Et
pour commencer cette deuxième salves du best-of de l'année, une nouveauté qui n’en est pas vraiment une…
mais une (ré)édition digne de ce nom. Publiée pour la première
fois aux Etats-Unis en 1995 chez l’éditeur indépendant El
Capitan, Stray bullets est une série de « crime
comics » qui compte 41 épisodes d’un voyage au coeur de
l’Amérique profonde des années 80 et 90. Chacun des épisodes de
cette série-phare de David Lapham sont des instantanés des
vies compliquées d’individus englués dans des problèmes qu’ils
ont souvent eux-mêmes créés, et pour lesquels ils choisissent
souvent la mauvaise solution… Le tout forme un puzzle fascinant
dont les pièces s’assemblent petit à petit et on suit ainsi, en
solo, duo ou trio, une douzaines de personnages, qui se retrouveront
dans le final de ce tome 1.
Lapham
navigue entre les années 70 et 90, sans souci de chronologie dans
sa construction narrative, tout
du moins pour les épisodes 1 à 7, et laisse des pans entiers de ce
kaléidoscope à l’imagination de ses lecteurs. Graphiquement, ses
planches font toutes 8 cases, avec une ouverture en 2 ou 3 cases et
un final en une ou deux grandes cases. Cela donne un rythme
implacable, une tension
brute, pour ce que l’éditeur qualifie, à juste titre, de « roman
noir en bande dessinée par excellence ». Allons plus loin :
Stray bullets est un chef d’oeuvre ! (Delcourt)
Matt
Kindt est devenu, dans le sillage de Lapham, un autre de ces
auteurs du Noir qui laissera à coup sûr une empreinte marquante
dans le genre. Ses histoires – qu’il dessine seul ou accompagné
d’un complice – sont des modèles de construction, et
d’inventivité (rappelez-vous de Du sang sur les mains,
chez Monsieur Toussaint Louverture!) et explorent souvent les
tréfonds de l’âme humaine. Futuropolis, qui a également publié
l’excellent Dept. H du même auteur, n’y est pas
allé par quatre chemins en qualifiant de « polar graphique de
l’anné » la dernière création de Kindt : GrassKings.
Et il est vrai que cette histoire familiale, rurale, et… violente,
a largement sa place en haut de la pile de cette sélection 2019.
Sous les pinceaux de Tyler Jenkins, le Grass Kingdom est le
décor central et spectaculaire d’une tragédie en trois actes,
mettant en scène une communauté vivant en vase clos, au coeur d’un
petit village, qu’elle défend farouchement, tel un improbable et
inquiétant royaume, interdisant à quiconque de s’en approcher de
trop près. Pourquoi ? C’est ce qui va être dévoilé petit à
petit dans les trois volumes de ce triptyque (tous parus en 2019), où
les auteurs donnent à entendre la voix des laissés-pour-compte de
la réussite américaine, et où le poids des événements qui ont
fondé la communauté devient de plus en plus lourd à porter. Dans
une ambiance à mi-chemin entre Sanctuaire
de Faulkner et 1275 âmes de Thompson, la vie
déjà en équilibre des trois frères qui règnent en maîtres sur
le Grass Kingdom, va être bouleversée par l’irruption soudaine
d’une jeune femme sur leur territoire. Et pas de chance :
c’est la femme du sheriff de la ville voisine, qui a juré de
réduire à néant cette communauté qui a bien trop de choses à
cacher selon lui. C’est subtilement écrit et sublimement mis en
images (le dessin à l’aquarelle de Jenkins est parfait pour le
récit!) et complètement prenant. Alors, oui, peut-être bien le
polar graphique de l’année…
Est-il
possible de passer à côté d’un best-of comics
sans l’inoxydable Judge Dredd ? Bien sûr que non !
