Marcello Quintanlha vient de remporter la récompense suprême pour un album au FIBD d’Angoulême, le Fauve d’or, qui lui a été décerné pour « Ecoute jolie Marcia », aux éditions ça et là.
Pas officiellement estampillée polar, cette histoire est tout de même « un petit peu rose, mais aussi un petit peu noire », dixit Marcello lui-même. Ce qui est certain c’est qu’elle a cette dimension humaine qui traverse toute l’oeuvre de l’auteur. Je reviendrai très bientôt sur cet album qui va certainement faire découvrir à un plus grand public tout le talent de ce dessinateur (et scénariste!) attachant. En attendant, je vous propose de le retrouver dans cet entretien qu’il m’avait accordé fin 2018, pour la revue 813 à l’occasion de la sortie de son album « Les Lumières de Nitelroi », et où il était revenu sur l’ensemble de son œuvre publiée en France.
Marcello, commençons par cette série qui est votre première publiée en Europe, et qui appartient au genre cher à 813, le polar : 7 Balles pour Oxford. L’intrigue en est « simple » : un vieux détective sur le déclin fait une promesse à son épouse mourante, utiliser les 7 dernières balles de son revolver, et raccrocher. 7 balles, 7 enquêtes et 7 albums. Ce scénario est signé Zentner et Montecarlo. Comment s’est passée la rencontre, la constitution de cette équipe ?
Vers 1997 ou 1998, j'ai rencontré François Boucq — une de mes plus grandes influences en matière de dessin — lors d'un festival de bandes dessinées au Brésil, et il m'a proposé de montrer mon travail à sa maison d'édition — Casterman à cette époque — et il l'a fait. Zentner travaillait avec eux et ils m'ont mis en contact avec lui. Il m'a présenté le projet sur lequel il travaillait avec Montecarlo et nous avons immédiatement commencé à travailler ensemble dessus. Par la suite, nous n'avons pas conclu d'accord avec Casterman, nous avons finalement signé avec Le Lombard, qui nous a proposé un contrat à long terme.
Qu’est-ce qui vous a attiré dans cette histoire : le suspense qu’elle prévoyait, ou cet aspect « chronique sociale », au coeur du quotidien d’américains… ou d’autres ! Ou encore le fait de mettre en scène un héros vraiment atypique…
Je pense que la troisième option est la plus évidente. En outre, il y avait cette atmosphère familiale qui entoure toute la série, avec la personnalité d'Oxford basée sur le père de Zentner, tandis que son aspect physique provient de mon grand-père. J'adore travailler avec ces concepts.
Après cette série, publiée au Lombard de 2003 à 2012, vous êtes accueilli par les éditions ça et là qui publient, en 2015, Mes chers samedis. C’est là la première traduction de votre œuvre brésilienne, et on y découvre ce qui semble bien être ton domaine de prédilection : le portrait de personnages issus de classes populaires. Ce n’est pas forcément polar, mais c’est parfois noir…
Oui c'est vrai. Ce n’est pas par hasard que ces éléments sont présents dans mon travail. D'un côté, le Film Noir a toujours été une grande référence pour moi, non seulement pour ses oeuvres les plus connues tels que Out of the Past ou Double Identity, mais aussi pour d’autres moins connues, mais qui figurent parmi mes préférés, tel The Strange Love of Martha Ivers, avec la magnifique Barbara Stanwyck et un jeune prometteur, Kirk Douglas, qui faisait ses premiers pas en jouant les méchants. Il y a aussi le moment de la connexion du genre avec la série B, dans les années 1950, où nous pouvons trouver de véritables joyaux comme The Narrow Margin ou The Big Combo. En plus de cela, j'ai toujours été fasciné par les films qui traitent de manière forte des thèmes sociaux : le cinéma brésilien des années 1960, le Free Cinema, le Néoréalisme Italien et, bien sûr, la Nouvelle Vague, ont été, sont et seront toujours représentatifs pour moi.
Tungstène, lui est plus franchement dans le registre polar, puisqu’il a même décroché le fameux Fauve Polar à Angoulême, mais il demeure toujours ancré dans le quotidien des brésiliens d’aujourd’hui. Est-ce l’album qui vous a véritablement révélé au grand public ?
En ce qui concerne la France, sans doute. Tungstène a été incroyablement bien accueilli, ce qui est encore plus gratifiant parce que c'est une histoire qui a un trait régional très fort, mais je pense que cela fonctionne précisément, par son discours universel, car finalement le drame vécu par les personnages, leurs aspirations, leurs peurs, leurs contradictions concernent l’être humain en général et pas seulement les personnes appartenant à un contexte local.
Pouvez-vous nous dire quelques mots de l’adaptation au cinéma de Tungstène ? Y avez-vous participé activement ?
Oui bien sûr. J'ai travaillé sur la première version du script. Il y a eu un deuxième traitement des mains de deux scénaristes, Marçal Aquino et Fernando Bonassi. Tout le processus d'adaptation a été incroyablement rapide. Entre le moment où j'ai été contacté par le réalisateur Heitor Dhalia (O Cheiro do Ralo, À Deriva, Gone, Serra Pelada), jusqu'au début du tournage, cela a pris environ deux ans. Nous avons eu beaucoup de conversations. Heitor sait très bien quoi faire et comment le faire quand il s'agit de films. Le film est extrêmement fidèle à la bande dessinée et de nombreuses scènes sont des traductions directes d’une langue à l’autre. Je ne pourrais pas être plus heureux.
