Ce blog est entièrement consacré au polar en cases. Essentiellement constitué de chroniques d'albums, vous y trouverez, de temps à autre, des brèves sur les festivals et des événements liés au genre ou des interviews d'auteurs.
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Bonne balade dans le noir !

dimanche 28 février 2016

[Touché !] - Riposte, de Dan Christensen (Scutella editions)

Luca Di Serafino est un escrimeur de grande classe. Si talentueux qu'on fait appel à lui pour officier comme maître d'armes sur les plateaux de cinéma. Un rôle qui lui tient tellement à coeur, qu'il n'hésite pas à interrompre l'action en pleine scène, lorsqu'il juge que les acteurs, ne comprennent vraiment rien à rien et massacrent les duels. Et c'est ce qu'il fait, sur le tournage du nouveau film du producteur Douglas Henderson, "Les lames de le nuit", en tournant en ridicule un des protagonistes du film... Non seulement lui donne-t-il une cuisante leçon d'escrime, mais, qui plus est, obtient-il son renvoi par le réalisateur. Le lendemain, à un cocktail donné au domicile de Henderson, il fait pour les invités une petite démonstration de duel, avec Alan Lantier, la vedette du film. Tout se passe bien, mais à la sortie de la soirée, il se fait agresser par trois hommes, qui s'enfuient après lui avoir broyé une main... la mauvaise, heureusement pour lui ! Mais le lendemain, Di Serafino s'interroge... qui est ce "patron qui n'apprécie pas sa main baladeuse", comme a lui a lancé un de ses agresseurs ? Et surtout, qui a saccagé son appartement, comme il le découvre à sa sortie d'hôpital ? Il croit savoir, et son honneur lui impose d'aller provoquer en duel le coupable...

C'est un plaisir de retrouver Dan Christensen et sa ligne claire, découvert pour ma part en... 2006, avec la trilogie "Paranormal", publiée alors chez Carabas (tenez : ici ma chronique parue à l'époque dans l'Ours Polar). Et ce retour, pour une histoire dans les milieux du cinéma et de l'escrime, est des plus réussis. En plongeant son personnage principal, Di Serafino, au coeur d'une machination qui prend ses racines dans le passé du maître d'armes, Christensen entraîne son lecteur dans un suspens bien construit, où la vérité arrive par petites touches. Car c'est petit à petit que le récit bascule dans le genre noir, au fur et à mesure des découvertes du "héros", et des révélations sur sa jeunesse. La galerie de personnages de "Riposte" est riche et elle aussi bien vue, avec notamment ce qu'il faut en hommes et femmes cupides, manipulateurs, ou simplement salauds... Di Serafino n'étant lui même pas un modèle de sympathie, ce qui rend l'album d'autant plus crédible pour ce genre de récit. L'ambiance est franchement celle des films noirs de la grande époque (des Siodmak, Wise ou Lang...). 

 

Les combats à l'épée sont bien entendu omniprésents et arrivent toujours au bon moment. Et surtout, ils sont très bien mis en images et n'ont rien à envier à leurs équivalents cinématographiques. Bon d'accord, c'est moins spectaculaire, tout de même. N'empêche qu'on s'y croirait, et qu'au final, voici une des belles surprises de ce début d'année 2016. Chez un éditeur qui a pu faire paraître cet album grâce aux internautes, et au CNL. Comme quoi, les oeuvres de qualité finissent toujours par sortir... et voici Dan Christensen au bout d'une aventure qui aura duré pas loin de 7 ans... Pour en savoir plus d'ailleurs sur cet auteur, rendez-vous sur son site : DCartoons.
 
Mais en attendant... en garde !



