Ce blog est entièrement consacré au polar en cases. Essentiellement constitué de chroniques d'albums, vous y trouverez, de temps à autre, des brèves sur les festivals et des événements liés au genre ou des interviews d'auteurs.
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Bonne balade dans le noir !

dimanche 31 août 2014

[Coup double d'Ozanam] - Succombe qui doit / Burn out (KSTR - Casterman)

Une bande de 4 braqueurs qui débarquent une nuit dans une casse auto tenue par un black solitaire, un dénommé José Machado. Les casseurs sont aux abois - visiblement quelque chose a foiré - et l'un d'eux est blessé. Ils doivent absolument trouver le moyen de filer le fric du braquage à leur patron, un dénommé "La Vilette". Mais dans leur énervement et leur panique, le ton monte dans le groupe et les embrouilles ne tardent pas entre les petites frappes. Cela ne va pas vraiment s'arranger quand ils décident de prendre en otage José - le patron de la casse auto, vous suivez ? - sans savoir que par le passé il fut un boxeur de renom, et qu'il ne faut pas trop le chatouiller... ni remuer trop le passé. Bref, tout va dégénérer et partir en cacahuète.

Voici un album très spectaculaire, avec un dessin vraiment original de Rica, qui excelle à faire des trognes expressives à ses personnages. Tout le début est particulièrement réussi, lorsque les braqueurs arrivent avec des masques d'animaux grimaçant, on ne sait plus trop si on n'est pas en train de lire une sorte de "Planète des singes" gore. Mais non c'est bien du polar, écrit par Antoine Ozanam (auteur de l'excellent "We are the night"), un huis-clos dans des décors apocalyptiques, avec des personnages presque tous aussi pourris les uns que les autres. Dans le dessin comme dans l'ambiance, pesante, cette BD est à rapprocher des  albums de Mezzo et Pirus (le trait de Rica y fait immédiatement penser), en particulier de "Deux tueurs". Une BD choc, et à la fin cruelle, pour ne rien gâcher.

Le même Ozanam a également fait paraître un autre polar,  nettement plus poisseux,   "Burn out", dessiné cette fois par Mikkel Sommer, toujours au sein du label KSTR (ou pas... car ce n'est nulle part sur l'album, mais uniquement sur le site de Casterman..)  Une histoire qui se déroule cette fois aux Etats-Unis. La trame, la voici, telle que décrite par l'éditeur hinself  :

" Reno, Nevada. Il fait une chaleur infernale, mais Ethan Karoshi n’y prend pas trop garde, puisque tout ou presque va pour le mieux dans son existence de quarantenaire épanoui : son boulot de flic reconnu par sa hiérarchie, ses parties de pêche assidues pratiquées avec passion, son foyer heureux avec sa femme Julie, ses amours clandestines bien réglées avec la rousse et volcanique Debra… Cette belle mécanique, pourtant, va brusquement se dérégler. On découvre sa maitresse étranglée avec du fil de pêche. Puis le cadavre d’un autre amant régulier de la jeune femme, assassiné lui aussi. Un mauvais pressentiment taraude Ethan. Tout se passe comme si un piège se mettait lentement en place, dont il était la proie désignée...."

Voilà le topo. Et c'est une lente descente aux enfers pour le flic... et un autre très bon album, par un scénariste qui commence vraiment à laisser son empreinte dans le genre. En tous cas, deux albums que vous apprécierez si vous êtes amateurs d'intrigues utilisant parfaitement dans les codes du polar.

Succombe qui doit ****
Scénario de Ozanam et dessin de Rica
KSTR, 2014 - 158 pages couleurs - 16 €

Burn out ***
Scénario de Ozanam et dessin de Sommer
Casterman, 2014 - 94  pages couleurs - 18 €

dimanche 24 août 2014

[Prix SNCF du Polar BD 2015] - Rouge karma, de Simon et Gomont (Sarbacane)

Adélaïde Tiersen débarque, de Paris, à Calcutta avec une seule idée en tête, une obsession, même : retrouver son compagnon, Matthieu, en mission en Inde depuis cinq mois pour la société Tosh Computers, et qui n'a pas donné signe de vie depuis trente jours. Enceinte jusqu'aux yeux, Adélaïde va mettre toute l'énergie possible dans cette quête éperdue du futur père de son bébé, et commence par s'adresser à la police sitôt le pied sur le sol indien. Mais l'ombrageux inspecteur Dut ne semble guère disposé à remuer ciel et terre pour une disparition qui n'en est pas vraiment une... d'après lui. Pire, il lui apprend que la société pour laquelle travaille son compagnon n'existe pas... Adélaïde décide alors de faire appel à une Imran Suresh, ce sympathique chauffeur de taxi débrouillard qui l'avait accueillie à son arrivée. Les ressources d'Imran, inépuisables, et son ingéniosité, vont permettre à la jeune femme de retrouver la trace de Matthieu. Mais le chemin pour arriver jusqu'à lui va être parsemé d'embûches...