Le travail des acteurs pour donner vie aux personnages, en faisant ressortir leur mythologie personnelle pour les doter de sentiments ... C'est un processus fascinant à observer.
Talc de verre , qui sort juste après, en 2016, est le magnifique portrait d’une femme qui s’enfonce dans une spirale auto-destructrice, alors qu’elle a tout pour elle… On peut y voir une nouvelle fois, une critique lucide de notre monde oppressant, même pour les plus armés pour s’en sortir. C’est aussi une nouvelle page sur le Brésil d’aujourd’hui : quel regard portez-vous sur votre pays, vous qui résidez à Barcelone depuis 2002 ?
Je m'efforce de ne pas avoir une vision spécifique du Brésil, ou de ce que c'est que d'être brésilien, car cela nous conduit inévitablement à une série de simplifications et de généralisations qui forment une vision sociologique qui recouvrirait des aspects sociaux économique ou matériels.
Ma relation avec le Brésil reste exactement la même que lorsque j'y vivais, car je ne me sens pas du tout loin du pays. De cette façon, comme dans Talc de Verre — et je devrais revendiquer le prémisse du personnage comme être humain, pas comme une femme, car je n’ai aucun envie de classer des oeuvres d’après des idées reçues du genre — je ne cherche pas à transmettre le “brésilienisme”, puisque je l'ai tout avec moi. Les histoires expriment ainsi les émotions authentiques de quelqu'un qui a grandi dans ce contexte.
Que pensez-vous de la situation politique actuelle au Brésil ? Ce succès de l'extrême droite vous surprend-il ? Est-ce quelque chose que vous aimeriez aborder un jour dans un de vos albums ?
Il est impossible de ne pas se sentir triste et vraiment inquiet après les résultats des élections. Dans un scénario de crise, l'extrême droite trouve toujours un terrain fertile pour se développer. De mon point de vue, le Brésil paie maintenant le prix de n'avoir pas fait les bons choix au bon moment, manquant des occasions historiques de réformer ses infrastructures, et notre déficit dans ce secteur s'est alourdi au fil des ans. Le vote à l'extrême droite est avant tout un vote de protestation contre l'incapacité de la classe politique classique à donner des réponses efficaces aux demandes sociales urgentes. Et comme mon travail est tellement ancré dans la réalité, il est inévitable que les questions politiques et sociales soient toujours impliquées.
Vos albums sont-ils publiés au Brésil ? Quelle est la situation de la bande dessinée là-bas ?
Oui, ils sont publiés régulièrement au Brésil.
Au Brésil, les bandes dessinées traversent des périodes cycliques au cours desquelles des problèmes politico-économiques sapent souvent un marché en développement, qui doit être réorganisé de temps en temps. Le secteur de la bande dessinée a connu une croissance importante il y a quelques années, mais le ralentissement économique et la dureté des positions politiques pèsent comme une ombre sur la culture dans son ensemble et sur la bande dessinée en particulier. J'ai traversé des périodes de crise au cours desquelles la publication de toute bande dessinée était devenue impossible, comme c'était le cas dans les années 1990, particulièrement dures. Nous nous appuyons actuellement sur les plate-formes numériques et les systèmes de financement qui ont permis le placement des nouveaux type d’œuvres, malgré l’incertitude économique qui constitue une perspective totalement nouvelle.
Votre
nouvel album s’appelle Les lumières de Niterói ,
et se passe dans les années 50, dans votre ville natale. Il y a une
dimension auto-biographique, je crois, à cette histoire ? Qui
n’oublie pas non plus un certain suspense…
C'est une histoire développée autour d'un fait réel qui est arrivé à mon père quand il était footballeur professionnel à l'époque. L’un de ses meilleurs amis, Noel, décédé il ya plusieurs années, est l’autre protagoniste et j’étais particulièrement intéressé à traiter de manière très intense l’amitié qui existe entre ces deux personnages. Les Lumières de Niterói évoque une époque à laquelle je n’ai évidemment pas assisté mais bien présente dans les mémoires des gens et les choses qui m’entouraient lorsque je grandissais. La nostalgie d'un âge d'or, d'un pays qui semblait trouver sa place dans le monde grâce à la croissance économique de l'après-guerre.
Pendant de nombreuses années, cette histoire m’est restée à l'esprit jusqu'à ce que je trouve l'occasion idéale d’en faire un livre. La violence, en particulier la violence psychologique, est toujours présente. La tension monte de plus en plus, au point que les deux protagonistes vont être poussés à l'extrême dans leur résistance et où ils doivent se pardonner avant de pouvoir pardonner à leur compagnon.
Une partie de votre œuvre reste non-encore traduite. Aura-t-on la chance de la découvrir chez ça et là ?
Oui, il y a d’autres livres. Nous allons attendre et voir ce qui se passe…
Marcello, n°10 de la Seleçao 2022-2023 |
Bibliographie
Aux éditions du Lombard
** 7 balles pour Oxford (2003-2012), scénario Montecarlo et Jorge Zentner (épuisé )
Aux éditions ça et là
** Mes chers samedis, 2015 – 64 p. couleurs
**** Tungstène, 2015 – FAUVE POLAR SCNF 2016 – 186 p. noir et blanc
**** Talc de verre, 2016 – 160 p. noir et blanc
** L’Athénée, 2017 – 96 p. couleurs
*** Les Lumières de Nitelroi, 2018 – 240 p.couleur
**** Ecoute, jolie Marcia, 2022 – 128 p. couleurs