Le manga polar, ça existe ? Question
saugrenue, je me remercie de me l'être posée... Non seulement cela
existe, mais, qui plus est, on y trouve de véritables chef
d'oeuvres, et qui embrassent toutes les sous-catégories du genre.
Trois exemples, au hasard : Monster d'Urasawa (18 volumes)
véritable thriller sur fond historique, Detective Conan d'Ayoma
(plus de 80 volumes, série en cours...), hommage permanent à la
littérature policière "classique", ou encore Death
Note (13 volumes) qui lorgne lui vers le fantastique
psychologique (ouais, ça aussi ça existe). Et voilà deux ans que je ne vous ai
pas dit tout le bien que je pensais du polar made in Japan... Alors, comme je viens de lire une salve de mangas du meilleur goût, voici une raison
de plus pour inaugurer cette rubrique au titre si finaud.
Le plus accessible au béotien demeure
sans conteste l'excellent Montage, de Jun Watanabe (chez
Kana). L'histoire, tout du moins son point de départ, est simple :
Yamato Narumi, 18 ans, et Miku Odagari, 16 ans, se retrouvent au
coeur d'une véritable chasse au trésor, les 300 millions de yens
braqués en décembre 1968, et dont l'auteur n'a jamais été
retrouvé. De ce fait divers authentique, Watanabe imagine que le
père de Yamato est le braqueur, et que le fiston décide, 6 ans
après qu'un un homme à l'agonie dans une ruelle lui ait soufflé
cette terrible confidence, de vérifier si tout cela est vrai. Ce qui
les entraîne, lui et son amie Miku, dans une cascade d'événements
dont le plus spectaculaire - pour l'instant ! - demeure ce passage
sur "Gunkanjima", la "ville sur la mer", une cité
minière fermée en 1974, et laissée à l'abandon depuis (si vous
avez vu "Skyfall", c'est aussi là que le méchant se
dévoile à James Bond...). Ajoutez à cela une intrigue qui va
crescendo dans la parano pour le héros (qui a tendance à ne
vouloir faire confiance à personne) et le suspense (mais qui d'autre
est au courant de toute l'affaire, bon sang !?) et vous avez une
série vraiment prenante, au dessin précis et extrêmement lisible.
Un peu dans le même registre
graphique, J.Boy, de Junichi Noujou, est un poil plus obscur
au démarrage, question scénario. Sur une île-prison, un jeune homme
est coupé du quotidien des autres détenus. Même ses
garde-chiourmes ne semblent pas trop savoir qui il est, et le
directeur lui-même ne semble pas fâché d'avoir à le laisser
partir, du moins, à ne pas trop regarder quand le "J.boy"
s'échappe de sa cellule. Il ne va pas loin en fait, et se retrouve
dans une salle... où l'attendent un billard et un homme, élégant
et mystérieux. Ce dernier n'exige qu'une seule chose : que le jeune homme
frappe les boules de billard, une fois libéré de ses menottes. Ce
qu'il fait, avec une agilité diabolique... Serait-il alors ce robot
à forme humaine programmé à jouer au billard, pour le bon plaisir
d'un parrain de la pègre ? Tel est donc le point de départ de ce
manga en 6 volumes, où yakuzas et triades s'affrontent sur d'autres
terrains que les rues sombres. Une vraie curiosité.
La tour fantôme, signé
Taro Nogizaka (Glénat) est quant à lui un manga
vraiment étrange. Je vous livre la quatrième de couv' telle quelle
: "En 1952, une vieille femme fut retrouvée, les os brisés,
attachée aux aiguilles du cadran d’une horloge au sommet d’une
tour. Deux ans plus tard, Amano Taïchi est victime de la même
agression, dans ce lieu qu’on surnomme désormais la “Tour
fantôme”. Mais il est sauvé in extremis par Tetsuo, un
garçon étrange en quête d’un trésor lié à l’inquiétante
tour. L’appât du gain entraîne alors Amano dans une aventure
aussi inattendue que dangereuse… ".
Cette histoire est en fait l'adaptation
d'un roman de 1898, lui-même adapté plusieurs fois, y compris par
le maître japonais du roman policier, Ranpo Edogawa. Cette version
manga entraîne celui ou celle qui s'y plonge dans un univers assez
trouble où le "héros" est un vrai trouillard (il faut
dire qu'il y a de quoi, car la tour en question et ses événements
sanguinolents sont flippants) et où son protecteur est en fait...
une protectrice, dont le rôle demeure pour l'instant assez
mystérieux. Pour les amateurs d'atmosphère lourde et tendue...
Les amateurs de franchement bizarre
iront eux du côté de Wet Moon, d'Atushi Kaneko, auteur du
remarqué - et non moins bizarroïde - Soil (Ankama). L'histoire se
déroule dans le Japon des années 60. L'inspecteur Sata est à la
recherche d'une femme accusée de meurtre. Mais il semblerait qu'un
éclat de métal, fiché dans sa boîte crânienne, empêche le jeune
policier de faire fonctionner sa tête de manière très rationnelle
: assailli d'étranges visions, lunaires et pas loin d'être
lunatiques, il ne sait plus trop où est la réalité, ni si la jeune
femme qu'il a pris en chasse n'est pas elle non plus une chimère...
Ce manga est qualifié par Casterman d''enquête policière
haletante et hallucinée entre Charles Burns et David Lynch".
C'est vrai : on ne comprend rien, mais c'est fascinant. Le tome deux
vient de sortir, et avec le troisième tome, à paraître en octobre, la trilogie sera bouclée.
Il sera alors temps de voir si Wet Moon est à la hauteur de Soil,
mais là, il faut dire que c'est bien parti.
Montage - 4 volumes parus (14
tomes, en cours au Japon) - Kana - 190 pages - 7,45 €
J.Boy - 2 volumes parus -
(Série terminée en 6 tomes) -
Delcourt - 224 pages - 7,90 €
La Tour fantôme - 2 volumes parus - (7 tomes, en cours au Japon) - Glénat -
224 pages - 7,60 €
Wet moon - 2 volumes parus -
(Série terminée en 3 tomes) - Casterman - 272 pages - 8,50 €
Couverture de J-Boy : J.BOY
© 2002 Junichi NOUJOU / SHOGAKUKAN
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