Ce blog est entièrement consacré au polar en cases. Essentiellement constitué de chroniques d'albums, vous y trouverez, de temps à autre, des brèves sur les festivals et des événements liés au genre ou des interviews d'auteurs.
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Bonne balade dans le noir !

samedi 30 juillet 2022

[Un été chez…] Sarbacane : Ville Vermine, Morgane Fox et November

 Suite de ma revue estivale et éditoriale des albums parus au cours de ces derniers mois et qui valent vraiment la peine qu’on s’y arrête. Trois albums par maison, toujours. Aujourd’hui : Sarbacane.

Jacques Peuplier est de retour dans Le Tombeau du Géant ! Et c’est peu dire que cela fait plaisir de retrouver cet enquêteur d’un genre un peu particulier, dans sa cité très particulière : VilleVermine. La spécialité de notre homme ? Suffit de lire sa petite annonce : « Jacques Peuplier retrouve tous vos objets perdus, perdus, volés, oubliés. Méthode unique, résultats garantis ». La méthode unique, idée géniale et centrale de la série, c’est la capacité du héros à parler avec les objets : au coeur du précédent un diptyque – dont le tome1 a remporté le Fauve Polar SNCF 2019 – ce don est toujours bien l’élément moteur de l’intrigue. Il s’agit cette fois pour Peuplier de retrouver un merlin utilisé pour mettre fin aux jours du du dernier géant de la ville, cinquante auparavant, puis ensuite, le ceinturon - boucle de bronze et cuir de rhinocéros – encore à la taille du cadavre du géant… Cette dernière requête émanant directement du petit-fils de Jo le Géant. Un petit-fils qui vit dans les galeries souterraines de VilleVermine, au sein des Fleuvistes, tout une population qui vénère un ancien dieu poisson, et garde férocement le secret… Il en faut plus pour effrayer Peuplier qui va faire éclater bien d’autres vérités enfouies en acceptant cette nouvelle mission…


Quel album !!! J’avais franchement apprécié les deux premiers volumes par leur originalité, par le monde créée par Julien Lambert, par le ton de ses dialogues, par son sens de l’intrigue, son appropriation/hommage à une certaine culture populaire… et bien on retrouve tout cela encore dans ce troisième tome. Il est cette fois question d’autres créatures mythiques, de rites étranges et de croyances populaires, et tout cela fonctionne à merveille. Mais avec une autre dimension, humaine et sensible, en la personne de Sam le Géant, qui souffre d’un mal étrange dont va le délivrer Jacques Peuplier. Un mal… ou autre chose ? Magnifique scénario ! Et cette couverture qui annonce tout, sans qu’on puisse rien deviner. Du grand art !!! Ne ratez vraiment pas cet album paru en début d’année. Il n’est jamais trop tard pour le lire, c’est assurément une des BD de 2022. Pour Bédépolar en tous cas.


Morgne Fox de Louise Laborie est aussi un choc, dans son genre  ! Voici une étonnante aventure à la croisée des chemins entre quoi, le Club des cinq, les Goonies et Black Mirror ? Difficile en effet de déterminer le genre de ce vrai-faux polar qui débute par un épisode de Tony Fox, la série TV favorite de Mégane Fox, qui la dévore tous les jours avec appétit. Et damned ! Tony est en fâcheuse posture à l’issue du dernier épisode en date : Silly boy, son ennemi juré, le laisse pour mort dans une usine de corn-flakes, après avoir fait valdingué son gun dans la machine à mixer les céréales… La suite au prochain épisode ! Très frustrant pour Mégane, d’autant plus que le lendemain, pas d’épisode ! Mais pourquoi ? Et voilà qu’elle trouve le flingue de Tony dans son paquet de Nesquick à elle ! Dingue ! Aucun doute : Tony est en danger, il faut le sauver. N’écoutant que son courage, Morgane file à Paris avec son pote Simon, direction les studios où elle va pouvoir sauver son héros….


