Bon, pour une fois, je reprends
direct le "résumé" de l'éditeur pour vous mettre dans
l'ambiance de cet album extraordinairement dense...
" Michel, jeune
fonctionnaire borderline croise à Lyon Domingues, ancien mercenaire
au Mozambique reconverti dans le proxénétisme. Quelques heures plus
tard, le trafiquant se défenestre d'une tour du quartier de la
Part-Dieu, entraînant Michel dans une dérive hypnotique. Shooté en
permanence à un cocktail d'antidépresseurs et de côtes-du-rhône,
celui-ci se retrouve, comme sous l'effet d'un sortilège, aspiré
dans la vie passée de Domingues. Meurtres, trafic d'armes, réseau
de prostitution, pillages et guerres civiles se révèlent à sa
conscience implosée. "
Prof. Fall s'ouvre sur
un premier chapitre - 16 viendront rythmer le récit - intitulé "512
fenêtres" et qui, d'emblée, introduit le personnage de Michel
Morel, archiviste à la CPAM, à Lyon. Celui-ci, pour se rendre à son
travail, emprunte un chemin qui exerce sur lui une fascination
quasi-morbide. Un entrelacs de blocs de béton, de formes
parallélépipédiques menaçantes, et deux immenses barre
d'immeubles, d'où son esprit perturbé voit un corps chuter, tel les désespéré-e-s du 11 septembre 2001. Michel Morel vit dans l'angoisse
obsessionnelle qu'une femme va lui tomber dessus. Au propre. Pas au
figuré. Enfin, au propre, façon de parler, parce que la vision du
cadavre écrabouillé, il l'a bien en tête... C'est donc lui, ce
fonctionnaire borderline dont nous suivons l'histoire torturée, qui
prend un tour hallucinant, et hallucinogène, dès l'instant où il
croise le regard du proxénète Domingues. Et surtout, dès qu'il
apprend la mort par défenestration de cet homme aux yeux de bête
traquée : Morel se persuade qu'il est responsable de sa mort, mais
semble complètement paumé. Et oppressé par son environnement, mais
vers qui se tourner, car comme il le pense : "Je m'imagine
mal raconter à un collègue mes cauchemars éveillés, parsemant le
récit de détails morbides et de questionnements philosophiques
traitant de l'incidence de l'architecture rationaliste sur l'âme
humaine". En effet... Alors, il reste la médecine du
travail, et l'espoir d'un arrêt, pour pouvoir éclaircir le mystère
de cette chute... Un arrêt de travail, mais sans aller jusqu'à être
envoyé chez les fous. Ses voeux sont exaucés, mais la folie le
guette au moindre pas...
Prof. Fall est le récit d'une
véritable errance, mentale et physique. La première, liée aux
médocs et à la manière de les prendre, entraîne Morel - et son
lecteur - vers une Afrique peuplée d'hommes, Blancs et Noirs, se
livrant à des actes atroces sur leurs semblables, leurs propres
familles, s'adonnant à un trafic de diamants, et plongeant les
femmes dans la prostitution... Entre autres. La seconde errance est
urbaine : les pas de Morel lui (nous) font découvrir un Lyon à
l'architecture parfois hideuse, dictatoriale presque, une "jungle
des lignes droites" selon les termes de l'architecte-artiste
Hundertwasser, adepte lui de la spirale, source de vie... Ces pas de
Morel nous entraînent aussi dans une nature encore indomptée, celle
des lônes, ces bras du Rhône isolant des bandes de terre, là où
on pourrait enterrer un cadavre. Entre autres...
Le récit, une adaptation par
Ivan Brun et Tristan
Perreton (de son propre roman, paru en 2005 chez
HAK Lofi record), de cette dérive d'un homme en perdition, est riche
et complexe. Il est tout à la fois l'histoire intime et personnelle
d'un individu pris dans la nasse d'une vie monotone et déprimante,
et un coup de projecteur quasi-documentaire sur un pays au destin
guère plus reluisant, l'Angola. Le lien entre ces deux branches du
récit étant des diamants cachés, volés, recherchés... Une quête
qui apporte un aspect "polar" à ce Prof. Fall, mais qui
n'est pas l'essentiel de l'album. Non, par le trait réaliste d'Ivan
Brun, le choix d'une bichromie accentuant les états d'âmes sombres
des personnages, Prof. Fall appartient résolument à la catégorie
de la littérature noire en cases. Il mérite plus d'une lecture pour
en saisir toute la subtilité et la puissance : prenez donc votre
temps pour lire, et relire, en ce début d'année.
Prenez aussi celui d'aller
visiter les sites des deux auteurs, artistes aux multiples talents
tous les deux.
Ah oui ! Il faut souligner la
grande qualité de la maquette, du façonnage de cet album, bref, du
soin apporté par les éditions Tanibis à ce très beau livre. Et là
aussi, allez faire un tour sur leur site, extrêmement agréable à
explorer : editions TANIBIS.
Et, j'allais oublier : bonne
année à toutes et tous...
Prof. Fall ***
Scénario Tristan Perreton et
dessin Ivan Brun
Tanibis, 2016 - 176 pages
bichromie - 24 €
ISBN 978-2-84841-038-8