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lundi 21 novembre 2022

[11 balles dans le chargeur] – Le Crime parfait / Collectif (Phileas)

 

Le maniaque du polar en cases aura beau retourner sa bibliothèque dans tous les sens, il n’y trouvera pas plus de collectifs de son genre préféré que de doigts sur ses deux mains. S’il est chanceux et conservateur, ou les deux, il sera en possession des hors-séries des revues
Tintin
et Pilote « spécial policier » parues en 1978, ou du (A suivre) « BD Polar : Noces de Sang » sorti lui en 1981 sous couverture de Tardi. Pour les albums, il a peut-être fait main basse sur le « Polar  story – Des histoires de polar » chez Fugues en Bulles (2010) ou du plus récent « Polar – Shots entre amis à Cognac » (2020). 

C’est dire si l’initiative des éditions Phileas de demander à une quinzaine de dessinateurs et scénaristes de s’emparer du thème du crime parfait – si cher au genre policier en littérature comme en cinéma – est la bienvenue. Surtout que c’est une belle réussite. Sous les couvertures rouge sang de Barral ou bleu nuit de Guérineau, chacun des auteurs livre sa version du crime parfait. Et évidemment elles ont toutes leur angle d’attaque. Elles revisitent ainsi l’Histoire (Gess, Guérineau, Chabouté, Holgado & Seltzer), s’ancrent dans un quotidien contemporain (Rabaté, Peyraud et Liéron, Moynot, Krassinsky) ou utopique (De Metter), ou invitent même à leur table d’autres « mauvais genres » (Sandoval & O’Griafa, Krassinsky, Guérineau, Pomès). Sans oublier les ingrédients : vengeance, complot, détective, tueur en série… tous très bien digérés. Cela donne onze récits originaux, parfaitement menés,  tous agrémentés d'un « Repose en paix » signé Anaïs Bon, une forme d'oraison funèbre qui vient prolonger, ou éclairer, le récit noir tout juste terminé. Un peu à la manière de la morale d’une fable, ou plus encore, de cette voix qui concluait les épisodes de la Quatrième Dimension, souvent ironiquement.

Il y a tout de même un peu – ou beaucoup selon les récits – d’humour noir dans ce collectif inattendu et roboratif. Et à la manière des recueils de nouvelles noires et policières, cet album permet aussi de découvrir ou de retrouver les univers graphiques de onze dessinateurs maîtres de leur art. Un album parfait ? Ce serait en tous cas un crime de passer à côté... 

Le Crime parfait ****

Scénario et dessins de Chabouté, De Metter, Gess, Guérineau, Holgado, Krassinsky, Moynot, O’Griafa, Peyraud, Pomès, Rabaté, Sandoval, Liéron, Seltzer

Couverture de Barral (édition courante) et Guérineau (édition Canal BD - 1400 exemplaires)

Nécrologies d’Anaïs Bon

112 pages couleurs et Noir & blanc – Sorti le 10 novembre 2022 – 19,90 €


dimanche 9 janvier 2022

Mes albums préférés de l’année 2021 [2/3] – Contrapaso (Dupuis) / Moi menteur (Denoël) / No Body (Soleil) / Esma (Sarbacane)

 Hop, on traverse l’Atlantique, pour la suite de mon mini polar-trip des meilleurs albums de l’année . Trois étapes, quatre albums.

En Espagne, les années Franco ont suscité de nombreux récits et bandes dessinées, au fil des années, des archives ouvertes et de la parole libérée. Teresa Valero, dans le premier tome de Contrapaso, les Enfants des autres, a choisi le Madrid des années 50 pour y situer son histoire à elle, et y aborde aussi bien les journaux clandestins écrits par des femmes en prison, la liberté de presse étouffée par une censure terrible , les pratiques médicales proche de l’eugénisme, une grève universitaire… entre autres ! Cela pourrait être foutraque, c’est en fait foisonnant et parfaitement raconté, par le biais d’une enquête journalistique d’un duo improbable de deux reporters affectés aux faits divers dans leur quotidien : Sanz, un vieux brisquard phalangiste repenti et Lenoir, un jeune français idéaliste. Sa cousine Paloma dessinatrice de presse et de BD complète le trio et à eux trois ils vont éclaircir le mystère de meurtres tous liés au passé sombre et récent de leur pays. Mais reste encore l’énigme de ces femmes assassinées par un la main d’un seul homme, une affaire qui obsède Sanz depuis 17 ans. Un album captivant de bout en bout.