Wow ! Comme scénariste qui n’a pas froid aux yeux, Louise Laborie, dont c’est la première BD, se pose là. Et il suffit de se laisser emporter par l’enthousiasme et la volonté de fer de Morgane qui du haut de ses, quoi, 12-13 ans, pour vivre une aventure somme toute trépidante. Ce qui est troublant et amusant à la fois, c’est le style graphique de l’autrice : sous de faux airs d’album pour la jeunesse (ah, ce grand format, ces couleurs pétantes !) les personnages sont tout de même un bien patibulaires avec leurs visages un peu rougeauds, comme s’ils avaient pris des coups à chaque case précédente. Et cela donne un ensemble vraiment singulier, y compris dans ses dialogues bourrés d’anglicismes, mais au rythme vraiment soutenu, et en fait, une fois passé l’effet de surprise, on est vraiment pris par cette mission improbable que l’intrépide Morgane s’est fixée. Une première œuvre à découvrir, really !


Dee, est elle une autre sorte d’héroïne. Ou plutôt, pas vraiment une héroïne : dans une grande cité anonyme, elle traîne son ennui urbain au Sunrise Diner, où elle remplit des grilles de mots croisés, et où elle n’aime pas qu’on vienne l’emm…. C’est ce qu’elle fait bien comprendre à ce type qui vient s’inviter à sa table, un certain monsieur Mann, qu’elle ne connaît pas mais qui lui connaît son prénom. Et lui fait une étrange proposition de travail : cinq cent dollars par jour pour allumer une lumière au-dessus d’une porte avec une serrure. Ou plus précisément : déchiffrer un code dissimulé dans le journal et l’envoyer depuis son poste de radio amateur sur le toit de son immeuble. Simple ? A l’aise. Légal ? Hum… La question que Dee se pose est tout de même : et s’il n’y a rien dans le journal ?


Voici donc le point de départ du tome 1 de November, un comics signé Matt Fraction (scénario) et Elsa Charretier (dessin), qui démarre fort, et qui va continuer en introduisant deux autres personnages féminins : Emma-Rose jeune citadine qui n’en peut plus de cette ville impersonnelle et triste, et Kowalski, flic affectée au 911, les urgences policières. Le destin de ces trois femmes vont se trouver liés, sans qu’elle le sache… pour le moment. Avec sa construction à la Stray Bullets (un peu), où les tranches de quotidien de différents personnages sont exposées sans lien apparent, et son suspense qui s’installe inexorablement, November fait partie des crime comics qui sortent du lot. Le dessin d’Elsa Charretier rappelle parfois celui de Paul Pope, et ses personnages respirent l’authenticité. Ajoutez des couleurs travaillées, signées Matt Hollingsworth et qui participent grandement à l’atmosphère moite et crépusculaire de cette sombre histoire et vous comprendrez que ce November est une belle surprise au catalogue Sarbacane, où les comics se font tout de même assez rare habituellement. La suite et la fin de ce récit noir est annoncée pour ... novembre. Logique.

VilleVermine – Le Tombeau du Géant ****

Scénario et dessin Julien Lambert

Sarbacane, janvier 2022 – 86 pages couleur –18,90 €

Morgane Fox ***

Scénario et dessin Louise Laborie

Sarbacane, avril 2022 – 144 pages couleur– 28 €

November, vol 1 – La Fille sur le toit ****

Scénario Matt Fraction et dessin Elsa Charretier – Couleurs Matt Hollingsworth

Sarbacane, mai 2022 - 124 pages couleurs – 24 €




jeudi 14 juillet 2022

[Un été chez…] - … Futuropolis - Fatty, Ulysse Nobody et Mister Mammoth

 Je profite de cette période estivale pour faire une petite revue, par éditeur, des albums parus au cours de ces derniers mois et qui valent vraiment la peine qu’on s’y arrête. Trois albums par maison, et c’est Futuropolis qui ouvre le bal.

 

