Ce blog est entièrement consacré au polar en cases. Essentiellement constitué de chroniques d'albums, vous y trouverez, de temps à autre, des brèves sur les festivals et des événements liés au genre ou des interviews d'auteurs.
Trois index sont là pour vous aider à retrouver les BD chroniquées dans ce blog : par genres, thèmes et éditeurs.
Vous pouvez aussi utiliser le moteur de recherche interne à ce blog.
Bonne balade dans le noir !

dimanche 19 décembre 2010

Pour vos cadeaux, part tou : spécial Comics !

Damned ! Le 25 décembre, etc...
Comme promis, la suite de mes suggestions pour vos cadeaux, avec aujourd'hui un petit tour du côté des crime comics, qui recèlent de vrais trésors.

En première ligne, les éditions Delcourt qui suivent au plus près les sorties de la géniale série Criminal de Brubaker et Philips. Dans le dernier tome paru, « Pauvres pêcheurs » on retrouve le personnage de Tracy, apparu dans le tome 2. Le voici devenu homme de main pour le compte d'une véritable ordure, et il n'est pas tout à fait sûr d'être fait pour cela. Une fois de plus, scénario nickel et dessin non moins parfait pour ce qui est, de loin, le meilleur « crime comic » du moment.

Bon, évidemment, le titre pourrait être disputé par le Tony Chu de Layman et Guillory, qui ont eu la bonne idée d'inventer un personnage de détective-cannibale. Ou pour être plus précis : de flic cibopathe. C'est à dire que l'inspecteur Chu (Chew, en vo) est capable de retracer l'origine d'absolument tout ce qu'il ingurgite. Il lui suffit d'ouvrir la bouche... et de voir l'abattoir d'où provient le bovidé qui est à l'état de steack dans son assiette, l'arbre et les pesticides qui ont été utilisé sur l'excellente pomme qu'il goûte... C'est tellement pénible qu'il préfère en rester aux betteraves, seul aliment qui lui laisse les neurones en paix. Mais un type pareil, c'est du pain béni pour les autorités, et l'inspecteur Chu est vite invité à goûter des bouts de cadavres, plus ou moins frais, histoire de voir ce qu'ils « racontent »... Ce scénario bien barré se lit avec délectation et s'admire pour les cases très cartoonesques de Guillory. A offrir à vos amis végétariens.

A offrir à vos amis qui rêvent de mettre le pays à feu et à sang parce qu'ils n'en peuvent plus : The last days of american crime, une trilogie apocalyptique dont les deux premiers tomes ont été traduits cet été par Emmanuel Proust. L'histoire ? Aux Etats-Unis, le gouvernement a trouvé la parade définitive à tout acte de délinquance : un signal agissant directement sur le cerveau et annihilant toute volonté d'action hors-la-loi va être émis dans les quinze jours. C'était un secret, of course, mais le Washington Post l'a dévoilé, provoquant l'anarchie dans le pays. Et c'est pendant ces quinze jours que Graham Bricke va tenter le casse qui va lui assurer sa retraite. Avec quelques comparses, mais est-on jamais sûr de ses partenaires dans le crime, surtout dans un pareil contexte ? La réponse est dans ce comics au dessin époustouflant de Greg Tocchini, (également encreur et coloriste, rare pour les américains) dont le talent est tel que Rick Remember, le scénariste l'avoue sans détour : « ce qu'il a accompli est absolument incroyable. Le livre vaut la peine d'être acheté, même uniquement pour le dessin ». Vous savez donc ce qu'il vous reste à faire.

Mais dans le genre l'apocalypse est au coin de la rue, le roi demeure sans conteste l'indestructible Judge Dredd dont Soleil a sorti un recueil de dix histoires courtes signées Grant et Wagner, sur des dessins de Bisley pour huit des récits. Cela s'appelle « Heavy metal Dredd » et c'est comme d'habitude un rien brindezingue : de la présentation de Dredd et Megacity One en chanson, à la Course aux Poules Mouillées, en passant l'épisode narrant la fouille corporelle, un peu spéciale, du magicien « le Grand Arsoli », ce sont des tranches de vie ordinaires de la cité de la violence qui se déroulent sous nos yeux amusés. Amusés, car c'est bien le second degré (et le troisième, le quatrième..) qui sont la marque de fabrique de cette grandissime série culte et, grokk !, ça fait du bien de retrouver l'inflexible Juge et sa sale gueule. Et n'oubliez pas : il EST la loi... A qui offrir un truc pareil ? Ben, à votre petite amie étudiante en droit...

Et pour finir, toujours chez Soleil, et même si on sort un peu des « crime comics », tout amateur de BD américaine doit avoir au pied du sapin " Stan Lee présente l'art de la BD", bible auto-proclamée où le pape des super-héros dévoile tous les secrets pour devenir le dessinateur star de demain. Bon, tout le monde n'est pas un Jack Kirby en puissance, et je doute que Neal Adams ait compulsé ce genre de livre pour apprendre le métier, mais ce « Stan Lee présente... » est vraiment un bel objet, richement illustré (encore heureux me direz-vous) et après une courte mais bienvenue histoire du genre aux Etats-Unis, il présente vraiment tous les aspects du métier, du matériel de base aux techniques élémentaires. Tiens, par exemple, la perspective. Très important la perspective, dans la BD : ne vous êtes-vous jamais dit que telle case était curieuse, ou mal foutue ? Souvent c'est une question de perspective, mal maîtrisée. En quelques pages et exemples clairs, hop, Stan vous remet les idées en place, et bientôt, vous saurez tout. Et vous relirez peut-être vos comics – et vos bonnes vieilles BD franco-belge – d'un autre oeil.
Un très beau livre, en grand format, à offrir à n'importe quel amoureux de la bande dessinée (et des super-héros encore plus).

Criminal 5 : Pauvres pêcheurs
Scénario Ed Brubaker et dessin Sean Phillips
Delcourt, 2010 – 14,95 €

Tony Chu, tome 1 : Goût décès
Scénario de John Layman et dessin de Rob Guillory
Delcourt, 2010 – 14,95 €

The last days of american crime, tomes 1 et 2
Scénario Rick Remember et dessin Greg Tocchini
EP, 2010 - 60 pages couleurs - 14,95 € chaque

Heavy Metal Dredd
Scénario Alan Grant et John Wagner et dessins Simon Bisley
Soleil, 2010 – 63 pages couleurs – (US Comics) - 12,90 €

Stan Lee présente l'art de la BD
Soleil, 2010 – 224 pages couleurs – 30 €

dimanche 12 décembre 2010

Pour vos cadeaux... Part ouane

Enfer ! Le 25 décembre approche à la vitesse d'une balle perdue et vous ne savez pas encore quoi offrir à cet oncle un peu bizarre que vous ne voyez qu'une fois l'an. Ou à votre copine qui ne lit que des romans de Marc Lévy. Ou à votre copine qui ne lit que des essais de Michel Onfray. Ou à vos parents qui aimaient bien Tif et Tondu, dans leur folle jeunesse. Ou à votre neveu qui ne jure que par les mangas.
Et vous vous dites qu'une BD serait du plus bel effet au pied du sapin. Oui, mais laquelle ?
Vous pouvez compter sur les éditeurs pour sortir de belles intégrales à cette période de l'année. En voici quelques-unes, 100 % polar, qui pourraient vous valoir autre chose qu'un merci poli au moment du déballage annuel (de cadeaux)... Aujourd'hui : Dargaud et Dupuis.