Un album étonnant : une jeune femme sur le point d'accoucher à chaque page, s'agite en tous sens et finit par découvrir une affaire d'état, au bout de péripéties dignes d'un roman d'espionnage, période Ian Flemming... et le mieux, c'est que ça fonctionne et qu'on y croit ! En fait, le duo Adélaïde / Imran, choc de deux cultures, est tellement attachant, que le lecteur a envie de les voir aller au bout de leur quête, au début désespérée. Et si le scénario tient le choc, c'est aussi parce qu'il se déroule dans des décors respirant l'authenticité, des hôtels des quartiers populaires aux rassemblements sur le Gange, en passant par le quartier des prostituées. Pierre-Henry Gomont a nimbé toutes ses planches d'une lumière tamisée, et donne l'impression qu'une brume permanente règne, presque étouffante, tout au long de l'histoire.

En embrassant plus d'une thématique (l'amour, l'amitié, la politique, l'enquête policière, la religion...) les auteurs prenaient le risque de perdre leur lecteur en route. En fait, Eddy Simon et Pierre-Henry Gomont ont réussi un album à la hauteur de la complexité du pays, et si Rouge Karma donne de temps en temps dans la démesure, c'est en fait en écho parfait à cette Inde encore mystérieuse pour beaucoup d'occidentaux. Au final, une bande dessinée au parfum entêtant...


Rouge Karma ***
Scénario Eddy Simon et dessin Pierre-Henry Gomont
Sarbacane, 2014 - 128 pages couleurs - 22 €

vendredi 15 août 2014

[Prix SNCF du Polar BD 2015] - Quatre couleurs, de Blaise Guinin

Grégoire Legrand est étudiant, section glandouille, et entame sa troisième première année, tranquille. Sauf que la menace paternelle de se faire couper les vivres est cette fois bien réelle, si la réussite n'est pas au bout. Le jeune homme, jamais à court quand il s'agit de tirer au flanc, a une idée qui pourrait lui permettre - peut-être - de réussir cette mission impossible fixée par le père : échanger avec un copain, juste sur une matière, tous les cours de l'année, et prendre la place de l'autre, là où chacun est balèze. Grégoire ira donc en histoire de l'art à la place de son pote Pierre, tandis que celui-ci le remplacera sur les bancs des cours de géo, là où Grégoire est une bille. "Même pas de la triche. Un échange de bons procédés" plaide le fraudeur à son ami, dubitatif, qui pressent un peu les risques de l'entreprise. Mais le marché est tout de même conclu et le pacte entre les deux étudiants ne va pas tarder à se fissurer au gré d'événements inattendus... Parmi ceux-ci,  l'arrivée de Chloé, une ex de Grégoire, dans le cours d'histoire, risque de compromettre la supercherie... Comment va réagir le petit malin ?

"Un roman graphique noir, rouge, vert et bleu, réalisé au crayon quatre couleurs".
Voilà la promesse de la quatrième de couverture de cet album, original, donc, par son traitement graphique particulier. Visuellement, cela fonctionne bien, et Blaise Guinin tire un assez bon parti de son outil de travail, où les quatre couleurs servent essentiellement à tramer les décors, accentuer des détails vestimentaires, ou attirer l'oeil sur des objets du quotidien. Couleurs et objets qui servent également à introduire chacun des courts chapitres de l'album, et qui viennent rythmer le récit, de façon un peu lancinante. L'histoire, quant à elle, s'attache à décrire les relations entre les deux amis, et celles entretenues avec quatre jeunes femmes, toutes reliées, elles aussi, à une couleur, comme le suggère, du reste, la couverture. Mais ce sont surtout les pensées et actes de Grégoire qui servent de fil narratif à "Quatre couleurs" et dévoilent un être particulièrement déplaisant, puisque le charmant personnage est manipulateur, menteur, égoïste, obsédé sexuel, voyeur... en un seul mot : odieux. Avec tout le monde. Ce qui lui vaudra d'être repoussé, plus ou moins définitivement, par toutes celles qui gravite autour de lui - ou qu'il voudrait bien attirer à lui.
Il y a également une trame policière, légère, dans cet album, puisque la police enquête au même moment sur le suicide d'une jeune étudiante. Mais au final, il s'agit bien d'un portrait de salaud, qui ne recule devant aucune ignominie, dans une bande dessinée où le noir reste tout de même la couleur dominante. Une vraie découverte et une belle surprise de 2014.