Riposte***
Scénario et dessins de Dan Christensen
Scutella, 2015 - 159 pages noir et blanc - 20 €

dimanche 21 février 2016

[Noble art et embrouilles diplomatiques] - Chaos debout à Kinshasa, par Barutti et Bellefroid (Glénat)

Harlem, septembre 1974. Ernest Bloomin, petite frappe et grande gueule, est dans la mouise : il a égaré un kilo de coke, et les propriétaires de la marchandise ne lui laissent plus beaucoup de temps pour rembourser. Ailleurs aux Etats-Unis, Mohamed Ali s'entraîne pour sa reconquête du titre mondial des lourds, le fameux "Combat du siècle" contre Foreman, que le monde entier attend, et qui doit avoir lieu à Kinshasa. Là-bas, on s'agite en coulisses autour de ce combat : un diplomate Belge s'apprête à rencontrer le "président-citoyen" pour tenter de remettre la Belgique dans le jeu, la CIA laisse trainer ses oreilles un peu partout, et Blanche, une jeune Zaïroise tente d'extirper son frère des geôles sordides de Mobutu... Et voilà que ce veinard d'Ernest gagne un billet d'avion pour aller voir le combat Ali - Foreman. Il y voit tout de suite le moyen idéal de mettre de l'ordre dans ses affaires et d'échapper à ce qui promet d'être un enfer pour lui s'il reste trop longtemps aux Etats-Unis. Et puis, après tout, n'est-il pas Noir ? C'est le moment de retourner sur la terre de ses Frères...

Rien qu'avec la couverture le ton est donné : un titre qui semble tout droit sorti de la liste des OSS 117 de Jean Bruce, et les deux personnages-clé de l'histoire posant, au premier plan, sous les regards croisés, au second plan, d'un homme tenant un revolver, et à l'arrière-plan, du tout puissant Mobutu, qui tient lui le pays sous sa poigne de fer. Et quand on retourne le livre, ce sont trois autres personnages, des blancs, qui semblent eux aussi surveiller tout ce petit monde. Sans oublier l'affiche du combat Ali-Foreman, toile de fond de toute cette histoire géo-sportivo-politique, imaginée par Thierry Bellefroid, sur la base d'une documentation solide. Car il s'agit bien de cela au final : un récit d'histoire politique et d'espionnage, au coeur d'une page légendaire et universelle du sport, d'un épisode devenu mythique dans l'histoire pugilistique. Le scénario est habile et le ballet des personnages n'est pas sans rappeler ceux que menait le "danseur" Ali autour de ses adversaires, les faisant tourner maboule. Ici, chacun essaie de mener sa barque et de tirer son épingle du jeu dans un pays encore en pleine "zaïrinisation", et où Mobutu a réussi le tour de force de faire se disputer un championnat du monde de boxe entre deux Noirs... américains. La construction, chorale, du scénario est fluide, et le dessin réaliste de Barly Barutti - rappelant parfois celui d''Hermann - plonge encore plus vite le lecteur au plus près des hommes et des femmes protagonistes de ce qui en effet un "chaos debout". 

 Et si le fameux combat tient une place importante dans le scénario, il ne prend pas le pas sur le reste, et c'est bien un récit assez noir sur fond de corruption et de liberté que les auteurs proposent. Les amateurs de boxe n'en seront néanmoins pas frustrés, car, même si ceci est une fiction, voici un album qui permet au mieux de sentir l'ambiance qui devait être celle du pays au moment du Combat du siècle. Mais les amateurs de boxe, et d'Ali en particulier, peuvent aussi se tourner vers un album paru en septembre dernier "MuhamadAli" (par Titeux et Améziane, au Lombard), une étonnante - et réussie -biographie dessinée. 


Mais en attendant, il faut lire "Chaos debout à Kinshasa", que vous soyez amateur de boxe ou pas : c'est un album que nous ne lâcherez certainement pas avant la limite !


Chaos debout à Kinshasa ****
Scénario Thierry Bellefroid et dessin Barly Barutti
Glénat, 2016 - 118 pages couleurs - 22 €


dimanche 14 février 2016

[Fumetti & Espionnage] - L'Eté Diabolik, de Smolderen et Clérisse (Dargaud)