Chez Dargaud, Berceuse assassine, de Tome et Ralph, est devenu au fil du temps un véritable classique du polar urbain. C'est déjà la troisième version de l'intégrale et comme le site de l'éditeur le dit : « On envie ceux qui vont découvrir ce scénario pour la première fois : une histoire à trois voix, chaque tome de ce triptyque ayant un narrateur différent. Un polar extrêmement intelligent, des personnages noirs, très noirs, détruits par la vie et la ville, un dessin incroyable ». Et bien je vais vous dire à mon tour : tout cela est exact, et ce triptyque est un véritable choc ! En plus, il reparaît cette fois en grand format (35 cm de haut sur 27 de large) et les planches s'en trouvent magnifiées.

C'est aussi sous ce même format que vous pourrez (re)lire Jazz Maynard, la formidable « trilogie barcelonaise » des espagnols Raule et Roger, dont je vous avais déjà dit le plus grand bien (lire mes chroniques des trois tomes au moment de leur sortie) Dargaud a opté pour une version en noir et blanc, et cette fois c'est le formidable dessin de Roger qui est mis en valeur.

Chez Dupuis, vous pouvez bien entendu vous précipiter sur les intégrales de Tif et Tondu et Gil Jourdan, dont le tome 4 est paru en novembre, avec toujours des dossiers d'introduction aussi riches en images inédites et érudits. C'est dans cette collection « Patrimoine » que sont aussi ressorties les aventures de Théodore Poussin de Franck Le Gall, certainement la bande dessinée d'aventures « tout public » la plus intelligente, et la plus captivante, qu'il m'ait été donnée de lire. Bon, d'accord, il faut être un adepte de la ligne claire pour pouvoir apprécier l'histoire du jeune Poussin, rêvant d'horizons maritimes lointains, et qui va se retrouver, un peu malgré lui, pris dans un tourbillon d'événements. Mais quel souffle ! Le Gall embarque complètement le lecteur dès le premier tome et fera vivre à son héros des épisodes d'une intensité dramatique et humaine rarement atteinte dans les pages de Spirou. Si vous êtes passés à côté de cette excellente série au moment de sa sortie (qui remonte aux années 80) c'est le moment de vous y plonger (avant de l'offrir, of course) . Le premier volume reprend les 4 premiers des 12 tomes et pour le premier ("Capitaine Steen") et une partie du second ("Le Mangeur d'archipels") les couleurs ont été refaites. Du travail d'orfèvre !

Autre fleuron de la collection, l'intégrale de Green Manor porte bien son sous-titre : « 16 charmantes historiettes criminelles ». Vehlmann a imaginé pour cette exquise série, et pour son dessinateur Bodart, 16 histoires que les membres les plus honorables du très sélect Green Manor's club se racontent, la voix pleine de frissons. De crimes impossibles en vengeances parfaites, de machinations perverses en énigmes insolubles, c'est un véritable voyage au coeur d'une Angleterre victorienne rouge sang auquel le lecteur est convié. Le tout avec ce légendaire flegme britannique, comme le suggère l'unique phrase du dos du livre : « Le meurtre n'est rien sans un peu d'élégance ». Elégante et classieuse, cette édition l'est en tout point de vue : au format roman, elle affecte l'allure d'un fac-similé relié cuir, allant jusqu'à reproduire la patine du temps. Et pour relier l'ensemble de leurs petits contes noirs, les auteurs ont imaginé un prologue et un épisode tout à fait approprié. Et Dupuis a ajouté un cahier graphique de 24 pages (crayonnés de personnages, planches à divers stade de travail) pour clore le tout : franchement, encore un cadeau somptueux !

Et pour finir, une autre facette du très grand talent de Fabien Vehlmann : la réédition du 1er cycle de Seuls, ce thriller fantastique dessiné par Bruno Gazzotti, qui a marqué les esprits dès la parution de « La disparition » en 2006. Au cas où vous soyez passé à côté, le tout début de l'histoire : cinq enfants, âgés de 5 à 12 ans, se réveillent un matin dans une ville complètement désertée par les adultes. Livrés à eux-mêmes, ces enfants vont devoir apprendre à vivre sans ces adultes, et, tout en essayant de comprendre les raisons de leur soudaine solitude, faire face aux dangers d'une grande ville, où ils vont découvrir, au fil des albums, que d'autres enfants sont dans leur situation.
L'intégrale regroupe les cinq albums d'un premier cycle d'une série qui a d'ores et déjà marqué la bande dessinée « tout public ». Un petit tour sur le site dédié vous donnera une petite idée de la chose, au cas où vous n'ayez vraiment jamais entendu parler de « Seuls »...

DARGAUD
Berceuse assassine - 168 pages couleur, 35 €
Jazz Maynard – 152 pages, 29 €

DUPUIS
Gil Jourdan – 4 tomes - 240 pages couleur, 24 € chaque
Tif et Tondu – 8 tomes - 156 pages couleurs, 24 € chaque
Théodore Poussin – 1 tome –240 pages couleur, 24 €
Green Manor – 1 tome – 160 pages couleur, 35 €
Seuls – 1 tome – 264 pages couleur, 30 €

lundi 29 novembre 2010

Snuff 1 - La Mélodie du bonheur (2010)

Ethan Fargo vit à Brooklyn, et il essaie d'oublier que sa vie est ratée en envoyant des balles de golf à la mer. On passe son désespoir comme on peut... Il fréquente aussi un vidéo club tenu par deux abrutis de première et c'est là, dans cet endroit sans âme, que sa vie va prendre une tournure inattendue et bizarroïde... Alors qu'il s'apprêtait à emprunter un film dégoûtant aux yeux des tenanciers (un mélo, "la mélodie du bonheur"), deux braqueurs font irruption dans la boutique, et Ethan se retrouve pris entre deux feux. Sa situation est critique, mais l'arrivée d'un cinquième larron, qui vient porter secours au duo de braqueurs guère plus finaud que les loueurs de films, le sauve d'une balle perdue... ou d'autre chose. Inexplicablement son sauveur le laisse en vie en lui confiant un DVD sans jacquette, que Fargo regarde chez lui, espérant trouver une explication à cet épisode rocambolesque. Le choc des images est violent : c'est un snuff-movie qui se défile sous ses yeux, et le film va vite précipiter Ethan dans une cascade d'événements plus ou moins plaisants pour lui...