L’Espagne d’Altarriba et Keko n’en est pas moins malade et perturbée dans Moi, menteur, dernier volet de la  Trilogie du Moi , après Moi,assassin,où l’on suivait le parcours d’un tueur en série ayant érigé le meurtre au rang d’oeuvre d’art et Moi, fou, celui d’un docteur en psychologie inventeur de pathologie finalement broyé par le Big Pharma. La politique n’était jamais bien loin des deux premiers récits, elle est cette fois centrale dans Moi, menteur, puisqu’on suit le parcours d’Adrián Cuadrado conseiller en communication du parti au pouvoir qui lui a fait de la corruption et de la manipulation son mode de fonctionnement naturel. Comme  dans les deux précédents opus, tout se passe à Vitoria, théâtre de toutes les turpitudes humaines nécessaires pour arriver au sommet, et garder le pouvoir. Mais quel sommet, et surtout, à quel prix ? Ces désespérants parcours de vies sont de parfaits repoussoirs à notre monde actuel et de vrais appels à ne pas suivre ces voies-là. Côté graphisme, le noir et blanc, parsemé au fil des page de fulgurances de vert (après le rouge et le jaune des deux tomes précédents) est sublime. Et cette Trilogie du moi une œuvre majeure du Neuvième Art, rien de moins ! 


Passons en Italie où Le Berger vient conclure la trilogie de la deuxième saison de la série No Body de Christian de Metter. Cette histoire avait débuté dans les deux précédents tomes par le rapt d’une fillette dans l’Italie des années de plomb. L’enquête est confiée au commissaire Gianni Sordi et à son équipe, qui remontent vite à l’identité de la victime : Gloria Agnello Strozzi, fille de juge d’instruction chargé d’affaires politiques et petite-fille du « Baron Rouge », « quelqu’un d’important et de riche », comme le rappelle le patron de la police à Sordi. Les raisons de s’en prendre aux Agnello Strozzi ne manquent donc pas… et les exigences des ravisseurs ne vont pas tarder à arriver : la liberté de Gloria contre celle de jeunes gauchistes exaltés d’un des nombreux groupuscules du moment. Mais cela va se compliquer pour tout le monde quand la monnaie d’échange s’échappe, et que d’autres protagonistes entrent dans la danse au fil des albums. Et toute la science narrative de De Metter entre alors en action pour un ballet de personnages fascinants : deux frères jumeaux footballeurs, jouant l’un pour la Roma et l’autre pour la Lazzio, les clubs ennemis de la capitale, un spécialiste de la prise d’otage, un tueur à gage sosie d’Elvis, et évidemment, le mystérieux « M. Nobody » qui semble tirer les ficelles... La conclusion de ce récit sombre, au suspense grandissant est à la hauteur des attentes et le tout dessiné avec le trait réaliste de De Metter, qui a toujours ce talent incomparable pour exposer les émotions de ses personnages, et cet art du cadrage pour n’importe quel type de scène.

La Suisse n’est pas loin ? Allons-y et retrouvons Iwan Lépingle. Après les étendues du Grand Nord (Akkinen : zone toxique) et les méandres du plus grand fleuve de la Russie (Une ile sur la Volga), c’est du côté des bords du lac Léman que l’auteur nous entraîne dans Esma. Pour plus de quiétude ? Pas vraiment… Car derrière les murs du domaine des Arcets, et de la Villa Matsuo précisément, se déroule un drame que ses auteurs auraient certainement voulu plus feutré. Mais pas de chance, le double-meurtre qui vient d’avoir lieu a une témoin : Esma, jeune turque sans-papiers, qui trouve refuge chez son amie Audrey à qui elle révèle tout. C’est le point de départ d’une intrigue prenante mêlant médias, police et... sentiments amoureux. Comme dans les précédents albums de l’auteur, c’est tout autant l’aspect psychologique des personnages que la résolution du crime qui font mouche, et les démons du passé qui vont ressurgir font tout autant de mal que les coups de feux dans la nuit. Le tout dans une ambiance nocturne et mystérieuse suggérée dès la couverture (superbe !), et qui s’exprime par le bleu dominant choisi par Iwan Lépingle pour les pages d’Esma. Un troisième album vraiment réussi, une fois de plus !


