Misère, misère ! C'est toujours sur les pauvres gens, que tu t'acharnes obstinément... Coluche avait raison et Victor Hugo avant lui . Deux albums brillants, aux tonalités bien différentes, viennent nous rappeler combien est l’Homme est un animal. Fragile...
Bon, le quignon de pain de Jean Valjean, le bagne qui s’ensuivit, l’errance à la sortie, l’acharnement de l’inspecteur Javert, le sauvetage de Cosette des griffes des odieux Thénardier, etc… tout le monde connaît l’histoire des Misérables, quoique… Si vous n’avez pas lu ce classique de notre Littérature Nationale Populaire (ouais, avec des majuscules), un bonne vieille adaptation en bande dessinée peut faire l’affaire, surtout à la manière iconoclaste mais respectueuse de l’esprit hugolien, d’Erich Salch. Mais attention les yeux (et les oreilles) : sa version à lui lorgne toutefois plus du côté du Professeur Choron que de l’Académicien Victor. D’ailleurs, Victor, c’est le prénom du rat qui se présente comme narrateur de cette histoire intemporelle, dès la première page, et c’est parti pour près de deux cents pages pleine de rage, de fureur et … d’humour noir ! Graphiquement, on est en plein dans la famille Reiser – Vuillemin – Crumb – Schlingo , et si la trame narrative est fidèle à l’originale, elle est transposée à notre 21ème siècle pourri à nous, surtout dans ses dernières pages, où on s’attend presque à voir surgir Didier Raoult. Tout ça fonctionne à merveille et voilà un album mémorable de cette année 2021.
Le quotidien parfois misérable des gens est également au coeur de l’album Une vie d’huissier mais cette fois… tout est vrai puisqu’il s’agit de l’histoire authentique de Gilbert, cousin du père du dessinateur. Dav Guedin apprend un jour le décès de ce lointain membre de la famille, et découvre qu’il a laissé une trace manuscrite de sa vie entière, depuis l’enfance normande et rurale, jusqu’à ses derniers jours de cancéreux, en passant par ses années à exercer, donc, le métier d’huissier dans les années 80-90. Le récit alterne les séquences familiales et personnelles, moments intimistes forts, avec les interventions du « trio infernal » serrurier, commissaire de police et huissier de justice, chez les débiteurs. Ce sont les passages les plus saisissants et les plus poignants de cet album, ceux où l’humanité, la rage de vivre, celle d’en finir aussi, transpirent dans chaque planche. Le dessin en noir et blanc de Dav Guedin est d’un réalisme fort, dans la veine d’un Di Marco, en particulier dans ses gros plans, et particulièrement expressif, et inventif dans la composition des planches. Et il réussit aussi à rendre un très bel hommage à un homme qui exerçait une profession marqué chaque jour un peu plus par ce métier très difficile. Une vraie découverte et un autre album majeur de cette année.
Glénat, 2021 - 192 pages couleurs –29 €
Une vie d’huissier - Scénario et dessin Dav Guedin ****
Actes Sud BD - 112 pages noir et blanc – 19,90 €
[Chronique précédemment parue chez les excellents amis de la Tête en Noir, dans le numéro 211 pour être précis]