Nihoul et Lemmens, les créateurs de l'immortel « Commando Torquemada », (deux albums chez Fluide Glacial) sont de retour, et c'est une joie immense de constater qu'ils n'ont rien perdu de leur esprit frondeur et iconoclaste pour cette nouvelle série chez Delcourt. Leur « Snuff » est bourré de références à un certain cinéma un poil décalé que les auteurs vénèrent ostensiblement : la boutique de vidéo s'appelle « Clerks », titre d'un film-culte assez méconnu de mon entourage (mais mon entourage a tort, sur ce coup-là) et le nom du héros est hommage direct aux frères Cohen. Ce premier tome repose sur une intrigue assez surprenante : un ex-dictateur sud-américain envoie un pauvre type à la recherche des responsables de la mort, atroce, de sa fille. Avec en arrière-plan, l'univers des snuff-movies... Avouez qu'il y avait là de quoi se ramasser dans les grandes largeurs avec une histoire pareille. Mais le duo en optant pour un traitement à la Tarantino, avec dialogues ciselés et scènes chocs, évite le piège de l'album glauque sur sujet glissant (une catégorie que je viens de créer à l'instant). Dès la première phrase, le lecteur – éventuellement - égaré est prévenu :

« On ne peut avoir une idée du néant, du vide absolu, si l'on n'a jamais plongé son regard dans celui d'une autruche »...

Un peu plus loin, cette conversation :

"- C'est fait. Le doigt de Dieu vient de majestueusement désigner notre ami.
- Vous pourriez arrêter de parler comme un livre de messe et être clair, pour une fois ?"

Et tout l'album est sur ce ton, légèrement décalé, mais extrêmement jubilatoire.
Côté dessin, les trognes et les physiques volontairement caricaturaux des personnages de Lemmens, font mouche et le dessinateur démontre un réel talent pour les scènes d'action, dans cet album qui est loin d'être une promenade de santé pour le « héros ».
Bref, si vous ne lisez que dix BD par an (ou moins, mais alors, là, vous avez dû arriver sur ce blog par hasard) vous aurez compris que celle-ci doit en faire partie. Amen.


Snuff 1 – La Mélodie du bonheur
Scénario Philippe Nihoul et dessin Xavier Lemmens
Delcourt, 2010 – 48 p. coul. - Collection Machination – 12,90 €

jeudi 18 novembre 2010

Le recul du fusil 1 - Les Chambres (2010)

Fin août 1936. Fernand Tormes quitte sa campagne provençale et ses chèvres pour aller étudier la médecine à Paris. Sa mère l'envoie auprès d'amis parisiens, les Lazary, et il est accueilli à la gare par leur fils André, son copain d'enfance. Mais en cette période troublée en Europe, Fernand retrouve un André acquis à la cause communiste et à l'Espagne républicaine... et brouillé avec son père, à la tête d'une entreprise familiale. Fernand s'installe néanmoins dans la chambre des Lazary, dans un immeuble où il fait vite la connaissance de Solange, jeune et belle femme, mariée à un égyptologue.
Fernand s'en éprend et réussit à approcher d'un peu plus près cette petite bourgeoisie parisienne. Il est pour eux une sorte de curiosité amusante... Pendant ce temps-là, le monde tourne et André se frotte aux fascistes parisiens. Les événements vont s'accélérer pour Fernand, à la croisée de plusieurs chemins...

Ce premier tome d'un trilogie annoncée est une formidable plongée dans le Paris de 1936, et Bordas signe là une histoire qui s'annonce passionnante. Son personnage de Fernand, débrouillard mais un peu dilettante, est emprunt d'une certaine naïveté romantique qui mène sa vie un peu malgré lui. Tombant amoureux de presque chaque femme qu'il rencontre, il ne semble pas avoir d'autre but dans la vie que de ne pas dormir tout seul et il n'a pas l'engagement politique d'André et de ses amis révolutionnaires. Mais le vent de l'Histoire, et une situation personnelle soudainement devenue critique, vont le pousser vers d'autres horizons et c'est bien ce qui fait tout l'intérêt du scénario : Bordas réussi à imbriquer le destin d'un anonyme dans la grande spirale des événements majeurs des années trente. Son Paris est d'ailleurs truffé de détails (enseignes des boutiques, affiches et banderoles politiques, véhicules...) apportant l'authenticité nécessaire à son scénario et renforce sa crédibilité. Graphiquement, Bordas appartient à cette branche « Sfaro-Blainiste » de la bande dessinée actuelle, qui semble faire de plus en plus école, et dont le style s'accorde parfaitement avec l'époque choisie.
« Le recul du fusil » est paru à la fin de l'été, mais n'hésitez pas à le demander à votre revendeur préféré : c'est franchement une des très bonnes surprises de cette année.

Le Recul du fusil
1 – Les Chambres
Scénario et dessin Jean-Sébastien Bordas
Soleil, 2010. 56 pages couleurs – Collection Quadrants / Boussole
11,50 €

samedi 30 octobre 2010

De briques et de sang (2010)


Il se passe de drôles de choses au Familistère de Guise, en ces années 20 : voilà qu'on y meurt de manière rapprochée... et un peu trop suspecte. Cette communauté n'est-elle pourtant pas un modèle de justice sociale ? Voici un excellent album et je vous propose de lire ma chronique sur le site k-libre.

Vous pouvez aussi aller faire un tour du côté des blogs des dessinateurs David François et Pierre-Henry Gomont, l'auteur de l'épilogue. Sans oublier celui du scénariste, Régis Hautière.

Et en prime, une couverture finalement non retenue pour cet album :


De briques et de sang
Scénario Régis Hautière et dessins et couleurs David François
Dessin de l'épilogue Pierre-Henry Gomont
KSTR, 2010 - 114 pages couleurs – 16 €

samedi 16 octobre 2010

Smoke city 2 (2010)