Contrapaso 1 – Les Enfants des autres

Scénario et dessins Teresa Valero

Dupuis (Aire Libre) – 152 pages couleur – 23 €

Moi, menteur

Scénario Antonio Altarriba, dessins Keko

Denoël Graphic – 162 pages noir et blanc (et vert) – 21,90€

No Body – Saison 2, tome 3 : Le Berger

Scénario et dessins Christian De Metter

Soleil (Noctambule) – 108 pages couleur – 17,95 €

Esma 

 Scénario et dessin Iwan Lépingle

Sarbacane, 2021 - 160 pages quadri –22,50 €

mercredi 25 octobre 2017

[Pravda America] – No Body, Saison 1, de Christian de Metter (Soleil / Noctambule) ****


 « Même si c’est un détenu plutôt calme, gardez toujours à l’esprit qu’il est potentiellement extrêmement dangereux ». Tels sont les premiers mots du directeur de la prison du Montana en guise de bienvenue à Beatriz Brennan, jeune femme en mission spéciale dans cet établissement. Envoyée par le tribunal, en qualité d’experte psychologue, elle est chargée de rencontrer un détenu d’une soixantaine d’années, incarcéré pour le meurtre d’un ex-coéquipier. Meurtre dont les sanglantes évidences sur les lieux du crime pointent sans aucun doute possible vers cet ancien flic, qui s’accuse du reste sans ambiguïté de l’assassinat de son collègue, et attend stoïquement son exécution. Or, le doute subsiste sur la réelle culpabilité de cet homme, et l’objet principal des entretiens avec Beatriz Brennan est bien là : faire la jaillir la vérité sur cette affaire étrange de la bouche de cet homme non moins étrange...

Conçu d’emblée, dans sa forme, comme une série TV – nous sommes ici dans la saison 1 – trois des quatre épisodes prévus sont sortis depuis octobre 2016, et l’épilogue est à venir pour le début 2018. La sortie, ce mois-ci, du troisième opus « Entre le ciel et l’enfer » est l’occasion de revenir sur l’ensemble et de l’affirmer tout de suite : No Body est passionnant ! L’idée centrale en a été bien définie par Christian De Metter lui-même :
« Le titre No Body, joue sur le double sens d’un point de vue phonétique. Cela signifie « pas de corps » mais on peut également entendre « personne ». Le thème de l’identité est assez récurrent dans mon travail. Là encore, il est central. Je parle d’un homme qui a vécu comme agent infiltré pour le compte du FBI et qui, de mission en mission, doit incarner des personnages au point de perdre, ou plutôt de ne jamais trouver qui il est réellement... » 
 
Et c’est tout l’histoire, pleine de faux-semblants et de vrais coups tordus, de cet homme torturé que nous découvrons au fil des albums, avec un suspense, une tension qui vont crescendo au fil des révélations qu’il veut bien consentir à la jeune psychologue qui a su gagner sa confiance. Dans le premier épisode « Soldat inconnu », on le découvre tout jeune, au coeur de «Cointelpro », le programme – authentique – d’infiltration des mouvements politiques dissidents mis en place par Hoover. Une première mission qui va – déjà – laisser des séquelles. Dans « Rouler avec le diable », il a une nouvelle mission, encore plus dangereuse : se faire accepter par une horde de bikers ultra-violents, les Napalm’s soldiers. Une fois de plus, il va en être marqué de façon indélébile. Et nous voici à cet épisode trois « Entre le ciel et l’enfer », où, redevenu simple flic, il enquête, en 1987, sur le meurtre d’une petite fille retrouvée en pleine forêt. Un meurtre qui selon lui n’est pas isolé, et pourrait le fait d’un serial-killer. Une idée que ne partage pas vraiment Sarah, sa coéquipière d’alors. Mais qu’Anne, profileuse dépêchée sur l’enquête, juge elle plus que probable. Deux femmes qui vont à nouveau marquer au fer rouge la vie du détenu modèle de la prison du Montana…

