« Où est la Princesse de Gotham ?» titre The Blade à sa une du 12 mars 1961. Et le quotidien de publier la dernière photo en date d’Helen Wayne, emmitouflée dans les bras de sa mère Constance, sous le regard un peu ailleurs de son père Richard Bruce, le trio posant devant le manoir familial des Wayne… L’enfant semble avoir disparue, et les rumeurs commencent à enfler en ville. Sam Bradley, détective privé réputé pour son honnêteté sans faille, n’en sait pas plus que quiconque sur cette affaire, mais il va très vite s’y retrouver au centre : une élégante jeune femme noire passe le seuil de son bureau avec une curieuse mission pour lui. Il s’agit, moyennant cent dollars, de porter une enveloppe cachetée adressée simplement à Monsieur Wayne, au domicile de celui-ci et sans bien sûr, ouvrir la missive. Bradley a à peine le temps de poser plus de questions sur la mission : la messagère est déjà partie, et bien qu’il ne s’estime pas facteur, il décide de se rendre à la propriété des Wayne. Mal lui en prend : à peine franchi le seuil du manoir, et le temps d’une froide conversation avec les époux Wayne, le voici soumis à un interrogatoire plus que musclé dirigé par une veille connaissance à lui, Loder, un ex-flic désormais chargé de la sécurité de la famille. Une première dérouillée qui va en appeler d’autres, au fur et à mesure que Sam Bradley va progresser dans la recherche d’Helen Wayne. Car, oui, il accepte finalement l’offre de Constance à savoir retrouver les auteurs de la lettre anonyme réclament 100 000 dollars de rançon…
Ouch ! Attendez-vous à un choc ! Tom King s’empare à son tour de Batman, ou plus précisément de Gotham, et s’attaque aux racines du Mal de la cité, dans un one-shot magistral. En situant son intrigue à l’époque des grands-parents de Bruce Wayne, il s’affranchit bien sûr du héros lui-même, et en profite pour rajouter une pierre à l’édifice de la cité fascinante qu’est devenue Gotham au fil du temps et des auteurs qui ont construit sa légende, ses mythes, revisité ou inventé son passé, et mis sous les feux des projecteurs des personnages jusque là secondaires ou croisés au fil des aventures de Batman. Sam « Slam » Bradley est l’en d’entre eux – et la postface de Yann Graf est d’ailleurs tout à fait éclairante – et passionnante ! - sur la vie de ce personnage créé en 1937 – et il est donc le personnage central de ce comics. Dès son entrée en scène, on comprend qu’on va avoir affaire à une histoire digne de l’ère des pulps des années 20-30, branche hard-boiled detective, les dur-à-cuire quoi… Et Bradley va se montrer particulièrement coriace au fil des pages, et se prendre un nombre impressionnant de gnons : « Il pleut des coups durs » (titre français d’une Série Noire de Chester Himes) pourrait être sa devise pour cette affaire.
Au-delà de ce côté spectaculaire, le scénario de King se nourrit de rebondissements qu’on ne voit pas tous venir, et sa mécanique narrative est du vrai travail d’orfèvre : on est autant mené par le bout du nez que l’est Bradley, qui va de surprises en surprises, de moins en moins reluisantes pour la gente humaine. Car c’est bien là une autre des forces de ce récit : à coté d’un suspense haletant, King explore le moindre recoin de la ville, et des mœurs de ses habitants, fouillant jusqu’aux origines des hommes et des femmes et de ce qu’ils doivent accepter de faire pour se faire accepter par une ville coupée en deux géographiquement, mais aussi en multiples fragments dès qu’il s’agit de politique, de partage des richesses et de couleur de peau… Il y a de multiples portes pour entrer dans ce Gotham City-là, mais guère d’échappatoires et c’est en vain que plus d’un et plus d’une semblent chercher une sortie de secours. La manière dont Gotham sombre dans une espèce de folie collective est finement amenée et superbement mise en image.
Je découvre le dessin de Phil Hester, et franchement, il se révèle un véritable maître du Noir ! Je le rapprocherais volontiers de Risso pour son travail époustouflant sur les ombres et ses personnages aux traits anguleux, quant à son travail de cadrage / mise en page, c’est un des plus efficaces et dynamiques du genre. Au final, Gotham city : Année Un une des meilleures contributions polar au monument Batman à ranger directement aux cotés du Gotham Central de Brubaker / Rucka… et du Batman Année un de Miller et Mazuchelli.
Extraits cop. DC et Urban Comics 2023
Gotham City : Année un *****
Scénario Tom King, dessins Phil Hester, encrage Eric Gapstur, couleurs Jordie Bellaire. Traduction Jérôme Wicky
Urban comics – 208 pages couleur - Collection DC Deluxe - 21 €
Sortie le 13 octobre 2023
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