Le groupe de choc reconstitué pour un casse de grande envergure, commandité par l'insaisissable ennemi public n°1 de Smoke City, s'est retrouvé à l'issue du premier tome dans un situation pour le moins critique : trahi par l'un des leurs, les cinq autres as de la cambriole se retrouvent au poste, interrogés un par un par des duos de flics qui tentent de comprendre. Mais les braqueurs ne savent plus trop eux-mêmes où ils en sont : la police semble prête à passer l'éponge sur la tentative de casse, si le groupe accepte de collaborer activement et de tendre un piège au commanditaire, véritable cible de l'inspecteur Ruben. Et c'est en fait Valentine Cole, le « traître » du groupe qui va être au coeur du piège... une situation vite inconfortable face à un ennemi qui dispose d'atouts d'une puissance insoupçonnée dans son jeu...Le scénario de Mathieu Mariolle se complexifie dans ce second volume, et Smoke City glisse progressivement dans un fantastique du meilleur goût. En invitant à la table de simples braqueurs un adversaire lié à un démon, l'histoire change de registre. Et c'est là qu'intervient tout le savoir-faire de Mariolle : en fonctionnant par flashbacks, et en installant à la fin de chaque scène/séquence un suspense efficace, la dimension fantastique arrive par touches successives, à l'intensité grandissante. C'est presque un lieu commun d'affirmer que le découpage d'un scénario de bande dessinée est proche de celui d'un film de cinéma, mais c'est loin d'être une vérité absolue. Mais dans le cas de Smoke City, on ne peut s'empêcher de faire le rapprochement entre le 7ème et le 9ème art. : on se fait littéralement son film et on voit l'histoire, et ses acteurs. L'autre artisan de ce magnifique travail est bien entendu Benjamin Carré : son dessin extraordinaire de réalisme, son usage des couleurs, son utilisation discrète de la photographie dans la composition de ses cases, ses décors somptueux, ses ultra-dynamiques scènes d'action sont autant de qualités affichées dans le premier tome, et qui font de « Smoke city » une des plus belles réussites du genre. A l'instar de certains « comics » qui croisent avec bonheur les univers du polar et des super-héros (je pense à « Incognito » de Brubaker et Philipps ou à « Gotham central » du même Brubaker, avec Rucka et Lark), ce diptyque confirme tout l'intérêt que peut avoir un genre codé comme le récit policier à explorer d'autres territoires. Et même l'une des conditions de sa survie ?

Smoke city 2
Scénario Mathieu Mariolle et dessin Benjamin Carrré
Delcourt, 2010 – 48 p. coul. - Collection Neopolis – 12,90 €

jeudi 14 octobre 2010

La Mort n'est pas une excuse (2010)

Le Goo Goo Muck trio est un groupe de musiciens de blues sans histoire. Enfin, sans histoire jusqu'à la découverte du cadavre de José Da Silva, latin lover Portugais et local, mystérieusement assassiné... Non pas que le trio y soit pour quelque chose, mais, c'est juste que le trucidé était une connaissance à eux. Et une connaissance morte par homicide, ça marque. Alors pour marquer le coup, il est décidé de rendre hommage à la victime en lui dédiant le concert du lendemain. Mais en attendant, il faut répéter, et c'est là que les choses prennent une tournure bizarre pour le chanteur au banjo du trio : à la place de son instrument fétiche, un flingue et deux chargeurs attendent paisiblement, comme dans les meilleurs films de gangsters... Où est passé le banjo et à qui est cette arme ? La vérité ne va pas tarder à se manifester.
Cet album – qui porte bien son sous-titre de « Fantaisie noire » - est placé sous les auspices de Dock Boogs et de Maurice Tillieux. Si le second nous est familier (comment cela, vous n'avez pas lu cette chronique de la réédition des fabuleux Gil Jourdan ???), je dois avouer que j'ignorais qui était le premier. J'aurais pu m'en douter à la couverture, superbe, de cet album : c'était un bluesman américain, un maître du banjo des origines. Et cette BD toute entière est un véritable hommage, ludique, à la musique et au roman noir. Nicolas Moog, déjà auteur d'une bonne adaptation du Poulpe de Jacques Vallet (« L'amour tarde à Dijon ») s'amuse comme un petit fou à parsemer son histoire de clins d'oeil à la Série Noire. Le plus spectaculaire – et amusant – est d'avoir glissé le tueur de service dans la peau de... Marc Villard : notre vénérable gloire nationale ne lui en veut pas, puisqu'il lui signe une préface aussi référentielle que les planches qui la suivent. Et tout aussi délirante. Bon, l'intrigue est ténue, mais le plaisir est ailleurs, c'est un peu celui ressenti à la lecture d'une nouvelle : le tout est ramassé, et on peut revenir au début pour savourer à nouveau.
La mort n'est pas une excuse, non, et passer à côté de cet album non plus !

La mort n'est pas une excuse
Scénario et dessins Nicolas MOOG
Six pieds sous terre, 2010
48 p. noir et blanc – Collection Monotrème
10 €

samedi 11 septembre 2010

Blacksad 4 : L'enfer, le silence (2010)

Sebastian « Little Hand » Fletcher est un jazzman hors du commun, un des ces musiciens capables de vous remplir une salle en moins de temps qu'il ne lui faut pour s'installer à son piano et de faire les beaux jours des maisons de disques. Des pépites pareilles ne courent pas les rues, et il faut les ménager, être aux petits soins, comme l'a justement toujours fait le patron de « Lachapelle Records », label le plus renommé et influent de la Nouvelle-Orléans. Mais quand on est héroïnomane comme Fletcher, on est incontrôlable, et « tout à fait capable de faire une bêtise » comme s'en inquiète son mentor, Faust Lachapelle. Quoi de plus naturel pour lui alors de lancer sur sa piste celui qu'on lui a assuré être capable de le retrouver « sans faire trop de grabuge » ? Le détective en question n'est autre que John Blacksad, qui va vite comprendre que la partition qu'on lui a donné est remplie de fausses notes... Du confrère embauché avant lui et évincé sans ménagement au fils Lachapelle, amer et retors, en passant par des musiciens aussi souvent au pénitencier qu'au club de jazz, tous semblent vouloir faire danser Blacksad à leur rythme à eux. Mais c'est bien connu : le chat retombe toujours sur ses pattes...


Cinq ans après « Ame rouge », le détective aux griffes les plus acérées de la BD fait donc son retour, attendu avec impatience par ses fans, une curiosité certaine pour tous les autres, mais avec pour tous la même question : dans quel tourbillon le dur à cuire Blacksad va-t-il être plongé ? Une issue fatale, si on s'arrête à la somptueuse couverture de cet album ? Une histoire étrange, au regard de la quatrième de couverture ? Les premières pages mettent rapidement sur la voie : il sera question de musique, puisque nous voici à la Nouvelle Orléans. Mais nous voilà aussi prévenu : il ne sera pas question uniquement de légèreté et d'insouciance, puisque les premiers mots qui accompagnent le strip-tease auquel assistent Blacksad et son fidèle Weekly sont ceux de Sartre, « l'enfer c'est les autres ». Et Diaz Canales et Guarnido vont constamment jouer sur cette dualité, d'un côté une ville festive, de l'autre des habitants à l'âme tourmentée. Cela se traduit, côté scénario, par une construction non linéaire, où les protagonistes apparaissent de manière parfois inattendue, le plus souvent au moment où la page est tournée, ce qui donne de saisissants changements d'ambiance, et imprime un rythme vraiment particulier à l'album. L'intrigue imaginée par Diaz Canales, autour de la musique bien sûr, mais qui cache des ramifications, confirme le savoir-faire du scénariste dans la bande dessinée noire psychologique, car, comme pour les précédents tomes, ses personnages ont une réelle épaisseur, et celle-ci sert directement la dynamique du récit.
Et si cela fonctionne aussi bien, c'est parce que Guarnido n'a rien perdu de son incroyable talent, et que son dessin est toujours aussi spectaculaire, même dans les scènes les plus calmes. On a rarement vu une bande dessinée animalière aussi expressive que Blacksad, et l'engouement autour de cette série est justifié : voici une oeuvre intelligente, qui prend le temps de se construire.
Et pour les petits veinards qui habitent pas loin de Château-du-Loir, dans la Sarthe, une visite à la bibliothèque municipale s'impose : les planches agrandies de ce quatrième tome de Blacksad y sont exposées du 14 septembre au 2 octobre. Entre autres réjouissances autour du noir (programme détaillé ici) Je serai d'ailleurs présent le vendredi 24 septembre, pour présenter une sélection des meilleures BD polars de ces vingt dernières années. Exercice difficile, mais une chose est sûre : Blacksad en sera !

