Notre futur plus ou moins proche n’en finit plus d’inspirer – avec bonheur le plus souvent – les fictionneurs du roman, du cinéma et de la bande dessinée. Uchronie, utopie, dystopie… des mondes à venir qui font souvent froid dans le dos. La France de 2056 de Juncker et Pacheco n’échappe pas à la règle, à une exception près : on va tout droit vers un monde sinistre, mais le sourire – édenté -aux lèvres…
Bienvenue au pays de l’euthanasie civique ! Les gouvernants français des années 2050 ont trouvé la parade au vieillissement : l’élimination pure et simple des plus de 80 ans en fin de droits. Une idée qui a fait son chemin petit à petit dans les esprits, après avoir germé dans le crâne de jeunes esprits bien déterminés à rendre la France plus vivable. Petits extraits de leur apéro qui va tout déclencher :
« - Prudence, les vieux c’est un sujet sensible ! On a tous des parents et des grands-parents et on va tous devenir vieux un jour. Donc : grosse empathie du public, pas comme les fonctionnaires ou les chômeurs...
- De toutes façons, on a pas le choix. Sinon, les extrême-gaullistes vont encore monopoliser le débat.
- Oui. La question n’est plus « pourquoi ». Mais « quand » ?
- Je peux envoyer deux-trois sondes… Les gens en ont marre de croiser des vieux partout qui coûtent une fortune, et qui ne rapportent rien...Et on a les économistes avec nous.
- Il faut déjà lancer le pavé dans la mare. Attendre la fin des éclaboussures . Que ça se calme. Puis revenir dessus en recadrant ça dans un débat gaulliste, avec un ou deux faits divers pour marquer le coup. Rendre le truc acceptable en comparant avec d’autres pays. . Qu’on fasse trois-quatre lois à mi-chemin, forcément inefficaces. Que le public accepte l’obligation d’aller plus loin. Le tintouin habituel, quoi. Je dirais dix/douze ans... »
Et
bim ! Deux quinquenats plus loin, on est en plein dedans, et
terminés, les vieux improductifs… Le héros de cette aventure,
Stéphane Le Goadec, octogénaire qui a l’outrecuidance de fumer en
cachette, et de se faire gauler pour contrôle positif à la
nicotine, se voit contraint de fuir pour échapper à la convocation
au commissariat, synonyme d’euthanasie volontaire. Le voici donc,
avec sa femme Nadège, 82 ans comme lui, en route pour le territoire
des Néo-Ruraux, après un passage chez Nicolas, un ancien
crypto-gaulliste… Mais arrivés sur les terres de Raylmond, il n’a
qu’un seul moyen pour évchapper au suicide programmé : le
combat à mains pas vraiment nues contre des adversaires tout aussi
ridés que lui. Et Stéphane va devenir un champion, gravir les
échelons de l’Octofight, et provoquer des remous jusqu’à
l’Elysée du président Mohamed
Maréchal-Le Pen…
Ce scénario de Nicolas Juncker fonctionne parfaitement, et son monde, peuplé de «personnes à jeunesse réduite, du chômage illégal, d’Extrême-Centre »… et où tout est devenu Gaulliste, même votre machine à laver, est celui d’un observateur attentif de la vie politique actuelle, qui lui sert de formidable terrain de jeux. Chico Pacheco, son acolyte au dessin s’en donne à coeur joie dans un style à la croisée des comics et des mangas d’action (les combats clandestins sont époustouflants!) mais c’est bien la dimension politico-satirique qui fait tout le sel d’Octofight, et impose au lecteur et à la lectrice de se poser la question : mais comment faire pour éviter d’en arriver là ? Ces trois tomes nerveux et hilarants nous invitent aussi à nous poser la question….
Octofight - Scénario Nicolas Juncker et dessin Chico Pacheco - Glénat / Treize Etrange, 2020 ****
1 – Ô vieillesse ennemie
2- De rides et de fureur
3 – Euthanasiez les tous !
128 pages noir et blanc et 12,90 € chaque.
Et vivement l’intégrale !
[Chronique précédemment parue chez les excellents amis de la Tête en Noir, dans le numéro 210 pour être précis]