Deux albums parus à quelques mois d’intervalle chez Futuropolis, aux intrigues éloignées géographiquement, et bien différentes dans leur construction comme dans leur propos, sont tout de même à rapprocher par leur thématique centrale : l’irrépressible envie d’être ailleurs…
Dans La Meute de Cyril Herry et Aude Samama, il est question de la fugue de deux ados, Victor et Marina, à travers la forêt Limousine, au moment même où un loup semble avoir fait sa réapparition dans la région. Les deux jeunes ont fait le choix de quitter une petite ville et une vie étouffantes pour se perdre dans la forêt proche, un havre pour Victor, qui en connaît tous les recoins, les secrets, les ressources et où, « ll n’y a aucune raison d’avoir peur dans les bois. Sauf des hommes ». Car c’est bien des hommes dont les deux fugueurs veulent se préserver, plus précisément de tous ces villageois qui savent tout de tout le monde, et qui ont bien évidemment leur avis sur les raisons de cette disparition. Alors qu’évidemment ils sont ignorent complètement ce qu’il s’est passé, mais ne peuvent s’empêcher de le dire… « A vouloir sans cesse tout savoir des autres, vous allez finir par leur inventer une vie qu’ils n’ont pas » essaie de clouer le bec une infirmière à domicile à une dame d’un âge respectable qui n’en finit pas de déblatérer sur les autochtones. Et c’est en fait toute la ville qui a son mot à dire, ou plutôt sa rumeur à colporter, son on-dit à rapporter, alors que chacun oublie de regarder un peu plus près ce qui se passe sous son propre toit. Et il est facile de comprendre ce désir de fuir des deux jeunes qui ne trouvent absolument par leur place dans ce monde, tout comme d’autres, tout aussi prêts dans leur tête à suivre l’exemple de Victor et Marina. Enfant, ado, jeunes hommes et femmes, ils sont aussi cette autre meute du titre, celle qui est avide d’espace et de liberté et qui n’aspire qu’à une chose : respirer. Les peintures d’Aude Samama viennent magnifier, tout en douceur, cette irrépressible soif d’échapper à un monde violent en tous points .
C’est à Venise, que Christophe Dabitch a trouvé la source d’inspiration de son histoire, et plus précisément dans sa lagune que le dessinateur italien Piero Macola lui a fait explorer dans tous ses recoins. Et cela donne le Passeur de lagunes, où le jeune Pablo, qui accompagne souvent son père pêcheur, a lui aussi des envies d’ailleurs, même s’il peut compter sur sa bande de copains pour passer le temps et tromper l’ennui, en traficotant un peu, beaucoup, de ce nouvel opium du peuple, la Rose, aux vertus rares, puisqu’elle effacerait les mauvais souvenirs… Mais bientôt le père de Pablo disparaît, et pas question de filer voir la police pour le signaler : autant mener sa propre enquête, même si elle va révéler des secrets… Au delà du drame familial qui se joue pour Pablo, ce sont des destinées entières qui sont évoquées dans cet album, dont le titre donne évidemment la piste : celles et ceux qui veulent fuir ici sont aussi les clandestins, et la Cité des Ponts un point de passage obligé. Et c’est justement dans ce méandre que constitue la lagune que les hommes se perdent, ou se trouvent piégés, de l’intérieur ou de l’extérieur, car l’ouverture sur la mer, et la liberté qui va avec, a disparu avec le temps … « Quand ils ont fermé les frontières, les digues sont devenus des murs », affirme son grand-père à Pablo. Le monde change, les certitudes d’hier vacillent, c’est aussi le sens de ce récit initiatique subtil et sensible. Et au fil des pages, les superbes aquarelles de Piero Macola viennent nous rappeler que la nature peut être douce et cruelle à la fois, alliée ou adversaire, et qu’elle peut emmener, pour celui qui prend son temps, ailleurs. Cet album est à lire et relire, tant il donne à méditer, contempler. Et s’évader.
La Meute ****
Scénario Cyril Herry et peintures d’Aude Samama
Futuropolis – 152 pages couleur – Sortie le 8 février 2023
Le Passeur de lagunes ****
Scénario Christophe Dabitch et dessin Piero Macola
Futuropolis – 224 pages couleurs – Sortie le 13 septembre 2023