Suite de ma revue estivale et éditoriale des albums parus au cours de ces derniers mois et qui valent vraiment la peine qu’on s’y arrête. Trois albums par maison, toujours. Aujourd’hui : Sarbacane.
Jacques Peuplier est de retour dans Le Tombeau du Géant ! Et c’est peu dire que cela fait plaisir de retrouver cet enquêteur d’un genre un peu particulier, dans sa cité très particulière : VilleVermine. La spécialité de notre homme ? Suffit de lire sa petite annonce : « Jacques Peuplier retrouve tous vos objets perdus, perdus, volés, oubliés. Méthode unique, résultats garantis ». La méthode unique, idée géniale et centrale de la série, c’est la capacité du héros à parler avec les objets : au coeur du précédent un diptyque – dont le tome1 a remporté le Fauve Polar SNCF 2019 – ce don est toujours bien l’élément moteur de l’intrigue. Il s’agit cette fois pour Peuplier de retrouver un merlin utilisé pour mettre fin aux jours du du dernier géant de la ville, cinquante auparavant, puis ensuite, le ceinturon - boucle de bronze et cuir de rhinocéros – encore à la taille du cadavre du géant… Cette dernière requête émanant directement du petit-fils de Jo le Géant. Un petit-fils qui vit dans les galeries souterraines de VilleVermine, au sein des Fleuvistes, tout une population qui vénère un ancien dieu poisson, et garde férocement le secret… Il en faut plus pour effrayer Peuplier qui va faire éclater bien d’autres vérités enfouies en acceptant cette nouvelle mission…
Quel album !!! J’avais franchement apprécié les deux premiers volumes par leur originalité, par le monde créée par Julien Lambert, par le ton de ses dialogues, par son sens de l’intrigue, son appropriation/hommage à une certaine culture populaire… et bien on retrouve tout cela encore dans ce troisième tome. Il est cette fois question d’autres créatures mythiques, de rites étranges et de croyances populaires, et tout cela fonctionne à merveille. Mais avec une autre dimension, humaine et sensible, en la personne de Sam le Géant, qui souffre d’un mal étrange dont va le délivrer Jacques Peuplier. Un mal… ou autre chose ? Magnifique scénario ! Et cette couverture qui annonce tout, sans qu’on puisse rien deviner. Du grand art !!! Ne ratez vraiment pas cet album paru en début d’année. Il n’est jamais trop tard pour le lire, c’est assurément une des BD de 2022. Pour Bédépolar en tous cas.
Morgne Fox de Louise Laborie est aussi un choc, dans son genre ! Voici une étonnante aventure à la croisée des chemins entre quoi, le Club des cinq, les Goonies et Black Mirror ? Difficile en effet de déterminer le genre de ce vrai-faux polar qui débute par un épisode de Tony Fox, la série TV favorite de Mégane Fox, qui la dévore tous les jours avec appétit. Et damned ! Tony est en fâcheuse posture à l’issue du dernier épisode en date : Silly boy, son ennemi juré, le laisse pour mort dans une usine de corn-flakes, après avoir fait valdingué son gun dans la machine à mixer les céréales… La suite au prochain épisode ! Très frustrant pour Mégane, d’autant plus que le lendemain, pas d’épisode ! Mais pourquoi ? Et voilà qu’elle trouve le flingue de Tony dans son paquet de Nesquick à elle ! Dingue ! Aucun doute : Tony est en danger, il faut le sauver. N’écoutant que son courage, Morgane file à Paris avec son pote Simon, direction les studios où elle va pouvoir sauver son héros….
Wow ! Comme scénariste qui n’a pas froid aux yeux, Louise Laborie, dont c’est la première BD, se pose là. Et il suffit de se laisser emporter par l’enthousiasme et la volonté de fer de Morgane qui du haut de ses, quoi, 12-13 ans, pour vivre une aventure somme toute trépidante. Ce qui est troublant et amusant à la fois, c’est le style graphique de l’autrice : sous de faux airs d’album pour la jeunesse (ah, ce grand format, ces couleurs pétantes !) les personnages sont tout de même un bien patibulaires avec leurs visages un peu rougeauds, comme s’ils avaient pris des coups à chaque case précédente. Et cela donne un ensemble vraiment singulier, y compris dans ses dialogues bourrés d’anglicismes, mais au rythme vraiment soutenu, et en fait, une fois passé l’effet de surprise, on est vraiment pris par cette mission improbable que l’intrépide Morgane s’est fixée. Une première œuvre à découvrir, really !
Dee, est elle une autre sorte d’héroïne. Ou plutôt, pas vraiment une héroïne : dans une grande cité anonyme, elle traîne son ennui urbain au Sunrise Diner, où elle remplit des grilles de mots croisés, et où elle n’aime pas qu’on vienne l’emm…. C’est ce qu’elle fait bien comprendre à ce type qui vient s’inviter à sa table, un certain monsieur Mann, qu’elle ne connaît pas mais qui lui connaît son prénom. Et lui fait une étrange proposition de travail : cinq cent dollars par jour pour allumer une lumière au-dessus d’une porte avec une serrure. Ou plus précisément : déchiffrer un code dissimulé dans le journal et l’envoyer depuis son poste de radio amateur sur le toit de son immeuble. Simple ? A l’aise. Légal ? Hum… La question que Dee se pose est tout de même : et s’il n’y a rien dans le journal ?
Voici donc le point de départ du tome 1 de November, un comics signé Matt Fraction (scénario) et Elsa Charretier (dessin), qui démarre fort, et qui va continuer en introduisant deux autres personnages féminins : Emma-Rose jeune citadine qui n’en peut plus de cette ville impersonnelle et triste, et Kowalski, flic affectée au 911, les urgences policières. Le destin de ces trois femmes vont se trouver liés, sans qu’elle le sache… pour le moment. Avec sa construction à la Stray Bullets (un peu), où les tranches de quotidien de différents personnages sont exposées sans lien apparent, et son suspense qui s’installe inexorablement, November fait partie des crime comics qui sortent du lot. Le dessin d’Elsa Charretier rappelle parfois celui de Paul Pope, et ses personnages respirent l’authenticité. Ajoutez des couleurs travaillées, signées Matt Hollingsworth et qui participent grandement à l’atmosphère moite et crépusculaire de cette sombre histoire et vous comprendrez que ce November est une belle surprise au catalogue Sarbacane, où les comics se font tout de même assez rare habituellement. La suite et la fin de ce récit noir est annoncée pour ... novembre. Logique.
VilleVermine – Le Tombeau du Géant ****
Scénario et dessin Julien Lambert
Sarbacane, janvier 2022 – 86 pages couleur –18,90 €
Morgane Fox ***
Scénario et dessin Louise Laborie
Sarbacane, avril 2022 – 144 pages couleur– 28 €
November, vol 1 – La Fille sur le toit ****
Scénario Matt Fraction et dessin Elsa Charretier – Couleurs Matt Hollingsworth
Sarbacane, mai 2022 - 124 pages couleurs – 24 €