Ce blog est entièrement consacré au polar en cases. Essentiellement constitué de chroniques d'albums, vous y trouverez, de temps à autre, des brèves sur les festivals et des événements liés au genre ou des interviews d'auteurs.
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Bonne balade dans le noir !

lundi 26 février 2018

 [Billet à caractère informatif] - Le Fauve Polar SNCF 2018 à "Jean Doux et le mystère de la disquette molle " de Philippe Valette (Delcourt)


Philippe Valette et son animal préféré (photo : Agence Anne & Arnaud)

Bon, la nouvelle n’est pas toute fraîche, mais pas question de la taire davantage dans ces pages  : le Fauve Polar SNCF a été décerné cette année 2018 à un album qui annonce sobrement en quatrième de couv : « une aventure en open space ». Ajoutez à cette formule mystérieuse, mais prometteuse, une couverture, voyons, spectaculaire et vous avez entre les mains un des albums les plus originaux de l’an passé. Et assurément celui qui dénotait – ou détonnait, comme vous voulez – le plus dans la sélection du Fauve Polar 2018.

De quoi s’agit-il ? Comme le titre l’indique, tout tourne autour d’une disquette molle, cette chose que les moins de vingt ans n’ont vu que dans leurs pires cauchemars digitalisés, et que le héros va lui retrouver dans le faux plafond de son entreprise. Une entreprise spécialisée dans le commerce méconnu des broyeuses à papier. A cause de cette disquette, Jean Doux va aller de découvertes en surprises et le lecteur, intrigué au début, va le suivre, happé et conquis, dans une quête de plus en plus haletante.


 

Philippe Valette réussit le tour de force de créer un suspense à partir d’objets les plus rébarbatifs et anodins, dans un environnement les plus inattendus : le bureau, époque nineties. Ajoutez-y on a une galerie de personnages assez gratinés, Jean Doux en tête (un héros entre Indiana Jones et Jean-Claude Dusse, dixit l’auteur), affublé de deux collègues pas piqués des vers non plus et vous obtenez une des bandes dessinées les plus drôles de ces dernières années.


 

Sur son site, Philippe Valette explique : «… A l'origine "Jean Doux et le mystère de la disquette molle" était un projet de film live, que j'avais commencé à développer en 2008. A l'époque il s'appelait CTRL-Z (bravo), et l'idée était née du mariage entre ma passion pour les récits d'aventures, à la Indiana Jones, et l'humour minitel de "Message à caractère informatif" que je possédais sur support video laser disk... »



L’étonnant style graphique de l’auteur est assorti de dialogues qui feront date. Un exemple ?

- Vous pensez que dans 20 ans les gens se moqueront des années 90 ? 

- Je vois pas ce qu’il pourrait trouver de drôle , on a atteint le sommet de la chaîne vestimentaire.
- Ouais, c’est vrai.

Indispensable !


En prime, cette chouette interview sur le site 9eme Art :




 Jean Doux et le mystère de la disquette molle ****
Texte et dessin Philippe Valette
Delcourt, 2017 - 304 pages couleur d'époque - 190,23 FF

dimanche 18 février 2018

Les Contes noirs du chien de la casse, par Remedium (Des Ronds dans l’O) ***


Derrière un titre en hommage aux Contes bleus – et rouges – du chat perché, se cachent de véritables tranches d’un quotidien plus sombre. Mais là où Marcel Aymé choisissait la campagne pour les mésaventures de ses deux gamines débrouillardes, Remedium invite lui à une rencontre avec la banlieue, les cités, où les hommes et les femmes qui y vivent doivent aussi faire preuve d’imagination, de solidité, de solidarité, de résistance, pour s’en sortir, pour échapper au  mektoub , ce destin presque tout tracé… Ou pour vivre, tout simplement.

En sept histoires courtes et intenses, Remedium raconte la rue, le trafic, le désœuvrement, les bandes, les garçons et les filles, les frères et les sœurs, et combien rien n’est simple, pour personne, en particulier pour les femmes. Ces sept récits transpirent l’humanité, l’authenticité, la sincérité : beaucoup de ce qui s’y passe, s’y dit, a véritablement été vécu par l’auteur, et cela se sent. Mais encore fallait-il réussir à se faire le passeur de ces scènes anonymes de la vie urbaine.