Blacksad, tome 4 : L'enfer, le silence
Scénario Juan Diaz Canales et dessin Juanjo Guarnido
Dargaud, 2010 - 56 p. coul. - 13,50 €

dimanche 5 septembre 2010

Les Héros du peuple sont immortels : Gil Jourdan et Spirou en intégrales

S'il est un éditeur qui traite ses grands anciens avec tout le respect qu'ils méritent, c'est bien Dupuis, dont la politique actuelle de rééditions des classiques de son catalogue est des plus intelligentes, au travers d'intégrales toutes plus soignées les unes que les autres. Non, non je n'exagère pas... Et je vous ai déjà signalé dans ces pages tout le bien dont je pensais de cet important travail patrimonial (notamment à propos de Tif et Tondu).
Mais à ma grande surprise, je me rends compte que je ne vous avais pas encore parlé ici de la somptueuse intégrale de Gil Jourdan, de l'immense Maurice Tillieux. Le tome 3, qui couvre la période 1964-1970 et regroupe « Le gant à trois doigts », « Le chinois à deux roues », « Chaud et froid » et « Pâtée explosive » - soit les albums 9 à 12 de la série - est sorti au début de l'été, clôturant la période où l'intrépide détective est entièrement l'oeuvre du seul Tillieux. Dans son érudit et passionnant dossier de présentation, José-Louis Bocquet, grand connaisseur de l'oeuvre Jourdanesque, resitue chacun des albums dans son contexte, et rappelle toute l'importance du scénariste au sein de la profession à cette époque, et le rôle, presqu'inconscient, qu'il eut alors pour la reconnaissance du métier auprès des éditeurs.
Au delà de cet aspect, José-Louis Bocquet décortique toute la mécanique à l'oeuvre dans ces aventures, et souligne que l'auteur a parfois subi la contrainte des 44 planches – étalon inébranlable alors – le poussant, par exemple, à accélérer la fin d'un récit expérimentalement débuté en temps réel, « Le Gant à trois doigts », qui n'en demeure pas moins extrêmement plaisant au final. Tout comme le reste également « Le Chinois à deux roues », une expédition épique à bord d'un camion, sous une pluie constante. C'est bien là toute la force des aventures de Gil Jourdan : près d'un demi-siècle après leur sortie, elles sont toujours incroyablement lisibles, drôles et ont conservé leur inventivité originelle. On ne dira jamais assez combien Maurice Tillieux était un auteur majeur, du reste de plus en plus sollicité pour des scénarios pour une foule de confrères, ce qui – hélas – le contraindra à abandonner le dessin de sa série phare.

C'est à cette époque où Tillieux lâche les rênes de Gil Jourdan que Fournier s'empare de celles de Spirou et Fantasio, tout juste lâchées par Franquin.
Là encore, le premier volume de ces premières « années Fournier » (1969-1972) est présenté par José-Louis Bocquet, qui retrace les débuts d'un jeune auteur, tout surpris de se voir proposer la série reine de l'hebdomadaire, alors que son «Bizu » traîne en queue de peloton des impitoyables référendums du magazine... Extrait de la conversation rapportée par Bocquet, entre Charles Dupuis et Jean-Claude Fournier :

« ça va, monsieur Fournier, vous êtes content de votre carrière ? »
« Oui »
« Les résultats sont pas terribles »
« Pas terribles... En effet... »
« Aussi, on a pensé à vous pour reprendre les aventures de Spirou et Fantasio ! »
Je me dis « C'est une blague ? »....

Mais ce n'en était pas une, et Fournier restera aux commandes de la série jusqu'en 1979 , et l'album « Des haricots partout ». Ce premier tome contient les trois albums « Le Faiseur d'or », « Du glucose pour Noémie » et « L'abbaye truquée ». Si la présence de Franquin se fait sentir dans le « Faiseur d'or », ne serait-ce que parce qu'il y dessine une dernière fois le Marsupilami, avant de le garder rien que pour lui, Fournier s'émancipe du Maître dès les albums suivants, en particulier en créant des personnages bien à lui, et qui marqueront à leur tour la série, comme Itoh Kata, le prestidigitateur nippon, ou l'organisation de malfaisants « Le Triangle ». La Bretagne chère à l'auteur est également présente et le demeurera tout au long de ces années « Spirou ».
Ce tome est agrémenté d'histoires courtes parues dans la revue, et jamais rééditées depuis. Il ne faut pas hésiter à relire ce Spirou-là, à qui Fournier a su, au fil des albums, donner une personnalité plus forte qu'on ne le croit.

Intégrale Gil Jourdan – Tome 3
Texte et dessins Maurice Tillieux
Dupuis, 2010
240 pages couleur – 24 €

Intégrale Spirou et Fantasio – Tome 9
Texte et dessins Jean-Claude Fournier
Dupuis, 2010
240 pages couleur – 19 €

lundi 30 août 2010

BANG ! Olivier Berlion adapte Elmore Leonard pour Rivages / Casterman / Noir. Interview-express !

Deux nouveaux coups de feu dans la chaleur de l'été : les adaptations de "Dernière station avant l'autoroute" et "Le Kid de l'Oklahoma", dans la très classieuse collection Rivages/Casterman/Noir. La première est signée Mako et Daeninckx, d'après le roman d'Hugues Pagan, et la seconde d'Olivier Berlion, d'après l'oeuvre d'Elmore Leonard.
Je reviendrai très bientôt sur ces deux albums, mais en attendant, je ne résiste pas à vous livrer un extrait d'une interview d'Olivier Berlion, à paraître en octobre dans la vénérable revue "813".
Extrait où il est bien entendu question de littérature noire et de bande dessinée...

