener sa barque. Mais ce travail scénaristique, aussi efficace soit-il, prend une autre dimension avec le dessin de Cédrick Le Bihan, qui parvient d’emblée à donner du caractère à son "Mulo" et à faire entrer son héros dans la catégorie des "durs-à-cuire", une catégorie assez inattendue pour un membre de la famille des équidés. A côté de lui, les autres personnages tiennent la marée, et tout ce petit monde évolue dans des décors soignés, aux détails étudiés, et aux couleurs judicieuses : chacune des planches composées d’une unique case sont des merveilles.

 

 Pour les autres, la mise en page et le cadrage sont vraiment dynamiques au bons moments, ce qui donne un rythme constant à l’album. Ajoutons que les auteurs, au détour d’une scène ou deux, n’hésitent pas à donner une – certes légère, mais tout de même - dimension sociale à la dimension familiale et policière de leur histoire, illustrée par exemple, par ce "J’ai mal au travail", (allusion direct au film de Jean-Michel Carré) inscrit sur une banderole laissée dans la conserverie. Une voie à explorer pour le prochain Mulo ? Laissons-le déjà se sortir de cette affaire, et admirons ce "Crachin breton". Pour sa première sortie, Mulo va certainement déjà faire parler de lui ! 
 

Mulo, tome 1 : Crachin breton ***
Scénario POG et dessin Cédrick Le Bihan
Dargaud, 2017 - 96 pages couleurs – 15,99 €


vendredi 25 août 2017

[La Tête dans les étoiles] -La carte du ciel par Richard et Le Gouëfflec (Glénat) ****

Claire, Wouki et Jules. Trois copains de lycée qui essayent d’échapper à la torpeur de leur petite ville rurale, en se passionnant pour les OVNIS. Et ça tombe bien : en voici justement qui passe dans le ciel de Vallièvre, en pleine nuit ! Mais ça tombe mal pour Jules : lui, le plus mordu des trois, n’a rien vu car il dormait profondément… Pour une fois qu’il se passait quelque chose… Mais le quotidien du trio, et du lycée local, va changer du tout au tout à l’arrivée de la nouvelle prof de philo, d’un genre beaucoup moins rébarbatif que son prédécesseur. Jules craque soudain pour la pédagogie platonicienne et délaisse aussi sec les étoiles pour sa nouvelle passion. Claire voit ça d’un très mauvais oeil : cette prof, c’est une véritable créature de l’espace, et elle n’est certainement pas tombée là par hasard. Et d’abord, depuis quand les profs de philo sont des blondes à talons ? 

 Sous forme d’un journal tenu par Claire, « La Carte du ciel » est une subtile et sensible chronique de la vie quotidienne d’un trio d’amis inséparables et de leur entourage. Trois jeunes, drôles et humains, dont on suit avec délice les affres du quotidien, dont ils se dépatouillent comme ils peuvent. Arnaud Le Gouëfflec, scénariste - entre autres multi-activités ! - dont on avait déjà pu apprécier le talent à chacune de ses sorties (et en matière de polar, plus particulièrement Topless et J’aurais ta peau Dominique A), confirme ici ce réel don à faire partager les sentiments les plus profonds de ses personnages. La forme choisie du journal, pour sa narration, y est évidemment pour beaucoup, et quand elle s’allie à des dialogues percutants, authentiques, le résultat est imparable : vous voici immédiatement happé par une histoire véritablement écrite. Et puis, passée la cette première séduction des mots, suit celle des images : celles de Laurent Richard, aux couleurs douces, à la ligne épurée, installent à leur tour une véritable atmosphère autour du trio et de leurs mésaventures. Une étrange tension monte, insidieusement, et entraîne inexorablement le récit sur une pente plus dramatique, plus noire. Et c’est bien un « thriller doux-amer» (dixit le dossier de presse) que donnent à lire les auteurs. Un thriller, oui, mais aussi une magnifique histoire d’amour(s) et d’amitiés. Et l’un des meilleurs albums de cette année 2017. 
 


La Carte du ciel ****
Texte Arnaud Le Gouëfflec et dessin Laurent Richard
- Glénat, 2017 - 144 pages couleur – Collection 1000 feuilles - 22 €

dimanche 20 août 2017

[Sous le soleil exactement] – Intempérie : Javi Rey adapte superbement Jesus Carrasco (Dupuis)

Espagne, loin de la ville. Caché sous la terre, le corps mêlé aux racines d’un olivier de l’immense champs où il s’est réfugié, un jeune garçon attend, tremblant de peur et de douleur. Il attend que tous ces hommes qui le cherchent, avec une insistance inquiétante, soient partis. Loin. Et là, seul, il partira à son tour, encore plus loin de ce père qui le bat, encore et encore, et de l’alguazil, ce flic vicieux qui ne se déplace qu’à bord de son side-car.
A la nuit tombée, le jeune garçon prend son courage à deux mains, sort de sa tanière et court, sous les étoiles et dans le froid nocturne mordant. Le hasard de ses pas l’amène vite jusqu’à un vieux berger taciturne, qui le prend sous son aile. Sans lui poser de questions sur les raisons de sa fuite. Le gamin accepte de suivre cet étrange mais providentiel sauveur, mais pourront-ils lutter longtemps contre une nature parfois hostile et des chasseurs impitoyables ? 

 Adapté du premier - et retentissant - roman de Jesus Carrasco (2013, parution chez Robert Laffont en 2015), Intempérie est une histoire d’un noir profond. Le récit de cette cavale tire toute sa puissance à la fois dans la tension qui y règne, et dans la relation forte de son improbable duo de personnages. Les deux solitaires, l’un par contrainte, l’autre par choix, vont se rencontrer, s’apprivoiser, et vite s’unir pour leur survie face à la cruauté de la terre, mais surtout, des hommes. Il est dit peu de choses sur le passé respectif des deux protagonistes, mais là n’est pas l’important : on comprend très vite que cette vie, qui débute à peine pour le jeune, est devenue un enfer auquel il lui faut échapper, et que le vieux se retrouve – peut-être, certainement – dans ce besoin de liberté et de justice d’un gamin paumé. Javi Rey a mis en scène cette cavale avec talent : qu’il s’agisse de passages terriblement violents (les dégâts d’un soleil de plomb, un incendie, une lutte avec un cul de jatte...), de séquences oniriques saisissantes, ou de scènes nocturnes faussement apaisantes, à chaque fois, le découpage précis et les couleurs employées font mouche. L’utilisation fréquente de cases muettes – à l’image du vieux berger peu causant -, sur des planches entières parfois, laisse toute sa place aux émotions ressenties par ses personnages. Des émotions et des sentiments que Rey fait aussi passer admirablement grâce à un trait clair, précis, superbe.



Dans l’entretien croisé de dix pages qui conclut l’album, Jesus Carrasco ne dit pas autre  chose à propos de son adaptateur : "Sa capacité d’expression et la pureté de son trait me semblent prodigieux […]. Par ailleurs, j’ai beaucoup aimé son aptitude à restituer la substance du texte".



Et Intempérie est une aussi une grande réussite, en cela qu’il donne envie de se plonger dans ce premier roman "à la langue riche, soignée, sublime" (selon El Mundo).






Intempérie ****
Sénario et dessin de Javi Rey, d’après le roman de Jesus Carrasco
Dupuis, 2017 - 152 pages couleurs – Collection Aire Libre - 15,50 €