Eté 1967. Antoine a 15 ans, et il ne le sait pas encore quand il termine en vainqueur ce tournoi de tennis sous les yeux se son père, mais cet été va le marquer pour le restant de sa vie. Tout commence par un incident à priori banal : le très énervé père d'Erik, son adversaire en finale, est à deux doigts d'en venir aux mains avec le stoïque paternel d'Antoine. Etrange comportement, vite oublié, mais qui prend une autre tournure lorsque le même homme, dans la nuit, les prend en chasse avec sa camionnette sur les lacets de la route de la corniche. Et qu'il se tue en tombant dans un ravin... Entre temps, le père d'Antoine a été invité par De Noé, une ancienne connaissance, rencontrée fortuitement au restaurant. Dans la somptueuse villa de cet ami surgi du passé, Antoine est subjugué par une jeune Américaine, Joan, qui n'a pas froid aux yeux, ni nulle part d'ailleurs... L'ado passe une étrange soirée, et lorsque le lendemain, Erik, qui semble peu affecté par la mort de son père, vient proposer à Antoine une partie de tennis pour se changer les idées, celui-ci accepte. Dès lors, l'été va se poursuivre dans une atmosphère de plus en plus mystérieuse et angoissante pour Antoine...


Cette tentative de mise en appétit rend difficilement justice à l'extraordinaire jubilation qui s'empare du lecteur de l'Eté Diabolik : voici une bande dessinée d'une immense richesse. Déjà, dans sa construction - les 100 premières pages sont un flash back sur le fameux été - cet album ménage admirablement le suspense sur ce qui s'est réellement déroulé au cours de cet été 67. Tous les éléments sont bien là,  mais, à l'instar du narrateur, il nous manque les clés pour saisir quelles forces sont à l'oeuvre sous nos yeux. Clés qui nous sont données dans la seconde partie, plus de vingt ans plus tard, alors qu'Antoine est devenu écrivain, et qu'il a fait de cet épisode fondateur de sa vie un livre libérateur. Ou plutôt, qui va le devenir lorsqu'une des protagonistes de cet été va ressurgir du passé, et lui faire enfin comprendre un des éléments restés dans l'ombre de ses souvenirs.
Autre richesse du scénario de Thierry Smolderen, et non la moindre, cette magnifique idée d'introduire le célèbre personnage de Diabolik en toile de fond, et de réussir le tour de force d'en faire un personnage à part entière de l'histoire... sans être là "en chair et en os". Car c'est bien l'esprit de Diabolik qui plane sur toute ces pages, symbole parfait de la menace qui rôde, de l'homme insaisissable... Ce récit qui tient tout autant de James Bond que des fumetti neri, est un superbe hommage à une certaine littérature populaire, et d'ailleurs, Smolderen ne le cache pas, puisqu'il revendique haut et fort sont amour du genre dans une belle postface, intitulée "Né sous le signe du kiosque". Il y écrit notamment : "Pour ma part, il suffisait de me projeter devant le kiosque de mon enfance pour réactiver les émotions graphiques intenses que j'y avais ressenti au contact du rayonnement prismatique des magazines exposés".
Et bien, si cet Eté Diabolik transporte aussi ses lecteurs, c'est que justement, le dessin époustouflant d'Alexandre Clérisse, apporte à son tour ces émotions graphiques intenses chères au à son scénariste. Ce qui frappe immédiatement, c'est évidemment les couleurs choisies par le dessinateur pour cet album, qui, tout en semblant provenir de d'époques aussi variées que celle des Spoutniks, de Warhol ou encore de Pellaert, aboutissent finalement à une impression de lecture éminemment contemporaine.. et audacieuse. Car il suffit d'ouvrir ce livre au hasard : cet art de la composition des planches est bien celui d'un artiste de 2015, qui n'hésite pas à abandonner le cadre de ses cases quand il le faut, revenir au gaufrier à bon escient, expérimenter à d'autres moments (formidable visite de la chambre paternelle d'Antoine, pages 47à 49 !), bref, utiliser toutes les ressources de la bande dessinée, sans jamais perdre son lecteur par des effets inutiles.
L'Eté Diabolik est le type même de l'album qui ne donne qu'une seule envie une fois la dernière page tournée : tout relire depuis le début. Et admirer le travail !


Et pour rester dans l'univers de cet album étonnant, un blog dédié : http://wwww.etediabolik.wordpress.com/

A noter que les duo avait déjà signé ensemble un "Souvenir de l'empire de l'atome", toujours chez Dargaud. Pas lu, mais semble tout aussi élégant et indispensable...