 Remedium y parvient non seulement grâce à un dessin qui sait rendre compte à la fois des émotions intérieures comme des événements extérieurs, mais aussi grâce à une véritable musicalité du texte. Les dialogues et pensées intimes de ses personnages semblent parfois taillés pour le slam, et donnent une force à ces histoires. Et de l’espoir, comme la toute dernière histoire le laisse entrevoir, malgré une situation difficile. 
Une belle réussite chez un éditeur, des Ronds dans l'O, inlassable découvreur de talents.  

Remedium parle de son travail ici :


Les Contes noirs du chien de la casse ***
Scénario et dessin Remedium
Des Ronds dans l'O, 2017 – 70 pages noir et blanc – 15 €

dimanche 11 février 2018

[Première] – Festival Regards Noirs de Niort : Le Prix Clouzot de la BD 2018 à "Le Temps des sauvages" de Sébastien Goethals (Futuropolis)

Pour sa huitième édition, le festival polar « Regards Noirs »de Niort a innové, côté neuvième art, en lançant un nouveau prix consacré à la bande dessinée, celui de la meilleure adaptation polar d’un roman : le Prix Clouzot de la BD. 
Avec pas loin de 200 albums tirés d’oeuvres littéraires, dont une bonne quinzaine dans le genre « noir », l’idée était bonne, sinon légitime, et la sélection finale de cinq albums était assez attrayante.

Etaient ainsi en compétition, pour cette première : Puzzle, de Mig et Thilliez d’après son roman (Ankama), L’Homme au sang bleu de Moynot d’après Malet (Casterman), Intempérie de Javi Rey d’après Jesus Carrrasco (Dupuis), L’été en pente douce de JC Chauzy et Pierre Pelot d’après son roman (Fluide Glacial) et Le temps des sauvages de Sébastien Goethals d’après Thomas Gunzig.
Et c’est ce dernier album que le jury, sous la direction de Paul Ardenne, commissaire de l'exposition "Clouzot et les arts plastiques, une suite contemporaine" a choisi de couronner, récompensant l’oeuvre la plus forte de la sélection.

Si vous ne connaissez pas cet album, voici sa présentation, par Futuropolis :

« Manuel de survie à l’usage des incapables, quatrième roman de l’auteur Belge Thomas Gunzig dénonce la société contemporaine qui consomme à outrance et sans garde-fou. Rentabilité à tous prix et compétition insatiable pour le profit en tout. Dépenses matérielles et débauche humaine. Le monde connait un engrenage maladif. C’est la décadence. Gunzig, en marge des clichés sur le sujet parvient à le raconter avec autant d’humour que de cynisme. Ses personnages sont monstrueux et viennent nourrir une fable atroce mais drôle qui se joue tout autant des codes du thriller que du roman noir dans un rythme saccadé comme pour dire les convulsions du monde en bascule. L’adaptation personnelle qu’en propose Sébastien Goethals révèle les ambiances dantesque et kaléidoscopique du roman, sa poésie et sa violence. Le Temps des sauvages croque un monde féroce où le vivant est privatisé et où les mutations génériques sont courantes. L’homme deviendra-t-il réellement un loup pour l’homme ? Sébastien Goethals mord la fureur et la cruauté de la vie consumériste brutale »

Cet album dense est d’une richesse assez impressionnante, tant par ses thèmes abordés que par la pertinence des choix graphiques et narratifs de Sébastien Goethals : « couleurs » judicieuses pour le futur évoqué dans l’histoire, réussite dans la mise en image des hommes-loups, psychologie fouillée des personnages, et… scènes d’action saisissantes. Au final, on se trouve plongé dans un vrai suspense, qui monte progressivement, sur fond de discours intelligent et intelligible sur la société de consommation de demain… d’aujourd’hui ?

Cet album est un peu à part dans la production de Sébastien Goethals, plus habitué à la case « thriller » (Dans mes veines, Tower, Zodiaque…) qu’à des plongées au coeur de notre société à la dérive. On ne va surtout pas s’en plaindre, et espérer que ce prix confirmera à son auteur qu’une autre bande dessinée est possible pour lui… et que ses lectrices et lecteurs ne demandent qu’à le suivre dans cette nouvelle voie.

Et une dernière chose, tout de même : une fois tournée la dernière page, l’envie d’aller se plonger dans le roman de Thomas Gunzig est assez forte.
 Un autre signe de la grande réussite de cette adaptation.
 

Le temps des sauvages ****
Scénario et dessin Sébastien Goethals d’après Thomas Gunzig
Futuropolis, 2016 - 272 pages en bichromie – 26 €