Ce blog est entièrement consacré au polar en cases. Essentiellement constitué de chroniques d'albums, vous y trouverez, de temps à autre, des brèves sur les festivals et des événements liés au genre ou des interviews d'auteurs.
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Bonne balade dans le noir !

dimanche 27 novembre 2016

[PRIX] - Le Trophée 813 de la Bande Dessinée 2016 à Pierre-Henry GOMONT pour les " Nuits de Saturne"

Dimanche dernier, au coeur du festival "Noir sur la Ville" de Lamballe - qui fêtait ses vingt ans, édition mémorable ! - l'association 813 des amis des littératures policières décernait ses célèbres Trophées. Et pour la bande dessinée, les adhérent-e-s ont porté en tête de leur suffrage, "Les Nuits de Saturne", de Pierre-Henry Gomont, aux éditions Sarbacane. Un album qui devance "Tungstène", "Tyler Cross 2", "Trou de mémoire 1" et "Men of Wrath". 

 
Photo par Mister Jack, de la Noir'ôde.
 Les Nuits de Saturne est une magnifique adaptation du roman de Marcus Malte, Carnage Constellation. Et pourtant, mettre en images l'histoire d'amour lumineuse entre Clovis, braqueur déchu, et Césaria, jeune homme en talons aiguilles, le pari était osé, voire risqué. Mais le dessinateur s'en est admirablement bien tiré, et le voici auréolé d'un deuxième prix dans le polar après Rouge Kharma, prix SNCF polar BD en 2015. Pierre-Henry Gomont n'a pu venir depuis Bruxelles pour recevoir son Trophée, mais il avait envoyé un message, que je vous livre ici in-extenso.

"Bonjour à tous,
je vous remercie infiniment du prix que vous venez d’accorder à cette bande dessinée. Je ne peux malheureusement être avec vous pour fêter cela, mais
ce n’est que partie remise je vous le promets. Je suis particulièrement heureux que ce prix aille aux « Nuits de Saturne », parce qu’il a marqué une rupture dans mon travail. J’ai raconté les choses d’une manière qui, enfin, parvenait à me satisfaire. C’est curieux, me direz-vous, parce que c’est une adaptation, l’adaptation d’un roman de Marcus Malte, récent lauréat d’un autre Prix littéraire. Mais adapter un roman, le mettre en pièces et le remonter avec les outils propres à la bande-dessinée, c’est une démarche périlleuse. Et elle ne parvient à ses fins que si le besoin d’adapter et de raconter cette histoire-là est intime.

Le roman de Marcus Malte, par l’originalité - et l’évidence- de l’histoire d’amour qu’il met en scène a provoqué cela en moi. Il en a résulté un ouvrage et un propos qui diffèrent sensiblement du récit original, mais cela n’a pas d’importance. Le processus d’adaptation doit être vu comme une liberté, et non comme une contrainte. Il faut retrouver le coeur de ce qui nous a touché dans un roman, pour le reprendre et le restituer à sa manière, avec sa propre grammaire, cette chose un peu bizarre et hybride qui appartient à la BD. Peu importe qu’il y ait des différences, des décalages, car le prisme de la fidélité est rarement le bon pour juger d’une adaptation.
Pour cela, il faut remercier Marcus Malte : la liberté, il me l’a accordée avec générosité, et en confiance. Quelques question préliminaires sur l’angle et l’intention générale que j’envisageais à l’époque , et il me donnait le champ libre.
Il faut aussi remercier Frédéric Lavabre, mon éditeur chez Sarbacane. Ils sont peu nombreux ceux qui, comme lui, savent vous donner la liberté dont vous avez besoin, mais restent exigeants, jamais complaisants, et posent les questions qu’il faut pour vous faire aller plus loin. La rencontre avec Frédéric a changé ma façon d’aborder mon métier, je ne le remercierai jamais assez.
Une dernière chose : je le dis à la fin parce que c’est le plus important. Ce prix est pour Loïcka, la femme qui m’accompagne depuis 13 ans. Si je fais ces livres, ce n’est que pour lui plaire et sans elle, il n’y aurait rien de tout cela. Aujourd’hui, le 20 novembre, est le jour de son anniversaire : nous le fêterons dignement et aurons une pensée pour vous. A très bientôt ! "

Les autres Trophées de l'association, ont récompensé Christian Roux, pour son roman "Adieu Lili Marleen" (Rivages), Jo Nesbo pour "Le Fils" (Gallimard) et Franck Lhommeau et Alban Cerisier pour leur ouvrages "C'est l'histoire de la Série Noire" (Gallimard). Un petit tour sur le blog de 813vous donnera une petite idée de l'ambiance de la cérémonie.