En 2003, vous adaptez une nouvelle de Tonino Benacquista « La Culture de l'elaeis au Congo Belge », sous le titre « Coeur tam tam ». Comment s’est passée cette rencontre avec Tonino Benacquista ?
Comme un rêve. Je dis à mon éditeur que j'adorerais travailler avec lui d'autant que sa première incursion dans la BD, "L'Outremangeur", était pour moi une réussite. 15 jours plus tard il organise un rendez-vous. Tonino me propose une nouvelle de son recueil "La machine à broyer les petites filles" chez Rivages, dont-il aimerait profiter de l'adaptation en BD pour développer davantage son idée de départ. Ce fut un an de plaisir pur. On était comme des gosses e
n train de fabriquer un récit totalement rocambolesque, improbable. J'envoyais mes propositions de découpage à Tonino revenait dessus, ajoutait, retirait des éléments. Beaucoup de fous rires, et un vrai respect l'un pour l'autre.
Il y a depuis quelques années un engouement éditorial évident pour les adaptations de polars en BD. Etes-vous à nouveau tenté par une autre incursion dans le domaine ?
Je suis en plein dedans car je viens de terminer pour Rivages noir/Casterman l'adaptation du Kid de l'Oklahoma d'Elmore Léonard (autre auteur adulé...). Une sorte de western sans cheval, ambiance Bonnie and Clyde. un nouvel univers pour moi et beaucoup de plaisir. J'ai choisi un angle d'adaptation particulier, celui d'un journaliste qui relate le récit de Carl Webster, marshall des Etats-Unis en passe de devenir une légende et son affrontement avec Jack Belmont, un fils de bonne famille, devenu braqueur de banque par vice. Cet angle docu-fiction s'est imposé à moi à la lecture, car Elmore Leonard s'évertue tout au long du roman à faire des clins d'oeils aux mythes américains de l'époque (Lindbergh, Ford, Dilllinger, le Ku klux klan...), le tout étant très documenté pour donner une impression de réalité quand à l'existence de son héros. Je m'aperçois à l'occasion de la sortie qu'Elmore Leonard est très connu et apprécié par les auteurs de BD et cela ne m'étonne pas. Son écriture rythmée, décalée, parsemée de personnages originaux et souvent haut en couleur développe automatiquement un fort potentiel visuel.Je reviens du festival de Sollies Ville présidé cette année par Art Spiegelman, où la collection Rivage/Casterman vient de recevoir un prix collectif pour l'ensemble de la production (un magnifique trophée dessiné par Bilal himself). Actuellement je suis sur l'adaptation de « La commedia des ratés » de Tonino Benacquista, mon roman préféré de lui. De plus j'ai découvert que mon beau-père est originaire de la ville de Sora où se déroule une grande partie du récit et dont est originaire Tonino. Du coup pour les répérages ce fut du beurre et j'ai pu totalement m'immerger dans l'ambiance. Adapter ces romanciers (je suis seul aux commandes) me permet de comprendre un peu mieux les mécanismes et le génie de ces auteurs pour parvenir à les servir au mieux tout en y apportant ma sensibilité et ma propre rythmique. C'est une expérience très enrichissante pour moi. Merci à eux pour leur confiance en espérant qu'ils ne seront pas déçus.

Moi, je vous le dis tout net : franchement, Olivier Berlion a un talent fou, et son trait réaliste est parfait pour le polar. Je vous en recause très vite !

Le Kid de l'Oklahoma
Texte et dessins d'Olivier Berlion,
d'après le roman d'Elmore Leonard
Casterman, 2010. - 120 p. coul. -
Collection Rivages/Casterman/Noir 18 €


mercredi 28 juillet 2010

Moynot : une réédition et une expo


Les éditions Futuropolis ont la bonne idée de ressortir - sous une nouvelle couverture, l'excellent album d'Emmanuel Moynot, paru à l'origine chez Dupuis dans la collection Aire Libre.

Voici ce que j'en pensais à l'époque... et que je pense toujours, même si la couverture a changé...


Petit à petit, Emmanuel Moynot poursuit l’élaboration d’une œuvre qui mériterait de sortir de l’accueil discret qui lui a été réservé jusqu’à présent. Voici un auteur vers lequel tous les amateurs de Noir devraient se tourner, tant sa manière de rendre compte des tourments de l’âme humaine est digne des meilleurs romanciers du genre, et cette première incursion dans la très belle collection Aire Libre de Dupuis en est une preuve éclatante. En choisissant de raconter l’histoire d’une rencontre entre deux écrivains, Breuil, jeune français cynique et ambitieux, et Whales, monstre sacré, mais fatigué, de la littérature américaine, Moynot entrouvre les portes de la création et, surtout, celles des jeux d’influence à l’œuvre dans les mécanismes de cette création. Entre Breuil, à l’aube de sa carrière, et Whales, au crépuscule de la sienne, s’installe un étrange ballet où chacun des deux semble, tour à tour, prendre l’ascendant sur l’autre, comme deux adversaires d’une partie d’échec qui se soldera par l’abandon d’un des deux protagonistes, comme le suggère la couverture très réussie de l’album. La présence d’une dame sur cette première image, entre une tache de sang et une main – Whales ? Breuil ? – n’est d’ailleurs par fortuite : ce sont aussi les femmes qui sont à l’origine des pulsions créatives des deux hommes. Et ce sont elles qui sont au cœur du récit, femmes-objets ou maîtresse-femmes, toujours lucides pour leur protégé et donc forcément impitoyables… Une très bonne BD, toute en ombres, et que Moynot dédie « Aux femmes qui nous prennent pour ce que nous sommes et que nous ne prenons pas au sérieux ». Et que tous les hommes devraient lire.


Une exposition des planches de cet album, et d'autres, sera visible à Reims, à la médiathèque Jean Falala du 20 septembre au 14 octobre 2010

vendredi 23 juillet 2010

Martha Washington 1 - Le rêve américain (2010)

New York 1995. Martha Washington vient au monde dans un pays en proie au chaos. Elle grandit comme elle peut dans ce pays, en guerre contre le monde entier ou presque, et où le président instaure la loi martiale pour éviter la défaite électorale, où un cinglé auto-proclamé « chirurgien général » a tout pouvoir pour conduire à sa façon la « guerre contre la maladie », où la police et l'armée sont dans les rues... et où les forces de paix intérieures de la PAX accueillent la lie de la terre, effaçant les casiers judiciaires de tous ceux qui s'engagent à leur service. Le monde peut-il être surpris quand une bombe réduit en poussière la Maison Blanche et pulvérise la quasi-totalité du gouvernement, laissant le président Rexall dans un coma profond ? Pas vraiment, et certainement pas les soixante-dix septs groupes révolutionmaires revendiquant l'attentat... Martha assiste, du haut de ses 14 ans, à l'arrivée du nouveau président, aux idées progressistes et écologiques, et s'engage à son tour dans la PAX. Les ennemis intérieur sont tout aussi dangereux que ceux de l'extérieurs et la PAX est en guerre contre la Nation Apache et le Renouveau Aryen. Martha est au coeur de l'action, et va découvrir le double jeu d'un des ses officiers. Leurs destins sont alors inextricablement liés, et conduisent tous deux vers deux futurs possibles pour les Etats-Unis.