L'Eté Diabolik ****
Scénario Thierry Smolderen ; dessin et couleur Alexandre Clérisse
Dargaud, 2016 - 168 pages couleur – 21 €


dimanche 7 février 2016

[Art Nouveau] - Le Fantôme de Gaudi (El Torres et Alonso Iglesias) - Paquet

Barcelone, de nos jours. Antonia, une jeune caissière, en finit avec sa journée harassante et rentre chez elle, à pied. Alors qu'elle est en train de téléphoner à sa fille, elle voit un vieillard s'élancer sur la chaussée au moment où le feu piéton est rouge. Elle crie pour l'avertir du danger mais rien n'y fait : le vieil homme continue à avancer. Autour d'Antonia, personne ne réagit et elle s'élance alors pour le mettre hors d'atteinte d'une voiture qui arrive. Sauvetage réussi, in extremis, mais elle se retrouve à l'hôpital, pour une commotion. Tout va bien, mais quand elle demande des nouvelles du vieillard, on lui répond qu'il n'a jamais existé ailleurs que dans sa tête. Première surprise pour Antonia, à qui sa voisine de chambre explique qu'elle a été renversée exactement à l'endroit où Antonio Gaudi l'avait été, par un tramway, en 1926... Dans le même temps des cadavres s'accumulent dans les lieux imaginés et construits par le célèbre architecte, laissant l'inspecteur chargé de l'enquête de plus en plus dans le brouillard. Mais quand Antonia va ête impliquée comme témoin direct dans un des meurtres, tout va changer : et si le fantôme de Gaudi était la clé de toute l'affaire ?

Le postulat est original de la part des auteurs : en plaçant un architecte et son oeuvre au coeur d'une intrigue policière, ils inventent un genre nouveau, style "Enquête et Patrimoine". Bon, il y avait bien eu, en littérature noire, une collection "Tourisme et Polar" aux éditions Baleine, période âge d'or, et les romans policiers régionaux sont légion (romaine, et surtout en Armorique, tiens). Mais pour la bande dessinée, la voie est peu empruntée, et cet album est vraiment réussi pour tout ce qu'il donne à voir des chefs-d'oeuvre Barcelonais de Gaudi : la Casa Battlo, le parc Güell, la Sagrada Familia... l'enquête de l'inspecteur Tondu n'oublie aucun des grands classiques architecturaux du Maître. Et les dessins de Jesus Alonso Iglesias sont à la hauteur de ces lieux devenus mythiques. De la couverture à la mise en image, avec ces planches aux cases distordues, évoquant immédiatement les formes ondulantes caractéristiques des bâtiments de Gaudi, le voyage est réellement fascinant. Et les personnages que l'on suit, dessinés eux dans une veine semi-réaliste, à la franco-belge, ont le dynamisme qu'il faut pour cette histoire policière. Côté intrigue, justement, le piège de la simple visite touristique  est évité et El Torres a imaginé une histoire de vengeance assez prenante, assez gore parfois, même, et qui aurait certes pu être un poil plus huilée. Mais il ne faut pas s'arrêter à ce détail : Le Fantôme de Gaudi a une vraie originalité et on ne l'oublie pas aussitôt la dernière page tournée. Et il donne aussi envie d'aller voir du côté de l'autre album d'Alonso publié chez le même éditeur : PDM, ou, l'autobio, justement, de ce même éditeur, Pierre Paquet. 
 

Le Fantôme de Gaudi ***
Scénario El Torres et dessin Jesus Alonso Iglesias
Paquet, 2015 - 126 pages couleurs - Collection Calamar - 18 €

samedi 6 février 2016

[Comics] - No Future ? Evil Empire et Denver (Glénat comics)

En une quinzaine de mois, Glénat a fait paraître une quantité impressionnante de comics sous son label "Glénat Comics", et très souvent, d'excellente facture. Et les choix d'Olivier Jalabert, arrivé en début 2015 à la tête du label, n'hésitent pas à faire un peu de place aux "crime comics", ou plutôt, à cette branche des comics qui explorent un quotidien noir pour ceux qui y sont plongés, et qui essaient d'en sortir. Ou encore, à des oeuvres qui explorent un futur si proche - et si sombre... - qu'on s'y croirait déjà...C'est exactement l'environnement de deux titres récemment parus et qui valent sérieusement le détour : Denver et Evil Empire. Commençons par le second, et... Welcome to hell !