Bravo en tous cas aux éditions Sarbacane, qui proposent pas mal de polars à leur catalogue, et qui ont avec ce Trophée une nouvelle récompense pour leur travail sur le Noir. 

 

dimanche 6 novembre 2016

[Femme de caractère] - Maggy Garrisson : je ne voulais pas que ça finisse comme ça, de Trondheim et Oiry (Dupuis)

Nous avions laissé notre chère Maggy, trinquant à l'avenir avec son amoureux tout neuf, Alex, dans leur pub préféré de Londres. Tout ne s'annonçait-il pas pour le moins mal dans le meilleur des mondes pourris ? Comme le disait Alex, à 6 cases de la fin du tome 2 :" Sheena maîtrisée... Affaire résolue avec Wight qui te réengage... Amour parfait avec le plus beau mec de Londres...". De quoi envisager un futur potable pour Maggy, non ? Peut-être.... Sauf que les trois dernières cases de ce même tome s'achevaient avec Sheena, dans la rue, sous les fenêtres du pub. La femme-flic témoin - et victime - des agissements de la bande d'Alex en restera-t-elle là ? Il y a tout de même un beau paquet de fric à récupérer...
Et c'est un peu pour ça qu'Alex, en ouverture de ce troisième tome, rachète une arme, à l'origine inconnue, trouvée dans un container emporté aux enchères par un Ashley, un pote flic à lui. Maggy n'est pas vraiment heureuse de se retrouver avec ce flingue, qu'elle planque dans le bac à légume de son frigo, mais elle est plutôt contente d'avoir récupéré dans ce même container un album photo, qu'elle s'imagine rendre à ses propriétaires, car il est plein de souvenirs, peut-être important pour la famille.

Tout ce qui va se passer dans l'album final de ce premier cycle est posé là, dans cette scène introductive : une arme qui va avoir toute son importance, à la fois par son présent (va-t-elle servir ? Qui va s'en servir ? Contre qui ?) et par son passé (A qui appartenait-elle ? Pourquoi était-elle conservée dans ce container ?). Un album photo qui va conduire Maggy à jouer un peu plus les détectives, et à se rendre compte, avec nous, lecteurs, que finalement, elle aime ça et se débrouille pas si mal. Deux objets, qui permettent une double intrigue, pour une narration en parallèle, ou plutôt, qui permettent de mettre en scène la double vie de Maggy : celle, officielle, où elle travaille sur des enquêtes, que ce soit pour elle (l'album photo) ou pour Wight, son patron (et cette fois il s'agit de vol de dents en or après la crémation par une société de pompes funèbres) et l'autre , sa vie privée, faites de secrets et cachotteries, où elle est sur la corde raide, car ce fric qu'elle a récupéré continue à attirer du monde, et pas du plus recommandable.

Maggy dans les rues du Mans...
Alors, je ne vous dirai évidemment pas ici comment tout ça finira, mais ce qui est sûr, c'est que tout ce qui faisait l'intérêt et le plaisir de lecture des deux tomes précédents est à nouveau présent : des personnages principaux, Maggy en tête, très crédibles car on-ne-peut-plus humains, et aux caractères complexes, des scènes de la vie quotidienne hyper bien observées et senties, des dialogues percutants et souvent drôles, et des rebondissements ne tombant jamais comme des cheveux sur la soupe, ou ne faisant pas office d'échappatoire facile pour les auteurs, comme on peut le voir dans pas mal de polar. Car il ne faut pas oublier : Maggy Garrisson, c'est du polar ! Du polar d'un autre genre, mais du polar où le duo Trondheim - Oiry fait merveille. Lewis Trondheim avec tous les ingrédients déjà évoquées prouve qu'il est possible de construire une intrigue mêlant suspense et quotidien, et où les deux sont d'égal intérêt, et Stéphane Oiry, avec son dessin réaliste et franco-belge, son sens du cadrage (superbe scène avec Maggy et Sheena en voiture !), son souci constant du détail, donne corps et âme à cette série qu'on a pas envie de voir s'arrêter comme ça. C'est peut-être justement le sens caché du titre, tiens ? Cela tombe bien, car il y aura un quatrième "aventure" de Maggy. Même si pour l'instant Stéphane Oiry travaille sur un ambitieux projet, avec Arnaud Le Gouefflec : une bio romancée de Lino Ventura. Mais ça, c'est une autre histoire. En attendant, filez donc à Londres avec Maggy !