Pour découvrir le travail de Blaise Guinin : appuyez là.
Et pour les éditions Vraoum : appuyez ici

Quatre couleurs ***
Texte et dessins Blaise Guinin
Vraoum, 2014 - 142 pages couleurs - 16 €


dimanche 10 août 2014

[Prix SNCF du Polar BD 2015] - Une Affaire de caractères, de François Ayroles

Donald Fraser, prince des phraseurs de la petite cité de Bibelosse, est retrouvé mort, au fond d'un puits. L'homme, infirme en fauteuil roulant, semble avoir laissé un indice sur le sol en inscrivant "ETC" avec les roues de son fauteuil. Tout le monde se perd en conjectures sur les motifs de cette mort soudaine : un suicide ? Un assassinat ? Mais dans ce dernier cas, qui pouvait bien en vouloir à l'esprit le plus brillant de la communauté ? Lui qui le matin même avait remporté une des ces joutes oratoires publiques qui font la fierté des villageois. L'arrivée d'un policier sur les lieux balaye ces premières interrogations : il s'agit bien d'un meurtre. L'inspecteur Edgar Sandé affiche toute de suite une détermination qui impressionne les autochtones : "Je vous préviens : le coupable sera retrouvé fissa. Aucune affaire ne me résiste". Et l'enquête commence, auprès d'habitants pour le moins étranges, dans une cité qui semble bien avoir des secrets... Une cité uniquement composée d'écrivains ! Une découverte qui laisse l'inspecteur pantois : "Pourquoi pas de garagistes ou de garçons-coiffeurs, tant que vous y êtes ?". La partie s'annonce plus compliquée que prévue pour Edgar Sandé...

D'entrée de jeu, François Ayroles annonce la couleur, avec une première planche où les noms des deux enseignes peintes sur deux camions, apparaissent d'abord dans des détails successifs des lettres qui les composent, puis, tronqués à la troisième case, "ABC", et "DEF", deviennent à la quatrième "ABO" et "DEA". Deux détails des mots "Laboratoire" et "Bandeaux ", sur deux véhicules qui vont manquer se percuter la page suivante... à un carrefour en forme de "Y". Trompe l'oeil, et cases à déchiffrer : voilà qui va durer les 71 pages de cet album, qui s'ouvre sur un "A" et se conclue, comme il se doit, sur un "Z".  
Entre temps, c'est plus à une invitation à un voyage ludique au pays des mots, de la littérature et des figures de styles, qu'à une enquête policière que nous convie l'auteur : ses personnages ont les traits d'écrivains, évidemment pas choisis au hasard. Ainsi, Pérec est là, sous le nom de "Georgs", et pour lui, la disparition n'est ici, pas seulement celle du "E" , mais celle de la parole, puisqu'il est muet et ne s'exprime que sur les murs de la ville. L'inspecteur a les traits de Simenon, et on reconnaît aussi Séraphin Lampion, qui est ici "le doc", et qui cherche à vendre, non pas des assurances, comme son original hergéen, mais des guides en tous genres, qu'il trimballe avec lui dans une espèce de bibliothèque portative à bretelles... 
On croise bien d'autres individus remarquables dans cette affaire, et c'est un vrai régal de voir l'inspecteur Sandé, s'embourber dans une enquête où il n'y comprend pas grand chose, car il est tombé dans un milieu de lettrés, dont le vocabulaire lui échappe parfois. Sa visite à l'imprimerie du village en est le meilleur exemple, et le lecteur assiste à  un magnifique dialogue de sourds, un de ces nombreux passages jubilatoires de l'album. L'enquête progresse suit donc ces rails, et finira par aboutir, car il y a bien un meurtrier dans cette affaire, mais vous l'aurez compris : c'est bien dans ce fourmillement d'allusions, ces clins d'oeil, cette construction ludique, à la fois dans la narration comme dans la mise en page, que réside la très grande richesse de ce polar complètement hors-norme. Tellement riche qu'on n'a qu'une seule envie : s'y replonger pour y traquer les indices disséminés avec malice par François Ayroles. Si vous ne restez pas hermétique à l'entreprise,  "Une affaire de caractères" est un vrai régal. Et pour moi, une des bandes dessinées de l'année.

Une Affaire de caractères ****
Texte et dessins François Ayroles
Delcourt, 2014 - 72 pages couleur - 16,95 €