Bon, Fatty, le premier roi d’Hollywood date un peu c’est vrai (sorti en août 2021) mais… so what ? En revenant sur la vie de celui qui fut le premier acteur issu du cinéma muet à devenir millionnaire à Hollywood, Julien Frey et Nadar nous replongent au coeur du premier âge d’or du cinéma américain… et de ses pièges sournois. Car si Roscoe Arbuckle – alias Fatty à l’écran – fut adulé pour ses comédies muettes des années 1913-1920 où son physique à la Oliver Hardy avait conquis des foules considérables, il connut une déchéance brutale après avoir été accusé du viol - et de la mort quelques jours pus tard - d’un starlette, présente à l’une des soirées mondaines et arrosées que donnait Fatty. Le scénario de Julien Frey est parfait et son choix de faire Buster Keaton, que Roscoe a fait débuter à ses côtés au cinéma et qui deviendra son ami, est excellente : le récit de cette sombre et tragique destinée en devient nettement plus humain, plus intime aussi. Quant au dessin de Nadar, il est impressionnant : on a vraiment l’impression d’être aux côtés des vrais protagonistes de cette histoire hollywwodienne et noire, et son duo Fatty-Keaton est saisissant. Les toutes dernières pages, un gag muet certainement repris d’un des courts-métrages, sont magnifiques, et permettent de refermer cet album le sourire aux lèvres. Quel meilleur hommage pouvait-on rendre à celui qui avait « l’Amérique contre lui et Buster Keaton comme ami » ? 

 

 C’est un autre homme de cinéma qui est au scénario de  Ulysse Nobody  : Gérard Mordillat. Pour une autre histoire d’acteur, mais cette fois-ci nous sommes dans la France d’ici et maintenant, avec une toile de fond éminemment politique, puisque nous sommes en pleine campagne électorale 2022. Bon, l’histoire est désormais écrite – pour ce qui est du vainqueur de la présidentielle – mais n’empêche : ce scénario mettant en scène un acteur oublié et que le parti fasciste français va choisir comme figure de proue aux côtés de Maréchal, le leader du parti, mérite d’être lu par quiconque s’intéresse aux rouages du pouvoir, aux mécanismes de la manipulation, aux ravages du polissage des idées extrémistes (de droite). Et on suit avec curiosité d’abord, puis angoisse pour ce candidat candide (ou pas?), son parcours aux législatives à l’issue plus qu’incertaine voire certainement fatale. A moins que ? Son talent oratoire ne le sauve ? Sa sincérité n’emporte les électeurs ? Ou que sa naïveté l’entraîne au fond de l’abîme ? Cet Ulysse Nobody est dessiné avec toute la justesse qui sied à son caractère par Sébastien Gnaedig : de la résignation à l’espoir, de la colère à la joie, les émotions passent parfaitement sur le visage d’Ulysse, mais on sent bien une grande mélancolie derrière tout ce qui lui arrive. Toute la farandole d’amis – si peu - et ennemis qui tourne autour de lui forme une galerie contemporaine de « gens » tout à fait crédibles dans leurs attitudes et convictions. Le dessin, somme toute assez doux, vient renforcer le propos, somme toute assez dur, du scénario. Un album à relire dans quelques temps… 

 

Et celui que vous pouvez lire et relire, c’est bien Mister Mammoth, dont la seconde partie vient de paraître (fin juin). Car comme l’annonce le sticker rouge apposé sur ce tome deux voici bien un « polar énigmatique et envoûtant » de Matt Kindt et Jean-Denis Pendanx. L’association de ce duo ultra doué (chez Futuro, foncez sur « Dept H. » et « Grasskings » de Kindt, et sur « A fake story » de Pendanx, pour ce qui est du polar…) donne une œuvre assez déroutante, il faut bien l’avouer. Déjà par son personnage principal, ce Mammoth, détective-colosse impressionnant, qui ne joue pas des poings ni des muscles pour ses enquêtes. Première entorse au hard-boiled, pour celles et ceux qui pensaient s’attaquer à un récit du genre. Du reste, les premières pages superbes, se dégustent comme un pré-générique – trompeur puisque bagarreur - jusqu’à la pleine page distillant de premiers indices sur ce que va être ce Mister Mammoth : « un polar existentiel… Une comédie dramatique... » . Excellente entrée en matière visuelle et narrative ! Pour la suite, nous voici plongés dans une véritable enquête menée par le « héros » - c’est bien un polar, n’est-ce pas – où un homme fortuné l’embauche pour découvrir qui lui a envoyé des menaces téléphoniques visant à ruiner sa réputation. Voilà pour la mise sur les rails, dans une Amérique urbaine des années 70. Puis le récit va dévier vers d’autres horizons, d’autres décors, plus intimes, plus psychologiques, et se recentrer sur Mammoth lui-même. Ce qu’il est et pourquoi il l’est. Inutile d’en dire plus : il faut lire – et relire – ce diptyque, fruit d’une collaboration inédite entre deux grands auteurs. Espérons qu’une intégrale verra le jour, car Mister Mammoth mérite vraiment d’être lu d’un seul coup. Comme un coup de poing, soyeux…