Maggy Garrisson 3 - Je ne voulais pas que ça finisse comme ça ****
Scénario Lewis Trondheim et dessin Stéphane Oiry
46 pages couleurs - Dupuis, 2016- 14,50 €

samedi 5 novembre 2016

[Polar Nordique] - Infiltrés, par Olivier Truc, Sylvain Runberg et Olivier Thomas (Soleil)

Danemark, banlieue de Copenhague, juin 2016, la nuit. Deux hommes cagoulés circulent en voiture dans les rues désertes et silencieuses, avec comme objectif, le mitraillage de la façade d'une mosquée, vide à cette heure-là. Ils passent à l'acte... sauf que les lieux sont occupés et qu'un imam sort aussitôt et se précipite vers la voiture des terroristes. Ils le renversent ans leur fuite et le religieux est tué sur le coup. L'affaire fait immédiatement la une le lendemain, et met en ébullition le ministère de la Justice, en particulier sa patronne, la ministre, Stina Rasmussen. Elle veut une arrestation rapide des coupables, des membres du groupuscule "Le Renouveau Danois", qui vient juste de revendiquer l'attentat. Le PET, la brigade antiterroriste Danoise, dirigée par Suzanne Hennings, est justement sur les traces de ce groupuscule depuis plusieurs mois et a réussi à l'infiltrer . Tout ce qu'elle sait à l'heure où elle est pressée d'accélérer le mouvement, c'est que les membres ne sont pas plus de dix, et que leur leader Rolf Lukke, est un adepte de la théorie du grand remplacement : les pays occidentaux se laissent islamiser via l'immigration en échange de barils de pétrole. Et pour lutter contre cela, Lukke trouve que la voie démocratique et politique est trop lente et qu'il faut frapper un grand coup dans le pays. A la manière d'Anders Breivik, l'extrémiste norvégien aux 77 victimes en 2011... Suzanne et ses hommes progressent tout de même et savent qu'une opération de grande ampleur approche à grands pas, et qu'un homme, surnommé "Le Faucon" a été appelé par le Renouveau Danois pour cette opération. Et qu'il vient d'arriver au Danemark...

Les bandes dessinées mettant en scène le terrorisme qui frappe l'Occident depuis les années 2000 sont rares, et ces "Infiltrés" valent le coup de s'y arrêter. Et surtout, autant le dire tout de suite, c'est un diptyque réussi. Le scénario est l'oeuvre commune d'Olivier Truc, un journaliste - et romancier - spécialiste à la fois de l'Europe du Nord (il vit en Suède) et des réseaux d'extrême droite européens, et de Sylvain Runberg, scénariste talentueux (adaptateur, notamment, de "Millenium"). Précise, documentée et minutée comme un compte à rebours, l'intrigue est captivante : on est tout de suite happé par les événements vécus par les différentes protagonistes. Du côté des terroristes, l'arrivée du mystérieux Faucon rend tout le monde nerveux, et l'achat d'armes à des Serbes encore plus dangereux qu'eux est un épisode où la tension monte encore d'un cran. Sans compter sur l'habileté des auteurs pour dévoiler vraiment à la dernière minute l'identité de l'infiltré de la cellule anti-terroriste...
Et du côté des hommes de la dynamique Suzanne Hennings, l'angoisse monte également au fil des heures qui passent, car le Faucon demeure insaisissable. Ajoutez à cela les déboires de Suzanne avec sa fille ado, qui tient absolument à faire ce qu'elle veut du haut de ses 15 ans, et qui n'hésite pas à braver les interdits de la mère, au péril de sa vie... (cela a d'ailleurs un petit côté "24h chrono, saison 1", ce personnage de la fille tête brûlée). Tout est donc réuni pour une réelle bonne histoire, et il restait à trouver le bon dessinateur pour la mettre en images : Olivier Thomas, avec son style réaliste, est celui-ci ,et le choix est judicieux. Déjà à l'aise sur des ambiances plus ou moins lourdes, plus ou moins tendues, comme il en a fait la preuve dans sa trilogie "Sans pitié" ou dans "Dos à la mer"(les deux chez EP), il l'est tout autant pour nous transporter dans les rues, les bars et le port de Copenhague, et de rendre ses personnages extrêmement vivants et expressifs. Réussir à maintenir un suspense visuel n'était pas évident, Olivier Thomas y parvient, et il a toute sa part dans la réussite de ces albums.

 

A noter : si vous êtes du côté de Lamballe (Côtes d'Armor) vous pourrez rencontrer les deux Olivier de ces "Infiltrés", ils sont dans la liste des nombreux participants à la 20ème édition du festival "Noir sur la Ville". C'est le week-end des 19 et 20 novembre. N'hésitez pas à venir, c'est un excellent festival de polar.



Infiltrés ***
Scénario Olivier Truc et Sylvain Runberg ; dessins Olivier Thomas
Soleil, 2015 - 2016 – 56 pages couleur – (Collection Quadrants) – 14, 95 €
Tome 1 - Le Sourire du Faucon
Tome 2 - Les Larmes de Jolène