Pour ce troisième tome, on pense immédiatement à « True Detective » - ne serait-ce que parce que le personnage principal a un air de faux-frère avec un des deux flics de cet excellent premier épisode de la série – ce qui n’est pas faire injure à Christian De Metter, qui est justement allé voir du côté des meilleures séries du genre, « pour en faire quelque chose à sa sauce ». Et la sauce a bien pris, c’est le moins qu’on puisse dire… La construction narrative, qui dévoile l’ensemble du récit par touches successives, par flashbacks, est d’une grande force. Mêlant l’histoire intime de ses personnages – car si le détenu parle de sa vie, son interlocutrice se dévoile elle aussi… - à celle, officielle ou passée dans l’imaginaire collectif, des Etats-Unis, De Metter happe son lecteur dès le début, et maintient toute son attention sans jamais le faire décrocher. Son dessin, toujours aussi précis, fin, très réaliste est en adéquation totale avec son sujet. Les couvertures sont des modèles du genre : l’inconnu « héros » de No Body y apparaît au fil de ses années-charnières, avec deux silhouettes, dominatrices, dans l’ombre, pour les deux premiers épisodes. A la troisième, une forêt – pourtant tragique – semble lui donner un regain de sérénité. Retrouvera-t-il toute la lumière dans l’épisode final ? Rendez-vous en avril 2018 pour l’épilogue de cet excellente série, qui vient d’être couronnée par le prix de la meilleure série francophone de BD « Polar » à la 22ème édition du Festival de Cognac
 


No Body ****
Scénario et dessin Christian De Metter
Soleil, 2016-2017– Collection Noctambule
74 pages couleurs et 15,95 € chaque tome

1 - Soldat inconnu
2 – Rouler avec le diable
3 - Entre le Ciel et l’enfer

lundi 14 juillet 2014

[Bang !] - Rouge comme la neige, un western de Christian de Metter

Colorado, hiver 1896. Occupé à dessiner, le jeune Sean aperçoit au loin, par la fenêtre, un cavalier qui se dirige vers la modeste maison familiale. Il sort prévenir sa mère, dont la réaction est immédiate : " Va chercher le fusil ". Et elle attend. L'homme à cheval se présente comme un ancien ami de son mari, tué à la bataille de Wounded Knee. Mais ce n'est pas pour évoquer les souvenirs du mort que le cavalier est là : il vient annoncer à la veuve McKinley qu'on a arrêté un homme à Ouray, la ville la plus proche, un homme qui venait d'enlever un enfant... Voilà qui replonge Jody MacKinley dans un passé encore plus douloureux : sa fille Abby a disparu six ans auparavant, et Jody n'a jamais perdu espoir de la retrouver. Elle décide de se rendre au procès à Ouray, avec son fils Sean, la tête pleine pleine d'espoir et de craintes. Là-bas, la rencontre avec Buck McFly est un véritable choc, et elle le fait évader pour qu'il la guide vers Abby, encore vivante selon lui ...

De ce point de départ, Christian de Metter tire un western en forme de quête désespérée, et dresse au passage un magnifique portrait de femme. Le périple de Jody MacKinley va se révéler parsemé d'embûches, au cours duquel la violence - psychologique - du passé va égaler l'âpreté physique du voyage vers sa fille disparue. Les révélations de McFly vont être aussi douloureuses que la traque à travers la montagne enneigée dont le trio de fugitifs est la cible. De Metter maintient un constant point d'équilibre entre ces deux aspects de son scénario, et laisse volontiers des zones d'ombre au passé de Jody, dont il garde la révélation pour les dernières pages. Cette construction impeccable est au service du talent d'un grand dessinateur, toujours aussi doué pour restituer les émotions sur les visages, et qui a pour cet album choisi une bichromie sépia. Teintée de rouge aux moments cruciaux, bien entendu... On ne peut s'empêcher, à la lecture de "Rouge comme la neige", de penser au dernier film de - et avec - Tommy Lee Jones, "Homesman" : dans les deux cas, il s'agit d'un voyage où un homme guide une femme dans un monde hostile. Et où la femme a une confiance toute relative en son compagnon de route. "Homesman" est une grande réussite. "Rouge comme la neige" est une bande dessinée à ranger dans la même catégorie.

En prime : la bande annonce sur Casterman.com


Rouge comme la neige ***
Scénario  et dessins Christian de Metter
Casterman, 2014 - 110 pages couleurs - 18 €

samedi 23 juillet 2011

Un boucher, un balafré et un squelette : faites-vous des amis grâce à Casterman !