"Nous, le peuple !", premier tome de Evil Empire met en scène deux candidats à la présidence des Etats-Unis, Sam Duggins, Démocrate, et Kenneth Laramy, sénateur Républicain. La campagne va prendre un tour assez inattendu lorsque la femme de Laramy est retrouvée assassinée. Inattendu, et spectaculaire, car à l'issue du discours au cours duquel il annonce son retrait de la campagne présidentielle, Laramy annonce fièrement à la tribune, en un hommage sincère à sa femme : "C'est moi qui ai planté le couteau dans cette truie". Fin du chapitre 1, et début d'une incroyable escalade de violence, d'abord verbale, sémantique, puis physique, qui va mettre le pays à feu et à sang. Avec comme fil rouge la question fondamentale : qu'est-ce qui différencie le Bien du Mal ? Et : jusqu'où la liberté individuelle peut-elle aller dans une société démocratique ? Le sénateur Laramy, candidat déchu, a déjà répondu : "... Je préférerais vivre dans un monde où chacun peut faire ce qu'il lui plaît, en n'étant soumis qu'aux conséquences de ses actes... qu'il s'agisse de leur effet direct ou des réactions d'autrui, sans le vernis hypocrite de nos notions archaïques de bienséance ou de bonté". Candidat(e)s philosophes, à vos copies ! Et si vous séchez, essayez donc le sujet n°2 : "Dans un pays qui ne cesse de proclamer son "amour de la liberté", on devrait être absolument libre. C'est ça qui devrait être la loi, la norme. Alors ne vous contentez pas de mettre le feu aux églises et aux mairies. Foutez le feu aux supermarchés, si ça vous fait bander..." .
Ces sentences définitives, prononcées par un homme sur le point d'être jugé pour le meurtre de sa femme, vont faire leur effet sur la population, et ce premier tome est assez bien foutu dans ce qui peut s'apparenter à une étude ethno-socio-politique en direct. Il est du reste riche, à tous points de vue.
Narrativement, Max Bemis procède par aller-retours, entre le présent de cette campagne hallucinante et le pays 25 ans plus tard, dans un futur où les thèses de Laramy semblent avoir triomphé. De Laramy... ou d'un autre qui tire les ficelles ? C'est la deuxième force du récit : rebondissements à tous les étages (on se croirait dans 24 heures chrono, pour le coup...), et personnages complexes et manipulateurs, loin d'être monolithiques. Et dans la galerie d'hommes et femmes croisée dans Evil Empire, le personnage de Reese Greenwood est remarquable, et, pour l'instant, incarne la dose d'humanité de la série, sans laquelle il n'y a plus qu'à aller se pendre quand on a fermé le livre.. Cette rappeuse engagée, qui se fait déposséder du texte d'une des ses chansons phares à qui ont fait dire tout l'inverse de leur contenu métaphorique, est peut-être celle par qui le salut va arriver. S'il arrive, car pour l'instant, le futur semble plutôt craignos.
Graphiquement, le dessin plein de punch est signé Ransom Getty pour les chapitres 1 à 3, puis, par celui, plus "doux" d'Andrea Mutti, pour les chapitres 3 et 4. Le chapitre 3, dessiné conjointement par Getty et Mutti, fait office de transition entre les deux dessinateurs, et correspond à un tournant dans le récit, ce qui est assez bien vu, car il est toujours délicat de voir les personnages changer de traits au gré des dessinateurs.
Bref, vous aurez compris que cette histoire de politique fiction tout droit sortie du cerveau de Max Bemis ( figure du punk rock US et leader du groupe Say anything), a tout pour vous plaire si vous aimez à la fois les comics sans super-héros et ceux qui donnent à réfléchir sur notre monde tel qu'il va... pas vraiment bien.

