Paris,
1934. Un julot bien en chair et sa poule, cocotte, tombent en panne
de voiture dans le quartier de la Bastille. Juste en face d'un
troquet tenu par un tenancier tatoué, ex-bagnard. Pendant que Raoul,
le chauffeur, répare l'auto récalcitrante, Eddy, sue lui aussi
toutes les larmes de son corps : il s'est précipité sur le poste
TSF du café pour écouter les courses à Longchamps. C'est qu'il a
misé gros... Pendant ce temps, sa jeune et jolie "fiancée",
une métisse qui n'a pas froid aux yeux, fait la conversation au
patron du bar, qui ne résiste pas à lui raconter sa jeunesse
tumultueuse, que racontent presque tous ses tatouages... Et voilà
que le gros Eddy crise cardiaque à l'écoute de l'arrivée des
courses. Aurait-il gagné une fortune ? C'est ce que se dit la jeune
femme, mais aussi Raoul, qui n'est pas fâché de voir son patron
rejoindre le paradis des pourris. Mais comment faire pour récupérer
l'argent du ticket gagnant ? Le patron du café a une idée...
Cet
album est étonnant. Déjà, formellement, c'est un très bel objet :
format à l'italienne, papier épais et couverture "à
empreinte" (le titre est en creux), avec un trio de personnages
assez étonnant. Tout de suite, on a envie d'ouvrir et de voir ce qui
va se passer. Et en fait, tout - ou presque - va se passer dans ce
bar un peu oublié, et tout va tourner autour du patron du bar. Petit
à petit, il va se rendre compte, et nous avec lui, qu'avec ce gros
client désagréable et répugnant qui vient échouer dans son rade,
que c'est tout son passé qui lui revient à la figure. Et pour lui,
le passé de 1934, c'est celui de la Grande Guerre, et de son frère
qui y est resté. Et autour de ce passé, les trois autres
personnages gravitent, et bientôt, l'action va s'emballer, et
vengeance, coup-fourrés et rebondissements vont conclure ce qui
était jusqu'alors un huis clos assez étouffant. L'ambiance et le
ton voulus par Alex W. Inker, avec cet usage de l'argot et ces
personnages aux visages et corps marqués, font clairement penser aux
univers de Carco, Simonin un peu. Du polar avec mauvais garçons et
filles gouailleuses, petites frappes et femmes fatales. Du côté du
dessin, c'est aussi surprenant, avec une bichromie maîtrisée, et un
vrai talent pour camper des personnages immédiatement expressifs et
attachants. La mise en page est quant à elle inventive, et ne se
laisse pas brider par le format à l'italienne : à chaque fois Inker
varie les propositions selon les scènes qu'il a à traiter : le
flashback sur les deux soldats pris dans un trou d'obus et découverts
par un troisième - clé de voute de tout l'album - est remarquable.
Il n'y a pas à dire : voici un premier album qui ne donne vraiment
pas l'impression d'avoir affaire à un débutant !
Apache ****
Scénario et dessin Alex W. Inker
Sarbacane, 2016 - 128 pages - 2 couleurs - 22,50 €
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