D’autant que le quatrième volume des Affaires Classées
contient des sommets de la série phare de 2000AD, avec des
personnages mémorables et complètement jetés : les Chiens de
l’Apocalypse et le Père Nature (à qui Dredd sait causer :
« Va raconter tes salades ailleurs… Sinon je te mets
moi-même en morceaux avant de balancer au compost ») ;
le Grand Muldoon, artiste-cascadeur qui ambitionne un saut inédit à
travers une plaque d’acier du haut d’un plongeoir (résultat :
«SPLAT ! ») ; Johnny-larme-à-l’oeil,
animateur de Sob Story, l’émission qui fait pleurer dans les
chaumières ; Satanus, le tyrannosaure noir de retour
miraculeux de la Terre Maudite grâce à ses sécrétions
plasmatiques servies en cocktail original (« Crétin ! Qui
de sensé boirait du sang de tyrannosaure ? ») ; et
bien entendu, celui qui a l’honneur de la couverture de ce
quatrième volume, le terrifiant Judge Death en personne, qui
croisera sur sa route la sémillante Judge psi Anderson… Dredd
comme à sa flegmatique mais ferme habitude remet tout ce petit monde
en place dès qu’il sort un peu des clous de la Loi, et sa place
pour ce petit monde c’est souvent le cimetière. Toujours
scénarisées par John Wagner et Pat Mills, ces tranches de vie à
Mega City 1 sont dessinées par la fine-fleur de l’équipe de 2000
AD : Ron Smith, Dave Gibbons, Mike MacMahon, Ian Gibson et le
grand Brian Bolland pour n’en citer que quelques uns. On ne louera
jamais assez le travail éditorial de Délirium, vraiment à la
hauteur de cette série incontournable.
Et
il faut aussi lire chez cette vénérable maison le Brat Pack
de Rick Veitch, qui s’en prend irrespectueusement aux héros
costumés et à leurs « sidekicks » leurs inénarrables
faire-valoir tout juste sortis du collège.
Tout comme il faut
s’arrêter sur les Next Men de John Byrne, mettant en
scène d’autres ados, cette fois ci génétiquement modifiés par
l’armée dans un monde virtuel, qui vont se retrouvés subitement
confrontés au monde réel… Un choc pour eux.. et pour le lecteur
Le
dernier comic de cette
sélection vient lui aussi
d’Angleterre, où se
déroule La Tournée. GH Fretwell est un
écrivain de seconde zone, et il part en tournée pour promouvoir son
nouveau roman : « Sans k » (comme dans
Rebecca, le prénom de sa femme…). Ladite tournée des librairies
se révèlent vite un fiasco : on commence par lui voler sa
valise, ensuite, il est à peine attendu (et désiré) par les
libraires, ses livres ne sont pas là, ni les clients, tout
simplement… Et puis, sitôt sa première séance, il a la visite de
la police, car la libraire (Rebecca aussi) qui a accueilli Fretwell a
disparu, suite à un rendez-vous dans un restaurant avec un inconnu.
Elle sera retrouvée, morte, tandis que l’écrivain à insuccès
continue sa tournée, et que les soupçons pèsent de plus en plus
sur lui…
C’est un portrait d’un pauvre gars, en fait, dépassé par tout ce qui lui arrive, obnubilé par son manuscrit en cours de lecture, sa « feuille de route » qui a été modifiée, et qui a ses habitudes de vieux garçon (des steaks bien cuits à chaque repas). C’est au final une histoire sombre et surréaliste à la fois, celle d’un véritable loser, que le trait doux d’Andi Watson réussit à rendre attachant… (ça et là).
Brat pack *** / Rick Veitch – 178 p. - Bichromie et coul.
GrassKings 1 à 3 *****/ Matt Kindt et Tyler Jenkins – 180 p. coul.
Judge Dredd, affaires classées 4 ****/ Wagner, Mills and all ! - 260 p. n et b. et coul.
Next Men ***/ John Byrne – 228 p. coul
Stray bullets ***** / David Lapham - Delcourt – 460 pages n et b.
La Tournée *** / Andi Watson – ça et là – 272 pages n et b.
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