Il paraît qu'en ce moment, c'est l'été. Vous savez, cette période où il fait bon oublier ses soucis, et s'adonner aux joies du farniente. Le moment, aussi, où on se laisse tenter par des lectures pleines de légèreté et d'optimisme. L'été quoi. Et si l'été est pourri, on peut rester dans le ton et s'adonner sans vergogne à la fréquentation d'oeuvres un peu plus sombres. Ce que j'ai fait en lisant ces trois albums parus au printemps dernier chez Casterman.
Le premier retrace l'histoire terrible de Fritz Haarmann, surnommé le Boucher de Hanovre. Sévissant à la même période que le célèbre Peter Kürten, alias le Vampire de Düsseldorf, Haarman s'en prenait lui à de jeunes garçons, qu'il abordait à la gare et attirait jusqu'à sa mansarde de la Rote Reihe, où il les violait avant de les liquider... Et comment se débarrassait-il des corps ? Simple, il les débitait et vendait les morceaux pour un restaurant... En connaisseur, il a déclaré à son interrogatoire : « Certains prétendent que la viande humaine ressemble à la viande de porc ou de veau. Non, elle est beaucoup plus noire, différente aussi de la viande de cheval. Et je sais de quoi je parle, j'en avais toujours plein les mains ». Au delà de l'atrocité de ces crimes, le plus étonnant dans cette histoire est bien que ce monstre soit passé à travers les mailles des filets de la police, grâce à des négligences, et que son arrestation se soit opérée par hasard. Il était même indicateur pour le commissariat de la ville. Je ne suis pas en général fasciné par les récits tirés de faits réels, ni par les tueurs en série, mais le talent d'Isabel Kreitz, est là : son dessin, noir et blanc, restitue avec minutie une Allemagne en proie à la crise, et sa description des rues crasseuses de Hanovre, de l'antre de Haarman, sont d'une précision admirables. Côté personnages, elle ne s'attarde pas sur le côté macabre de son boucher, et évite les scènes ouvertement gore, mais elle installe une peur insidieuse qui passe par le regard de fou de Haarman. C'est délicieusement dérangeant... Peer Meter, son scénariste, livre à la fin de l'album un aperçu historique des faits – photos d'époque à l'appui – qui complète parfaitement ce « Boucher de Hanovre ».

A côté, les deux romans adaptés sortis à la même époque, dans la toujours superbe la collection Rivages/Casterman/Noir sont presque d'aimables bleuettes. Bon, d'accord, j'exagère.

Le premier est signé Christian de Metter, qui a choisi de donner sa version du Scarface, d'Armitrage Trail. L'histoire est celle d'un gangster des années 20, Tony Guarino, devenu roi de la pègre de Chicago après son retour du front européen, où la guerre lui a laissé une balafre au visage qui transforme le moindre de ses sourires en rictus inquiétant Cet aspect du personnage est plus qu'un détail, et on pouvait compter sur de Metter pour être au plus près de la description qu'en avait faite le romancier lui-même : « […] le coin gauche de sa bouche tirait en permanence vers le haut, pas énormément, mais suffisamment pour modifier son apparence de façon surprenante. Quand il souriait, ce coin-là refusait de sourire, et conférait à son visage un aspect étonnamment sinistre ».
Sinistre à souhait, la trajectoire de Guarino, qui change d'identité pour devenir Tony Camonte, l'est aussi, et les planches de l'album sont parsemées de cadavres. On cherchera en vain la lumière dans cette adaptation que De Metter a quasi intégralement dessinée dans des tons glauques, au sens littéral du terme : d'un vert tirant sur le bleu... Si vous appréciez le travail de ce dessinateur, vous aimerez ce Scarface, même si on peut lui préférer, dans la même collection, son Shutter Island.

