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dimanche 4 août 2024

[Naissance des True crimes stories] – Truman Capote : retour à Garden City, par Nadar et Xavier Betaucourt (Futuropolis)

 

Dès qu’il s’agit d’aborder la littérature en bande dessinée on peut compter sur Futuropolis. Mais je ne vais pas ici vous chroniquer une des nombreuses adaptations du mois (il y en a pas mal et des pas trop mal), et encore moins vous exposer mon avis tranché sur le roman graphique (c’est de la BD, question suivante) mais bien vous vanter les qualités de ce Truman Capote de Xavier Bétaucourt et Nadar, paru il y a quelques mois.


Sous-titré « Retour à Garden City », cet album dense mais à la lecture hyper fluide narre le retour de Truman à Holcomb, en mars 1967, sur le tournage du film « De sang froid », adaptation par Richard Brooks du roman majeur de Capote, paru un an plus tôt. Roman  ou plutôt récit majeur et précurseur d’un genre appelé à rencontrer un succès durable : le true crime. Le titre complet du livre est  en effet : « De sang froid : récit véridique d’un meurtre multiple et de ses conséquences ».


Et ce qui est donné à lire dans cet album de Bétaucourt et Nadar, ce sont d’autres conséquences : celles de l’écriture de cette œuvre sur son auteur. Car ce retour sur les lieux du crime – le massacre d’une famille de fermiers par deux hommes, Perry Smith et Richard Hickock - se passe en 1967, huit ans après les faits, presqu’autant d’années qu’a mis Capote a aller au bout d’un projet qui l’a littéralement consumé. Et c’est toute cette longue gestation qui est mise en images, par aller-retours entre trois périodes / moments-clés : un, le meurtre des Clutter, l’arrestation, l’interrogatoire et l’execution de Smith et Hickock, deux le travail sur le terrain auprès de la population par Capote et son amie Harper Lee pour le New Yorker – et le début de la relation particulière du romancier avec Perry Smith – et enfin, trois, ce retour à Holcomb sur le tournage du film. Trois périodes habilement distillées et imbriquées les unes dans les autres par les auteurs, et qui permettent peu à peu de cerner la personnalité de Truman Capote et de définir les contours de cette attraction / répulsion qu’il a eu pour ce faits divers et cette Amérique profonde. Un Kansas aux mœurs qui devaient lui paraître bien lointains, à lui le dandy New-Yorkais habitué de la jet-set littéraire et des feux de la notoriété. Si loin, mais peut-être si proche également, au regard de la proximité de plus en plus grande que Capote semble éprouver envers Smith, son presque double maléfique… Qu’est-ce qui fait qu’on bascule du mauvais côté ? Un passage clé de l’album aborde la question. Alors que Capote vient rendre visite au meurtrier – alors que c’est interdit, mais le journaliste-romancier avait quelques arrangements avec le chef de la police locale – et que Smith est en train de – bien – dessiner le dialogue s’installe :


- C’est beau 

- Je te l’ai déjà dit, j’aurais été artiste si la société ne m’avait pas amené ici

- Comment ça ?

- Tout ça c’est la faute à ce que j’ai vécu dans mon enfance…


Une conversation qui ramène instantanément Capote à son enfance à lui, « une des pires enfances au monde », ce qui ne l’a pas empêché de rester « à peu près correct et respectueux des lois ».

Se dresse ainsi au fil des pages une description psychologique d’un auteur certain d’écrire un ouvrage majeur mais de ne pas toujours être sûr de comment finir… tant que les meurtriers sont encore de ce monde. A noter que le côté imbu de lui-même et méprisant de Capote est bien présent et que graphiquement il est très réussi comme tous les autres personnages d’ailleurs. Nadar fait passer aussi pas mal d’émotions par son trait, et c’est une autre des forces de cette BD.

Une autre et non des moindres est de donner l’envie de se replonger dans les autres romans et nouvelles de Capote, qui n’écrira plus rien de marquant après De sang froid.

Et l’envie aussi d’aller voir du côté du plus célèbre roman de son amie Harper Lee, « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur » (To kill a Mocking bird), paru lui en 1960, et figurant dans les 100 meilleurs livres policiers de tous les temps, liste établie par les Mysterious Writers of America en 1995.


Enfin, à noter qu’une autre BD avait pour cadre Capote in Kansas, comics de Ande Parks et Chris Samnee (édition française chez Akileos en 2006), qui suivait les pas de l’auteur au même endroit mais plus longuement au moment de l’écriture de son livre, peu de temps après le massacre de Holcomb. A lire également . Avec In cold blood, of course…


Truman Capote : retour à Garden City ****

Récit Xavier Betaucourt et dessins Nadar - Futuropolis, 2024 – 112 pages couleurs – 21 €

Parution 1er mai 2024