Une fois de plus, Ed Brubaker éblouit par ses talents de conteur et son incroyable imagination, ici tous deux au service d’une nouvelle série appartenant tout autant à la romance qu’au mystère. Brubaker fait en effet un pas de côté et sort du chemin du polar pur et dur dont il est devenu le maître avec son complice Sean Philips (Criminal, Fondu au Noir, Reckless…) et s’est associé au dessinateur Marcos Martin (auteur lui du fascinant The Private Eye, avec Brian K Vaughn) pour une histoire «... d’adolescents détectives dans les années 1970 idéalisées de ma jeunesse ». Le scénariste est d’ailleurs plus précis dans sa post-face : « Je caressais le vague rêve d’écrire quelque chose d’à la fois gothique et ancré dans la réalité, comme un roman post young adult où les gamins qui résolvaient les mystères et se frottaient aux fantômes et monstres de tout poils avaient grandi et devaient affronter les mêmes problèmes et mauvais penchants que nous ».
Ce vague rêve est donc devenu une réalité mise en images par Marcos Martin et quelle puissance dans ses pages ! Dès le début, on est happé par l’ambiance : une première double page noire (la nuit), une deuxième avec l’apparition de tâches blanches (la neige) puis une troisième et dernière avec une vue générale – et donc nocturne – de la petite ville de Kings Hill : son phare au faisceau puissant, son port, ses rues plus illuminées qu’éclairées, sa forêt qui s’invite discrètement dans un coin de l’image… Puis immédiatement, on s’enfonce dans la forêt et voici Lancelot éclairant des pas dans la neige, et à l’arrière plan, cheveux mi-longs et grosses lunettes, Friday… L’action est vite lancée, et le duo immédiatement à l’oeuvre – et les premiers éléments d’une étrange intrigue installés- mais ce sont bien les pensées de la jeune fille qui guident la narration. Avec cet autre mystère soumis au lecteur : mais que s’est-il passé entre les deux amis ? Un flashback sur l’histoire de cette amitié éclaire tout, et pose aussi l’environnement presque surnaturel dans lequel évoluent Friday et Lance : Kings Hill va devenir pour eux un terrain de chasse regorgeant de mystères plus ou moins dangereux, où c’est « Lance qui les mettait dans le pétrin et Friday qui se chargeait de les en sortir ». Un duo Holmes-Watson junior, en quelque sorte… Mais quand on grandit, quand arrive l’âge d’autres préoccupations, que reste-il de tout cela ? Faudra-t-il un crime d’une autre envergure pour la mettre à l’épreuve, au révélateur ? Et si en plus, quelque chose de réellement surnaturel intervenait ?
C’est bien toute la force de cette série : conjuguer le mystère criminel avec l’exploration des sentiments les plus profonds, avec deux personnages profondément attachants et humains sur le devant de la scène. Deux « héros » qui, de prime abord, ne payent pas de mine : une jeune fille réfugiée derrière une épaisse monture de myope et un jeune homme à la silhouette frêle. Mais qui tout deux ont certainement plus de forces et de ressources qu’on imagine. Les dessins de Marcos Martin sont parfaits de précision et les couleurs extraordinaires de Muntsa Vicente participent à faire de ce tome introductif – il y en aura trois – une réussite totale. Citons encore une fois Brubaker pour conclure : « Kings Hill semble aussi réelle que mystérieuse et empreinte de nostalgie, et je peux vous garantir que nous ne nous avons montré que la partie émergée de l’iceberg. J’ai hâte que vous puissiez tous découvrir ce qui vous attend dans les deux tomes suivants ». Nous aussi !
Friday, tome 1 ****
Scénario Ed Brubaker, dessins Marcos Martin et couleurs Muntsa Vicente
Glénat – 120 pages couleur19 € - Sortie le 11 janvier 2023
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