La seconde adaptation est celle d'un des dix-sept romans du « cycle de la police tribale Navajo » de Tony Hillerman : L'Homme-squelette. Il ne s'agit pas de la première version graphique des enquêtes de Joe Leaphorn et Jim Chee, puisque Katou avait réalisé « Là où dansent les morts » pour Emmanuel Proust en 2004-2005, mais force est de constater que le trait de Will Argunas est plus convaincant pour restituer l'atmosphère si particulière des romans de Hillerman. Dans celui-ci, un jeune Hopi se retrouve en possession d'une pierre précieuse d'une valeur inestimable : il n'en faut pas plus pour qu'il se retrouve accusé d'être l'auteur du récent braquage d'une bijouterie. C'est le point de départ d'une véritable chasse au trésor, dans la région du Grand Canyon, à la recherche de diamants égarés depuis plus de 40 ans... Argunas aime dessiner les Etats-Unis et les Américains comme il l'a déjà brillamment montré dans ses précédentes BD, comme Missing ou Bloody September, et cette fois, ce sont les grands espaces sauvages qui s'animent sous son crayon. Son style, où les hachures continuent de dominer, renforce la majesté des paysages, et rend toujours aussi mystérieux les visages. La couverture de cet album en est la parfaite illustration.
J'ai préféré cet « Homme squelette » au « Scarface », mais une chose est sûre : ces deux albums sont de qualité et en 16 albums, la collection Rivages/Casterman/Noir s'est vraiment imposée comme une valeur sûre de la bande dessinée noire.

Le Boucher de Hanovre
Scénario Peer Meter et dessin Isabel Kreitz
Casterman, 2011 – 176 pages noir et blanc – Collection Ecritures – 14 €

L'Homme squelette
Scénario et dessin Will Argunas d'après Tony Hillerman
Casterman, 2011 – 96 pages couleur – Collection Rivages/Casterman/ Noir – 18 €

Scarface
Scénario et dessin Christian de Metter d'après Armitrage Trail
Casterman, 2011 –112 pages couleur – Collection Rivages/Casterman/ Noir – 18 €

vendredi 8 janvier 2010

L'Oeil était dans la tombe (2008)

Patrick Vaille est une jeune homme riche et impétueux, à qui la vie semble sourire. Une ombre se profile pourtant lorsque sa femme lui apprend qu'elle est victime d'un chantage : un vieil homme menace de révéler le passé pédophile du père de Patrick. Le couple choisit la solution la plus radicale pour résoudre le problème et décide de supprimer le maître-chanteur. Vaille piège l'homme à son domicile et le torture à mort mais à aucun moment le vieillard n'avouera comprendre quoi que ce soit à cette histoire de chantage. Loin d'apaiser Vaille, ce passage à l'acte va réveiller en lui des démons intérieurs qui ne demandait qu'à sortir...

Avec ce nouvel album, Christian de Metter poursuit son exploration de l'âme humaine et des pulsions qui animent les êtres traumatisés. Il fait de son personnage principal, Patrick Vaille, un homme antipathique au possible, ne laissant prise à aucune commisération de la part du lecteur. Les hommes et femmes qui gravitent autour de lui ne le comprennent pas et il faudra attendre les dernières pages de l'album pour lever le voile sur la part obscure qui l'empêche de vivre. Christian de Metter dessine cette histoire avec la technique qui est la sienne depuis les origines : des planches à la gouache, en couleurs directes, qui donnent à ses planches une force implacable, notamment dans ces visages à l'hyper-réalisme saisissant. Cette « griffe » est la marque d'un auteur hors-norme, et cet « oeil dans la tombe » une pierre précieuse supplémentaire à l'édification d'une oeuvre remarquable.

L'Oeil était dans la tombe
Scénario et dessin Christian de Metter
Casterman, 2008 - 72 p. couleur - 14,95 €

[Chronique parue dans l'Ours Polar n°45/46, juin 2008]

lundi 28 décembre 2009

Intégrale Dusk (2007)