Lorsqu'en juin 1990 « Give me liberty » sort chez Dark Horse, les artistes aux commandes font figure de révolutionnaires pour le genre : Frank Miller vient de publier son « Batman : The Dark Knight returns », qui donnera définitivement une autre image de la figure du super-héros au public, tout comme Dave Gibbons, associé à Alan Moore, l'avait fait trois ans plus tôt avec les Watchmen. L'association était prometteuse mais l'affaire ne fut pas aussi simple ,comme le rappelle Gibbons dans la préface de cette réédition chez Delcourt. Zenda avait édité, de 1990 à 1991, une première traduction de cette oeuvre majeure du duo sous le titre « Liberty, un rêve américain», en 4 tomes au format classique et la voici regroupée aujourd'hui en un volume, et rétablie au format comics.

Relire cette histoire 20 ans après sa sortie est tout à fait surprenant : même si ni le monde, ni les Etats-Unis ne sont encore tombés da
ns le gouffre décrit par les auteurs, force est de constater la puissance visionnaire de leur Martha Washington... La panique à Wall Street, une catastrophe écologique majeure, un Président prix Nobel de la Paix... Tout cela ne vous rappelle rien ?
A côté de cet aspect prophétique, il faut aussi saluer le savoir faire de Miller, qui construit son scénario en se basant sur tout ce qui fait la mythologie américaine, la revisitant pour mieux
enfoncer le clou d'un pays au bord du précipice.

On sentirait d'ailleurs presque une volonté de réécrire l'histoire des Etats-Unis de la part de Miller, qui donne à son personnage central le même prénom que la femme du premier président des Etats-Unis, et qui ouvre son histoire par la célèbre formule de Patrick Henry «J'ignore quelle voie choisiront les autres. Quant à moi, donnez-moi la liberté ou donnez-moi la mort », prononcée à l'aube de la guerre d'Indépendance.
Dave Gibbons réussit à le suivre sur ce terrain, et cela donne des fausses couvertures de grands magazines, une machine guerrière en forme de gigantesque mangeur
de hamburger, un Mont Rushmore à six têtes... Autant de symboles piétinés et qui ponctuent l'histoire de Martha, héroïne malgré elle. Gibbons est tout à fait à son aise dans ce registre de la politique fiction violente, et son dessin, d'une grande lisibilité, est d'une efficacité redoutable, à laquelle participent aussi grandement que les couleurs de Robin Smith,
Delcourt a prévu de publier l'intégrale de Martha Washington, en trois volumes. En attendant les deux prochains, prenez-le temps de savourer celui-ci.


Martha Washington, tome 1 : Le Rêve américain
Texte Frank Miller et dessin Dave Gibbons
Delcourt, 2010 – 200 p. couleurs
Collection Contrebande - 19,90 €

lundi 19 juillet 2010

Polar et petits formats : des trésors à redécouvrir

Vous les avez sûrement remarqués au détour d'un vide-grenier estival, coincés entre deux piles d'assiettes dépareillées et un carton de peluches fatiguées. Chez votre bouquiniste favori, ils vous ont toujours fait de l'oeil mais vous n'avez pas encore cédé à la tentation, ni même regardé d'un peu plus près. Et pourtant, les petits formats, ces bandes dessinées de poche vendues en kiosque, sont une véritable mine d'or pour l'amateur de polar.
Pas plus tard qu'hier j'ai mis la main sur cet exemplaire de "Coup Dur", un des nombreux titres « Mon journal », avec au sommaire, trois bandes d'espionnage, d'inégales valeurs certes, mais méritant franchement l'attention. Et réservant une surprise : la présence du grand Alberto Breccia, au dessin sur la série « Département zéro ». Il est vrai que, longtemps, c'est dans les pages de ces centaines de fascicules mensuels qu'ont été traduits et publiés, parfois pour la première fois, les meilleurs dessinateurs étrangers. Alors, il ne faut pas s'arrêter à l'aspect parfois juvénile des couvertures, car assez souvent, elles ne correspondent pas nécessairement au contenu, et derrière une façade d'un Akim on pouvait ainsi découvrir, par exemple, les Dauphins, une série d'aventures policières assez rythmée, alors que sous la couverture de Maxi, se cachaient des récits plus strictement policiers, comme Drake & Drake, détectives. Des exemples comme ces deux-là, pris au hasard dans ma - toute petite - bibliothèque de petits formats, je pourrai vous en trouver des dizaines...
La difficulté principale est surtout d'identifier les séries polar, quand elles ne sont pas clairement repérées par les titres ou couvertures des fascicules. Bédépolar consacrera un jour une rubrique spéciale à toutes ces BD disparues... Mais en attendant, des fans de ces revues ont déjà fait un travail de recensement colossal, et si vous souhaitez explorer cet univers, rendez-vous, par exemple, sur le site « Wiki - PF », le wikipédia du petit format, c'est une véritable mine.
Moi, je vais voir ce que donne ce « Ressuscité de l'an 2000 »...

vendredi 16 juillet 2010

Une balle dans la tête (2010)

Belfast, début des années 70. Angus Mclochlain, flic infiltré depuis deux ans dans un groupe d'activistes catholiques de l'IRA, a gagné la confiance de Nick Jone, le chef du groupuscule, mais ne s'entend guère avec Graham, son frère cadet, qu'il trouve impulsif. Et Cheryl, la petite amie de Nick, garde ses distances avec Angus, dubitative sur la sincérité de ses engagements. Alors que le travail de taupe de Mclochlain commence à porter ses fruits, un événement vient bouleverser la vie du groupe : une manif dégénère et Nick est plongé dans le coma. Graham veut prendre le pouvoir et réclame une vengeance contre les forces de l'ordre anglaises... Angus essaie de le dissuader, en vain, mais Nick se réveille. La situation reste tendue, et pour tenter d'empêcher un massacre couru d'avance, Angus propose d'essayer d'identifier le tireur qui a atteint Nick, et de ne s'en prendre qu'à lui. Et pour cela, il utilise une méthode occulte qui lui permet d'entrer dans l'esprit de Nick et de « voir » le tireur... Ce qu'il découvre va constituer un véritable choc pour Angus.