 

 Et si vous aimez comme moi le travail effectué depuis des années par Futuropolis, essayer de vous procurer ce petit livre qui revient sur les 50 ans de la maison créée par Etienne Robial et Florence Cestac (enfin, la librairie, initialement) : cela s’appelle (et vous pouvez cliquer pour avoir le PDF)  « Futuropolis 2022, 250 livres qui donnent le ton ». Et ça donne vraiment envie !



Fatty, le premier roi d’Hollywood

Scénario Julien Frey et dessin Nadar

Futuropolis, 2021 - 205 pages couleurs – 27 €

 

Ulysse Nobody

Scénario Gérard Mordillat et dessin Sébastien Gnaedig

Futuropolis , 2022 – 141 pages couleur – 20 €


Mister Mammoth 1 et 2

Scénario Matt Kindt et dessin Jean-Denis Pendanx

Traduction Sidonie Van den Dries

Futuropolis, 2022 – 2 tomes de 56 pages couleur – 13,90 €


mardi 12 juillet 2022

[Crime comics] - Blacking out / Chip Mosher et Peter Krause – Delcourt ****

 

Conrad est de retour à Edendale, Californie. Il ne sait pas trop si il y sera le bienvenu : il a été viré de la police locale un an auparavant, pour une alcoolémie peu compatible avec ses fonctions. Et surtout il revient pour tenter de résoudre une affaire assez sordide qui a marqué les esprits de la petite ville : les restes de la jeune Karen Littleton ont été retrouvés carbonisés, suite à un feu de forêt et c’est le père qui a été arrêté pour ce meurtre. Conrad n’était déjà plus flic au moment où le corps a été retrouvé mais Lund l’avocat du père, croit en l’innocence de son client et décide de faire appel à celui qui à l’époque était selon lui le meilleur enquêteur de la ville. Conrad accepte de travailler pour Lund, mais oui, que vont en penser ses ex-collègues en charge de l’enquête à l’époque ? Et surtout, que va-t-il bien pouvoir découvrir de nouveau dans cette affaire ? Son unique piste est celle d’un crucifix que portait la jeune fille au moment de sa mort, et qui n’a pas été retrouvé sur la scène de crime…

Voilà un « one-shot » qui porte bien son nom : le choc de la révélation du nœud de cette histoire fiche un coup qui vous envoie au tapis pour le compte. Bon, si vous êtes un brin habitués au polar, vous vous en remettrez, mais il n’empêche : derrière une histoire qui emprunte les codes et personnages un peu attendus du genre (le flic alcoolique sur la voie de la rédemption, son ex-chef qui a ses petites magouilles, le pervers amateur de très jeunes filles, la petite ville américaine et ses autochtones qui se connaissent tous…) Chip Mosher réussit à construire une intrigue prenante pour une histoire qui relève au final bien plus du récit noir – par son dénouement - que du thriller attendu. Ou plutôt, il mixe les deux genres avec brio et est efficacement servi graphiquement par le trait de Peter Krause, jusqu’ici plutôt abonné aux super-héros (Daredevil, Irrécupérable), et qui livre des planches parfaitement rythmées et donne une vraie consistance aux personnages principaux. Conrad en tête, qui trimballe une espèce de mélancolie nerveuse assez fascinante. L’album est court, les scènes se succèdent sans temps mort, et le tout est au format « traditionnel » franco-belge et non à celui des comics : appréciable pour mieux s’immerger dans l’atmosphère étouffante – et même brûlante – évoquée dès la couverture très réussie de ce Blacking out. Une couverture signée Patric Reynolds, que l’on retrouve dans les 4 pages bonus de la galerie d’illustrations qui vient clore cet album vraiment réussi.

  Et allez donc faire un petit tour sur cette sélection "Noir c'est noir" de Delcourt, qui présente les fleurons du genre du catalogue.

 


Blacking out ****

Scénario de Chip Mosher et dessins de Peter Krause

Delcourt 2022– 64 pages couleur – 14,95 €

Parution 29 juin 2022