Publiés la première fois respectivement en 2000 et 2002, les deux chapitres qui constituent cette intégrale étaient conçus comme deux enquêtes à part entière. Réunies en un seul volume elles donnent encore plus de corps à cet étrange trio que forment Anna, Joe et Solomon, tous trois membres d’un mystérieux « bureau » à qui sont confiées les affaires les plus délicates. Ainsi dans « Pauvre Tom », première de ces affaires, les trois agents sont envoyés à Salem, petite ville perdue, pour enquêter sur quatre morts violentes un peu suspectes. Sur place, ils doivent se rendre à l’évidence : ils ne sont pas les bienvenus, et ont toutes les peines du monde à obtenir la collaboration du shérif local, qui a rapidement classé l’affaire. L’enquête auprès de la population locale, maussade et encore moins coopérative – si ce n’est pour planter des cadavres de chauves-souris sur la porte de leur chambre – les mènera tout droit au simplet du village, détenteur de la sinistre vérité. Dans « Trois larmes pour Lucie », le trio est de retour à la civilisation urbaine, et doit éclaircir les zones d’ombre entourant la mort d’un avocat, retrouvé empoisonné, et à moitié nu, devant son ordinateur. Ils se rendront vite compte que la mère et la fille de la victime gardent pour elles une part de la vérité, et que tout est lié à ces images de jeunes filles en position « explicite » gardées dans la mémoire du PC de l’avocat… Au-delà des enquêtes en elles-mêmes, c’est dans les relations instaurées au sein du trio que « Dusk » trouve toute sa saveur : Solomon est un chef dur, désabusé, qui comprend de moins en moins le monde qui l’entoure, ou plutôt feint de ne pas le comprendre. Face à lui, Joe, doué pour faire parler les intelligences artificielles, semble parfois oublier qu’il en possède une. Anna, de loin la plus équilibrée des trois, fait le lien entre les deux et leur transmet la touche d’humanité qui les sauve de ces univers glauques et malsains dans lesquels ils baignent tous. Et si Marazano a écrit des histoires fortes, denses, que dire de de Metter ? On le savait brillant dessinateur depuis « Emma », il le confirme ici où il excelle dans l’expression des visages, dans le choix des couleurs en particulier dans les scènes l’utilisation mêlant de ombre et lumière. Dusk est une étape très importante dans l’ascension de De Metter et cette intégrale – à la couverture somptueuse – fait partie de celles dont il ne faut surtout pas se dispenser.

Dusk – Intégrale
Scénario Richard Marazano et dessin Christian de Metter
Les Humanoïdes Associés, 2007. – 112 p. coul. – 20 €

[Chronique parue dans l'Ours Polar n°41, mars 2007]

mercredi 29 juillet 2009

Vers le démon (2006)

« Vous allez où ?
- Nulle part.
- Je viens avec vous. C’est là que je vais moi aussi »
Sarah fuit un petit ami violent. Elle tombe sur Jack, parti lui à la rencontre de l’assassin de son jeune fils Niels, un marginal qui sort juste de quinze ans de prison. Alors que le « Nulle part » de Sarah s’apparente à un vrai départ vers une autre vie, celui de Jack a tout d’une fuite en avant avec regard braqué sur le rétroviseur. Mais cette volonté de se retrouver à tout prix face à l’assassin de son fils, signifie t-elle autre chose que le point final d’une vie depuis longtemps arrêtée ? Il faudra à Jack la lecture du Démon de Selby, que Sarah transporte avec elle, et un second signe du destin en la personne d’un jeune musicien prénommé... Niels, qui croise leur route, pour que le père désespéré accepte enfin la réalité - réalité qui ira jusqu’à surprendre le lecteur…

Les récits BD d’errance à travers l’Amérique souffrent souvent d’une difficulté à rendre palpable l’écrasement des personnages devant l’immensité du pays. La plupart du temps le cadre n’est qu’un élément décoratif et l’action prime, les événements s’enchaînant comme autant d’épisodes spectaculaires de la vie des protagonistes. Ici, rien de tout cela : en suspendant le temps, dans des scènes où les personnages parlent peu, et en les faisant traverser une Amérique rappelant fortement celle de Hopper, de Metter se révèle un véritable peintre des grandes solitudes. Ses cases, en couleurs directes, sont autant de tableaux que l’œil prend un immense plaisir à détailler, sans qu’à aucun moment ne soit remise en cause la dynamique de la planche, essence même d’une bande dessinée réussie. Déjà remarqué pour l’originalité et la virtuosité graphique de ses précédentes séries, Christian de Metter élabore patiemment une œuvre qui le place parmi les auteurs à suivre de très près. Vers le démon en est un jalon important et certainement – déjà, oui ! - un des albums phare de cette année 2006.

Vers le démon - Christian de Metter
Casterman, 2006 - 56 p. coul. - Collection Un Monde - 13 €

[Chronique publiée dans l'Ours Polar n°36 - Mars 2006]