Corbeyran a choisi la voie du polar fantastique pour évoquer les années d'affrontement entre l'IRA et les britanniques. Et il s'attache à nous faire vivre cette lutte de l'intérieur, à suivre le quotidien des anonymes qui l'ont menée. Il convoque pour cela une galerie de personnages très forts, le principal, Angus, demeurant au final le plus mystérieux : voilà un homme féru de sciences occultes, marqué par un athéisme réel, et qui, vaguement humaniste, ne semble guère porté sur la violence. Ayant perdu la foi, il endosse le rôle de l'infiltré presque sans y penser, mais on sent poindre un certain idéalisme au fond de lui. C'est un personnage très attachant, d'autant plus que Jef l'a parfaitement réussi et qu'il a vraiment la « gueule de l'emploi » : tout l'aspect occultisme de cette histoire passe très bien avec cette tête-là... Les autres protagonistes sont tout aussi bien campés, et au final ce diptyque oscille entre suspense, drame historique et fantastique, dans un équilibre quasi-parfait. A aucun moment on ne décroche – car c'était tout de même le risque avec un tel mélange de genres – et ce qui reste la dernière page tournée, c'est le sentiment d'avoir lu une oeuvre forte, originale et... mélancolique. Surprenant !


Une Balle dans la tête
Scénario Eric Corbeyran et dessin Jef

Livre 1 - Angus
EP, 2009 - 48 pages couleur


Livre 2 – Dara
EP, 2010 – 48 pages couleurs

Collection Atmosphères – 13,90 € chaque
– Les deux tomes sous coffret 38 €

mercredi 14 juillet 2010

Braquages et bras cassés (2010)

Hervé Maréchal, alias Boule, gloire déchue de la course automobile, vivote dans l'oubli : il tient un garage miteux avec ses deux fils, Gaz et Dante. Cela ne l'empêche pas de réussir de beaux coups de temps à autre, comme cet échange qui laisse rêveur les deux rejetons : une BMW nickel contre un scooter hors d'âge. Moyennant un arrangement, bien entendu... Mais Manu et Vito, les deux hommes qui sont venus proposer la BM à Boule ignoraient une chose : c'est que la voiture avait servi à un braquage et que le butin est resté à bord. C'est quand ils se rendent compte de leur bévue que les ennuis commencent, pour tout le monde, avec l' entrée en piste des instigateurs du casse, un duo de flics véreux...

Eh bien, voici une véritable tragi-comédie, en trois actes, avec entrée en scène des acteurs par trios. En fait, toute l'intrigue tient en une suite d'événements, rapprochés dans le temps et s'enchaînant très vite, et que chacun des protagonistes vit à sa façon. L'astuce narrative consiste à décrire les actions plusieurs fois, du point de vue des trois trios de l'album : procédé, certes pas nouveau, mais qui dynamise le récit d'autant plus que Benjamin Fischer réussit à ménager son suspense jusqu'au bout. Ses personnages sont de vraies caricatures de caïds, avec ce qu'il faut de poisse et d'imbécilité chevillées au corps pour en faire de parfaits loosers. Ils évoluent dans une région liégeoise industrieuse et enneigée que Van Linthout restitue avec bonheur, comme le suggère les pages du cahier de photos de repérages ajouté à la fin de l'album. Il faut saluer le travail de la Boîte à bulles, éditeur discret, qui publie là un livre des plus réussis, au format roman très agréable. Et un de mes préférés de cette année.


Braquages et bras cassés

Scénario Benjamin Fischer et dessin Georges Van Linthout
La Boite à bulles, 2010 – 112 p. noir et blanc
Collection Contre-jour – 17 €

lundi 12 juillet 2010

Juin 2010 : 33 nouveautés et rééditons











BAMBOO

Thomas Silane 5 : fuites – (Zaghi, Buendia et Chanoinat) – 12,90 €

CASTERMAN / KSTR
Lefranc 21 : Le Châtiment – (Taymans, Drèze et Delperdange) – 10 €
Le Tueur 8 : l'ordre naturel des choses – (Jacamon et Matz) – 10,40 €)
(R) – 120, rue de la gare – (Malet et Tardi) ) – 9,95 € (Série BDDT)
(R) – Du plomb dans la tête (Wilson et Matz) – 9,95 € (Série BDDT)

DARGAUD
Belleville story 1 : Avant minuit – (Perriot et Malherbe)– 15,50 €
Metropolitan 1 : Borderline – (Bonneau et Bonneau) - 13,50 €

DELCOURT
Jour J 2: Paris, secteur soviétique - (Pécau, Duval et Séjourné) – 12,90 €
Le secret de Mohune 3 : La Malédiction – (Rodolphe et Hé) – 12,90 €
Smoke City 2 -(Mariolle et Carré) - 13,95 €
(R) – Martha Wahington 1 : Le rêve américain – (Miller et Gibbons) – 19,90 €

DUPUIS
Seuls 5 : Au coeur du maelström– (Velhman et Gazzotti) - 9,95 €
Sarah 2 : Les enfants de Salamanca 2 - (Bec et Raffaele) – 13,50 €
(R) – Théodore Poussin : Intégrale 1 – (Le Gall et Yann) – 24 €
(R) – Gil Jourdan : intégrale 3 – (Tillieux) – 24 €

EMMANUEL PROUST (EP)
(R) – Amerikkka : Intégrale 2 – (Martin et Otero) -29,90 €
Agatha Christie 20 : Les Oiseaux du lac Stymphale - (Marek) – 11 €

FUTUROPOLIS
(R) - Pourquoi les baleines bleues viennent-elles s'échouer sur nos rivages ? - (Moynot) – 16 €

GLENAT
Disparitions 4 : retour aux sources - (Mazeau et Wachs) – 9,95 €
Gil Saint André 9 -: l'héritage sanglant - (Kraehn) – 9,95 €
Les Munroe 1 : La Vallée du rift – (Périssin et Pavlovic) – 13,50 €
(R) – Gil Saint André 1 à 8 – (Kraehn et Vallée) – 9,95 €

LOMBARD
IR$ 12 : Au nom du président – (Desberg et Vranken) – 10,95 €
All Watcher 4 : La spirale Mc Parnell – (Desberg et Mutti) – 10,95 €
(R) – IR$, dyptique 1 : Les Nazis et l'or des Juifs – (Desberg et Vranken) – 14,95 €
(R) – IR$, dyptique 2 : Narcotrafics – (Desberg et Vranken) – 14,95 €
(R) – IR$, dyptique 3 : Federal corruption – (Desberg et Vranken) – 14,95 €
(R) – IR$, dyptique 4 : Petrodollars – (Desberg et Vranken) – 14,95 €
(R) – IR$, dyptique 5 : Les comptes secrets du Vatican – (Desberg et Vranken) – 14,95 €

PANINI
The losers 2 : Cheik et mat – (Diggle et Jock) – 29 €

VENTS D'OUEST
Le Sang des bâtisseurs 1 – (Le Galli et Jaffredo) – 13,50 €
Les Carrés 3 : carré blanc – (Adam et Martin) – 12 €
(R) – Tard dans la nuit : intégrale – (Yoro et Djian) – 15 €