Savoie,
un petit village de haute-montagne, en 1920. Un étrange trio
s'apprête à quitter les lieux, en plein froid, en catimini, juste
avant la messe hebdomadaire. Etrange, car il est constitué de deux
femmes, Bianca et Pauline, et d'un adolescent, Florentin et que ce
qui les pousse sur un chemin qui s'annonce dangereux et incertain,
demeure mystérieux. Puis on comprend vite qu'elles veulent fuir le
malheur d'avoir perdus leurs hommes dans une avalanche, alors qu'ils
étaient revenus vivants de la Grande Guerre. Fuir ces lieux où
elles n'ont plus leur place, en entraînant avec elle un jeune
orphelin, qui se sent protégé avec ces deux femmes. Au village,
quand on apprend leur départ, on s'inquiète plus de savoir si elles
ont pris le mulet avec elle qu'autre chose, mais personne ne se lance
à leur poursuite. Mais elles ont bientôt aux trousses un voyageur inattendu, un certain Félix
Arpin,, rencontré lors de leur toute première halte, à la pension
des Alpes. Un homme qui s'accroche lui à une montre en or que le
mari de Bianca aurait ramené du front, pour la revendre, et partager
la somme entre eux deux. Dès lors, le trio sera sans cesse suivi
dans sa quête par l'ombre menaçante d'Arpin...
Anthony
Pastor a délaissé - pour un temps seulement ? - le
personnage-fétiche qui a fait sa renommée, la détective Sally
Salinger. Nous sommes loin ici du monde urbain, et américain, des
"Castilla Drive" et "Bonbons atomiques", mais au
coeur d'une nature autrement plus hostile. Nous ne sommes plus du
reste non plus dans le polar, mais dans un récit initiatique, à la
dimension sociale et féministe. Car ce périple, décidé et mené
par Bianca, femme forte et volontaire, est bien plus que la simple
relation d'un voyage aventureux : les hommes, ou plutôt leur
absence, sont la cause même du départ, et tout au long de la route,
c'est de la condition de la femme dont il sera question dans "Le
sentier des reines". Et des femmes, on en rencontre beaucoup,
entre Annecy et Le Havre, dont certaines marqueront à jamais Bianca
et Pauline. Comme cette médecin, le docteur Curiot, qui milite pour
le vote des femmes et pilote son automobile sans complexe. Quant aux
hommes, ils n'ont pas dans cette histoire le plus beau rôle :
suspicieux, jaloux, cupides, violents... il n'est que le jeune et
naïf Florentin, compagnon de route des deux veuves, pour relever le
niveau de la gent masculine.
Du côté du dessin, il faut saluer le superbe travail de Pastor, qui
s'était déjà essayé aux décors enneigés et oppressants dans "Le
Cri de la fiancée" (Petit polar Le Monde/ SNCF, 2014). Mais
cette fois, le format de l'album - "traditionnel" - lui
permet d'exprimer pleinement ses sensations et nous les faire
partager : forêts ténébreuses, pentes glacées, paysages noyés sous une lumière cotonneuse, granges éclairées
à la bougie... le dessinateur nous plonge au coeur de son univers
dès les premières pages et ne nous lâche plus.
Cet
album marque une étape importante dans l'oeuvre d'un auteur qui n'a
jamais caché ses envies d'explorer régulièrement de nouvelles
voies. Ce Sentier des reines est une de ses plus belles réussites.
Le
Sentier des reines****
Texte
et dessin d'Anthony Pastor
Casterman,
2015 – 120 pages couleur - 20 €
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