Un autre album - un one-shot cette fois ci - paru fin août 2015, dresse lui aussi le tableau d'un futur proche aux échos terriblement actuels : Denver & other stories. Jimmy Palmiotti et Justin Gray, les scénaristes, partent d'une base simple : suite à une gigantesque montée des eaux sur toute la planète, Denver reste une des seules villes américaines à la surface du globe. Dès lors, la tranquillité de celles et ceux qui y vivent (et la survie de l'espèce humaine ?) ne peut être assurée qu'au prix de contrôles draconiens pour accéder à la cité. Et c'est justement ce métier de garde-côte impitoyable qu'exerce Max Flynn, le personnage principal de cette histoire. Impitoyable... jusqu'à ce que sa femme se fasse enlever par des activistes qui veulent le contraindre à les laisser entrer illégalement dans la cité. Quelle va être la réaction de cet homme qui, jusqu'à présent, était convaincu de savoir où se situaient le Bien et le Mal ? Je vous laisse la découvrir...

Au-delà d'un scénario très habile et ménageant un suspense maîtrisé, Denver résonne de manière flagrante avec l'actualité la plus immédiate de notre XXIème siècle : difficile de ne pas penser aux navires incertains des populations africaines désespérées quand on voit l'embarcation fragile d'un couple paumé se faire arraisonner par Flynn et son équipe... Là encore, voici encore une preuve que les comics américains hésitent de moins en moins à sortir des clous rassurants du pur divertissement. Denver est dessiné par Pier Brito, qui excelle pour installer les atmosphères embrumées et mystérieuses dans lesquelles évoluent les personnages. Des hommes et des femmes à qui il insuffle tout ce qu'il faut d'humanité pour qu'on entre vraiment dans l'histoire... et qu'on y reste.
Suivant ce très réussi premier récit (qui fait la moitié du livre), deux autres sont proposés, par le même Palmiotti au scénario, encore avec Gray , et sur un dessin de Phil Noto pour "Trigger Girl 6" et, avec Lee Moder pour un épisode de Painkiller Jane : "Everythin explodes".
Hormis le scénariste commun, Palmiotti, ces deux récits n'ont vraiment rien à voir avec le premier, et souffrent un peu de la comparaison. Trigger Girl 6 a tout de même le mérite d'une certaine originalité tant scénaristique que graphique, avec cette histoire de femme (?) indestructible animée par un seul but : éliminer le président des Etats-Unis. Quant à Painkiller Jane, c'est aussi une femme forte, dans son genre à elle, et c'est ici une occasion de découvrir cette "héroïne" aux pouvoirs de régénération, si vous ne la connaissiez pas, dans un épisode qui ne demeure pas vraiment impérissable.
Mais rien que pour "Denver", il ne faut pas passer à côté de cet album... et encore moins à coté d'Evil Empire

Evil Empire. - 1 : Nous, le peuple ! ****
Scénario : Max Bemis. Dessin : Ransom Getty et Andrea Mutti
Glénat comics, 2016 - 128 pages couleurs - 14,95 €

Denver & other stories ***
Scénario Jimmy Palmiotti et Justin Gray. Dessin : Pier Brito, Phil Noto et Lee Moder
Glénat comics, 2015 - 160 pages couleur - 16,95 €

vendredi 5 février 2016

[Prix] – Tungstène : Le Fauve Polar SNCF 2016 à Marcello Quintanilha (ça et là)



Mon dernier billet sur Bédépolar était une chronique de « Tungstène » de Marcello Quintanilha. Quel nez, puisque c'est cet excellent album – que certains n'hésiteront pas à qualifier de roman graphique (mais ça reste de la bande dessinée, je vous rassure) – qui a donc reçu le Fauve Polar SNCF 2016, au cours d'une cérémonie de remise des prix, dirons-nous... originale.

Voici quelques photos de l'immortel instant, prises sur le vif , et sous le coup de l'émotion.  
 
Au début, tout était un peu obscur...










Et félicitations à Serge Ewenczyk et toute l'équipe de ça et là : après « Mon ami Dahmer » de Derf Backderf, prix SNCF du Polar BD en 2014, une autre récompense vient couronner le travail d'un éditeur, qui petit à petit, creuse son sillon.